Encore réservée aux applications de suivi menstruel il y a quelques années, la femtech se développe aujourd’hui en ciblant des pathologies féminines encore peu ou mal adressées par le système de santé. Si le secteur démarre lentement en France, plusieurs acteurs américains se positionnent déjà sur ce marché porteur, mais qui doit encore convaincre les investisseurs.

Né de la contraction de female et de technology, la femtech est un champ de la santé digitale concentre les technologies et solutions mises au point pour améliorer la santé et le bien-être des femmes. Encore confidentiel il y a quelques années, le secteur se développe et attire désormais de gros acteurs comme Samsung. Le 14 février dernier, l’entreprise a annoncé la mise en place d’un partenariat avec l’application de suivi de fertilité Natural Cycles. Samsung intégrera à sa montre connectée une fonctionnalité de suivi menstruel basée sur la température du corps grâce à l’algorithme de Natural Cycles. Elle sera disponible au cours du deuxième trimestre 2023 dans 32 pays, dont la France et les États-Unis. En 2018, Natural Cycles a été la première application de prévention de grossesse approuvée par la Food and Drug Administration (FDA), le régulateur américain. En parallèle de ce partenariat, Natural Cycles a reçu un financement de 7 millions de dollars de Samsung Ventures pour accélérer ses futurs développements.

La femtech prend sa part dans la healthtech

Un nouveau signal qui témoigne  de l’intérêt croissant pour le secteur. Selon PitchBook, les femtech ont levé environ 1,16 milliard de dollars en 2022 dans le monde, moins que les 1,41 milliard de dollars qu’elles ont levé en 2021. Une légère baisse, cependant bien supérieure aux 496 millions levés par les femtech en 2020. Des levées importantes comme celle de Maven Clinic, la start-up de téléconsultation dédiée à la santé des femmes, qui a obtenu 90 millions de dollars et porté sa valorisation à 1,35 milliard de dollars, ont marqué l’année 2022. La femtech prend également une part de plus en plus importante dans le financement de la santé numérique : elle en représentait 13,26 % en 2022, contre 8,75 % en 2021. Selon l’agence d’analyse stratégique FemTech Analytics, au quatrième trimestre 2022, la femtech rassemblait plus de 1800 entreprises dans le monde et son marché potentiel pourrait atteindre 97, 3 milliards de dollars en 2030. 

La PMA et la fertilité centralisent actuellement les plus gros investissements, car le marché est déjà existant

Juliette Mauro, présidente de FemTech France

Si les États-Unis sont le principal pays pourvoyeur de femtech, le secteur se développe également dans l’Hexagone. En novembre 2022, FemTech France, l’association dont l’ambition est de booster le développement des femtech, a répertorié 81 start-up françaises se revendiquant FemTech. Elles se concentrent sur une dizaine de pathologies : la santé reproductive, la santé globale, la maternité, les maladies chroniques (hors cancer), la santé sexuelle, le bien-être sexuel, le cancer, la santé périnatale et la ménopause.

“Le plus grand segment reste encore aujourd’hui la santé reproductive. La PMA et la fertilité centralisent actuellement les plus gros investissements car le marché est déjà existant. C’est autour de la ménopause que l’on voit émerger beaucoup de structures. Il va être intéressant de voir si des offres vont émerger pour proposer des alternatives au traitement hormonal substitutif, si de la R&D va être lancée en termes de molécules”, détaille Juliette Mauro, présidente de FemTech France. 

Le Royaume-Uni en pointe sur la femtech

  • Le Royaume-Uni est le 2e pays à abriter le plus de femtech après les États-Unis
  • Il concentre plus de 145 femtech et 155 investisseurs
  • En 2022, le bien-être des femmes est le plus grand sous-secteur de la femtech britannique
  • Les soins pour la ménopause constituent le troisième groupe le plus important du marché femtech. Les symptômes de la ménopause coûteraient à l’économie britannique 14 millions de jours de travail chaque année
  • En septembre 2022, le financement total de la femtech au Royaume-Uni atteignait plus de 740 millions de dollars

Le marché croissant de la ménopause 

Le marché mondial de la ménopause devrait atteindre 24,4 milliards de dollars d’ici 2030 contre 16,9 milliards de dollars en 2022 d’après un rapport de Grand View Research paru en novembre 2022. La North American Menopause Society estime qu’en 2025 1,1 milliard de femmes dans le monde seront ménopausées. Pourtant la prise en charge est aujourd’hui très limitée. “Les gynécologues ne sont pas forcément formés au sujet et n’ont pas beaucoup de temps à dédier à ce sujet qui est non pathologique”, indique Mathilde Nême, CEO et cofondatrice d’Omena. Omena a donc misé sur une application pour informer et aider les femmes à mieux affronter ces symptômes.

À la ménopause, le risque d’ostéoporose augmente ainsi que le risque cardiovasculaire,  ce ne sont pas que des symptômes entre guillemets bénins, c’est aussi un moment charnière en termes de santé

Mathilde Nême, CEO et cofondatrice d’Omena

“ Elle comporte une brique d’information médicale disponible gratuitement pour les femmes et dont les contenus sont réalisés avec une société savante, le Groupe d’Étude sur la Ménopause et le vieillissement hormonal (GEMVI). Cela leur permet de faire un travail de prévention en s’appuyant sur notre force de frappe. À la ménopause, le risque d’ostéoporose augmente ainsi que le risque cardiovasculaire, ce ne sont pas que des symptômes entre guillemets bénins, c’est aussi un moment charnière en termes de santé”, décrit Mathilde Nême. Sur son volet payant, l’application propose également des programmes quotidiens pour mieux gérer les symptômes. En février 2023, Omena a annoncé le lancement d’une offre de téléconsultation. 

Mathilde Nême, CEO et cofondatrice d’Omena.

“Aujourd’hui, notre application coûte dix euros par mois, nous comptabilisons 40 000 comptes créés et 10% de nos utilisatrices payent”, précise Mathilde Nême. Un coût qui peut aussi représenter une barrière à l’entrée pour de nombreuses femmes. Pour rendre son application accessible au plus grand nombre, Omena explore la voie des partenariats. “Des grands laboratoires pharmaceutiques ou de cosmétique, des grandes entreprises et des mutuelles sont venus nous faire des propositions. Les laboratoires sont intéressés par le fait de pouvoir faire du placement produit dans l’application mais également que leurs visiteurs médicaux puissent s’appuyer sur une offre différenciante. Les grandes entreprises sont de plus en plus nombreuses à se doter d’un responsable diversité et inclusion, et, c’est dans ce cadre qu’elles peuvent vouloir proposer des solutions pour la ménopause à leurs salariées. Les mutuelles doivent elles se différencier pour répondre à des appels d’offres, notamment ceux de la fonction publique. Toutes les mutuelles sont en train de travailler à fond pour proposer une offre spéciale pour les femmes ”, expose Mathilde Nême. 

Le financement face au biais de genre 

Reste que la difficulté d’obtenir un financement reste un frein majeur pour le développement de l’écosystème. “Aujourd’hui sur les femtech que nous avons recensées, près de 70% d’entre elles sont créés ou co-créés par des femmes. Il y a déjà une première frilosité à l’investissement qui est le prisme du genre, les femmes lèvent moins même si des investissements sont faits. La seconde est liée à la maturité des structures et du marché” explique Juliette Mauro. Les fondatrices font en effet face à plus d’obstacles que leurs homologues masculins pour lever des fonds. Selon l’édition 2022 du baromètre SISTA x BCG sur les conditions d’accès au financement des femmes dirigeantes de start-up, les équipes féminines sont 4,3 fois moins bien financées que les équipes masculines.

Je pense que beaucoup de femtech se perdent en allant voir des fonds de capital-risque traditionnels

Paola Bourdon, COO et confondatrice d’Emagina

Emagina, une femtech qui propose une préparation du périné à l’accouchement grâce à un dispositif médical connecté, a levé, le 23 janvier, 1,3 million d’euros auprès du fonds MEDEVICE Capital et de business angels spécialisés dans le médical. Toute la difficulté a été de trouver le bon interlocuteur.

Paola Bourdon, COO et confondatrice d’Emagina.

“Beaucoup de fonds traditionnels ne connaissent pas le marché et ont tendance à se dire que c’est un marché de niche. De plus, l’accès sur le marché est extrêmement long pour une medtech. Je pense que beaucoup de femtech se perdent en allant voir des fonds de capital-risque traditionnels. En fait, il n’y a qu’une dizaine de fonds en Europe qui investissent réellement dans des projets tels que le nôtre. C’était vraiment très nébuleux pour nous de comprendre à qui s’adresser c’est pareil pour les business angels, nous sommes allés voir les business angels traditionnels. Les choses se sont débloquées lorsque nous avons commencé à discuter avec des professionnels de santé qui eux, comprennent exactement les problématiques, que nous allons vraiment changer la vie des patientes et des professionnels de santé”, raconte Paola Bourdon, COO et confondatrice d’Emagina.

Mathilde Nême voit elle se dessiner une piste avec les fonds à impact pour les femtech avec une solution digitale:  “ Sur la partie santé de la femme, ménopause, endométriose, il y a toute une nouvelle génération de fonds qui sont des fonds d’investissement à impact comme Citizen Capital, Inco Ventures… qui sont en fait 100% dédié au sujet. Ils vont chercher activement à investir dans des femtech mais c’est souvent au moment de clôturer le deal que ça pose problème car ce sont encore des modèles risqués pour eux.”  

Tirer partie des avancées technologiques 

“ Il y a beaucoup à faire en santé de la femme. Nous avons choisi ce champ d’application pour des raisons personnelles mais aussi car nos concurrents américains et asiatiques qui travaillent sur l’intelligence artificielle et l’ARN se concentrent sur le cancer ou d’autres maladies. Ils considèrent la santé des femmes comme une niche, même si c’est assez incroyable de parler de niche quand on couvre la moitié de la population”, estime Yahya El Mir, fondateur et président de Ziwig. L’entreprise a développé un test salivaire  à disposition des professionnels de santé pour le diagnostic de l’endométriose ainsi qu’une plateforme d’accompagnement. “Une errance de diagnostic de dix ans en moyenne, ce n’est pas acceptable. Notre solution permet d’avoir un diagnostic rapide et d’éviter les techniques intrusives, car en cas de doute, on recourt à la chirurgie”, signale Yahya El Mir. 

Nous avons fait le choix avec les autorités de santé que la France soit le premier pays au monde à proposer un remboursement du test de diagnostic de l’endométriose

Yahya El Mir, fondateur et président de Ziwig
Yahya El Mir, fondateur et président de Ziwig.

Le test de Ziwig repose sur les possibilités offertes par les récentes avancées technologiques. “Nous utilisons des techniques modernes de séquençage haut débit qui vont nous permettre de lire toute une série de biomarqueurs présents dans la salive et ensuite nous analysons ces milliers de biomarqueurs avec l’intelligence artificielle et nous cherchons les signes indiquant que la personne a ou non la pathologie. Les évolutions techniques du séquençage ces deux ou trois dernières années et l’évolution de l’intelligence artificielle qui permet d’exploiter cette masse de données rendent réalisable cette médecine de précision”, décrit Yahya El Mir. Grâce à son marquage CE, le test est déjà disponible dans une dizaine de pays européens. Des discussions sont engagées avec des pays situés au Moyen-Orient et en Asie. L’entreprise a également déposé un dossier auprès de la FDA afin de pouvoir se lancer sur le marché américain. En France, l’endométriose touche entre 1,5 et 2,5 millions de femmes en âge de procréer, soit 1 femme sur 10. Cette pathologie est la première cause d’infertilité en France. À la suite de l’engagement pris par Emmanuel Macron le 11 janvier 2022, une stratégie nationale de lutte contre l’endométriose a été initiée le 14 février 2022. Le lancement du test de Ziwig en France s’inscrit dans ce cadre. “Nous avons fait le choix avec les autorités de santé que la France soit le premier pays au monde à le proposer en remboursement direct. Il sera disponible en 2023”, souligne Yahya El Mir. 

Un champ de recherche à investir 

Afin d’entamer ses démarches de mise sur le marché, Emagina a lancé sa première investigation clinique en 2023. Une investigation qui a confronté l’entreprise à la réalité de la recherche en santé des femmes. “Nous voulons vraiment être là pour faire avancer la recherche dans la santé des femmes. En démarrant cette investigation clinique, nous avons constaté que très peu de données existent dans de nombreux domaines de la santé des femmes. Il y a trop peu d’investigations cliniques et de publications médicales qui ont été menées uniquement sur des maladies féminines ou des organes féminins. C’est un vrai frein pour nous parce que nous arrivons sur un terrain inexploré, mais c’est extrêmement intéressant pour les professionnels de santé. Nous allons pouvoir donner des chiffres concrets et peut-être trouver des éléments qui pourrait faire avancer d’autres pans de la médecine et de la santé des femmes”, affirme Paola Bourdon.

Juliette Mauro, présidente de FemTech France.

Le manque de données disponibles est également une préoccupation de Juliette Mauro : “ Afin d’avancer sur les pathologies des femmes, il faudrait pouvoir avoir accès à des données en ville, pour lesquelles les données sont peut-être moins structurées et surtout moins disponibles. Les données de votre gynécologue vont être transmises à l’Assurance Maladie. Il y a peut être quelque chose à construire avec l’Assurance Maladie en matière d’accès aux données afin de donner à la France un vrai avantage concurrentiel pour développer la femtech”, espère Juliette Mauro.

Autre angle d’attaque de la femtech, les pathologies pour lesquelles la prévalence des femmes est élevée ou pour lesquelles leur prise en charge est mal adressée. Les risques cardiovasculaires en sont l’exemple emblématique. La cardiologue Claire Mounier-Vehier en a fait son combat, cofondatrice de l’association Agir pour le Cœur des Femmes, elle ne cesse d’alerter les femmes sur la menace des maladies cardiovasculaires ainsi que sur les inégalités qui demeurent dans leur prévention et leur prise en charge. Dans un récent post LinkedIn, elle indiquait que “200 femmes décèdent chaque jour d’une maladie cardiovasculaire” et que “la progression des hospitalisations des femmes de 45 à 54 ans pour un infarctus du myocarde est de 5% par an.” Outre les facteurs externes comme le stress, la sédentarité, l’alimentation déséquilibrée, les hormones sexuelles jouent un rôle majeur dans la physiopathologie des maladies cardiovasculaires chez la femme comme le rappelle le rapport d’analyse de la HAS “Sexe, genre et santé”, paru en 2020.  Les phases de contraception, la grossesse et la ménopause sont des temps privilégiés d’évaluation du risque vasculaire. Les femtech ont une carte à jouer pour réduire les inégalités de santé. 

Station F dédie un programme aux femtech

Lancé en 2021, le programme international de FemTech de Station F a déjà accompagné plus de 30 entreprises. Les 15 entreprises sélectionnées pour la troisième édition, menée en partenariat avec le laboratoire Organon, rejoindront le campus le 13 mars 2023 pour une durée de 6 mois. L’objectif est de fournir aux start-up un soutien axé sur les différents aspects du financement, sur l’accès au marché des produits et les obligations réglementaires mais aussi sur les enjeux d’acquisition d’une communauté. Ce dernier a son importance car  “pour acquérir des utilisatrices, les entreprises doivent acheter des mots clés sur Google Adwords, sur les réseaux sociaux et quand elles travaillent sur des sujets liés à la sexualité ou aux règles, elles font face aux règles automatiques des plateformes qui les censurent”, précise Marwan Elfitesse, Head of Startups Programs & Services chez Station F. Cette année, Station F a choisi de se concentrer dans sa sélection sur les thématiques suivantes : fertilité, santé maternelle, santé du plancher pelvien, santé vaginale, santé hormonale, santé ovarienne et santé utérine.