Accueil > Services bancaires > Banque au quotidien > Comment Conformitee aide les banques à gérer le KYC des entreprises Comment Conformitee aide les banques à gérer le KYC des entreprises Créée début 2019, Conformitee déploie sa solution chez Bpifrance, Crédit Mutuel Arkéa et Crédit Agricole. La plateforme permet de mutualiser les informations et documents des entreprises pour faciliter les processus de KYC (Know Your Customer). Par Aude Fredouelle. Publié le 10 janvier 2022 à 16h00 - Mis à jour le 13 janvier 2022 à 17h05 Ressources L’amélioration des processus de KYC des entreprises constitue un enjeu majeur pour les banques, qui souhaitent réduire les coûts et les risques réglementaires, mais aussi améliorer l’expérience client. C’est pourquoi plusieurs initiatives mettent en place des plateformes de mutualisation, avec plus ou moins de succès. Parmi elles, la start-up Conformitee, née début 2019. “Le KYC des entreprises, un casse-tête pour les banquiers” La genèse “Notre prisme est avant tout tourné vers les entreprises, car j’ai été confronté en tant que professionnel à cet irritant dans la relation avec les banques et assureurs, cette sensation de tâches répétitives à faible valeur ajoutée et d’absence d’harmonisation pour lutter contre le blanchiment, raconte Frédéric Maï, cofondateur et président. Certes, les banques travaillent toutes en interne pour améliorer leurs processus, mais l’intérêt de l’entreprise est souvent relégué au second plan.” L’objectif de Conformitee : proposer une solution numérisant l’ensemble du dossier de KYC et fluidifier le processus d’onboarding ou de mise à jour documentaire en construisant une solution avec une vision collaborative. En 2018, les cofondateurs réunissent une quinzaine de banques et trésoriers de grands groupes chez Bpifrance pour réfléchir aux contours d’une normalisation du KYC. “Il fallait définir la frontière entre ce qui relève d’informations pouvant être mutualisées, car elles ne présentent pas de caractère compétitif, et ce qui ressort de l’analyse du risque propre à chaque établissement, explique Frédéric Maï. Pendant plus d’un an, plusieurs établissements ont travaillé avec nous sur le socle normatif, c’est-à-dire la définition de ce qui doit être présent dans le dossier KYC et sur l’interprétation de la réglementation ACPR”. Parmi eux : la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes, la Caisse d’Épargne Rhônes Alpes et le groupe Société Générale. Interprétation de la réglementation Par exemple, sur le sujet du bénéficiaire effectif, certaines banques utilisaient des pourcentages de détention de la société différents. “Confronter leurs interprétations et échanger avec l’ACPR a permis de trancher pour être en conformité mais pas en surconformité”, explique le président. De même, pour les justificatifs demandés, “certains établissements en exigeaient davantage. Les discussions permettent d’aller vers le bon niveau d’interprétation”. Conformitee compile d’abord des documents publics – qui constituent environ 30 % du dossier de l’entreprise. Ensuite, l’entreprise est invitée à renseigner des informations complémentaires : questionnaires, formulaires, justificatifs d’identité, attestations et tables de capitalisation signées… “Ce sont ces éléments qui nous différencient de solutions comme celle d’Infogreffe ou de gros chantiers informatiques internes mis en place par les banques pour aller chercher les informations publiques sur les entreprises”, assure Frédéric Maï. Une fois le dossier rempli, “la banque dispose alors de toutes les informations administratives et documentaires nécessaires pour l’entrée en relation, les mises à jour du KYC ou les campagnes de remédiation périodiques. Il lui suffit d’y ajouter quelques éléments liés à la connaissance de l’entreprise et à la relation commerciale.” Conformitee permet de traiter “tous les enjeux du KYC” : les mises à jour évènementielles (augmentation du capital, changement du dirigeant), les révisions périodiques, et les révisions postaudit ACPR ou audit interne (remédiation). Pilote en 2019 Finalement, trois banques se sont engagées en 2019 dans un pilote qui s’est poursuivi en 2020 : Bpifrance, Crédit Agricole SA et la caisse régionale du Centre-Est, et le Crédit Mutuel Arkéa. “Cela a permis de démontrer que la solution était déployable en quelques semaines, mais aussi parfaitement adaptée au télétravail des conseillers et des entreprises en temps de crise et que l’on était capable de faire de l’accompagnement à distance”, se réjouit Frédéric Maï. Les trois banques ont validé courant 2020 et 2021 le déploiement au niveau national. Bpifrance a étendu la solution à deux directions régionales (à Lyon et Rennes) et la généralisera à toutes les directions nationales début 2022. “Nous avons signé en décembre 2021 et nous allons donc pouvoir communiquer plus globalement en interne sur le déploiement, indique Julien Belhassen, digital compliance officer chez Bpifrance. L’outil se sera pas obligatoire, ni pour les clients ni pour les chargés d’affaires, mais nous pensons que cela sera un succès. Nous avons déjà validé le fait que cela apporte de la valeur aux collaborateurs, mais il faut toujours rassurer au début car ils peuvent être réticents face à l’introduction d’un énième outil. L’outil étant simple et intuitif – un chatbot répond notamment par exemple aux questions – il n’y a pas besoin de formation. Il faut simplement convaincre de l’utiliser.” Arkéa a déjà déployé la solution sur tout son territoire. Au Crédit Agricole, l’instance nationale a validé le déploiement, et chaque caisse peut désormais décider de rejoindre la plateforme. D’une solution pour l’onboarding, Conformitee a évolué vers “une solution à tiroirs, qui permet à chaque établissement de nous rejoindre à travers son sujet du moment avant de l’étendre à tous les usages : cela peut être pour l’entrée en relation, car la banque est en conquête, mais aussi pour la remédiation si elle en a beaucoup, ou alors pour améliorer sa mise à jour événementielle”. Onboarder les entreprises Au-delà des banques, Conformitee doit convaincre leurs clients entreprises d’apporter leurs informations sur la plateforme. Elle cible avant tout les PME, contrairement à Swift, par exemple, dont la plateforme Swift Registry ne concerne que les grands corporates de son réseau (voir encadré). “Nous avons cependant été surpris de constater que l’on déborde sur la frontière basse et la frontière haute, auprès de grosses TPE (des artisans qui ont deux banques par exemple) et d’ETI, voire même de groupes internationaux auxquels on prête main forte pour gérer le KYC de leurs filiales françaises”, constate le président. Le recrutement des entreprises est cependant un défi. “Elles nous parviennent par deux canaux : d’abord, une révision périodique ou une remédiation, lors de laquelle nous proposons par le biais de la banque d’amener le dossier complet au chargé d’affaires. Mais des entreprises nous contactent aussi en direct, grâce au bouche-à-oreille, pour nous demander d’utiliser la plateforme. Plus d’un tiers des entreprises présentes sur la plateforme nous sont ainsi parvenues en direct. ” Début 2021, Frédéric Maï assurait que Conformitee réunissait les informations de 2 000 à 2 500 entreprises sur sa plateforme. “Désormais, nous en comptons plus de 5 000, sans avoir engagé d’action de communication, revendique Frédéric Maï. Le taux de conversion est très bon : plus de 85 % des entreprises à qui on explique le concept nous rejoignent.” Julien Belhassen, de Bpifrance, confirme : “nos chargés d’affaires nous rapportent qu’une grande partie des entreprises sont réceptives. Toutes celles qui sont multibancarisées comprennent rapidement l’intérêt de Conformitee. Certains dirigeants invités à ajouter leur dossier dans Conformitee en ont d’ailleurs profité pour y intégrer leurs autres entreprises. Et dans les régions où Conformitee n’a pas encore été déployée, des entreprises clientes ont réclamé à leur chargé d’affaires de pouvoir l’utiliser.” Bpifrance a onboardé environ 500 entreprises. Conformitee souhaite quasiment doubler le nombre d’entreprises intégrées en 2022. Pour y parvenir, la société prévoit de lancer une campagne d’information au premier trimestre 2022. “Nous bouclons une levée de fonds qui va nous permettre d’engager nos premières actions de communication”, annonce Frédéric Maï. Le président ne ferme pas la porte à l’entrée de banques au capital, “pour les rassurer sur la désintermédiation par un tiers”, mais “à plusieurs, et avec la volonté de laisser entrer leurs homologues dans le futur”. De son côté, Julien Belhassen, de Bpifrance, glisse qu’entrer au capital “peut en effet intéresser toutes les banques pionnières puisque nous avons co-construit la solution”. Conformitee, qui compte 10 collaborateurs et souhaite doubler ses effectifs en 2022, avait déjà levé 800 000 euros fin 2019 auprès d’investisseurs privés. Business model Les entreprises disposent gratuitement de la solution. Ce sont les banques qui sont facturées, avec une licence d’utilisation selon la nature de la prestation (campagne de révision, de remédiation, d’entrée en relation, collecte et surveillance d’un dossier…). Lorsqu’une entreprise se rend sur Conformitee mais que sa banque n’est pas cliente de la plateforme, “elle peut déjà partager ses documents avec toutes les banques de la place”, assure le président. “Plus de 75 banques se sont déjà connectées pour récupérer des dossiers de leurs clients”. Par contre, les banques qui ne sont pas clientes de Conformitee n’ont accès qu’à des dossiers de manière ponctuelle (quand leur client leur partage) et parcellaires. “Lorsqu’elles deviennent clientes, elles peuvent demander n’importe quel dossier, être alertées et demander des mises à jour…” Conformitee espère signer avec plusieurs banques en 2022, “mais nous sommes conscients des délais de 12 à 18 mois pour signer des contrats”, tempère Frédéric Maï. “Nous sommes trois banques pionnières engagées et désormais, nous allons vraiment promouvoir l’initiative pour que les autres commencent à s’y intéresser et adhèrent, confirme Julien Belhassen. In fine, ça sera la volonté des clients finaux d’y participer qui pèsera.” 2 heures de collecte de documents en moins par dossier Frédéric Maï le reconnaît, certaines TPE et PME ne basculeront pas sur les plateformes KYC. “15 % des entreprises environ ne veulent pas d’une plateforme et préfèrent continuer de fournir leurs documents à leurs chargé d’affaires”. Pas question non plus de remplacer le banquier : “nous voulons lui faciliter la tâche en lui permettant d’analyser un dossier complet et conforme. Nous avons vocation à préserver la relation du chargé d’affaires avec le trésorier en gérant la partie irritante et administrative”. Selon des sondages effectués auprès de chargés d’affaires utilisant Conformitee ainsi que des études menées en interne par les banques clientes, les collaborateurs économisent en tout cas environ deux heures de temps de collecte par dossier. “Bien sûr, cela dépend toujours de la complexité du dossier, c’est une moyenne sur des entreprises avec un actionnariat à au moins deux étages”, précise Julien Belhassen, de Bpifrance. Autre économie : celle des achats de documents (Kbis, comptes annuels…). “Cela coûte en moyenne 25 euros par dossier et cela peut monter à 30 ou 40 euros”, assure Frédéric Maï. “Sans compter les économies de développement de robots pour aller chercher les documents de manière automatisée et les coûts de la dette technique”. Élargissement international ou interopérabilité ? À terme, Conformitee voit plus loin. “Demain, la solution pourra être utilisée en la partageant avec un avocat, un commissaire aux comptes…” évoque Frédéric Maï. De son côté, Julien Belhassen imagine que “l’on pourrait proposer aux clients d’ajouter davantage d’informations en élargissant le socle normatif à d’autres données, comme les données ISR ou ESG par exemple.” Le cofondateur indique avoir déjà animé de premiers ateliers sur le sujet avec ses trois banques clientes. “Le socle normatif Conformitee est mis à jour régulièrement et pourra intégrer cette dimensions facilement. Cela facilitera une plus grande harmonisation des reporting et questionnaires. Il s’agit d’un projet à moyen terme, avec des premières expérimentations qui pourront être mises en oeuvre facilement et rapidement”. Autre possibilité de croissance : celle d’une expansion à l’international, ou plutôt d’une interopérabilité avec d’autres plateformes étrangères. Frédéric Maï estime en effet que “la segmentation géographique restera forte, en raison des contraintes réglementaires et interprétations propres aux autorités locales mais aussi des contraintes légales, comme la localisation de l’hébergement des données clients”. L’interopérabilité avec d’autres acteurs régionaux permettrait ainsi de “conserver le meilleur des deux mondes”. “Nous avons de premiers contacts dans des pays tels que l’Allemagne et le Luxembourg par exemple, pour des projets dans deux à trois ans”, conclut le président. Deux autres plateformes KYC : Swift registry et Clipeum Conformitee n’est pas la seule plateforme à s’être penchée sur le sujet du KYC des entreprises. Swift a lancé Swift KYC Registry en 2015 pour faciliter les processus KYC entre les banques (correspondant banking). Puis, fin 2019, elle a été ouverte aux corporates connectés sur Swift, parmi lesquels BMW, Spotify et Unilever. Début 2021, Swift revendiquait près de 2 300 groupes bancaires composés de 6 000 entités légales sur le registre banques et 130 groupes corporates représentant 550 entités légales sur le registre corporates. En 2021, Swift a par ailleurs ouvert la plateforme aux “non bank financial institutions” de son réseau (assurances, asset managers). S’il avait été un temps envisagé de l’ouvrir aux entreprises non connectées au réseau Swift (comme les TPE et PME), le projet a finalement été abandonné. Une autre initiative poussée par Société Générale a vu le jour : Clipeum, une plateforme basée sur une technologie de registre distribué (DLT) visant à mutualiser certains aspects du KYC des entreprises. La start-up interne de Société Générale avait annoncé en mars 2019 avoir rallié UniCredit, Commerzbank, Crédit Agricole, Natixis, Tikehau Capital, Euler Hermes et Allianz, Bpifrance, la Banque Postale. Avec pour objectif, après avoir réalisé un PoC fin 2018 avec R3 sur la technologie Corda, de créer une structure avant fin 2019 et de commencer à traiter des documents en 2020. Mais le projet semble au point mort, faute d’accord trouvé entre les participants. Grâce à son indépendance, Conformitee a pour l’instant réussi à éviter ces écueils. Aude Fredouelle conformitéfraudeKYCrégulation Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Le KYC des entreprises, un casse-tête pour les banquiers