Accueil > Financement et politiques publiques > Les business angels à la rescousse des jeunes start-up Les business angels à la rescousse des jeunes start-up Dans un contexte économique marqué par une baisse des financements et par la prudence des grandes sociétés de gestion, les business angels, dont les investissements continuent à croître, font figure d’exception. Même si leurs capacités financières sont sans commune mesure avec celles des VCs, ces acteurs de l’ombre contribuent à la vitalité de l’écosystème de l’innovation. Par Antoine Duroyon et Romain Bonfillon. Publié le 26 mars 2024 à 15h17 - Mis à jour le 27 mars 2024 à 9h01 Ressources Si les sommes investies en 2023 par les fonds d’investissement se sont effondrées (255 M€ levés en 2023 vs 1,16 Md€ en 2022, cf. le baromètre mind Health) les investissements des business angels ont continué à croître, comme en témoignent les derniers chiffres de France Angels, parus le 26 mars 2024. Selon l’association, qui regroupe 64 réseaux de business angels en France, les sommes investies en 2023 sont en hausse (50,1 M€ vs 44,2 M€ en 2022) tout comme le nombre d’opérations (441 vs 394 en 2022). La santé est un des secteurs dans lequel les business angels (BA) investissent le plus : il représente 25% des montants investis, juste derrière le numérique (34%). À noter qu’il n’existe en France que deux réseaux de BA entièrement dédiés à la santé : Angels Santé et HARA, en région Rhône-Alpes. Source : France Angels, bilan 2023 de l’activité des business angels Raphaël Guiraud est délégué général de Paris Business Angels (PBA), le second plus gros réseau français de business angels qui compte 150 membres. Il fait le constat que la France dispose de “beaucoup de gros acteurs institutionnels, accélérateurs, incubateurs ou SATT (les sociétés d’accélération du transfert de technologies, ndlr) qui aident énormément en amont de la chaîne de valeur à maturer un projet entrepreneurial, qu’il soit scientifique/deeptech ou autre. Quand les start-up deeptech passent un certain cap de TRL (le degré de maturité technologique, ndlr) et qu’elles commencent à arriver sur le marché, il y a un gros trou dans la raquette. Je pense que les BA ont ce rôle d’aller capter ce risque en investissant en pré-seed et seed, là où peu d’acteurs institutionnels vont mettre leur ticket”. Un phénomène conjoncturel Pour Chahra Louafi, directrice du fonds Patient Autonome de Bpifrance, le rôle contracyclique actuellement joué par les business angels “est un phénomène presque naturel. Parce qu’on est en bad cycle, les institutionnels vont vers des investissements moins risqués, ils demandent des éléments tangibles pour pouvoir se décider, on se déplace dans la chaîne de valeur. Le trou qui va être laissé, en général la partie seed, va être occupé naturellement par des business angels”. Raphaël Guiraud constate lui aussi que “depuis deux ans la conjoncture continue à être délicate pour les financeurs notamment en stade de série A et plus. Les tours de série A deviennent de grosses seed, les investisseurs en série A se penchent vers les seed et surtout les VCs investissent un peu moins et refinancent beaucoup. Nous, les BA un peu “gros” qui avons la capacité d’intervenir sur des tours de table relativement élevés (sur des grosses seed ou des pré-série A), nous compensons ce manque de liquidités de la part de ces fonds. Ainsi, de manière contracyclique, nous avons multiplié nos investissements par deux entre 2022 et 2023” (qui a été l’une des plus belles années chez PBA avec plus de 4,4 millions investis, ndlr). Eric Garnier, président d’Angels Santé Le phénomène n’échappe pas au monde la santé. Eric Garnier, président d’Angels Santé, le premier réseau européen de business angels entièrement dédié à la santé, observe qu’ “après une période d’investissement euphorique jusqu’en 2022, la hausse des taux d’intérêts a marqué un coup d’arrêt. Il a fallu faire à partir de 2023 ce que l’on appelle des bridge, c’est-à-dire aider les start-up à se financer entre l’amorçage et la série A”. Cette tendance se traduit également dans les pratiques d’investissements des business angels. En 2022 sur les 1,4 M€ investis, nous étions à 80% de premiers tours ; en 2023, nous sommes passés à pratiquement 50% de 1ers tours et 50% de refinancement. Cela montre bien qu’il a fallu que l’on aide les sociétés dans lesquelles on avait déjà investi à tenir”. Le paysage français des BA Selon le bilan d’activité 2023 de la fédération nationale des business angels (France Angels), la France compte aujourd’hui environ 5500 BA, qui appartiennent pour la plupart à l’un des 64 réseaux que compte le pays. “Beaucoup de ces réseaux sont régionaux, note Eric Garnier, il en existe presque dans chaque département. À noter qu’à côté de ces réseaux, de taille moyenne, de gros réseaux parisiens tels que BADGE (les Business Angels des Grandes Ecoles), Paris Business Angels et Investessor occupent les premières places en termes de nombre de membres et de somme investie (cf. le top 15 des réseaux ci-dessous). Ainsi, la région Ile-de-France représente à elle seule 56,9 % des montants investis par les BA. Source : France Angels, bilan 2023 de l’activité des business angels Angels Santé160 membresInvestissement global (avec 1er tours et refinancements) en 2022 : 1,4 M€Investissement global en 2023 : 1,7 M€Ticket moyen, à titre individuel : 10 k€Ticket par dossier : environ 200 k€ Nombre d’investissements par an : 12 environThèse d’investissement : biotech, medtech et santé digitale (à part à peu près égales) sur la phase d’amorçage des start-up;Parmi les investissements réalisés en 2022 et 2023 : Bliss DTx, Louise, Healshape, Eppur. Petits investissements mais grandes ambitions Des réseaux qui se professionnalisent Au fur et à mesure de leur constitution en réseau, les business angels se sont professionnalisés. “Notre réseau a été créé en 2008, explique Eric Garnier, mais il a véritablement commencé son expansion en 2018. Nous avons passé 10 ans avec moins de 50 membres, les tours étaient logiquement plus faibles. Aujourd’hui nous avons amélioré le processus de sélection et nous avons une force de frappe financière qui est plus importante”. Raphaël Guiraud, délégué général de Paris Business Angels Chez Paris Business Angels, l’équipe compte désormais 4 permanents (un délégué général, une chargée d’investissement, un analyste et une chargée de communication). “Il y a deux ans, raconte Raphaël Guiraud, nous avons restructuré l’équipe opérationnelle et professionnalisé le processus de sélection des start-up. Nous avons renforcé le réseau par des équipes permanentes pro et donné de la valeur à nos investisseurs par des formations, de l’accompagnement et du conseil sur leur rôle de BA, la méthodologie d’investissement et des connaissances sur l’écosystème. Nous avons aussi commencé à ajouter des groupes de travail en interne sur des expertises métiers et sectorielles. Tous ces changements expliquent, entre autres, que nous avons réussi à multiplier nos investissements par deux l’an dernier”. Les SPV, des véhicules d’investissement pour les BA Dans leur manière d’investir, les business angels se structurent aussi de plus en plus. Le marché tend en effet à favoriser dans les phases d’amorçage l’investissement via SPV (special purpose vehicle). “À la demande des sociétés qui sont investies, nous structurons des véhicules d’investissement pour que nos investisseurs unissent leur force via une seule entité morale, explique Raphaël Guiraud. Cette entité n’est pas PBA, c’est un SPV gouverné et drivé par les investisseurs eux-mêmes et qui permet à la cible de simplifier les interactions avec eux et, entre autres, de faciliter la sortie pour nos BA. À date, nous avons une quinzaine de SPV”. Pour Vanessa Dorian-Proust, cofondatrice et CEO des club d’investisseurs One Green et NeoFounders, “investir en club deal, via un SPV, permet d’avoir un deal flow de meilleure qualité, de mieux négocier les conditions juridiques d’entrée, avec notamment des clauses de liquidation préférentielle, et cela favorise une relation plus approfondie avec les entrepreneurs. Quand on est business angel et qu’on représente moins de 1% des actionnaires, on ne se sent pas légitime pour challenger les conditions d’entrée, qu’il s’agisse de la valorisation ou des clauses”. Aussi, observe-t-elle que “de plus en plus de personnes veulent se structurer en club deals après de mauvaises expériences. Cette démarche n’est pas nouvelle – c’est le cas notamment pour les anciens de grandes écoles – mais l’investissement se faisait souvent ligne par ligne. Et ce n’était pas très attractif pour un entrepreneur d’avoir 20 petites lignes à son capital, comparé à une holding dirigée par un investisseur expérimenté avec un large réseau”. Des co-investisseurs Selon les chiffres 2023 de France Angels, les business angels membres d’un réseau de BA sont l’une des catégories d’investisseurs les plus promptes à co-investir lors des premiers tours : en 2023, plus du tiers des montants co-investis lors d’un premier tour (37,6%) ont impliqué un réseau de business angel, très loin devant les fonds privés (7,6%) et les fonds régionaux d’amorçage (3,7%). Lorsqu’il arrive à un réseau de business angel de co-investir avec un ou plusieurs VCs, “il faut négocier avec eux la cohabitation la plus harmonieuse possible, ce qui n’est pas toujours simple”, confie Eric Garnier. Raphaël Guiraud dresse le même constat et explique les raisons de ces tensions : “on essaye de changer leur mentalité car certains VCs pensent que les BA n’ont pas de valeur ajoutée et doivent être mis “de côté”, au travers d’un mini pacte notamment. En tant que gros réseau de BA, nous ne pouvons pas nous permettre d’être transparents dans notre accompagnement et au sein de la gouvernance des sociétés investies. Nous essayons de nous mettre sur la même longueur d’onde que des VCs lorsqu’on intervient dans des sociétés au même stade”. À noter que de manière plus courante et pacifique, les business angels co-investissent fréquemment avec les plateformes de crowdfunding, les club deal et d’autres réseaux de BA. Ils vont d’ailleurs jusqu’à partager leur due diligence, typiquement lorsqu’un réseau spécialisé (comme Angels Santé qui est notamment constitué de pharmaciens et médecins) peut faire bénéficier un réseau agnostique de son expertise. Réussir sa due diligence Dérisquer l’investissement Parce qu’ils sont, la plupart du temps, présents dans les phases d’amorçage d’une start-up, les réseaux de BA construisent des stratégies pour minimiser les risques d’investissement. “En deeptech, nous sommes sur un TRL 5-6, avec déjà des preuves de concept/MVP et quelques euros de CA grâce aux early-adopters. Pour tout ce qui est sujets tech et innovations d’usage/frugales, nous allons regarder davantage les métriques comme le chiffre d’affaires et les revenus récurrents qui doivent être autour de 80 à 120K€/an minimum”, explique Raphaël Guiraud. Aussi, le processus d’examen des dossiers peut s’avérer particulièrement long. Chez Angels Santé, qui reçoit environ 200 dossiers par an, le processus de screening passe par un premier filtre pour éliminer les dossiers considérés comme “pas sérieux”. S’ensuit une phase de présélection, où un jury de deux personnes, aidé d’une grille de scoring, interroge les start-up pendant une heure environ. À l’issue de ce premier pitch, les start-up retenues gagnent le droit d’en faire un second, lors d’une session plénière réunissant l’ensemble des membres d’Angels Santé. À ce moment-là seulement se décide si le réseau s’engage dans une due diligence, en fonction des personnes intéressées. “C’est un processus qui est assez long, reconnaît Eric Garnier, mais c’est une garantie pour être certains d’investir dans les bons dossiers”. De fait, le risque est grand, particulièrement lorsqu’il s’agit d’investir dans une biotech. “Il faut bien voir que 10% des sociétés au maximum vont survivre et réussir à développer un produit qui va se vendre. Il faut donc voir les accords de licence parce que souvent c’est de la propriété intellectuelle qui a été développée par des structures académiques qui vont la céder à des chercheurs. Un investisseur néophyte aura beaucoup de mal à se lancer dans la biotech”, résume le président d’Angels Santé. “Le secteur de la biotech est compliqué pour des business angels : il est extrêmement demandeur en termes de cash et exige de très bien le connaître”, confirme Vanessa Dorian-Proust. Au-delà du financement , l’accompagnement Impliqués dans le développement d’une entreprise, les business angels, et particulièrement ceux qui investissent au sein d’un réseau, ont compris que l’intérêt que leur portent les start-up ne s’arrête pas à leur seule capacité financière. “Tout le monde sait financer, aller chercher les financeurs n’est pas si compliqué que ça si on est bien préparé, et beaucoup d’acteurs financent”, fait remarquer Raphaël Guiraud, estimant que “pour créer le plus de valeur possible au sein des start-up, on doit mettre l’accent sur l’accompagnement. C’est l’axe que nous essayons de développer en mettant les talents au bon endroit au bon moment pour permettre de passer les obstacles charnières de l’amorçage. Les mentors ont un rôle fondamental à jouer, surtout dans le secteur de la santé et notamment dans celui du diagnostic et du dispositif médical, où il est compliqué d’aller chercher des capitaux”. Ainsi, c’est au travers de task force, déclinées en quatre verticales métiers, que les membres de Paris Business Angels accompagnent les start-up investies : le go-to-market/ déploiement commercial les enjeux de gouvernance (les bonnes équipes au bon endroit au bon moment) la pré-industrialisation ou l’industrialisation des projets la préparation à l’internationalisation Paris Business Angels (PBA) en quelques chiffres Réseau de 150 investisseurs privés Stade d’investissement : pré-seed, seed et pré-série A. 1200 dossiers reçus chaque année Après pré-qualification et analyse, une centaine de projets/an présentés aux membres du réseau PBA Une soixantaine de projets analysés en due diligence/an En 2023, plus de 4,4 M€ investis sur une quinzaine d’opportunités (dont refinancements) Ticket moyen : 300K€ par projet en premiers tours (150K€ minimum jusqu’à 1M€) & 150K€ en moyenne par projet en refinancement Nombre d’investissements par an : 15 environ dont 2 à 4 en “santé” (dont refinancements) En 7 ans, PBA a investi dans un peu plus de 70 entreprises, 20% environ appartiennent au secteur de la santé Investissements récents en santé (entre 2019 et 2022) : Hinlab, Nurea, Oncodiag, Braintale, Vetbiobank… Ticket d’investissement minimum par BA : 10 000 euros. La moyenne par BA est d’environ 15 000 euros Pour chaque investissement dans une start-up, PBA rassemble entre 15 et 60 BA (éventuellement via SPV à la demande des sociétés investies) 40 % des sociétés investies en premier tour ont fait l’objet de réinvestissements par les membres de PBA Une conjoncture fiscale favorable Les business angels ont pu compter sur un coup de pouce du législateur à l’occasion de la loi de finances pour 2024. Des mesures fiscales, poussées par le député de Paris-Saclay (Essonne) Paul Midy (Renaissance), visent à inciter les investisseurs à se tourner vers les jeunes entreprises innovantes en contrepartie d’un crédit d’impôt. “Cela s’inspire du SEIS [Seed Enterprise Investment Scheme, ndlr] britannique, un dispositif d’incitation fiscale pour les business angels”, rappelle-t-on dans l’entourage du député. Le statut de JEI (jeune entreprise innovante) est élargi. Deux nouvelles familles sont créées. D’abord, les jeunes entreprises d’innovation et de rupture (JEIR), dont les dépenses de R&D sont égales ou supérieures à 30 % des charges. Ensuite, les jeunes entreprises innovantes de croissance (JEIC). Celles-ci engagent entre 5 et 15 % de leurs charges en R&D mais se développent significativement. La réduction IR-PME est portée à 50 % dans le cas des JEIR (jusqu’à 50 000 euros investis par personne) et à 30 % pour les JEIC et les JEI, dans la limite de montants investis de 75 000 euros par personne. “Un décret est nécessaire pour la catégorie des JEIC, car elles devront justifier d’une capacité de croissance. Ce texte, attendu dans le courant du premier semestre, devra définir les critères d’éligibilité, souligne-t-on dans l’entourage de Paul Midy. Le dispositif est d’ores et déjà actif pour plus des deux tiers”. Particularité de ces incitations fiscales : elles ne sont pas concernées par le plafonnement des niches fiscales. L’accueil est favorable chez les business angels. “Pour les investisseurs, cela va permettre de diversifier davantage leurs investissements et de maximiser leur impact dans le capital-risque, et notamment dans des start-up innovantes et deeptech. Je suis persuadé que 2024 et 2025 seront de très belles années pour les business angels et l’écosystème”, se réjouit Raphaël Guiraud, general manager de Paris Business Angels. Des nuances sont toutefois apportées. “C’est une très bonne chose pour commencer à investir, car cela peut rassurer et apporter une certaine sécurité. Mais pour des investisseurs plus confirmés et diversifiés, il me paraît plus intéressant d’investir au travers d’un PEA, qui aura une fiscalité faible sur les plus-values, que d’obtenir un avantage fiscal”, estime Vanessa Daurian Proust. Antoine Duroyon et Romain Bonfillon FinancementsFonds d'investissementInnovationLevée de fondsstart-up Besoin d’informations complémentaires ? 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