Accueil > Financement et politiques publiques > L’impact de la crise de COVID-19 sur le financement des healthtech L’impact de la crise de COVID-19 sur le financement des healthtech Les données convergent : le secteur de la e-santé est l’un de ceux qui aura le moins souffert économiquement de la pandémie de COVID-19. Pour autant, comment les fonds d’investissement ont traversé ces quatre derniers mois ? Comment s’en sont sorties leurs start-up ? Quels segments de la e-santé pourraient bénéficier des futures allocations d’actifs ? Pour y répondre, mind Health a interrogé quatre venture capital et trois corporate ventures actifs sur le marché, ainsi que le cabinet EY. Par . Publié le 06 juillet 2020 à 18h01 - Mis à jour le 19 septembre 2022 à 18h27 Ressources Selon le rapport du cabinet de conseil en stratégie Roland Berger produit mi-juin 2020 sur les “impacts sectoriels et leviers de relance pour l’économie européenne” après la pandémie de COVID-19, le secteur “santé et pharma” est, avec celui des télécoms, le marché qui se sortira le moins affaibli de cette crise sanitaire et économique. Qu’il s’agisse de la perte de revenus, du délai de récupération anticipé ou du choc d’offre et de demande dû au confinement, l’impact serait proche de zéro. Même en zoomant sur l’état des start-up en santé à l’issue de ce premier semestre, le cabinet de conseil et d’audit financier EY ne dit pas autre chose : le fournisseur de données “Preqin a sorti des chiffres sur le premier trimestre 2020 versus le premier trimestre 2019, indique Franck Sebag, partner audit & transaction services chez EY : les start-up ont levé dans le monde + 76 % de fonds”. Il souligne ainsi la “forte résilience de la santé”, y compris en France où, “sur le premier semestre, quelques sociétés ont levé de belles sommes : Owkin, Alan, H4D…” (lire encadré ci-dessous) Les sept fonds d’investissement contactés par mind Health, qu’il s’agisse de fonds de venture capital ou de fonds de corporate ventures, n’ont ainsi pas eu à affronter d’interruption dans leurs activités, éventuellement un ralentissement. Catherine Boule, directrice générale de Karista (ex-CapDecisif Management), explique que “les médecins qui n’exercaient pas aux urgences et ont dû annuler leurs opérations ou leurs rendez-vous étaient confinés et ont regardé les solutions qu’ils pouvaient utiliser pour améliorer leur efficacité et leur organisation. Les start-up Implicity et Incepto ont signé de nouveaux clients pendant la crise. Ce n’était pas aussi dynamique mais ce fut une bonne surprise pour tout le monde”. À ce temps libéré de certains médecins, s’ajoute la levée “de nombreux freins psychologiques au déploiement des solutions digitales. À un moment donné, il va falloir retourner sur le terrain pour vendre plus efficacement mais c’est plutôt de bon augure”. En attendant, Karista a “travaillé comme d’habitude pendant la crise. Nous avons trois sociétés au portefeuille et un quatrième deal est prévu en juillet : il a été initié avant la crise et va se closer après”. Elle précise que “nos cycles d’investissement sont de l’ordre de six mois. Si le confinement avait été plus long, cela aurait été autre chose”. Catherine Boule dit avoir continué à recevoir des dossiers, “peut-être pas autant mais tout de même de façon soutenue”, une fois passée la mi-avril. Bref, aujourd’hui, “c’est reparti”. LBO France, par la voix de Valéry Huot, associé en charge de l’expertise venture/santé digitale, indique également que, sur les 14 investissements réalisés en santé digitale, “aucune start-up n’a été trop impactée en termes de cash ou de situation de trou de cash immédiat” grâce au “bon état de leur trésorerie”. Toutefois, il note “une perte de chiffre d’affaires sur notre budget 2020 de – 10 à – 30 % pour certaines. Mais, le budget étant en hyper croissance – entre 50 et 100 % par an -, cela signifie une petite croissance tout de même, voire une croissance importante”. Ajoutons que LBO France a investi, pendant la crise, dans H4D et Meditect. Par ailleurs, “nous avions une société en levée de fonds qui n’a pas pu la terminer en mars, et qui a fait appel au nouveau mécanisme de bridge de Bpifrance. C’est la seule sur notre portefeuille.” Également, “nous avons accueilli de nouveaux investisseurs en santé digitale, qui avaient commencé le process avant et l’ont terminé durant cette période”. Enfin, le fonds n’a “pas arrêté la prospection”. Même état des lieux chez Bpifrance : “nos start-up n’ont pas rencontré de souci parce qu’elles étaient déjà financées”, souligne Chahra Louafi, directrice du fonds Patient Autonome. Quant aux levées de fonds, “elles se sont faites avant la crise, donc notre portefeuille n’a pas été impacté. Et pendant le confinement, nous avons continué à instruire beaucoup de dossiers”. Toutefois, “certaines start-up ont perdu des investisseurs qui étaient à nos côtés pour co-instruire leurs dossiers mais qui ont finalement préféré se concentrer sur leurs portefeuilles”. Jean-Marc Patouillaud, founding partner chez Partech, abonde : “tout ce qui était prévu avant la crise s’est déroulé sans surprise ; nous n’avons pas rencontré de cas pour lequel le tour de table a été avorté. Mais ce n’est pas comme si nous avions eu pléthore de deal flows. De ce point de vue, le nombre de nouveaux dossiers a quelque peu ralenti. Ce qui ne tombe pas plus mal car nous avons dû consacrer du temps à notre portefeuille”. Soutenir son portefeuille En effet, dans un premier temps, tous se sont avant tout occupé de leurs start-up : les aider à gérer leur trésorerie face à la crise, les accompagner dans leurs demandes d’aides de l’État, etc. “Quel que soit le secteur, nous avons d’abord essayé de comprendre ce qui nous tombait sur la tête, se souvient Jean-Marc Patouillaud (Partech). Puis, dans un second temps, il a fallu parer à toutes les voies d’eau pour empêcher que le navire coule. Sur la santé digitale, Happytal et Lifen ont été directement impactées. 80 % des hôpitaux ont fermé l’accès à tous les services annexes et les activités d’Happytal sont passés en seconde priorité par rapport à la gestion de crise. Elles n’ont redémarré qu’à partir de la mi-mai. Il a fallu comprendre l’impact sur le business en cours – 120 établissements déployés – et anticiper comment et à quelle échelle de temps se ferait la reprise. Nous avons donc bâti des scénarios pour établir un nouveau budget en fonction de ces hypothèses, ainsi que les hypothèses commerciales (prise de nouveau marché). Tout cela a occupé au moins le mois de mars, voire le début du mois d’avril. En parallèle, la mise en activité partielle a constitué un élément de sauvegarde majeur et les facilités financières à des taux très raisonnables ont permis de s’assurer un coussin de trésorerie qui nous permettrait de passer la crise avant le retour à la normale”. De son côté, LBO France a mis en place “une boucle d’échange” entre dirigeants et CFO, afin qu’ils puissent partager leurs expériences. Valéry Huot indique également que toutes les start-up “ont rapidement mis en oeuvre l’intégralité de la panoplie offerte par le gouvernement”. Karista a passé “un mois au chevet de ses sociétés pour comprendre l’impact de la crise sur chacune, et les aider au mieux. Nous n’avons fait le premier mois que parler d’économies, de charges, de chômage partiel, de prêts garantis par l’État, etc., les yeux rivés sur la façon d’éviter de perdre trop de cash pendant cette période. Nous restons d’ailleurs toujours très vigilants”, souligne Catherine Boule. Le fonds Patient autonome de Bpifrance a quant à lui commencé par appeler ses start-up une par une, puis est resté “fortement en contact avec elles : au même titre que toutes les sociétés innovantes sur ce marché, notamment les plus jeunes, elles demandent un fort accompagnement”, commente Chahra Louafi. Le cours de l’action en télémédecine a bondi de 54 % La crise n’a-t-elle eu également que peu d’impact sur les valorisations des start-up ? Catherine Boule (Karista) répond par l’affirmative, même s’il est “un peu tôt pour le dire”. Valéry Huot (LBO France) indique toutefois : “sur les deals en cours, que nous avons continué à mener pendant la crise, nous avons eu des discussions sur les valorisations qui ont abouti à une légère baisse. Rien de considérable – de l’ordre de 10 à 15 % maximum – mais cela reflétait l’incertitude. Ce n’est pas le sujet finalement. D’autres start-up ont pu garder leur niveau de valorisation en cours. Autre exemple : nous avons reçu des marques d’intérêt sur certaines de nos sociétés avec des niveaux de valorisation très, très satisfaisants”. Sur ce sujet, EY cite une étude du fournisseur de données Dealroom.co et du média Sifted, parue en avril, qui montre que “le secteur de la santé digitale a moins souffert, et ce qui se passe en Bourse, sur le Nadsdaq, le documente”. En effet, l’étude en question a dressé la liste des “gagnants et perdants de cette crise, y compris en matière de valorisation”. Sur 42 marchés étudiés dans le monde, la télémédecine figure en tête : le cours de l’action a pris 54 % depuis le 31 janvier, citant Teladoc et Ping An Good Doctor. Dealroom.co et Sifted estiment que le même scénario s’applique aux start-up européennes soutenues par des fonds de venture capital, citant cette fois Docplanner, Kry, Doctolib et Babylon Health. Selon Franck Sebag, “la valorisation de Doctolib a plutôt augmenté, de même que Owkin qui a fait preuve d’une vraie valeur ajoutée durant cette période”. Le cas des fonds de corporate ventures La traversée de ces derniers mois de crise fut moins aisée pour les fonds de corporate ventures. MH Innov’ (anciennement MM Innov’, avant le rapprochement de Malakoff Médéric avec Humanis), géré pour l’essentiel en partenariat avec Idinvest, “a rapidement pris contact avec les start-up accompagnées par le groupe, déclare Pascal Anvroin, directeur des investissements. Notre objectif était de savoir comment elles réagissaient face à la crise : comment allaient leurs collaborateurs, à quelle réaction s’attendaient-elles de la part de leurs clients, de leurs fournisseurs… Nous avons échangé avec elles sur ces thématiques à deux reprises durant la période. Nous leur avons également demandé de revoir leur business plan à court ou moyen terme afin notamment d’analyser et de répondre à leurs besoins en trésorerie. Les situations diffèrent d’une entreprise à l’autre. Nouveal e-santé par exemple, dont Malakoff Humanis est actionnaire historique, a été retenu par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) pour développer Covidom, passant ainsi à une autre dimension. D’autres start-up ont davantage souffert de la crise”. MH Innov’ indique également avoir reçu moins de dossiers et “les levées de fonds ont diminué. Ce ralentissement aura un impact à court terme sur nos investissements. Nous observons cependant que l’activité a déjà repris, et nous estimons qu’elle reprendra pleinement en septembre”. Philips France a également eu à gérer “le sujet majeur qu’a été la gestion du cash”. Nina Rognon, new business development & innovation manager, détaille : “Le premier réflexe a porté sur la trésorerie et les aides de l’État. Il a aussi fallu réagir très vite pour évaluer comment les solutions de nos start-up pouvaient répondre à la crise. Typiquement, Implicity répondait tout à fait à l’enjeu de la COVID-19. Certaines des sociétés dans lesquelles Philips investit ont des ambitions internationales : il a fallu décider quel développement stopper ou mettre en stand by. Ces investissements se font de plus en early stage, ce qui nécessite beaucoup d’investissements et de recrutements : il a aussi fallu arrêter dans un contexte d’incertitude”. Elle rassure toutefois : “Implicity et Incepto, investies via le fonds CapDecisif IV, ont les reins solides. Même si nos entreprises continuent à se développer sereinement, l’impact sur elles se fera sentir à long terme. Nous estimons qu’il n’y aura pas de retour à la normale avant 24 mois, avec une grosse incertitude”. Sanofi Ventures indique, par la voix de Laia Crespo, sa responsable Europe, “avoir noté une baisse du nombre d’opportunités reçues”. Toutefois, “durant la crise, nous avons finalisé deux investissements, un aux États-Unis et un en Europe. Deux autres devraient l’être dans les prochaines semaines. Finalement, nous avons donc été très actifs”. Sur le portfolio existant, “nous ne faisons pas de micromanagement, nous ne nous penchons donc pas sur les finances de nos start-up et ne leur indiquons pas quoi faire”. Quoi qu’il en soit, “aucune n’est en difficulté, étant toutes solides”. Enfin, quasi tous, venture capital comme corporate ventures, ont fait remarquer la difficulté d’amorcer de nouveaux deals lors du confinement, faute de pouvoir rencontrer physiquement les équipes dirigeantes. Un contexte devenu “idéal” pour le développement du marché Pour la suite, Karista se dit “raisonnablement optimiste”, venant en effet de closer CapDecisif IV qu’il appelle son “fonds de santé digitale” et ayant pu constater durant la crise “une accélération globalement du secteur, ainsi que dans l’esprit de tout le monde : patients, gouvernement, payeurs… La légitimité de la santé digitale a été acquise. C’est idéal”, se réjouit Catherine Boule. Elle rappelle cela dit que, si la téléconsultation a explosé, son modèle économique reste à confirmer et reste prudente pour l’année 2020 dans la perspective d’une éventuelle deuxième vague de COVID-19. Tout aussi optimiste, LBO France estime que “cette crise a été un révélateur” pour la e-santé : “dans la communauté d’investissement, un certain nombre de fonds découvrent cette verticale et se disent qu’ils vont en faire davantage”. Au-delà de la télémédecine, le marché est, pour Valéry Huot, “extrêmement profond et large”. En effet, Jean-Marc Patouillaud (Partech) cite le suivi du patient à distance, son parcours, l’intelligence artificielle dans le diagnostic et l’imagerie, l’automatisation du traitement et de la communication des données, la cybersécurité… Autant de “sujets qui nous intéressent et sont tous amenés à se développer, la COVID-19 ayant été un catalyseur quasiment pour tous”. En revanche, il constate que le segment de la télémédecine “commence à devenir vraiment peuplé. Il est donc très difficile aujourd’hui d’aller trouver une start-up avec une nouvelle proposition de valeur. Qui plus est, je constate que nous n’aurons pas de société capable d’avoir une couverture globale : nous nous dirigeons vers un écosystème de champions nationaux, chaque système de santé étant particulier. Ouvrir un nouveau pays consiste quasiment à ouvrir une nouvelle société”. Chahra Louafi (Bpifrance) a vu pour sa part des effets “rassurants pour la suite sur certains sujets”, comme ces établissements de santé “qui ont pu prendre des décisions dans l’urgence alors que nous avions affaire avant à des temps de négociation extrêmement longs, une intégration dans les systèmes d’information compliquée et nous ne savions pas quand l’usage allait prendre. C’était le gros du sujet pour l’innovation dans le parcours de soins (…). Tout cela a été levé”. Elle liste également, parmi les sujets naissants et désormais observés, “tous les systèmes de production au pied du patient comme la bio-impression 3D, la téléconsultation en psychiatrie, le tracking de l’information sur les réseaux sociaux pour le suivi du comportement du patient, afin d’aider le médecin à lui fournir l’information pertinente pour qu’il adhère au traitement, dans un contexte de doute et de quête de vérité qui s’est accentué pendant le confinement”. Nina Rognon (Philips France) n’a pour sa part pas constaté “de nouvelles poches de valeur qui n’auraient pas été identifiées avant. En revanche, nous avons priorisé ce que nous regardons : par exemple, nous observons de très près la télémédecine et ce que nous appelons le ‘connectic care’”, ainsi que la réorganisation des flux des patients à l’intérieur de l’hôpital. Également interrogé, Cris de Luca, responsable des investissements numériques de Sanofi Ventures depuis début juin, “mise beaucoup sur un glissement vers des solutions à domicile, qu’il s’agisse d’essais cliniques, de télémédecine ou de suivi de pathologie. Des solutions déployées sans trop de difficultés, simples d’utilisation et dans certains cas sans interface comme les assistants vocaux et les capteurs ‘passifs’. Ces solutions ne nécessitent pas de recharge, de rappels ou de notifications, en permettant aux patients de vivre leur vie sans le poids de la technologie”. Il conclut de cette formule : “la santé numérique frappe à la porte de l’industrie pharmaceutique depuis dix ans. La COVID-19 a fait tomber cette porte”. Les levées de fonds des start-up françaises durant la pandémie mind Health a recensé neuf levées de fonds en faveur de start-up françaises entre le 1er mars et le 1er juillet 2020 : – Invenis a levé 3 M€ auprès surtout de Crédit Mutuel Innovation (2 M€), – Qubit Pharmaceuticals a levé 1 M€ auprès de Quantonation et grâce à des “mécanismes publics”, – MyReve a bénéficié d’un investissement à hauteur de 25 % du capital de Therinvest (Innothera), – H4D a levé 15 M€ auprès de Atoga, Aviva France, Bpifrance, LBO France, Supernova Invest et un family office, – Owkin a successivement levé 25 M$ auprès de Bpifrance (fonds Large Venture), Cathay Innovation et MACSF, puis 18 M$ auprès de Mudabala Capital et Bpifrance (fonds Large Venture), – Meditect a levé 1,5 M€ auprès de LBO France, de business angels, de Bpifrance Nouvelle-Aquitaine et de la Région Nouvelle-Aquitaine, – Alan a levé 50 M€ auprès de Temasek et Index Ventures, – Eyeneed a levé 600 000 € auprès du Crédit Agricole et d’une holding d’investisseurs issus de professionnels de la santé visuelle, – enfin Cureety a levé 1,2 M€ auprès de cinq business angels (dont Alain J. Gilbert, membre du comité stratégique de la start-up), Bpifrance, le Crédit mutuel Bretagne (CMB) et le Crédit agricole (CA) Bretagne. COVID-19Fonds d'investissementLevée de fondsstart-up Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Start-up de la e-santé : plus de 500 M€ levés en 2019, en France Un plan gouvernemental de 4 Mds € pour la trésorerie des start-up affectées par la pandémie Avec 9,1 Mds $ de fonds levés, l’innovation en santé atteint un record au 1er semestre 2020