Accueil > Financement et politiques publiques > Réussir sa due diligence Réussir sa due diligence Qu’elle soit menée dans le cadre d’une levée de fonds ou d’une fusion-acquisition, la due diligence est une phase cruciale dans la vie d’une start-up. Pour réussir cet audit aux allures d’examen de passage, mieux vaut partir préparé. mind Health a rencontré des investisseurs et experts - VCs, business angels, enseignant en intelligence économique - pour connaître leurs pratiques et leurs conseils. Par Romain Bonfillon. Publié le 19 mars 2024 à 11h40 - Mis à jour le 27 août 2024 à 9h44 Ressources Une définition La due diligence (ou “évaluation des tiers” en français) désigne l’ensemble des procédures de vérification qui sont menées sur une personne ou une entreprise avant de signer avec elle un contrat ou un accord financier. Cet audit peut être global – comptable, éthique, juridique, stratégique, financier, légal, commercial – mais peut ne porter que sur certaines de ses dimensions, selon le niveau de risque et la nature de l’accord. En effet, en matière de due diligence, il n’existe pas de processus prédéfini ou d’obligation (à une exception près, cf. encadré). Cette procédure est cependant quasi systématique dans le cadre d’une levée de fonds ou d’une fusion/acquisition. Les critères d’examen des VCs et des business angels La situation économique en France continue à être marquée par de faibles investissements, en témoigne le dernier baromètre trimestriel de mind Health qui révèle que sur le troisième trimestre 2023, seulement neuf start-up françaises en santé numérique ont levé des fonds (pour un montant total de 55 M€). Cette contraction des financements témoigne d’un retour à la raison des sociétés de gestion qui vont chercher à dérisquer au maximum leurs investissements. Jacky Abitbol, Managing Parner chez Cathay Innovation, gère un fonds de capital-risque d’un milliard d’euros, l’un des plus gros européens, ayant récemment investi dans Nabla et Bioptimus. Selon lui, “la qualité de l’équipe reste le critère le plus important, parce que même dans des marchés complexes et des périodes plus compliquées en termes de financement ou de croissance, ce sont les start-up dont les fondateurs sont les meilleurs qui arrivent à s’en sortir.” “Le point majeur est l’équipe, il faut qu’on soit convaincu que l’équipe est solide, résiliente”, confirme Eric Garnier, président d’Angels Santé qui, avec 160 membres, constitue aujourd’hui le plus gros groupement de business angels spécialisés en santé en Europe. “Après, poursuit-il, nous étudions la structure juridique, qui sont les actionnaires, s’il y en a basés à l’étranger. Enfin, la propriété intellectuelle est également un point majeur. En santé, vous avez un brevet pour 20 ans. Nous voyons rarement des sociétés qui arrivent avec un brevet déposé la veille, mais certaines ont un brevet déposé il y a 12, parfois 15 ans. C’est assez rédhibitoire.” Un travail de fond Avant même d’entrer dans le travail de due diligence à proprement parler, un premier examen des dossiers est effectué par les potentiels investisseurs. Angels Santé reçoit pas loin de 200 dossiers par an et investit finalement dans une douzaine de dossiers. “Ces derniers passent par des filtres successifs, explique Eric Garnier. Le premier consiste à éliminer ceux qui ne nous paraissent pas sérieux. S’ensuit une phase de présélection avec un binôme qui va interviewer les start-up pendant une heure, leur demander de pitcher sur leur tech. Si cette phase est concluante et que les start-up satisfont plus de 80% des critères de la grille de scoring que nous avons mise en place, elles passent alors en plénière. Nous en avons une par mois. Cela consiste à faire un pitch devant l’ensemble des membres d’Angels Santé. C’est à ce moment-là que nous décidons de faire une instruction ou pas.” À noter, qu’à cette phase-là, on ne parle pas encore de due diligence. Dans ces premiers échanges, les investisseurs cherchent surtout à valider une opportunité en étudiant la pertinence d’un projet. “Après la première plénière, poursuit Eric Garnier, si des business angels sont intéressés, commence la phase de due diligence, qui peut prendre 4 à 8 semaines. Un dernier passage en plénière permet alors de déclencher les intentions d’investissement.” Pour un acteur qui investit dans les phases amont de la vie des start-up (seed essentiellement), ce long processus est un moyen d’avoir “la garantie d’investir dans les bons dossiers.” Quelques conseils d’investisseurs Mettre en avant une solution “suffisamment transformatrice” Chahra Louafi, directrice du fonds Patient Autonome de Bpifrance Les conseils que les investisseurs prodiguent aux start-up désireuses de se faire financer va dépendre du stade de maturité de l’entreprise. “En seed, en série A ou B, la due diligence ne sera pas la même”, explique Chahra Louafi, directrice du fonds Patient Autonome de Bpifrance, dédié à la santé numérique. “S’agissant du seed, poursuit-elle, lorsque le risque pris est le plus grand, il est important de montrer la qualité de la technologie, donc il ne faut pas hésiter à ouvrir le capot. Si par exemple la solution est à base d’intelligence artificielle, il faut insister sur la force de l’algorithme et la qualité de la donnée associée. Autre aspect important : il faut montrer un usage différenciant par rapport à ce qui peut exister. Aujourd’hui, beaucoup de solutions existent, nous ne sommes plus en 2018 ou 2020 où il y avait encore des champs à explorer. Il faut donc que la solution soit suffisamment transformatrice pour remplacer ce qui existe déjà, tout en sachant qu’un hôpital lorsqu’il intègre une solution, ne va pas la désinstaller. Du coup, le marché est bloqué jusqu’à un nouvel appel d’offres”. Aussi, dans un marché de la santé numérique “qui commence à s’encombrer”, Chahra Louafi insiste sur la nécessité d’être rapide et opportuniste. “L’une des difficultés de notre secteur est que nous sommes à la fois sur des temps longs – la santé est un secteur très réglementé et il faut gagner la confiance des médecins et des patients – et des temps courts : s’agissant du numérique il y a une prime au premier… Une fois que la place est prise, les acteurs sont durs à déboulonner, la désinstallation d’une solution au sein d’un hôpital ne se fait pas facilement”, analyse-t-elle. Prendre son temps, s’organiser, répéter Côté start-up, une levée de fonds ne s’improvise pas puisqu’elle exige d’être disponible pour ses futurs investisseurs. “Il faut disposer de temps, confirme Eric Garnier, et ne pas faire de levée si l’on a que 15 jours de cash en trésorerie, ou même un mois”. Aussi, recommande-t-il de “bâtir une data room dans laquelle vous mettez la plupart des informations sur la société : légales, RH, contrats avec les clients et fournisseurs, tout ce qui concerne la propriété industrielle, l’environnement réglementaire, etc. Idéalement, il faut que cette data room soit prête avant d’aller lever des fonds, parce que cela fait gagner du temps”. Autre moment crucial : le redouté “pitch”, qui détermine souvent en quelques minutes l’avenir d’une levée de fonds. “Il faut beaucoup répéter les pitchs, conseille Eric Garnier, et en avoir plusieurs versions. On va vous demander parfois de pitcher en 3 minutes, en 5 minutes, parfois en 15 minutes. Quel que soit le format, il faut que le discours reste fluide et clair. La notion de crédibilité est extrêmement importante”. Aussi recommande–t-il pour ce grand oral de “venir à plusieurs. Une bonne start-up est constituée d’une équipe et cela doit se montrer. Il ne faut donc pas hésiter à venir à deux ou trois et à se répartir la présentation, de façon à ce qu’on sente que ce n’est pas un one man show. Il est toujours hasardeux d’investir dans une start-up qui a un seul fondateur. Cela peut signifier qu’il a du mal à s’entourer.” S’intéresser à l’aspect “ éthique et compliance” dans le cadre d’une fusion/acquisition Arnaud Vincent, Managing Director du fonds Nov Santé d’Eurazeo Dans le cas distinct d’un projet de fusion/acquisition, la due diligence a, au-delà de la revue stratégique qui permet de bien comprendre un marché, essentiellement pour but de minorer le différentiel d’informations existant entre les fondateurs et les potentiels investisseurs. “Sur les participations qu’il y a dans mon fonds, une acquisition pour une PME est toujours un moment extrêmement structurant”, relève Arnaud Vincent, Managing Director du fonds Nov Santé d’Eurazeo. Arnaud Vincent (Eurazeo) : “Nous intervenons sur toute la chaîne de valeur en santé” “Lorsqu’on décide d’une acquisition, explique-t-il, il est important de lancer une équipe projet interne et de ne pas faire de cette acquisition uniquement un projet de la direction générale. Cela se passe parfois ainsi, par souci de confidentialité, mais mobiliser plusieurs membres du comité de direction permet d’auditer l’entreprise sur plusieurs aspects”. Aussi Arnaud Vincent recommande de constituer une “task force” capable d’analyser à la fois la dimension réglementaire, technique, juridique, de propriété intellectuelle et de ne pas hésiter à prendre des conseils externes lorsque les ressources en interne ne sont pas suffisantes. A cet égard, les banquiers d’affaires (ou ex banquiers d’affaires exerçant une activité d’audit en free lance) sont des acteurs qu’il n’hésite pas à conseiller aux entreprises de son portefeuille, ajoutant que cet audit “doit être dimensionné à l’objet que l’on souhaite acheter. Dans le cadre par exemple du rachat d’une entreprise vietnamienne, qui a d’autres normes comptables, un gap culturel important, vous aurez intérêt à vous entourer de conseils qui vont regarder les choses en détail”, explique-t-il. L’audit d’un industriel par un autre industriel doit en particulier s’intéresser à l’aspect “ éthique et compliance” qui peut aller jusqu’à engager un audit réputationnel sur les dirigeants de l’entreprise à acquérir. Arnaud Vincent note que “ce sujet essentiel a tendance à passer sous le radar puisqu’en se focalisant sur les chiffres, on oublie de s’interroger sur le “comment” on fait du business. Or, quand une PME française va chercher à racheter une PME ou une TPE dans un environnement un peu exotique, il lui faut comprendre quelle est la pratique des affaires, si celle-ci est compatible avec les normes européennes. C’est extrêmement important pour s’assurer de la qualité de ce que l’on rachète et pour le risque d’image”, conclut-il (cf. notre encadré). Mener sa propre enquête En matière de due diligence, il n’existe pas d’obligation, à l’exception de ce qui relève de la lutte anticorruption pour les entreprises soumises à la loi Sapin II (cf. notre encadré). Pierre Memheld, expert en intelligence économique a travaillé près de 10 ans dans la lutte anticorruption auprès d’une entreprise suisse – Global Risk Profile – spécialisée dans les due diligence. Il rappelle que “la loi Sapin II, n’exige en rien de faire appel à un conseiller externe. Toute la démarche peut être menée en interne, mais cela demande des ressources et de la méthodologie. Pour vous prémunir du risque de corruption, et du risque réputationnel afférant, vous pouvez à un premier niveau mener des recherches sur internet, notamment sur certaines bases spécialisées. Il existe notamment des cartographies mondiales en la matière. Aussi, en suivant les règles de la loi Sapin II, vous pouvez arriver à mettre en place un processus interne, qui est également décrit dans les recommandations de l’Agence française de la lutte anticorruption. Je répète souvent aux entreprises qu’elles ne sont pas seules. Elles peuvent prendre conseil auprès des Ambassades de France, des Conseillers du commerce extérieur (CCE) qui sont des ressources souvent sous-exploitées”. Dans un dernier temps et si le degré d’exposition le justifie, “vous pouvez faire appel à un conseiller sur l’aspect purement juridique et l’aspect évaluation du risque. Ce point de vue extérieur permet un déport de responsabilité au travers d’une démarche professionnalisée”, conclut-il. Lutte contre la corruption : la due diligence comme obligation Pierre Memheld, enseignant en intelligence économique à l’Université de Strasbourg, a travaillé dans le domaine du développement international des entreprises et a, dans ce cadre, été confronté à des cas de corruption. “Il y avait dans ces cas une absence d’analyse des risques tiers, à une époque où cette dernière n’était pas encore obligatoire”. Cette obligation est survenue en juin 2017, après le vote de la loi Sapin II. Cette dernière s’applique aux entreprises qui ont 500 salariés et 100 M€ de CA. “Mais les choses sont en train d’évoluer, fait remarquer Pierre Memheld. Certaines PME ou ETI se retrouvent à faire ces due diligence, parce qu’elles le veulent ou parce que le pays de destination ou leur grand donneur d’ordre leur demande de le faire (dans le cas d’un sous-traitant, la maison mère peut être soumise à la loi Sapin II). À noter que cette loi ne tient pas compte de la nature contractuelle. Elle s’applique aussi bien dans le cadre de la recherche d’un distributeur, d’un investisseur, d’une fusion/acquisition…toutes les relations contractuelles qui engagent certaines sommes et une relation dans la durée. “L’achat de bouteilles d’eau pour une filiale à l’étranger n’exige pas, par exemple, de due diligence, c’est la notion d’impact qui va compter”, insiste Pierre Memheld, qui rappelle qu’il existe “deux types de due diligence : en amont de la signature d’un contrat, vous vérifiez que votre partenaire est fiable et a une bonne réputation. Vous pouvez faire ça pour vous, pour éviter de vous tromper. A l’inverse, lorsque vous signez le contrat avec votre partenaire et que vous êtes soumis à la loi Sapin II, vous êtes en tort si vous ne faites pas la due diligence. Cela veut dire, par rebond, qu’il faut que le due diligence soit opposable en contrôle et en justice”. Ainsi, les informations sur une tierce partie contractuelle obtenues de façon illégale ou non éthique (espionnage, payer un policier étranger ou français pour obtenir un casier judiciaire, se faire passer pour quelqu’un d’autre sur internet, etc.) peuvent être intéressantes…mais ne sont pas recevables juridiquement. Extension du domaine de la lutte “Peu de pays à ce jour ont des lois sérieuses d’organisation de la lutte anti-corruption, observe Pierre Memheld. Au niveau mondial, les Etats-Unis, l’Italie, la Grande Bretagne et la France font figure d’exemple. La transposition au niveau européen permettrait de mettre tout le monde au niveau, mais ce n’est pas encore fait. Par contre, le devoir de vigilance relève bel et bien du droit européen (ce devoir s’applique aux entreprises pour qu’elles protègent les droits humains et l’environnement. Le 15 mars dernier, les Vingt-Sept se sont mis d’accord sur un texte, NDLR). Même si le champ d’application diffère, le principe reste le même : il s’agit toujours de chercher de l’information sur une tierce partie contractuelle. Aussi, si dans le cadre de ces recherches, vous découvrez par exemple que votre fournisseur a été condamné ou suspecté de corruption, vous faites un combo”. Romain Bonfillon acquisitionFonds d'investissementFusionLevée de fonds Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind