Accueil > Industrie > Biomarqueurs digitaux : une opportunité en cours de développement Biomarqueurs digitaux : une opportunité en cours de développement Le développement des biomarqueurs digitaux encapsulés dans des dispositifs médicaux pour la recherche clinique ou la prise en charge de patients reste récent. Les opportunités qu’ils offrent sont nombreuses pour les acteurs du système de santé et les patients. Mais leur usage n’est pas encore démocratisé. Par Laure Martin. Publié le 06 septembre 2022 à 8h00 - Mis à jour le 12 mars 2024 à 17h11 Ressources Les biomarqueurs digitaux sont-ils l’avenir de la recherche clinique ? “Les biomarqueurs digitaux sont tout simplement des marqueurs de santé résultant de l’interprétation d’informations obtenues par des dispositifs médicaux”, résume Romain Finas, vice-président Real-World Evidence chez AliraHealth. “Ils sont avant tout des mesures, des données objectives physiologiques ou comportementales”, complète Matthieu Lamy, président de Ad Scientiam. Ce sont des paramètres issus d’un dispositif médical, mis entre les mains d’un patient, permettant la mesure objective d’une information. “Le dispositif va générer un signal, ensuite analysé par des algorithmes afin d’extraire des mesures, qui elles sont les biomarqueurs digitaux”, précise Frédérique Guilbert, responsable clinique des biomarqueurs digitaux chez Sanofi. Ces mesures doivent être vérifiées et validées cliniquement contre un standard clinique existant pour devenir véritablement des biomarqueurs digitaux. À ce jour, seuls deux biomarqueurs sont approuvés comme critères d’évaluation en recherche clinique par les autorités de santé européennes, tous deux dans le domaine des maladies rares : pour la maladie de Duchenne et pour la fibrose pulmonaire. Les autres sont utilisés à titre exploratoire ou en cours de validation. Les biomarqueurs digitaux sont avant tout des mesures, des données objectives physiologiques ou comportementales”, affirme Matthieu Lamy, président de Ad Scientiam. La réponse à un manque Les biomarqueurs digitaux peuvent être utilisés dans le cadre d’essais cliniques, “par exemple comme critère d’évaluation pour déterminer si un médicament fonctionne ou non”, fait savoir Alexandre Malouvier, Senior Director Innovative Partnerships, Medical & Innovation Office chez ICON plc. C’est aussi le cas post-mise sur le marché, afin de prouver que son efficacité est toujours réelle. Ils peuvent également être intégrés dans des dispositifs médicaux, dans le cadre de la télésurveillance. Pour Alexandre Malouvier, Senior Director Innovative Partnerships, Medical & Innovation Office chez ICON plc, les biomarqueurs digitaux peuvent servir de “critère d’évaluation pour déterminer si un médicament fonctionne ou non”. Dans les deux cas, la finalité est de bénéficier des opportunités qu’offrent les nouveaux outils technologiques pour combler un manque de données fiables sur les symptômes des patients et leur évolution. Actuellement, les méthodes d’évaluation reposent principalement sur des questionnaires ou des examens réalisés pendant une consultation, au cours de laquelle les causes de fluctuations peuvent être nombreuses car liées à l’état intrinsèque du patient le jour de l’évaluation (l’effet “blouse blanche”) ou de l’appréciation subjective du professionnel de santé. “Les données ne sont pas toujours objectives, ni suffisamment précises, pointe du doigt Matthieu Lamy. Nous pouvons corriger ces biais par l’intermédiaire des biomarqueurs digitaux.” Un exemple concret : l’évaluation de la capacité de marche d’un patient peut être effectuée avec le test de marche des six minutes (TM6), reconnu scientifiquement. Mais aujourd’hui, les industriels proposent aussi d’utiliser le téléphone portable du patient, afin de capter dans la vie réelle et en continu, l’activité physique du patient et de l’analyser au moyen d’algorithmes adaptés à son profil. Ces derniers permettent une évaluation plus fine du patient, voire une détection précoce de la maladie. Alexandre Malouvier (ICON plc) : “La prochaine révolution concerne l’e-sourcing” De nombreux enjeux Mais la route est encore longue pour atteindre ces objectifs, et actuellement, le principal enjeu pour les industriels est de démontrer la pertinence du biomarqueur permettant d’aboutir à des conclusions prédictives, préventives ou de diagnostic. “Un biomarqueur digital doit démontrer sa valeur comme un témoin fiable de l’évolution ou non d’une maladie, indique Romain Finas. Il doit donc passer par une phase d’essai clinique où l’information, transmise et analysée par l’algorithme, doit être mise en regard de nombreuses autres informations notamment celles du dossier médical.” De fait, dès le début des essais cliniques ou de l’élaboration du DM, les industriels doivent penser à ce biomarqueur et à ce qu’ils souhaitent lui faire dire. “Tout un écosystème est mobilisé pour l’élaborer car il faut identifier les dimensions les plus explicatives de la maladie que l’on veut mesurer”, souligne Matthieu Lamy. “Nous envisageons le biomarqueur digital dès la phase de développement clinique, afin de pouvoir le développer et valider tout au long du projet, confirme Frédérique Guilbert. Matthieu Lamy (Ad Scientiam) : “Les biomarqueurs digitaux révolutionnent la recherche clinique et la prise en charge des patients” Nous nous interrogeons dès le départ sur sa valeur ajoutée par rapport aux moyens d’investigation clinique traditionnels, sur la facilité d’utilisation du dispositif, sur l’utilisation de la donnée dans un contexte réglementaire. Les objectifs sont notamment discutés avec les patients utilisateurs. Puis nous identifions les vendeurs de dispositifs les plus matures pour ensuite lancer le projet.” Lorsque le plan de validation est élaboré, “nous réfléchissons aux prochaines étapes pour le valider dans son intégralité, poursuit-elle. Et nous décidons s’il s’agira uniquement d’une donnée supplémentaire dans une étude de preuve de concept ou si nous voulons l’utiliser comme une mesure nouvelle et réglementairement qualifiée pour évaluer une maladie spécifique.” Le nouvel enjeu des données de vie réelle Les essais permettent ainsi de corréler les performances du biomarqueur avec un standard, voire de démontrer la valeur clinique de cette nouvelle mesure. L’enjeu est ensuite de prouver la valeur médico-économique en vue d’un remboursement ou d’un paiement à la performance. La question de l’adoption par les médecins et les patients apparaît comme un nouvel enjeu vers une diffusion large de ces innovations, soutient Romain Finas, vice-président Real-World Evidence chez AliraHealth Enfin, “la question de l’adoption par les médecins et les patients apparaît comme un nouvel enjeu vers une diffusion large de ces innovations, soutient Romain Finas. La formation médicale initiale et continue des professionnels de santé va devoir intégrer ces nouvelles modalités de prises en charge des patients.” De même que les acteurs des biomarqueurs digitaux et plus largement du digital en santé, vont devoir les convaincre et les accompagner dans ces nouvelles modalités de prise en charge. Un large champ d’application La preuve de la fiabilité de la donnée produite est attendue par les autorités sanitaires qui évaluent les produits de santé et les dispositifs médicaux. “Si les études incluent des biomarqueurs digitaux, nous allons les prendre en compte s’il est démontré que leur mesure est fiable et pertinente, rapporte Corinne Collignon, cheffe de la Mission numérique en santé à la Haute Autorité de santé (HAS). De fait, l’outil qui la collecte doit l’être également et le biomarqueur doit avoir une pertinence clinique corrélée à une évolution de la maladie ou des symptômes.” “Nous avons environ 25 programmes différents qui s’interrogent sur les biomarqueurs digitaux” Frédérique Guilbert, responsable clinique des biomarqueurs digitaux chez Sanofi Si la démarche est lourde à mettre en place, le potentiel est en revanche important pour l’amélioration des traitements et la qualité de vie des patients. Ce qui explique l’intérêt croissant des entreprises du médicament à accompagner le développement des biomarqueurs digitaux. Sanofi par exemple explore des pathologies diverses en réfléchissant aux mesures digitales évaluant la fonction respiratoire, les lésions de la peau, les maladies neurodégénératives ou la qualité de vie des patients. “En incluant les discussions préliminaires, nous avons environ 25 programmes différents qui s’interrogent sur les biomarqueurs digitaux, et une quinzaine d’essais cliniques qui travaillent à intégrer un dispositif médical dans leurs opérations pour l’obtention de biomarqueurs digitaux”, fait savoir Frédérique Guilbert. C’est le cas également du côté des industriels des dispositifs médicaux, et ce d’autant que la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) 2022, prévoit la couverture des frais liés à la télésurveillance. À titre d’exemple, Ad Scientiam a déployé en 2017 MSCopilot®, le premier dispositif médical dédié aux personnes atteintes de sclérose en plaques et travaille sur sept nouveaux programmes. Le cadre réglementaire Qu’en est-il du cadre réglementaire des biomarqueurs digitaux ? Pour la donnée en tant que telle, sa collecte entre dans le cadre du Règlement général pour la protection des données (RGPD). “La question de l’intégrité des données est primordiale car elles ne doivent pas être manipulables”, souligne Alexandre Malouvier. “Il faut bien distinguer le biomarqueur digital, qui est une donnée, de l’outil de collecte de ce biomarqueur, qui peut être un dispositif médical”, rappelle Corinne Collignon. “S’il y a cinq ans, les biomarqueurs représentaient un pari, aujourd’hui, nous avons la certitude qu’ils vont devenir un nouveau standard” Matthieu Lamy, président de Ad Scientiam Il faut bien distinguer le biomarqueur digital, qui est une donnée, de l’outil de collecte de ce biomarqueur, qui peut être un dispositif médical”, rappelle Corinne Collignon, cheffe de la Mission numérique en santé à la Haute Autorité de santé (HAS) De fait, d’autres réglementations peuvent se superposer en fonction de l’usage. Si les biomarqueurs sont encapsulés dans des DM logiciels, l’industriel se doit de respecter le règlement européen sur les dispositifs médicaux. Idem pour le respect de la réglementation portant sur les essais cliniques. “S’il y a cinq ans, les biomarqueurs représentaient un pari, aujourd’hui, nous avons la certitude qu’ils vont devenir un nouveau standard, conclut Matthieu Lamy. On le constate dans le domaine de la recherche. En 2021, 900 articles ont été publiés sur les biomarqueurs et plus d’une cinquantaine d’étude lancées d’après The Digital Medicine Society. Le marché est en train de basculer.” Laure Martin Des perspectives de croissance considérables Difficile à l’heure actuelle de mesurer la taille du marché que représentent les biomarqueurs digitaux. De nombreuses start-up se lancent dans le domaine. Le secteur concerne les fabricants de dispositifs médicaux, les entreprises du médicament, les CRO. “Selon une étude récente, le marché est évalué à 2 milliards d’euros en 2022 et devrait atteindre les 16 milliards d’euros en 2028 avec un taux de croissance annuel de 36%, confie Matthieu Lamy. Si les chiffres varient d’une étude à l’autre, toutes s’accordent à dire que le marché entre dans une phase de croissance très rapide.” Laure Martin AlgorithmesBiomarqueurs digitauxDispositif médicaldonnées de vie réelleEssais cliniquesobjets connectésPatientPréventionRechercheRèglementaireTélésurveillance Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind