Accueil > Industrie > Clarisse Pamies (Janssen EMEA) : “La philosophie du lab, c’est rendre les choses concrètes, palpables” Clarisse Pamies (Janssen EMEA) : “La philosophie du lab, c’est rendre les choses concrètes, palpables” C’est en toute discrétion que Janssen Europe, Middle East & Africa (EMEA) a ouvert en avril 2019 un lab d’innovation installé près de Station F. À la manoeuvre : Mathilde Falise-Mirat, nommée à cette date digital innovation lab manager. Une année de rodage plus tard, le lab s’ouvre à l'intelligence artificielle, à la data et à des partenaires externes. Sa responsable, accompagnée de Clarisse Pamies, director digital acceleration de Janssen EMEA, dévoilent pour mind Health la genèse, le fonctionnement et les enjeux européens de ce lab. Par . Publié le 16 juin 2020 à 10h07 - Mis à jour le 01 février 2021 à 14h30 Ressources Janssen a discrètement ouvert l’an dernier, en France, un lab d’innovation. Quel est l’objet de cette démarche ? Clarisse Pamies : Durant la première phase, qui a duré un an, nous n’avons pas forcément voulu en faire un sujet de communication : nous voulions voir s’il fonctionnait, si nous pouvions travailler différemment. Mathilde nous a rejoint dans ce but (le 26 avril 2019, date à laquelle les deux interlocutrices fixent donc la date de naissance de ce lab, ndlr). La France a été choisie parce qu’elle est dotée d’un bon écosystème mais l’angle est très européen. Nous avons donc posé nos marques, avec un premier portefeuille de 5 minimum viable products (MVPs) en 2019, élargi à 10 MVPs en 2020, en commençant à travailler sur un périmètre proche de nos métiers : module Virtual event, module pour contacter ses pairs, services aux patients, personnalisation de contenus en ligne pour les patients. Nous avons ainsi travaillé sur l’expérience des professionnels de santé et du patient dans le modèle existant. Comment a-t-il évolué depuis ? C.P. : Le début de l’année 2020 a marqué un tournant et les choses vont s’accélérer à partir de maintenant. Avec mes équipes, nous avons mené une revue complète des enjeux numériques pour toutes les aires thérapeutiques : où aurons-nous besoin d’aide dans les cinq prochaines années ? En faisant cet exercice, nous nous sommes rendu compte que, sur une quinzaine de marques, les deux tiers nécessiteraient de l’intelligence artificielle (IA) sur une trentaine de projets stratégiques. Trois grands domaines ont été identifiés : un diagnostic plus précoce grâce aux biomarqueurs, l’aide à la décision clinique avec le séquençage et l’identification de sous-populations et les services aux patients qui permettent quelque part d’augmenter le soin. Au sein de notre lab, nous travaillons par exemple sur l’identification de biomarqueurs dans le psoriasis, en entraînant des banques d’images. Cet exercice stratégique a permis de pousser des éléments beaucoup plus ambitieux et qui nécessiteront d’aller davantage sur un travail en externe. Plus ça va, plus le lab s’étend ; il devient presque un hub à ce stade. Comment mobilisez-vous les collaborateurs de Janssen ? Mathilde Falise-Mirat : Nous cherchons en effet à nous diriger vers des pistes d’innovation plus disruptives que le modèle de l’industrie pharmaceutique classique, en lien avec l’écosystème externe. Pour identifier la deuxième vague de MVPs, nous avons mené un appel à projets en interne, sur ces thématiques stratégiques. La finale, “Innovation day”, a eu lieu en février, avec une session de pitch devant un jury à la fois interne et externe : ont participé l’ex-chief envisioning officer de Microsoft, qui possède maintenant sa propre structure (Dave Coplin, fondateur de The Envisioners, ndlr), ainsi qu’un expert en innovation digitale santé et assurance ayant monté sa propre structure en allemagne, Derek Proff, et Matthieu Vetter animait la session du jury, apportant son expérience d’ancien VC et son expertise actuelle de programme d’innovation digitale dans les grands groupes avec Octo Technology. Nous travaillons en permanence avec les acteurs de l’écosystème pour qu’ils nous apportent leur point de vue, pour être challengés, et dans le but de créer des partenariats à long terme. Cette deuxième vague est plus marquée par l’IA et la data que la première. Quels résultats cette finale a-t-elle donnés ? M.F.-M. : Nous développons déjà des projets en lien avec des start-up, notamment sur des biomarqueurs digitaux. Nous attendons de finaliser les contrats pour pouvoir les nommer. Il y a également parmi les projets un assistant vocal pour une maladie chronique et un programme pour faciliter l’adressage de patients entre médecins généralistes, psychiatres et psychiatres référents sur une pathologie. C.P. : L’Innovation day a réuni 500 personnes en interne, de tous pays : c’est énorme. Montrer des prototypes permet de convaincre très rapidement. Notre philosophie avec le lab, c’est rendre les choses concrètes, palpables. Clarisse Pamies et Mathilde Falise-Mirat au sein du lab. Une équipe se consacre-t-elle à faire vivre ce lab ? M.F.-M. : Une équipe resserrée travaille en effet au niveau du lab. Elle rassemble trois types de profils : ceux qui gèrent les partenariats, organisent des challenges et des événements comme par exemple avec Station F – soit une personne interne et 1 à 2 externes selon la charge de travail ; la partie programme de formation, avec des externes ; et la partie portfolio management : ressources IT, UX designer, coach agile… Le lab travaille toutefois beaucoup en réseau, à la fois avec l’équipe d’une quarantaine de personnes de Clarisse parce que nous avons construit beaucoup d’outils pour permettre la transformation digitale du groupe et avec l’ensemble des pays. C.P. : Cette équipe a la capacité de mettre autour de la table des fonctions que nous n’avons pas l’occasion de voir dans l’industrie pharmaceutique et, avec, une flexibilité, une expertise : un coach agile, un UX designer, un data scientist… à qui nous pouvons faire appel en fonction du besoin et ainsi créer une équipe pluridisciplinaire. C’est la force du modèle. De quel budget dispose le lab ? C.P. : Il n’y a pas de fumée sans feu. La problématique est de comprendre à quel point il faut investir pour avoir du résultat. Jusqu’ici circulait l’idée, fausse, selon laquelle le digital ne coûte rien. Nous sommes en train de faire évoluer cette conception. Arriver à créer un algorithme nécessite des investissements importants, ce que nous sommes en train de faire dans des algorithmes de conversation omnicanale et pour l’expérience client : ce sont des investissements lourds. L’idée par ailleurs d’avoir des free-lances et consultants experts à la demande permet d’obtenir un coût relativement compétitif. Nous sommes capables de faire les investissements nécessaires mais il faut les maintenir dans le temps et continuer à croître, si les résultats sont à la mesure des promesses du digital et de la data. En attendant, chaque année, il faut investir quasiment un multiple de ce que l’on a investi l’année précédente. M.F.-M. : Nous avons souhaité être proche du business et déployer rapidement des solutions sur l’ensemble des pays pour montrer aussi l’impact de ces investissements. Un an après, nous avons de premiers éléments. C’est la clé de l’innovation : être proche du business, montrer des choses concrètes. Quelles sont les prochaines étapes pour le lab d’innovation ? C.P. : Nous ferons des annonces bientôt, il est donc compliqué de les dévoiler à ce stade. Mais nous sommes en train de travailler sur un challenge externe, avec un partenaire ; la signature est en cours. Pourquoi avoir opté, en France, pour ce lab plutôt que pour un JLabs, ces incubateurs que J&J Innovation ouvre dans le monde ? C.P. : Il existe 8 JLabs dans le monde. Ils font partie de l’écosystème d’open innovation de J&J dans le monde qui permet de faciliter l’innovation dans un large éventail de soins de santé, de créer et d’accélérer la mise à disposition de solutions de santé et de bien-être qui améliorent la vie des patients dans le monde entier. Ils font partie intégrante de notre stratégie de R&D. En France, Janssen souhaite bâtir des partenariats avec son écosystème et notamment avec des start-up pour accélérer notre capacité à répondre aux besoins des professionnels de santé et des patients. Nous sommes suffisamment connus sur le marché d’une certaine façon. M.F.-M. : Nous avons travaillé de concert avec les JLabs l’an dernier. Nous avons de nombreuses complémentarités entre les JLabs et le lab d’innovation digitale qui nous permettent d’apporter une plus grande diversité de partenariats au marché français et européen. La France est pays pilote pour 3 minimum viable products (MVPs) sur 10. Mathilde Falise-Mirat Janssen EMEA Clarisse Pamies, vous avez dirigé le Centre d’excellence digital et data de Janssen France, avant de passer la main à Céline Chevrier en janvier 2019. La mission du lab s’articule-t-elle avec le travail de ce centre ? C.P. : Oui, nous avons naturellement une collaboration très forte. Nous sommes, nous, au niveau régional, où nous opérons de gros investissements : algorithmes, nouvelle plateforme, nouveau CRM (customer relationship management, logiciel qui gère la relation client, ndlr)… Mais les filiales au niveau local s’investissent sur des partenariats avec des acteurs locaux et interagissent avec les systèmes de soins. Nous essayons d’utiliser les poches d’excellence des différents pays. M.F.-M. : Nous collaborons par exemple sur nos MVPs, où nous commençons toujours sur un périmètre réduit avec un pays pilote avant de passer à l’échelle européenne. La France est par exemple pays pilote pour 3 MVPs sur 10. Janssen France a signé avec Ad Scientiam, Nouveal e-santé et Iktos. Janssen Pharmaceutica NV est porteur du projet Melloddy qui inclut Owkin. Comment articulez-vous vos objectifs avec ces initiatives ? M.F.-M. : Nous suivons l’évolution de ces projets au niveau des filiales et travaillons avec elles pour évaluer si les initiatives locales peuvent être déployées au niveau européen. Certains projets d’ailleurs ne se limitent pas à la France : il y a déjà 2-3 start-up pour lesquelles il existe plusieurs projets dans plusieurs pays et qui nous intéressent. C.P. : Nous sommes intéressés par exemple par Nouvéal e-santé, voir si cela fonctionne pour passer à l’échelle européenne ; c’est notre rôle. Nous avons adopté une stratégie de convergence progressive, plutôt que d’essayer de tout cartographier – nous y serions encore dans trois ans. L’innovation nécessite du mouvement, du dialogue. Il faut noter aussi que J&J a commencé à investir dans certaines start-up comme dans Dreem, a même acquis Auris Health, a monté une joint venture avec Verily, Verb Surgical, rachetée par J&J il y a peu de temps. Cela bouge énormément. Ce côté acquisition est également permis parce que nous sommes un très grand groupe. Notre budget en R&D est similaire à ce qu’investit Google dans la santé. Vous couvrez la zone EMEA. Quel état de maturité d’un pays à l’autre avez-vous pu constater ? M.F.-M. : Pour ce qui est de l’acculturation, certains pays n’ont pas attendu la création du lab pour avancer. La France avait déjà de nombreux partenariats en place, l’Italie et l’Espagne font aussi beaucoup de choses avec des incubateurs en santé au niveau local. Tout dépend du dynamisme de l’écosystème local mais aussi des personnes en interne, de leur appétence et de la stratégie du pays. Sur la conversation omnicanale, des différences de réglementation font que nous n’aurons pas les mêmes usages et la même rapidité. C.P. : Sur l’open innovation, il existe un certain dynamisme au niveau européen. Londres reste quant à elle incontournable. L’écosystème allemand est lui aussi intéressant. Mais Londres garde la place numéro une dans les financements. Nous voyons par ailleurs émerger Israël. M.F.-M. : L’Estonie aussi a un écosystème intéressant. C.P. : Et de belles choses arrivent dans les pays nordiques. La maturité va également dépendre de plus en plus – des statistiques l’objectivent – de l’usage de la télémédecine par les patients ou de l’appétence des médecins pour le numérique. Nous ne sommes pas dans un rapport de 1 à 10 mais l’Allemagne et la France sont clairement en-deçà en termes d’usage par rapport àde l’Espagne ou l’Italie où patients comme professionnels font preuve d’un réel intérêt pour le digital. Le Royaume-Uni se situe entre les deux. Les chiffres que j’ai en tête sur la manière dont les professionnels de santé accueillent les canaux digitaux pour communiquer avec l’industrie pharmaceutique sont de 50 % d’appétence en Espagne et en Italie, plutôt autour de 35 % en Allemagne et en France, l’Allemagne étant au niveau le plus bas : nous y recevons encore beaucoup de courriers. “Les MVPs sont devenus un standard chez nous” Clarisse Pamies Janssen EMEA À votre prise de poste Clarisse Pamies, en novembre 2018, la stratégie de votre mission reposait sur deux axes : l’accélération de la conversation omnicanale et l’acculturation interne des collaborateurs. Où en êtes-vous ? C.P. : Nous ne sommes pas au bout du chemin mais nous avons énormément avancé. Nous avons beaucoup investi, par le lab notamment, pour repenser l’expérience client. Lorsque nous avons confronté aux besoins du patient mais aussi du professionnel de santé – contenus à la demande, disponibilité 7 jours /7… – ce que nous apportions, nous nous sommes rendu compte que nous en étions un peu loin. Les professionnels de santé souhaitaient beaucoup plus de contenus à la demande comme des événements à distance : les écouter nous a permis d’investir dans Virtual event. La troisième version du module est pour bientôt. Nous travaillons sur des MVPs, quelque chose de simple selon la méthode du design thinking. En moins de deux ans, nous avons ainsi décuplé le trafic au niveau EMEA sur notre site web : le volume fait en un an en 2018 est fait aujourd’hui en un mois. Cela a été rendu possible par nos investissements via le lab, via des services un peu nouveaux, nous essayons, nous pivotons. Les MVPs sont autant de start-up internes ; c’est devenu un standard chez nous. M.F.-M. : Les programmes d’acculturation mis en place expliquent cette méthodologie, le design thinking, cette nouvelle façon de travailler. Plus de 200 personnes ont été embarquées en 2019, sous l’angle expérience client. Sur quels MVPs avez-vous fait demi-tour ? M.F.-M. : Certains ont pu être trop ambitieux ou pas forcément compris par l’organisation. Un MVP portant sur la facilitation de la génération et le partage de contenus digitaux en interne était trop ambitieux, avec une proposition de valeur trop large pour être bien appréhendée par l’organisation. Nous avons dû arrêter les deux tiers du projet et refocaliser le passage à l’échelle sur une solution plus simple. C.P. : Un autre exemple : pour que les psychiatres se connectent avec leurs collègues à distance, nous étions partis bille en tête. Nous imaginions tous un peu un Whatsapp, une plateforme que nous connaissions dans nos usages privés. En en discutant avec eux, nous avons réalisé qu’ils avaient seulement besoin de savoir qui contacter et que la prise de contact, ils s’en chargeaient eux-mêmes. Cela nous a finalement amené à une proposition de valeur qui est la bonne, par cycles courts et cycles d’itération. Et cela confirme notre méthode de travail finalement. Considérez-vous aujourd’hui les collaborateurs de Janssen matures en matière de numérique ? C.P. : Beaucoup savent faire un MVP ; pour d’autres, c’est plus difficile. Des fonctions sont parfois plus difficiles à emmener aussi. C’est très progressif mais déjà ce terme a fait du chemin. Nous constatons aussi que la méthode est répliquée même en dehors du lab : un nouvel outil sur mesure de satisfaction des professionnels de santé a été monté en cinq mois. Nous ne l’aurions jamais fait avant. Des choses changent donc de manière objective. L’intégration du digital représente de toute façon un très long chemin. D’autant que les choses vont vite en la matière ! Vous avez déclaré lors d’une conférence de Digital Pharma Lab et Hello Tomorrow, en mai, qu’il fallait montrer l’exemple sur l’open innovation mais que les industriels n’étaient pas tout à fait prêts. C.P. : Nous le sommes sur le versant R&D, depuis quinze ans : c’est là où, plus rapidement, nous avons compris que nous n’y arriverions pas seuls et qu’ont été réalisés des licensing, des acquisitions. Sur la partie des opérations, opère un tâtonnement stratégique assez naturel : il faut le temps de prendre la mesure, de se dire ce que l’on fait, de réfléchir où fera-t-on du partenariat et où potentiellement nous achèterons, si ce sera la start-up ou son produit. Ce tâtonnement stratégique prend du temps et nécessite de parfois se challenger : nous ne pouvons pas tout internaliser. Sur les healthcare solutions par exemple, l’industrie veut créer ses propres solutions depuis assez longtemps mais nous butons sur un modèle économique, faute de remboursement, et il est parfois difficile de se positionner sur des secteurs très concurrentiels. Il ne peut pas y avoir sur le marché une solution par molécule. Mais ce tâtonnement stratégique est en train de se résoudre : des solutions sont un peu plus matures sur le marché, qui vont permettre d’ouvrir des possibilités de partenariats qui n’existaient pas auparavant. C’est le positionnement du lab : nous avons toujours dit que ce serait un incubateur et un connecteur. Le local est d’ailleurs situé près de Station F, proche des équipes France. CLARISSE PAMIES Depuis novembre 2018 : Directrice de l’accélération digitale de Janssen pour la zone EMEA (Europe, Moyen-Orient et Afrique) 2016-208 : Directrice de la stratégie digitale et multicanale de Janssen en France 2013-2016 : Responsable grands projets puis différents postes chez Janssen France 2010-2013 : Responsable de projet à la direction générale de la modernisation de l’État au ministère des Finances 2005-2010 : Consultante chez Boston Consulting Group mathilde falise-mirat Depuis avril 2019 : Responsable du lab d’innovation digitale de Janssen EMEA 2010-2019 : Engagement manager chez McKinsey & Co 2009-2010 : Chargée de mission “Définition d’un modèle organisationnel et économique sur la télémédecine” au Snitem (Syndicat national de l’industrie des technologies médicales) DiagnosticIndustrieInnovationIntelligence ArtificiellePartenariatstart-upStratégie Besoin d’informations complémentaires ? 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