Accueil > Industrie > Comment le Centre Léon Bérard et Roche Diagnostics France ont mis au point une application d’aide à la décision clinique Comment le Centre Léon Bérard et Roche Diagnostics France ont mis au point une application d’aide à la décision clinique À travers un partenariat signé en janvier 2021, le Centre de lutte contre le cancer Léon Bérard (CLB) et le digital lab de Roche Diagnostics France ont mis au point une application d’aide à la décision clinique. mind Health revient avec le Dr Pierre Heudel, oncologue, et David Pellegrin, digital business manager, sur la genèse et le développement de ce projet dont la solution est aujourd’hui utilisée en routine. Par Camille Boivigny. Publié le 27 octobre 2021 à 6h45 - Mis à jour le 05 avril 2023 à 16h14 Ressources Baptisée META-1, cette initiative vise à évaluer en conditions réelles un prototype d’application logicielle permettant de préparer, d’animer et de tracer les réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) concernant les patientes atteintes d’un cancer du sein métastatique. “Ces dernières ont des histoires médicales longues et complexes, il est important de pouvoir les retracer de la manière la plus précise possible pour les aider dans leur quotidien et les prendre en charge au mieux”, explique le Dr Heudel. “Développer le prototype aux côtés d’un praticien permet d’en garantir l’utilisation par les professionnels de santé. En s’assurant que les outils délivrés seront facilement adoptés par les utilisateurs finaux”, note d’emblée David Pellegrin. Retour sur ce projet qui aura mobilisé une dizaine de personnes, coûté 100 000 € et concerne aujourd’hui 1500 patientes par an. Un besoin de mise en forme des données médicales Depuis 6 ans, Pierre Heudel porte un projet d’analyse automatique de texte pour structurer l’information de compte-rendu de dossiers médicaux avec Unicancer. Après avoir discuté de la solution CONSORe (un moteur de recherche pour le big data en cancérologie, ndlr), l’oncologue et David Pellegrin se lancent dans l’élaboration d’un projet commun. “Début 2019, Roche Diagnostics souhaitait se positionner sur la e-santé”, raconte le digital business manager. Le laboratoire conduit alors le projet NAVIFY, une plateforme cloud d’aide à la décision clinique que David Pellegrin présente au Dr Heudel. “Médicalement, il existait un besoin de mise en forme des données médicales présentes dans un dossier patient qui permettrait de rendre la discussion de RCP plus facile, auquel la solution de Roche ne correspondait pas exactement”, relate l’oncologue. La décision médicale s’avère lourde, de même que le volume de patientes, de plus en plus important, dans un contexte de contraintes administratives toujours croissantes. Dans le cadre d’une politique de qualité, les praticiens doivent répondre à des enquêtes de l’Agence Régionale de Santé tous les 4 mois, de manière à dresser un état des lieux quant au respect de la pluridisciplinarité, du volume de dossiers présentés, du type de classification des cancers, de la conformité de la stratégie thérapeutique vis-à-vis des référentiels etc. “Ce sont des éléments de plus en plus éloignés de la pratique médicale : on demande à cette entité de RCP de faire du reporting qui est un peu éloigné de son objectif originel qui était de faire en sorte que les patientes soient le mieux pris en charge possible, d’un point de vue scientifique. Nous avions besoin d’aide, qui a été apportée par cette solution informatique”, commente le Dr Heudel. En effet, les patientes souffrant de cancer du sein métastatique ont un dossier hospitalier comprenant une succession de documents rendant la recherche d’information chronophage. Un audit indispensable “Nous avons implémenté la plateforme générique de Roche -qui, à terme, accueillera tout le développement de nos solutions d’e-santé amenées à traiter de la donnée patient-, avec les problématiques du CLB”, poursuit David Pellegrin. Un audit mesurant le temps passé par les intervenants de la RCP (une vingtaine de professionnels médicaux -médecin, assistant, infirmière- et secrétariat en amont) a permis d’évaluer le temps nécessaire à l’inscription, préparation, présentation, suivi et validation médicale. “On a constaté que certaines informations manquaient au dossier. Une POC [proof of concept, ndlr] réalisée en 2020 a permis d’établir qu’une visualisation permettait de gagner un temps conséquent”, souligne Pierre Heudel. Pour cela, Roche a financé un mi-temps secrétariat pour les phases de préparation et de validation. Le laboratoire s’est aussi chargé de la sécurité, l’hébergement, la double authentification d’accès au dossier. “Auparavant, un quart d’heure minimum était nécessaire pour saisir l’histoire du patient dans notre base de données. Dans le cas d’un cancer du sein métastatique, le dossier est rediscuté à chaque évolution néoplasique [tumeur ou une croissance anormale de nouveau tissu, ndlr], tous les 3 à 6 mois pour élaborer une nouvelle ligne thérapeutique, explique l’oncologue. Avant, un interne reprenait systématiquement l’ensemble du dossier. Désormais l’historique est enregistré et il n’y a plus qu’à inclure les dernières semaines de traitement”. L’atout datavisualisation “META-1 permet d’avoir une vision claire et synthétique de l’historique et de l’évolution de la maladie, de l’efficacité et de la tolérance des traitements avant de proposer des ajustements thérapeutiques, résume Pierre Heudel. On dispose en un coup d’œil d’éléments importants comme les caractéristiques moléculaires de la tumeur au sein d’une même page”. Les données sont hébergées sur des serveurs HDS en Allemagne, et non sur un cloud. L’intégration étant humaine, il n’y pas de problématique d’interopérabilité. “Un appel contextuel de META-1 permet d’entrer directement dans le dossier du patient dans le PACS (système d’archivage et de transmission d’images, ndlr)”, illustre-t-il. Les résultats biologiques manquent toutefois, concède l’oncologue. Structurer les données, une étape-clé Concrètement, les données sont extraites des compte-rendus PDF des dossiers médicaux disséminés dans de multiples endroits au sein des systèmes d’information. “Le modèle de données OSIRIS permet de décrire de manière très structurée un cancer, ses événements tumoraux, les caractéristiques d’évolution de la pathologie. On l’a rendu accessible en clinique, au quotidien. Désormais la préparation d’un cas de RCP prend dix minutes par extraction de toutes les données du SI insérées dans META-1 et ainsi rendues disponibles”, s’enthousiasme David Pellegrin. Un second applicatif permet de pré-screener, de pré-sélectionner des patientes pour les inclure dans des essais cliniques. “Nous disposons d’une base d’essais cliniques, celle du centre Léon Bérard, renseignée dans META-1. Nous élaborons ensuite l’intersection entre les données structurées et cette base afin d’améliorer le taux d’inclusion, notamment en termes de gain de temps de discussion, poursuit-il. Une manière d’augmenter les chances de survie des patientes”. Un modèle d’alignement des données Selon Pierre Heudel, il est important de souligner que les données saisies, les molécules, sont alignées sur des référentiels -CIM 10 ou la base du médicament- c’est l’objet du projet “UNE FOIS” : dès lors qu’une donnée de santé qualifiée est saisie, elle est réutilisable dans un autre contexte. Pour répondre aux enquêtes de l’Inca par exemple ou en recherche utilisant l’IA. Un process permettant que les données cliniques génomiques entrées dans META-1 soient alignées sur un modèle de données interopérables OSIRIS a été établi. Il est porté par des CLCC et certains CHU. L’objectif est de coder de la même façon les mutations afin de faciliter la réutilisation de ces données de santé, pour les partager dans d’autres projets de recherche. David Pellegrin précise que la seule obligation réglementaire est d’être certifié HDS et conforme vis-à-vis du RGPD. “Notre hébergeur est agréé par l’ANS [Agence du numérique en santé, ndlr]. Chez Roche, les référentiels de haute sécurité en termes de data, sont investis au-delà des référentiels proposés par la France. Il s’agit principalement de technologies de cryptage. Seul le CLB, qui dispose du consentement de la patiente, possède le certificat de décryptage. Nos équipes ne peuvent pas y accéder”. Des résultats probants Le gain de temps et la qualité de la donnée sont les indicateurs les plus pertinents. Cela est lié au modèle de la donnée et sa réutilisation. Insérée dans META-1 elle est redistribuée facilement dans d’autres usages, de manière moins coûteuse. L’enjeu est de ne pas repousser une décision par manque d’information. David Pellegrin estime que l’application améliore la conduite de la RCP. Et indirectement la qualité de vie du patient. “Nous étudions la valorisation médico-économique (coût et temps médicaux) de la génération de données structurées. Il s’agit d’une innovation organisationnelle qui correspond à deux segments du marché de la e-santé: l’efficience opérationnelle des services (“operational effectiveness”), et le clinical decision support. Avant d’utiliser META-1, 25 % des cas patients étaient repoussés à la RCP suivante, par manque d’information. Ce chiffre est récemment tombé à 5 %. La valeur du temps de préparation est augmentée car pour la prochaine réunion, la RCP est déjà prête, il ne reste qu’à mettre le cas à jour”. Pierre Heudel complète : “cette RCP traite environ 20 à 25 cas par semaine. Depuis février 2021, 250 voire 300 patientes ont vu leur dossier traité. 75% des patientes sont déjà vues en RCP, on ne sera jamais à 100 %. On se concentre sur les débuts de prise en charge car c’est le moment où l’impact peut être le plus significatif. Fin 2021, on sera à 80 %, l’année d’après à 90 %, etc.” Les deux partenaires estiment qu’à travers cette plateforme, plus de 1000 décisions thérapeutiques seront délivrées durant leur collaboration. Perspective de déclinaisons D’après Pierre Heudel, cette expérimentation va permettre de délivrer des solutions décisionnelles pour les réunions pluridisciplinaires complexes et de générer une base de données de santé structurée ouvrant des perspectives complémentaires de recherche clinico-biologique. “Le sein a été choisi parce que c’était la RCP la moins bien organisée, où le gain serait le plus significatif”, explique-t-il. Mais “le cancer étant une pathologie chronique impliquant différentes séquences de traitement, cette application est en théorie déclinable à toute autre maladie cancéreuse, voire plus largement à toute autre pathologie chronique. Elle pourrait même être appliquée aux RCP moléculaires. Des discussions sont en cours pour implémenter la solution à ce type de RCP, dans d’autres établissements.” David Pellegrin projette qu’“à long terme, ces données structurées insérées dans cette base permettront de développer des outils d’IA. La solution n’inclut volontairement pas d’IA pour l’instant. Cet usage de présentation de la donnée n’est pas soumis à la réglementation des dispositifs médicaux. À l’avenir, notre système pourrait apprendre à partir des mille cas déjà traités afin de préconiser une décision plutôt qu’une autre. Alors il entrera dans la catégorie de DM d’aide à la décision automatisée.” Un modèle économique de ré-exploitation de la donnée “Le modèle économique imaginé au départ est celui du software as a service (SaaS). On valorise notre prestation par rapport à du software, de la propriété intellectuelle et du traitement de la donnée. Le CLB sera un facilitateur d’accès à la donnée. En revanche, économiquement on peut imaginer que le coût de l’accès sera plus simple et moins cher”, indique David Pellegrin. Pierre Heudel prend l’exemple de la plus importante cohorte européenne de patientes atteintes de cancer du sein, Esme, bâtie par le CLB, l’Inca et Unicancer. “Elle est très bien renseignée mais très chère à fabriquer. L’idée est de participer à la construction du patrimoine de données structurées français en impliquant la routine clinique. Auparavant, l’assistante médicale préparait sa réunion sur papier qui était jeté après son premier et dernier usage. Aujourd’hui, le temps investi dans la préparation est quasiment identique, sauf qu’en plus de disposer d’un outil d’aide à la décision durant la réunion, on a généré ce patrimoine de données. C’est là que réside l’innovation”, conclut-il. La stratégie “une fois” de Pierre Heudel “Actuellement, dans de nombreux centres on reprend de la donnée clinique “n” fois. Le patient est dans un essai, une cohorte et on réinvestit du temps de saisie dans un système d’information. Dans notre projet, l’idée est de disposer d’un système d’information structuré interopérable unique dans lequel on structure la donnée une bonne fois pour toutes, et ensuite elle est multi-usages : on l’utilise en RCP, pour un programme de recherche sur une molécule en particulier et l’effet de cette molécule sur l’amélioration du taux de survie de ces patientes avec la même base de données. L’enjeu réside alors dans le coût d’acquisition de la donnée structurée.” Pierre Heudel Oncologue médical spécialisé dans la prise en charge des cancers du sein et gynécologique au CLB depuis 2007 Responsable du circuit du médicament et du centre de coordination de cancérologie depuis 2015 au CLB Médecin hébergeur de données de santé aux Hospices Civils de Lyon depuis 2015 Diplômé en biostatistiques et droit de la santé David Pellegrin Ingénieur en informatique Mastère en marketing (CNAM, Lyon) Digital Business Manager Navify chez Roche depuis janvier 2019 Chef de groupe Marketing depuis janvier 2017 chez Roche Centre Léon Bérard Centre de Lutte contre le Cancer Roche Diagnostics France Chiffre d’affaires 2020 : 344 M€ 606 collaborateur Distribue des produits et des services innovants en biologie médicale (chimie, immunologie, biologie moléculaire, biologie délocalisée,coagulation), en histopathologie et en solutions de séquençage Camille Boivigny Application mobilecancerHôpitalIndustrieParcours de soinsPartenariatRecherche Besoin d’informations complémentaires ? 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