Accueil > Industrie > Essais cliniques : quels outils pour fidéliser les patients Essais cliniques : quels outils pour fidéliser les patients Avec l’augmentation du nombre d’essais cliniques chaque année dans le monde, le besoin de patients va croissant. Et ce pour des durées plus ou moins longues. Or, une fois qu’ils sont inclus, se pose la question du recueil de données fiables et de qualité et de leur fidélisation tout au long de l’étude. Le développement de dispositifs connectés ou d’applications mobiles ouvre de nouvelles perspectives mais implique de nouvelles problématiques. mind Health a interrogé des laboratoires pharmaceutiques comme Ipsen, Servier et Janssen ainsi que des fournisseurs de solutions tels que BePatient, Ad Scientiam et BioSerenity et l’Afcros. Par Aurélie Dureuil. Publié le 01 avril 2019 à 21h59 - Mis à jour le 08 novembre 2021 à 11h28 Ressources Le nombre d’essais cliniques menés dans le monde est en constante augmentation. Ainsi, le site américain clinicaltrials.gov recense plus de 301 000 études cliniques enregistrées au 27 mars 2019 (contre 65 000 début 2009). Sur ce chiffre, 79 % sont des études interventionnelles et près de 137 000 concernent des médicaments ou produits biologiques tandis que plus de 30 000 portent sur des dispositifs médicaux. En Europe, ce sont 34 429 essais cliniques qui sont comptabilisés sur le registre. La France fait cependant figure d’exception. Dans son rapport d’activité 2017 publié fin 2018, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) constate une diminution en 2017 du nombre de demandes d’autorisation (727 essais cliniques autorisés pour les médicaments et 93 pour les dispositifs médicaux et dispositif de diagnostic in vitro, contre respectivement 756 et 227 en 2016). Une tendance expliquée par un changement réglementaire : “désormais seules les demandes relevant de la catégorie 1 (dite “recherche interventionnelle à risque”) sont soumises pour autorisation à l’ANSM”. Si l’ensemble de ces organismes ne communiquent pas le nombre de patients impliqués aujourd’hui dans les essais clinique ni la répartition d’autorisations concernant les différentes phases d’essais cliniques, les besoins vont donc croissants. En effet, comme le rappelle le site notre-recherche-clinique.fr (mis en place par les organisations professionnelles Leem, Snitem et Afcros, la Conférence nationale des comités de protection des personnes (CPP), le Comité national de coordination de la recherche (CNCR), France Assos Santé, F-Crin (French clinical research infrastructure network) ainsi que la Direction générale de l’offre de soins (DGOS)), si un essai de phase I s’appuie sur un petit nombre de volontaires pour quelques jours ou mois, pour des phases II, on parle déjà de dizaines de patients pour une durée allant de quelques mois à 2 ans et les phase III peuvent impliquer plusieurs milliers de malades pendant plusieurs années. Des attentes des promoteurs des études cliniques Pour mener à bien ces études, les promoteurs ont besoin de patients. Les enjeux portent d’abord sur leur recrutement (voir dossier de mind Health Essais cliniques : améliorer le recrutement des patients avec les outils numériques) puis sur leur suivi et leur fidélisation tout au long de l’étude. La filiale pharma du groupe américain de Johnson & Johnson a adopté une stratégie s’appuyant sur le numérique pour sa recherche clinique autour de quatre programmes : la plateforme iStep (voir encadré), le eConsent, un outil de recherche des essais cliniques internationaux, une communauté mondiale des essais pour les patients. “C’est plus efficient, cela donne des données plus robustes en termes de qualité, cela limite les manipulations papier”, détaille Françoise Lethiec, directrice recherche et développement chez Janssen en France. La filiale française recense entre 45 et 50 études en cours toutes phases confondues, avec une majorité de phases II et III et près de 70 % dans le domaine de l’hémato-oncologie. Cela représente près de 1 000 patients en suivi, signale la directrice R&D. Noa Berkovich, chef du pôle Systèmes cliniques au sein du département Opérations cliniques à la direction R&D du groupe Servier identifie trois enjeux pour le futur des essais cliniques : “Nous regardons ce qui concerne le recrutement, le consentement et l’accompagnement des patients avant et au cours de l’étude”. Sur ce dernier point, elle précise : “Aujourd’hui nous réfléchissons de plus en plus à comment faciliter la vie des patients au sein des essais cliniques, minimiser les contraintes et offrir des solutions de suivi à domicile par exemple avec du monitoring en temps réel via des objets connectés, de la télémédecine, des équipes médicales à domicile…” Chez Ipsen, “améliorer l’expérience des patients et des professionnels de santé pendant les essais cliniques” fait partie des axes de travail. Cela se traduit par l’objectif d’ “accompagner le patient tout au long de son parcours en lui apportant l’information nécessaire au bon moment, via les supports les plus adaptés”, confie le laboratoire avant de détailler : “Nous avons approché des start-up comme LongBoat et Umotif pour apporter ce service dans tous nos essais”. Ipsen compte 19 produits à différentes phases (deux en préclinique, sept en phase I, cinq en phase II et cinq en phase III). Le suivi des patients repose ainsi sur divers outils numériques qui commencent à se développer en France. Arnaud Fouchard senior manager santé chez EY constate néanmoins une maturité des acteurs très hétérogène. “Certains ont pris le parti il y a quelques années d’’utiliser les outils numériques pour faciliter la remontée d’information, monitorer le patient, etc., mais c’est très divers”. S’appuyer sur des relations entre donneur d’ordre, CRO et fournisseurs de nouvelles technologies À l’occasion d’une conférence organisée le 22 mars 2019 par le groupe de travail sur les données de vie réelle de l’Afcros (Association françaises des entreprises de la recherche clinique) Adeline Meilhoc, membre du groupe et vice présidente ventes et marketing d’Eveon, pointe la difficulté de mettre en place de nouvelles habitudes : “L’intégration des objets connectés et de l’intelligence artificielle fait appel à des changements à de multiples niveaux : les achats, le juridique, le réglementaire…” Et pour faire adopter les nouvelles technologies, elle souligne l’importance de mettre en place des partenariats multi-compétences. “Nous sommes habitués à gérer des partenariats divers et variés dans le cadre d’essais cliniques. De nouvelles acteurs apparaissent et proposent des objets connectés, des sources de données… Ces acteurs sont en général étrangers à la traditionnelle recherche clinique. La question est de savoir comment on intègre ces acteurs au sein de nos essais”. Certains partenariats ont ainsi été initiés. À l’exemple de BePatient et d’Iqvia. La start-up, qui développe des solutions de suivi des patients notamment dans le cadre d’essais cliniques, et le groupe international ont signé un partenariat en décembre 2018. Plusieurs types de solutions Différentes solutions numériques sont aujourd’hui proposées pour le suivi des patients, allant des dispositifs médicaux connectés aux applications mobiles pour recueillir des informations. La start-up BioSerenity, qui développe des dispositifs médicaux reposant sur des textiles connectés dans les domaines de la cardiologie, de la neurologie et des troubles urinaires, propose ses solutions pour les essais cliniques. “Nous avons trois grandes raisons de travailler dans la recherche clinique. D’abord pour faire du monitoring grâce à notre capacité à détecter des informations en vie réelle, en continue et contextualisées. Ensuite, nous associons nos dispositifs à une partie services importante. Plus d’une trentaine de professionnels de santé font de l’interprétation spécifique des données et du suivi patient. Enfin, nous sommes sollicités pour les pathologies sous diagnostiquées ou complexe à caractériser pour accéder à des profils d’inclusion plus précis”, détaille Samir Medjebar, directeur du business développement de la société qui emploie aujourd’hui plus de 200 personnes et ambitionne d’atteindre un chiffre d’affaires de 40 M€ en 2019. Il indique que la start-up est impliquée aujourd’hui dans 7 études cliniques avec son CardioSkin, tee-shirt connecté qui permet de faire des ECG. D’autres proposent des applications mobiles présentées comme des biomarqueurs digitaux tel Ad Scientiam. La start-up parisienne dont la première solution est développée dans la sclérose en plaques (SEP) “travaille ou est en discussion avec la moitié des grands acteurs dans le domaine pour des phases II et III”, précise son dirigeant et fondateur Liouma Tokitsu. “Nos technologies constituent un moyen de digitaliser l’examen clinique. Elles servent dans la prise en charge au quotidien. Le patient n’est pas obligé de venir au centre investigateur toutes les semaines par exemple. Cela permet d’augmenter la fréquence des évaluations avec précision. Cela permet de se concentrer sur les examens complémentaires comme l’imagerie. Pour l’instant notre solution dans la SEP est utilisée dans les essais cliniques. Nous sommes en train de développer des solutions en rhumatologie, cardiologie et dans la dépression”, détaille le dirigeant. Un autre type de solutions repose sur les plateformes permettant de récupérer des données au quotidien et établir un lien avec les patients. En France, BePatient dédie ainsi une de ces quatre activités à l’accompagnement des patients durant un essai clinique. “Le client vient aujourd’hui avec la volonté de mettre le patient dans la boucle pour recueillir de l’information au quotidien sur le traitement, la qualité de vie, mettre en place des scores pour évaluer des grades…”, observe Frédéric Durand-Salmon, P-DG de la société créée en 2011. Il s’appuie sur des applications mobiles paramétrées en fonction de la demande. “Habituellement, les médecins investigateurs remplissent les formulaires électroniques pour collecter des données de qualité. Nous ne pouvons pas donner au patient un tableau qui y ressemble pour recueillir ces données au quotidien. Cela nécessite d’amener une application mobile plutôt qu’un questionnaire en ligne, en réfléchissant à l’expérience utilisateur, l’ergonomie, le design… Il faut que le patient adhère au dispositif”, détaille le dirigeant. Des budgets très différents Face à ces solutions différentes, les budgets varient également. Chez BioSerenity, Samir Mejdebar indique que l’utilisation du CardioSkin avec un suivi du patient par un médecin et une infirmière et l’interprétation des données est facturé quelques centaines d’euros par mois. “Nous remplaçons le centre investigateur. Nous pensons pouvoir diminuer d’un facteur trois à cinq par rapport à un suivi classique”, estime-t-il. Chez Ad Scientiam, le modèle économique repose, entre autres, sur “une licence dont le montant varie en fonction de la durée de l’essai clinique, le nombre de patients suivis et le nombre de langues utilisées”, liste Liouma Tokitsu qui précise : “MSCopilot est utilisé dans des études à travers une quinzaine de pays”. BePatient, qui déploie également ses solutions en différentes langues, affiche des coûts allant de “quelques centaines à quelques milliers d’euros par mois”, indique Frédéric Durand-Salmon. Des coûts qui diffèrent suivant les fonctionnalités allant du déploiement de questionnaires à l’intégration d’objets connectés voire d’algorithmes. Faire reconnaitre les données collectées dans le dossier d’enregistrement Si chacun des types de solutions se présente comme un moyen de réduire les contraintes pour le patient et notamment le nombre de visites au centre investigateur, peu de données sont disponibles sur des premiers retours. Les essais cliniques pouvant durer plusieurs mois ou années. Et, se pose également la reconnaissance de ces nouveaux moyens de collecte de données par les autorités réglementaires. “Le Cardioskin permet de faire une mesure, un ECG, comme les dispositifs hospitaliers. La mesure n’a pas changé. Elle peut donc servir dans un dossier d’enregistrement”, affirme Samir Medjebar. Si le dirigeant de BioSerenity rassure sur la reconnaissance des informations recueillies par ses dispositifs, chez Ad Scientiam, Liouma Tokitsu alerte sur l’utilisation de biomarqueurs digitaux. “Ces outils ne sont pas reconnus comme endpoint par la FDA. Notre objectif ainsi que celui de nos clients est d’arriver à améliorer nos algorithmes et de les valider pour obtenir la reconnaissance des autorités américaines”, détaille le dirigeant. Il estime qu’il faudra environ cinq ans pour que ces solutions soient reconnues dans les dossiers d’enregistrement. L’exemple de Janssen et de sa plateforme iStep La filiale de J&J a mis en place une équipe mondiale dédiée l’évolution des essais cliniques, Janssen Clinical Innovation (JCI). Quatre axes de développement ont été identifiés. Parmi eux, la plateforme iStep (integrated smart trial & engagement plateform) a pour objectif “d’assurer une prise en charge personnalisée en temps réel du patient et d’automatiser les données de patient et la gestion des fournitures cliniques tout au long de l’essai”. Françoise Lethiec ajoute : “Nous utilisons la technologie pour apporter plus de solutions aux patients et pour avoir des données plus fiables. Et cela permet de raccourcir le temps de conduite des études”. Elle cite par exemple le début d’utilisation de blisters intelligents, reliés à l’application sur le portable des patients : “chaque prise est collectée, cela permet un tracking très précis pour sécuriser le bon usage du traitement et améliorer l’observance. Si le patient oublie de prendre son traitement, il va recevoir une première information, etc. Si il ne prend vraiment pas son traitement, l’infirmière du centre investigateur est informée et est en mesure de l’appeler pour savoir si il a un problème, des effets secondaires”. Elle précise : “le blister électronique est en train d’être mis en place. Notre département d’innovation travaille aussi sur un pilulier électronique et sur d’autres galéniques”. Si l’application mobile pour les patients est proposée pour être utilisée avec les objets connectés, Janssen la déploie également sans. “Elle est en train d’être mise en place. Une étude pilote a été mené dans la maladie d’Alzheimer. L’outil est bien accepté par les patients. Il leur permet de mieux comprendre le suivi de l’étude. L’objectif de Janssen est de développer ces outils avec l’implication des associations de patients pour avoir un outil qui réponde aux besoins des patients, puis de valider cet outil et le commercialiser pour qu’il puisse être utilisé par toutes les entreprises pharmaceutiques”, indique Françoise Lethiec. Trois sociétés françaises proposant des outils numériques pour les essais cliniques – cliquer ici Aurélie Dureuil Application mobileDispositif médicalEssais cliniquesIntelligence Artificiellestart-up Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Objets connectés : des barrières à lever pour leur utilisation dans les essais cliniques Comment les fabricants de dispositifs médicaux intègrent les enjeux de cybersécurité Essais cliniques : améliorer le recrutement des patients avec les outils numériques