Accueil > Industrie > EU HTA : ce qu’il va changer pour les industriels du médicament EU HTA : ce qu’il va changer pour les industriels du médicament Le règlement européen sur l’évaluation des technologies de santé (EU HTA) va commencer à s’appliquer le 12 janvier 2025. Pour les laboratoires, en particulier ceux impliqués en oncologie, la compte à rebours a commencé mais de nombreuses questions restent encore en suspens. Le 13 juin dernier, le spécialiste de la donnée de vie réelle IQVIA réunissait lors de son événement “Real World Evidence Connect”, des experts pour discuter des changements induits par ce nouveau règlement et des interrogations qu’il suscite encore. Par Romain Bonfillon. Publié le 17 septembre 2024 à 23h06 - Mis à jour le 17 septembre 2024 à 14h51 Ressources Le contexte Dans sa communication du 28 octobre 2015 intitulée “Améliorer le marché unique: de nouvelles opportunités pour les citoyens et les entreprises”, la Commission a exprimé son intention d’introduire une initiative sur les évaluations des technologies de santé (ETS) afin de renforcer la coordination et d’éviter qu’un produit ne fasse l’objet d’évaluations multiples dans différents États membres en vue d’améliorer le fonctionnement du marché unique. Aussi, dans sa résolution du 2 mars 2017 sur les options de l’Union européenne pour améliorer l’accès aux médicaments , le Parlement européen a demandé à la Commission de proposer dans les plus brefs délais une législation relative à un système européen d’ETS, d’harmoniser les critères d’ETS et de les rendre transparents afin de pouvoir évaluer la réelle valeur ajoutée thérapeutique et l’efficacité relative des technologies de la santé par rapport à la meilleure autre solution disponible compte tenu du niveau d’innovation et du bénéfice pour les patients – Règlement (UE) 2021/2282 (9) Paru au Journal officiel de l’Union européenne le 22 décembre 2021, le règlement EU HTA vise à : assurer un niveau élevé de protection de la santé des patients et des utilisateurs tout en garantissant le bon fonctionnement du marché intérieur en ce qui concerne les médicaments, les dispositifs médicaux et les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro ». In fine, il s’agit d’améliorer la disponibilité, pour les patients de l’UE, de technologies innovantes dans le domaine de la santé. garantir une utilisation efficace des ressources (réduction des travaux redondants des autorités nationales d’ETS et de l’industrie et, pour cette dernière, amélioration de la prévisibilité). améliorer la qualité de l’ETS à travers l’Union (source : Commission européenne) Son fonctionnement La réglementation HTA va mettre en place deux nouvelles procédures : le JSC (la consultation scientifique commune) et le JCA (l’évaluation clinique commune). La première est optionnelle, la seconde obligatoire. Explications… Le JSC (Joint Scientific Consultation ou Consultation scientifique commune) Le JSC est une opportunité offerte aux industriels d’échanger autour du design de leur étude pivot à la fois avec les autorités réglementaires et les agences HTA, pour s’assurer que ce design répondra à leurs exigences.. Cette étape a lieu en fin de phase II de l’essai clinique. À la différence du JCA, elle est optionnelle et n’est pas à proprement parler une nouveauté pour certains pays comme la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni. La mise en œuvre du règlement EU HTA va simplement étendre cette possibilité à tous les pays européens. L’ “implementing act” du JCS (l’équivalent de nos décrets d’application en France) n’est pas encore paru. Il est attendu dans le courant du dernier trimestre 2024. Le JCA (Joint Clinical Assessment ou Evaluation clinique commune) Le JCA est entré en application. C ‘est une étape obligatoire qui instaure la sommation d’un dossier HTA au niveau européen. Ce dossier va donner lieu à un rapport qui va conclure sur l’efficacité clinique du produit mais pas sur la valeur ajoutée du médicament. La décision du prix et du remboursement reste purement nationale. En revanche, c’est une étape supplémentaire qui va se dérouler en parallèle de l’AMM (cf. schéma ci-dessous). À noter que la mise en place du nouveau règlement sera progressive : en janvier 2025 seront concernés les nouveaux médicaments anticancéreux (les extensions d’indication des produits d’oncologie ne sont donc pas concernées) et les MTI (médicaments de thérapie innovante). En 2028 seront concernés les médicaments orphelins et en 2030 toutes les nouvelles substances actives, ainsi que les dispositifs médicaux à haut risque. “Un échange d’informations se fera entre l’EMA (l’Agence européenne du médicament et le secrétariat JCA. Cela fera l’objet d’un implementing act”, précise Valentine Berthet, Principal Market access & pricing chez IQVIA France. Comment se fera l’accès au marché des futurs médicaments ? L’industriel, concrètement, dépose sa demande d’AMM et en informe le secrétariat du JCA. Il dépose son RCP et le clinical overview. A partir de là, au niveau JCA, c’est l’étape du scoping qui va commencer : la validation du périmètre de l’évaluation, qui va se faire par des PICO (Le cadre PICO est le format standard pour la définition d’une question de recherche : Population, Intervention, Comparator, Outcomes.). Les autorités vont décider quels picots vont devoir être évalués. Cette liste doit être finalisée au plus tard 10 jours après le J 120. A J 130, l’industriel connaît donc le périmètre de son évaluation JCA. A partir de là, il a seulement 100 jours pour déposer un dossier JCA. Commence alors l’évaluation JCA qui va durer jusqu’à l’AMM. Le rapport sur l’efficacité clinique du produit sera publié au maximum 30 jours après l’AMM. En janvier 2025, les médicaments d’oncologie et de thérapie innovante seront les premiers concernés par la nouvelle réglementation. “Qui dit “innovation” dit une demande d’accès précoce pré AMM (AP1) et cela se prépare aussi”, fait remarquer Valentine Berthet, d’IQVIA France. Une fois déposé le dossier d’AP1, l’ANSM et la HAS ont 90 jours pour l’évaluer, voire 4 mois. En 2023, la décision du collège est intervenue en moyenne deux mois avant l’AMM. “L’évaluation HTA européenne est menée en parallèle, et ne concerne pas le SMR ou de l’ASMR, qui restent des prérogatives locales, insiste Valentine Berthet. Il va donc quand même falloir déposer un dossier de droit commun. Avec une AP1, on est censé déposer un dossier dans les 30 jours qui suivent l’AMM. En termes de délais moyens d’évaluation par la HAS, nous sommes en 2023 sur 103 jours si l’on a eu un AP1, 151 jours sans AP1. Ces délais devraient logiquement diminuer puisque le gros des données aura déjà été évalué au niveau européen”. Des questions laissées en suspens Le groupe de coordination en charge d’évaluer les dossiers à l’échelle européenne devra aller puiser des ressources humaines au sein des structures d’évaluation HTA de chaque pays pour pouvoir fonctionner. Problème : la HAS, dont les effectifs actuels ne lui permettent déjà pas de mener des évaluations dans des délais optimaux, sera-t-elle capable d’allouer ces ressources au niveau européen ? Pour l’heure, elle attend beaucoup de l’Europe pour financer cette évaluation européenne et embaucher. Si l’on sait aujourd’hui que le futur dossier à soumettre aux autorités locales ne devra pas contenir des données déjà transmises au niveau européen (l’un des objectifs de cette réforme étant de faire gagner du temps), on ne sait pas pour l’heure à quoi il devra ressembler. Des templates circulent (le futur modèle serait inspiré du dossier de soumission allemand) mais personne ne sait à date à quoi il va ressembler. “La seule chose que l’on sait est que la HAS doit faire en octobre ou novembre un webinaire pour présenter les procédures, les dossiers type”, note Laurent Petit, Directeur de l’accès au Leem. Ce qu’en pensent les industriels du médicament Lors d’une enquête menée en mars dernier auprès d’industriels du médicament, 64% des personnes interrogées avaient une vision négative de l’impact de l’EU HTA sur l’accès en France. Pour Nathalie Largeron, Global Head of HTA Strategy, Global Market Access chez Sanofi, “ce pourcentage est grandement dû à l’incertitude que l’on a sur un certain nombre de points. Il faut dissocier l’aspect court terme de l’aspect long terme. Il va y avoir une phase d’apprentissage un peu longue et nous espérons tous qu’à terme, cette nouvelle réglementation aura un impact positif, notamment sur l’ouverture d’esprit en termes de méthodologie”. Soulagé, Laurent Petit souligne quant à lui que “le dispositif d’accès précoce reste inchangé et n’est pas impacté par l’EU HTA. Le principal dispositif attractif d’accès au marché français est donc sécurisé”. Citant Lionel Collet, le président de la HAS, qui se réjouissait que le nouveau règlement devrait permettre d’avoir un avis de la Commission de transparence plus rapidement, Laurent Petit note cependant qu’au niveau de la CEESP (la commission d’évaluation économique et de santé publique), on ne gagne pas de temps et cet écart pourrait même encore augmenter. Néanmoins enthousiaste, il pense que “le joint assessment report constituera une base d’appréciation homogène dans les différents pays européens”. Les laboratoires sont-ils prêts ? Compte tenu des délais contraints, les laboratoires ont dû s’organiser pour pouvoir adapter leurs procédures à la nouvelle réglementation. “Il y a deux aspects, explique Nathalie Largeron, la prise de connaissance et la compréhension de toutes les nouvelles procédures. Nous avons la chance d’avoir des trade associations, dont font partie la plupart des laboratoires et au sein desquelles il existe des groupes de travail dédiés. Le nouveau règlement est mis en place depuis deux ans et demi, il y a des réunions très fréquentes pour analyser les documents, donc nous arrivons à un niveau d’expertise élevé. Nous devons cependant mettre en place un process en janvier 2025 en n’ayant pas toutes les règles du jeu”, fait-elle remarquer. À noter que chez Sanofi, une équipe dédiée, rassemblant des représentants de différents départements, a été mise en place pour se préparer à l’EU HTA. “Plus la date approche, plus on se rend compte que c’est un changement majeur au niveau opérationnel, observe Nathalie Largeron. Le niveau de pression est très lié au portefeuille dont disposent les laboratoires. Certains qui ne sont pas concernés par les nouvelles molécules en oncologie ne perçoivent pas encore l’urgence”. Laurent Petit perçoit cependant que l’EU HTA constitue, pour beaucoup d’industriels du médicament, un sujet d’inquiétude. “Il y a beaucoup d’interrogations. Nous avons mis en place il y a quelques mois un forum sur le sujet pour les adhérents du Leem. Il y a eu 200 participants, ce qui est presque un record sur la thématique du market access”. Pour autant, les laboratoires ne sont pas forcément prêts à partager leurs bonnes pratiques. “Le sujet de l’organisation interne des laboratoires est capital mais relève aussi de l’avantage concurrentiel, souligne Laurent Petit. Ce que j’essaye de faire avec le comité HTA au sein duquel plus de 25 entreprises sont représentées, est surtout de sensibiliser à l’importance pour les équipes France de connaître les données cliniques de leurs produits”. Le nombre de procédures contradictoires contraint en effet les équipes locales à savoir défendre un produit et donc à le connaître, très au-delà des quelques slides présentées par le global”, insiste-t-il. Romain Bonfillon Commission EuropéenneEuropeMarchéMédicamentRèglementaire Besoin d’informations complémentaires ? 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