Accueil > Industrie > IA dans les dispositifs médicaux : 16 sociétés françaises ont obtenu une autorisation de mise sur le marché auprès de la FDA IA dans les dispositifs médicaux : 16 sociétés françaises ont obtenu une autorisation de mise sur le marché auprès de la FDA La Food and Drug Administration (FDA) a mis à jour, cet automne, sa liste des dispositifs médicaux (DM) intégrant de l’intelligence artificielle qu’elle a examinés et autorisés au cours des trois dernières décennies. mind Health l’a une nouvelle fois analysée : quelles entreprises, notamment françaises, développent ces innovations ? Quels domaines médicaux sont concernés ? Nous avons également interrogé des start-up françaises sur les opportunités du marché américain pour leurs DM incluant de l’intelligence artificielle et sur les exigences élevées de l’instance de régulation. Par Aymeric Marolleau et Coralie Baumard. Publié le 21 novembre 2023 à 22h30 - Mis à jour le 23 juillet 2024 à 15h03 Ressources Le 19 octobre 2023, la Food and Drug Administration (FDA) a mis à jour sa liste des dispositifs médicaux (DM) intégrant de l’intelligence artificielle et du machine learning. Deux ans après l’avoir analysée une première fois, mind Health a reconduit l’exercice (lire méthodologie) : quelle montée en puissance de ces technologies ? Quelles sociétés sont les plus en pointe ? Quels domaines médicaux sont les plus concernés ? Le premier dispositif recensé par la FDA a été autorisé dès 1995, lorsque “Papnet Testing System”, qui utilise des réseaux neuronaux afin d’aider à la détection de cellules cancéreuses lors d’examens du col de l’utérus, a obtenu du comité “pathology” une autorisation pré-marché. Cette innovation de rupture n’a pas profité longtemps à la société américaine qui l’a développée, Neuromedical Systems, qui a fait faillite seulement trois ans plus tard et dont les actifs ont été repris par son concurrent TriPath pour 13,7 millions de dollars. Les initiatives sont d’ailleurs longtemps restées très rares, avant de décoller dans la deuxième moitié des années 2010, avec 63 autorisations en 2018, ce qui représentait une hausse de 140 % par rapport à l’année précédente. Entre le 1er janvier et le 27 juillet 2023, la FDA a déjà identifié 108 dispositifs médicaux intégrant ces technologies. Elle remarque qu’aucun n’utilise encore l’IA générative ou n’est alimenté par un grand modèle de langage (LLM). Au total, 691 autorisations ont été délivrées à 597 dispositifs médicaux portés par 319 sociétés. La FDA et l’innovation, un pari gagnant La radiologie en précurseur Chaque dispositif a fait l’objet d’une étude par un comité consultatif constitué de spécialistes ou connaisseurs de l’aire thérapeutique concernée. L’intitulé du comité est précisé pour chacun dans le tableau de la FDA, ce qui nous a permis d’identifier que si 17 domaines différents de la santé sont représentés, la radiologie est, de loin, celui où l’IA est la plus appliquée, devant les troubles cardiovasculaires. Les autres domaines comportent entre un DM (dentaire, immunologie, orthopédique, obstétrique & gynécologie) et 20 dispositifs (neurologie). L’avance de la radiologie s’explique par plusieurs facteurs. Pour le professeur Pierre Champsaur, président du directoire de DRIM France IA, l’association des radiologues pour accompagner l’utilisation de l’intelligence artificielle, l’utilisation des outils numériques est inhérente à cette spécialité, et l’IA ne fait que s’inscrire dans cette tradition. “Les outils numériques nous aident depuis longtemps à traiter les examens, les outils d’IA sont venus ajouter des informations à celles que nous possédions déjà. Ils s’associent à des sur-spécialités qui prennent en charge des pathologies et des situations variées (dépistage, screening, caractérisation, bilan, extension, etc). À chaque fois se pose la question de la pertinence, de la performance et de la place de l’IA dans la prise en charge. Cela ne remplace pas l’interprétation ni la décision médicale prise au bout du compte”, explique-t-il à mind Health. “L’IA apporte une vraie révolution dans le secteur de la santé, et la radiologie et l’imagerie médicale constituent le premier secteur touché, ajoute Christian Allouche, cofondateur et CEO de Gleamer, interrogé par mind Health. D’un point de vue technologique, les premiers beaux succès de l’IA concernent le traitement de l’image, notamment grâce aux techniques de deep learning. Cela a commencé à être fonctionnel à partir de 2014-2015, puis les premières applications sont rapidement apparues.” Le CEO de Gleamer pointe également le rôle joué par les venture capitalists dans le développement de l’IA en radiologie. L’imagerie médicale représenterait d’ailleurs 85% des financements en capital-risque du secteur de la santé numérique selon une étude du Harvey L. Neiman Health Policy Institute et du Data Science Institute (DSI) de l’American College of Radiology, publiée en octobre 2023. En s’appuyant sur les données du DSI, de la FDA et des Digital Funding Reports de Rock Health, l’étude a révélé que 69 nouveaux produits approuvés par la FDA en radiologie ont été associés à un financement de 4,8 milliards de dollars en 2022. En supposant que la tendance actuelle du financement par capital-risque se poursuive et compte tenu d’un décalage moyen de six ans entre le financement et l’autorisation des produits par la FDA, les chercheurs prévoient que le nombre de demandes d’outils d’IA en radiologie approuvées par la FDA atteindra environ 147 d’ici 2028 et environ 350 d’ici 2035, pour respectivement un financement en capital-risque de 13 et 30,8 milliards de dollars. Les spécialistes de l’imagerie médicale en pointe Certaines sociétés se sont montrées particulièrement intéressées par l’IA. Le fabricant de matériel d’imagerie médicale américain GE Healthcare a ainsi obtenu 11 autorisations, et sa filiale dédiée à la R&D 41. Rappelons que la société est indépendante de General Electric depuis son entrée en bourse en 2023. Siemens Healthineers (ex-Siemens Healthcare, Siemens Medical Solutions et Siemens Medical Systems) en a décroché 38, auxquels nous pourrions ajouter les deux autorisations du spécialiste de l’oncologie Varian Medical Systems, que la société allemande a acquise en 2021. Canon Medical Systems est cité 20 fois par la FDA. La société, née du rachat par Canon de l’activité imagerie médicale de Toshiba en 2016, a par exemple annoncé la commercialisation début 2019 d’un scanner intégrant de l’intelligence artificielle et du deep learning. Baptisé Aquilion Precision, il permet de réduire la dose de rayon X envoyés : la perte en précision de l’image est compensée par les algorithmes d’IA. Outre ces spécialistes de l’imagerie médicale, le tableau de la FDA comprend quelques Big Tech américains. Apple et la filiale d’Alphabet Verily Life Sciences y apparaissent trois fois, Microsoft une fois. Le fabricant de l’iPhone a ainsi développé une application, baptisée Irregular Rhythm Notification Feature (IRNF), pour détecter des épisodes de rythme cardiaque irréguliers. 16 sociétés françaises ont traversé l’Atlantique Nous avons également identifié 16 sociétés françaises qui ont obtenu 28 autorisations au total – certains dispositifs ont obtenu plusieurs autorisations. Quatre en ont décroché trois, toujours dans le domaine de la radiologie : Olea Medical, qui appartient à Canon, Therapanacea, une spin-off de l’Université Paris-Saclay, Medicrea International (chirurgie de la colonne vertébrale) et Avicenna.AI. Citons aussi Gleamer, Therapixel, Volta Medical, Implicity ou encore Biomerieux. Mise à jour : dans la première version de ce dossier, nous avions oublié d’inclure Implicity parmi les sociétés françaises ayant reçu une autorisation de la FDA. Nous y avons remédié le 28 novembre 2023. Le marché américain présente un fort potentiel pour les entreprises françaises, comme en témoigne Christian Allouche, le CEO de Gleamer : “Le marché est grand, très bien consolidé avec des paniers moyens largement supérieurs aux paniers européens et il n’y a pas de solutions similaires à la nôtre qui y soit aujourd’hui déployée. Nous avons recruté une équipe de quatre commerciaux aux États-Unis. Nous y commercialisons notre application depuis un an et demi et y réalisons déjà pas loin de 20% de nos revenus. Nous équipons 900 sites dans le monde dont une centaine aux États-Unis.” Théophile Mohr Durdez, le CEO de Volta Medical, qui a obtenu deux autorisations pour des dispositifs incluant de l’IA, en septembre 2020 et en janvier 2023, confiait également en octobre à mind Health lors de l’obtention du prix Galien USA de la meilleure start-up que les États-Unis représentent sa “plus grande opportunité en termes de marché.” Obtenir une autorisation auprès de la FDA est toutefois réputé plus complexe que l’obtention d’un marquage CE en Europe. Cécile Brosset, cofondatrice et PDG de Sonio, dont le module Sonio Detect de son logiciel réalisant des échographies de suivi de grossesse a obtenu une autorisation 510(k) en juillet 2023, confirme l’exigence de l’Agence américaine : “Nous avons dû collecter beaucoup plus de données que prévu et pousser très loin l’analyse en termes de segmentation : regarder comment notre algorithme se comporte en fonction du constructeur de la machine, de l’indice de masse corporelle de la mère, de son âge, de son ethnicité, de la localisation géographique. Certaines sociétés nous ont confirmé que la FDA est devenue beaucoup plus exigeante ces derniers mois.” Sonio a également dû adapter sa stratégie à la suite d’échanges avec la FDA. “Nous sommes passés par le processus de pré-soumission, qui permet de décrire le design du dispositif médical et de vérifier avec la FDA que l’approche que nous avons choisie est valide, décrit Cécile Brosset. Au début, nous visions plusieurs revendications, une de contrôle qualité et une de détection d’anomalies. La FDA nous a vraiment aidés à cadrer le périmètre de notre demande pour optimiser nos chances, cela nous a certes ralentis mais aussi permis de sécuriser le premier volet de notre IA.” Selon la PDG de Sonio, pour réussir cette étape, avoir un responsable réglementaire interne est un prérequis. “Sans lui, nous n’aurions pas obtenu cette approbation. Nous avons également travaillé avec des consultants, notamment une ancienne employée de la FDA, qui a relu nos documents.” Ces exigences ont un prix. “Nous avons obtenu deux autorisations de la FDA pour Boneview, une pour l’adulte et l’autre pour l’enfant. L’étude pour la première autorisation a coûté un demi-million de dollars”, indique le CEO de Gleamer, pour qui cela n’est pas sans conséquences pour l’innovation. “Aux États-Unis, les nouveautés en matière d’outils de détection et de diagnostic sont moins nombreuses qu’en Europe. En raison du coût mais aussi de la difficulté à obtenir l’approbation, notamment parce que la FDA exige une étude clinique par indication. Pour Boneview, qui automatise la lecture des radiographies traumatiques, nous avons obtenu en Europe un marquage CE sur tout le spectre de la radio traumatique (fractures, luxation, épanchement intrarticulaire lié à un traumatisme, lésions osseuses), alors qu’aux États-Unis notre autorisation, et donc notre logiciel, est focalisée sur la fracture.” Cette conception d’une autorisation pour chaque indication oblige les acteurs français à segmenter leur stratégie produit et leur calendrier de déploiement aux États-Unis de manière beaucoup plus fine qu’ils ne le font de ce côté-ci de l’Atlantique. Ainsi, alors que le copilote pour le radiologue basé sur l’IA de Gleamer intègre quatre applications – Boneview, ChestView, BoneMetrics et BoneAge – toutes marquées CE MDR en classe IIa, seule la première est validée par la FDA. Le CEO de Gleamer a confié à mind Health que l’objectif est que les applications ChestView, sur la radiographie du thorax, et BoneMetrics, pour les mesures automatiques en orthopédie sur des radios standards, soient aussi approuvées par le régulateur américain l’année prochaine. L’entreprise va également lancer au deuxième trimestre 2024 deux nouvelles applications en mammographie (simple ; par tomosynthèse) et deux en scanner pour l’oncologie (recherche de nodules pulmonaires et évaluation de leur malignité ; recherche de lésions agressives osseuses dans le cadre du suivi en oncologie). Elle prévoit leur approbation par la FDA à la fin de l’année ou début 2025. Sonio vise également de nouvelles autorisations de mise sur le marché américain en 2024 et 2025 afin d’accroître le périmètre de Sonio Detect (reconnaissance de nouveaux organes, couverture des premier et troisième trimestres de grossesse). Le but de l’entreprise est également de faire évoluer son outil d’aide au dépistage en outil d’aide à la décision grâce à la détection d’anomalies. Quels types de dispositifs ? Au sein de chacune de ces catégories médicales, il est possible d’identifier la nature des dispositifs qui ont été autorisés. Ceux du domaine de la radiologie concernent par exemple 31 sous-catégories différentes, et ceux de la cardiologie 26. 126 autorisations (18 %) sont classées en “System, Image processing, Radiological” et 78 (11 %) en “Automated radiological image processing software”. Pour ceux-ci et 41 autres qui appartiennent à la catégorie du “triage”, la FDA demande aux entreprises de démontrer sur un jeu de données interne que l’IA dépasse un certain niveau de performance (l’aire sous la courbe ROC). Mais pour les six outils de détection ou d’aide au diagnostic, l’exigence a été plus grande. “La FDA estime qu’ils influencent les médecins et représentent donc un enjeu majeur pour la santé des patients. c’est pourquoi elle exige une étude MRMC (multiple readers and multiple cases), qui peut consister, par exemple, à demander à une vingtaine de médecins radiologues d’examiner 500 examens sans l’assistance de l’IA, puis avec elle. Les résultats doivent démontrer que la technologie les a aidés à améliorer leurs performances”, explique Christian Allouche, le président de Gleamer, dont l’application Boneview a dû suivre cette procédure pour obtenir son autorisation en janvier 2022. Quelles voies réglementaires ? Les industriels disposent de trois voies réglementaires pour faire autoriser un dispositif médical avec IA. La “Premarket notification”, ou “510(k)”, est la plus courante, puisqu’elle a été délivrée à près de 97 % des demandes. Elle s’applique aux dispositifs médicaux de classes I, II et III. La demande “De Novo” est un processus conçu pour les “nouveaux” DM, pour lesquels les fabricants ne peuvent établir d’équivalence substantielle, mais dont les profils de risque ne justifient pas nécessairement la désignation d’appartenance à la classe III. Elle a été attribuée à 20 dispositifs nourris à l’IA, dont Vitek MS de Biomérieux, en 2013. Le “Premarket Approval” (PMA) est la catégorie la plus exigeante de la FDA, puisqu’elle vise à évaluer la sécurité et l’efficacité des DM de classe III, c’est-à-dire “ceux qui favorisent ou maintiennent la vie humaine, qui sont d’une importance substantielle pour la prévention des atteintes à la santé humaine, ou qui présentent un risque potentiel et déraisonnable de maladie ou de blessure”. Cela n’a concerné que trois dispositifs incluant de l’IA. Dès 1995, le premier fut Papnet, de Neuromedical Systems, déjà cité. Il fallut attendre 2016 pour voir le second, QVCAD System, de Qview Medical, obtenir cette autorisation. Et encore cinq ans de plus pour qu’Imagio Breast Imaging System, de Seno Medical Instruments, les imite. Méthodologie Depuis 2021, la FDA recense régulièrement sur un site dédié la liste des dispositifs médicaux incluant de l’intelligence artificielle auxquels elle a attribué une autorisation de mise sur le marché. Elle en permet le téléchargement. Fin octobre 2023, nous avons récupéré les données mises à jour le 19 octobre 2023, recensant des dispositifs autorisés jusqu’au 27 juillet 2023. Cette liste comprend notamment le nom des sociétés (“Company”) qui ont soumis la demande. Ces noms présentent plusieurs problèmes. Premièrement, l’orthographe de ces entreprises n’est pas toujours constant, pour une même société – par exemple, “Siemens Medical Solutions USA Inc” cohabite avec “Siemens Medical Solutions USA, Inc”. Ces différences peuvent être le fruit de l’évolution des entités légales, ou bien non intentionnelles (coquilles). Nous avons réconcilié ces orthographes. Deuxièmement, les groupes sont parfois représentés par des filiales locales – “GE Healthcare Finland”, “GE Healthcare Japan” – ou de spécialité – “GE Medical Systems Ultrasound and Primary Care Diagnostics, LLC”. Lorsque c’était possible, nous avons attribué les demandes des filiales locales ou de spécialité à leur maison mère. Troisièmement, alors que le premier dispositif cité dans le tableau date de 1995, certaines sociétés ont changé de dénomination entre leur première mention et la mention la plus récente – Siemens Healthineers a par exemple été successivement nommée Siemens Healthcare (jusqu’en 2008), Siemens Medical Solutions et Siemens Medical Systems. A chaque fois que cela était possible, nous avons modifié ces noms pour ne conserver que le plus récent. Nous avons, autant que possible, essayé d’identifier les acteurs français. Certains ont pu échapper à notre vigilance. Si vous avez remarqué une erreur ou souhaitez apporter une précision, contactez-nous : datalab@mind.eu.com Aymeric Marolleau et Coralie Baumard Imagerie médicaleIntelligence Artificielle Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire La FDA et l'innovation, un pari gagnant analyses L’IA confronte les acteurs du dispositif médical à de nouveaux défis Un guide pour un cadre organisationnel de l’IA L’IA en santé peut-elle créer de la valeur ? Dossier [Étude exclusive mind Health] Les technologies connectées seront bientôt aussi importantes que la télémédecine dans les essais cliniques