Accueil > Industrie > Les clés pour développer un serious game Les clés pour développer un serious game Des jeux vidéo alliant la pédagogie au ludique fleurissent dans le milieu médical et pharmaceutique. Accessibles aux patients ou réservés aux professionnels de santé et aux employés d’une entreprise, leur intérêt soulève encore des interrogations. Pour y répondre, mind Health s’est tourné vers les fabricants de ces serious game dédiés à la santé. Par La rédaction. Publié le 23 août 2019 à 16h06 - Mis à jour le 03 juin 2022 à 15h33 Ressources Que ce soit pour former les équipes d’un laboratoire pharmaceutique et les professionnels de santé ou informer les patients autour de pathologies, les applications des serious games dans le secteur de la santé se développent. La gamification intéresse par exemple des sociétés comme Sanofi, GSK, Pierre Fabre, Novartis, Janssen mais également des universités, hôpitaux et centres de recherche dont l’Institut de la Vision, l’hôpital du Kremlin Bicêtre, l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, le CHRU de Lille ou encore l’université de Nice. Définir la finalité pour choisir le mode de jeu Avec réalité virtuelle, sur écran ou encore via une borne, tous les canaux sont bons pour le serious game ; le choix dépendra de l’application et du public ciblé. Le groupe Manzalab, spécialisé dans la conception de projets digitaux (dont serious game), a développé pour Pierre Fabre le jeu en réalité virtuelle “J’aime mon dentiste”, disponible sur l’extranet de l’entreprise pharmaceutique. Au travers de la réalité virtuelle, il permet au chirurgien dentiste de prendre la place du patient anxieux, allongé sur la chaise d’opération, afin de mieux comprendre son ressenti et ainsi savoir gérer son angoisse. “Les serious games représentent 100 % de notre chiffre d’affaires, note Julien Caporal, directeur pédagogique chez Manzalab, et 50 % de ces jeux sont en réalité virtuelle (RV). Souvent, les clients nous sollicitent pour la RV”. Selon Pierre Fabre, lors de l’opération de lancement du jeu pendant un événement, en 2016, 130 chirurgiens-dentistes y avaient joué. Ce concept du “je prends la place de l’autre”, basé sur la simulation, a également séduit Janssen. Pour ce dernier, Manzalab a conçu “SchizoLab” : “ici, le joueur, qui est le praticien, continue Julien Caporal, vit la scène en tant que patient schizophrène qui ne prend pas de médicament puis la revit après administration de médicament”. L’expérience SchizoLab a été le sujet d’un événement presse organisé par Janssen en octobre 2016. Néanmoins, difficile d’accéder aux nombres d’utilisateurs de ces jeux. Julien Caporal (Manzalab) “Souvent, les clients nous sollicitent pour la RV” Mais l’apprentissage via le serious game peut passer par d’autres modes de jeu. Le développeur de jeux vidéos CCCP a ainsi construit une série de serious game santé au format de bandes dessinées interactives. Disponibles sur la plateforme médicale vidéoludique Ludomedic, que le studio a mis au point, ces jeux éducatifs se destinent autant aux patients qu’aux professionnels de santé. Parmi ces serious game, certains ont pour ambition d’informer les patients sur des pathologies (maladies nosocomiales, AVC) ou sur des procédures médicales (IRM, chimiothérapie, chirurgie pédiatrique) et peuvent également se jouer sur des bornes installées dans les hôpitaux, notamment aux hôpitaux d’Arras, Jeanne de Flandre (Lille) et du Kremlin-Bicêtre. Entre autres, CCCP a conçu des jeux de formation pour Bayer et GSK. “Sur nos 14 ans d’existence, nous avons créé 70 serious game dont une dizaine sont sur la santé, précise Frédéric Forest, directeur commercial chez CCCP. Et parmi ces derniers, 12 avaient été commandés par GSK”. Cependant, le contenu des modules de jeux réalisés pour GSK est strictement confidentiel : “17500 employés de GSK peuvent y jouer”, précise Frédéric Forest. “Pour Bayer, nous avons créé le jeu 4h30 Chrono, à destination des différents professionnels de santé impliqués dans la prise en charge de l’AVC pour que chacun comprenne le métier de l’autre dans cette chaîne qu’il pourra ainsi optimiser”, continue Frédéric Forest. La “dramatisation” du e-learning s’est aussi invitée chez Sanofi qui a opté pour la solution de la société My-Serious-Game. “iForm, développé pour Sanofi, est une application mobile, disponible sur tablette et en mode hors-connexion, souligne Guillaume Etlin, brand manager chez My-Serious-Game. C’est un dispositif de de formation ludique et attractive en rapid learning (méthode d’apprentissage rapide en ligne, ndlr) où sont utilisés le storytelling et le travail graphique pour former les équipes de Sanofi”. D’après Guillaume Etlin, les jeux de My-Serious-Game comptent des milliers d’utilisateurs chaque mois. Les procédures de validation Outre le choix du format en fonction de la finalité, se pose la question des procédures réglementaires pour les laboratoires voulant diffuser ces serious game. Et notamment sur les données échangées sur ces plateformes et la nécessité ou non de validation par les autorités. “Les données recueillies ne sont pas des données de santé. Toutes les données traitées et collectées relèvent du développement de compétences”, remarque Guillaume Etlin (My-Serious-Game). “Nous ne réalisons pas d’essais cliniques pour ces jeux”, appuie Julien Caporal (Manzalab), tout en ajoutant que dans le cas de Pierre Fabre, le jeu a été développé sous la supervision d’un comité scientifique. Contrairement aux serious game thérapeutiques, conçus pour le traitement ou le suivi, des essais cliniques ne sont donc pas nécessaires pour les jeux de formation. Ces derniers ne sont cependant pas exempts des procédures de validation et d’évaluation. Guillaume Etlin (My-Serious-Game)”Les données recueillies ne sont pas des données de santé” “Si la durée de développement du jeu dépend du nombre de lieux mis en scènes, de personnages et de scénarios, la grande difficulté est la validation du côté des clients. Le jeu peut porter des messages qui parlent aux équipes métiers, compliance et communication, et tout ce petit monde doit valider”, renchérit Julien Caporal (Manzalab). “À partir du moment où notre client souhaite communiquer vers le grand public à propos du jeu, il doit déposer un dossier sur l’outil auprès de l’ANSM, raconte Frédéric Forest (CCCP). Car les entreprises ont le droit de parler des maladies mais pas des médicaments. Alors nous nous chargeons d’extraire des captures de tout le jeu, écran par écran, avec l’intégralité du contenu, pour en faire un PDF ainsi qu’une version imprimée que le laboratoire pharmaceutique pourra présenter. C’est lui qui suit ces processus réglementaires qui peuvent être assez désagréables.” L’évaluation de la solution peut également être une étape à franchir. C’était le cas pour le jeu pédagogique “le secret de l’Amarante”, qui informe les patients sur les maladies nosocomiales, co-conçu par CCCP, le CHRU de Lille et le laboratoire de recherche (Inserm) Evalab. L’évaluation a été faite par Evalab, dans le service d’infectiologie du CHRU de Lille, comme l’explique Sylvia Pelayo, directrice du laboratoire : “C’est un accompagnement mené par une personne du laboratoire et consistant en une analyse des besoins. L’évaluation s’est faite sur une dizaine de patients pendant trois à cinq mois afin de s’assurer de l’ergonomie du jeu. Nous proposons aux patients de jouer sur tablette et nous leur posons des questions au fur et à mesure. Le tout dure une heure par patient. Les questions sont qualitatives, pour savoir ce qu’ils apprécient dans le jeu, subjectives quand nous estimons leur degré de satisfaction mais également factuelles pour savoir ce qu’ils ont appris et retenu grâce au serious game. Un logiciel intégré permet de capturer leur évolution dans le jeu et enregistrer tout ce qui a été verbalisé ainsi que leurs réactions et commentaires, et nous repassons cela en revue pour analyse”. Quel retour sur investissement ? Les prix de production des serious game peuvent aller de milliers à des centaines de milliers d’euros, pour une durée de réalisation de quelques mois à un an. Et les équipes chargés de la conception ne regroupent pas uniquement de développeurs issus du monde du jeu vidéo, mais également des metteurs en scène, des pédagogues, des graphistes, des scénaristes et des directeurs d’acteurs. Chez Manzalab, selon Julien Caporal, une version standard d’un serious game de deux modules sur écran complétée par de la réalité virtuelle coûte 50 000 €, alors qu’un seul module est à 35 000 €. Quant aux jeux développés par CCCP, d’après Frédéric Forest, le ticket d’entrée vaut 30 000 € et concerne des petits jeux dont la conception requiert trois mois, le budget des jeux classiques étant compris entre 70 000 et 120 000 € pour les plus gros projets (six mois de production) : “La préproduction est ce qui prend le plus de temps. Elle vise à définir le besoin du client : quels sont la cible, l’usage et le message et ensuite le budget et le planning selon les propositions de nos game designer qui suggèrent des game concept au client. Le graphisme et le mécanisme du jeu dépendent eux de la cible de manière à ce que celle-ci adhère le plus.” Frédéric Forest (CCCP)”La préproduction est ce qui prend le plus de temps” À My-Serious-Game, où les serious game en santé représentent 20 % des activités, il faut prévoir un budget entre 2 000 et 500 000 €, indique Guillaume Etlin : “Nous nous entourons aussi d’experts santé, alors nous pouvons tout couvrir de A à Z”. Des tarifs auxquels peuvent s’ajouter d’autres prestations. Comme l’accompagnement du développement du serious game a un prix : “Dans le cas de CCCP, cela devait être compris entre 12 000 et 13 000 € car nous avons été sollicités alors qu’ils étaient déjà dans la phase de validation, explique Sylvia Pelayo (Evalab). Mais quand le produit n’existe pas encore, et que nous intervenons donc en amont, le prix peut monter jusqu’à 40 000 à 50 000 €. Le minimum que nous proposons et qui est le support méthodologique, pour par exemple étendre le jeu dans les hôpitaux, coûte 5 000 €.” Sylvia Pelayo (Evalab)”Le prix [de l’accompagnement] peut monter jusqu’à 40 000 à 50 000 €” L’estimation du retour sur investissement d’un serious game est difficile mais possible, explique Frédéric Forest (CCCP): “Pour les formations, il faut calculer la rentabilité versus une formation classique avec un formateur. Quant aux jeux destinés aux patients, les chiffres des communications metrics (mesure de l’efficacité de l’action de communication, ndlr) ne sont pas évidents à obtenir car la corrélation entre le jeu et le reste est trop indirecte pour pouvoir calculer un ROI. Mais un chiffre intéressant nous est parvenu du Kremlin-Bicêtre : avec le jeu Ludomedic sur les IRM, ils ont observé une diminution de 30 % du taux d’utilisation des sédatifs sur les enfants”. Au travers d’une BD interactive, le jeu rassure les enfants en leur expliquant ce qu’est une IRM en suivant le parcours d’un personnage qui doit passer cet examen mais ne comprend pas très bien de quoi il s’agit. Pour qu’elle soit facilement repérable, la borne est placée dans la salle d’attente pour l’IRM en service pédiatrie. “Nous souhaiterions avoir des chiffres similaires partout, confie Frédéric Forest. Sans cela, il est difficile de dire si les solutions sont rentables ou pas.” Le positionnement de Tilak Healthcare sur les serious game thérapeutiques Tilak Healthcare a développé le jeu Odysight. Dispositif médical de classe 1, validé cliniquement au CHNO des Quinze-Vingts (un essai d’aptitude avec Evalab a également été réalisé auprès de patients et de médecins), ce serious game téléchargeable sur smartphone depuis 2018 permet un suivi des paramètres visuels des patients atteints de maladies de la rétine, comme la dégénérescence maculaire liée à l’âge et la rétinopathie diabétique. “Développé avec l’Institut de la vision et l’hôpital des Quinze-Vingts, il est aujourd’hui utilisé par plus de 350 patients et 65 médecins, déclare Edouard Gasser, directeur général de Tilak Healthcare. Le jeu est prescrit au patient. Le médecin reçoit ses données médicales sur son tableau de bord, avec des alertes et un digest. Pour développer Odysight et réaliser l’essai clinique (quatre mois, sur une cohorte de 80 patients, pour montrer que les données correspondent bien aux tests médicaux standard), il nous aura fallu entre un an et demi et deux ans, avec une phase pilote menée auprès d’une trentaine d’ophtalmologistes et sur 150 patients afin d’analyser l’usage et la pertinence des données reçues”. Le co-fondateur rappelle qu’il faut toujours “rassurer la communauté médicale et les autorités sur la véracité du dispositif” : “avec plus de publications scientifiques, Odysight pourra être remboursé sur la base de preuves médico-économiques”. En France, la distribution d’Odysight se fait en partenariat exclusif de co-promotion avec Novartis qui partage tous les frais liés à la commercialisation. Pour l’instant, Odysight coûte entre neuf et dix euros par mois par patient, “un pricing qui pourrait changer”. Odysight est également en déploiement aux États-Unis, annonce Edouard Gasser, avec une phase pilote qui pourrait débuter en automne 2019 dans un grand centre médical sur la côte Est américaine. Les serious game santé font l’objet de projets de recherche. La rédaction Application mobileFormationPlateformesréalité virtuelle Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind