Accueil > Industrie > Les défis qui attendent les EDS hospitaliers Les défis qui attendent les EDS hospitaliers Le 25 juin dernier, le Health Data Hub (HDH) a organisé une rencontre entre porteurs d’entrepôts de données de santé en milieu hospitalier, pour échanger sur les niveaux d’avancement des premiers cas d’usage, ainsi que sur les obstacles techniques et administratifs qui s’accumulent. La collecte des données, les ressources consacrées à ces projets et la valorisation des projets de recherche figurent en tête de liste. Par Romain Bonfillon et Clarisse Treilles. Publié le 28 juin 2024 à 11h52 - Mis à jour le 02 juillet 2024 à 14h57 Ressources L’engouement des professionnels de santé pour les entrepôts de données de santé (EDS) se reflète dans le dynamisme des projets de recherche qui naissent dans les établissements français, à l’heure où des appels à projet s’ouvrent pour financer en partie ces chantiers. La mise en route des premiers cas d’usage offre quelques déconvenues, tant les obstacles techniques et réglementaires sont grands. Samantha Pasdeloup, directrice développement et partenariat du groupe ELSAN, en témoigne : “Quand on demande aux équipes de recherche comment elles travaillent, il y a des écarts entre ce qu’elles pensaient faire avec la donnée de vie réelle et ce qu’elles font réellement.” Dans un baromètre data inédit consacré aux EDS, mind Health avait recensé en fin d’année dernière 84 EDS créés depuis janvier 2017, date à laquelle l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) a obtenu une première autorisation pour un entrepôt qui réunit les informations de 14 millions de patients. Les projets d’EDS semblent se constituer de plus en plus à partir de consortiums, valorisant ainsi des recherches multicentriques et de plus larges bassins de données. La liste des entrepôts de données de santé Cela souligne les besoins accrus en ressources et en compétences pour les porteurs de projets publics comme privés. Avant même que les projets ne soient créés, les chercheurs doivent en passer par plusieurs étapes administratives, souvent longues et coûteuses, comme l’obtention d’une autorisation du CESRESS et de la Cnil ou la recherche d’un hébergeur de données de santé. Cela n’est pas sans conséquence, reconnaît le Pr Yohann Foucher, praticien hospitalier en biostatistique au CHU de Poitiers : “Dans le meilleur des cas, cela prend un an et demi, parfois deux voire trois ans, sans compter que cela coûte beaucoup d’argent. Au lieu de mettre 50 000 ou 100 000 euros dans un projet, cela va coûter trois fois plus cher.” Et d’ajouter : “Si aujourd’hui nous sommes contents de construire les EDS, il faudra demain trouver les moyens de créer des études robustes multicentriques”. Avec l’autorisation de la Cnil, Curie souhaite faire de son EDS un “terreau d’innovation” Un virage à ne pas manquer Néanmoins, les professionnels de santé semblent unanimes sur la finalité : les EDS sont une opportunité à ne pas manquer. “Nous avons un avantage historique qu’il ne faut pas louper pour être sur la carte de la recherche médicale dans dix ans” affirme Arnaud Vanneste, directeur général du CHRU de Nancy, qui travaille sur un EDS pour réaliser des prédictions basées sur l’intelligence artificielle. Jusqu’alors, dit-il, “nous avons pu observer des mouvements mais nous n’avons pas de modélisation globale, par exemple sur l’impact du vieillissement démographique ou la compréhension des pathologies.” Le Pr Yohann Foucher corrobore l’idée que ces EDS sont une “incroyable opportunité” pour réunir les compétences des établissements de santé d’une même région. En Nouvelle-Aquitaine, ces entrepôts vont permettre un passage à l’échelle plus rapide (cf. encadré). “Nous avons besoin d’être multicentriques en épidémiologie clinique pour être plus représentatifs et robustes” constate-t-il. Mêler ambition et pragmatisme Le groupe ELSAN, lauréat de la 2e vague de l’AAP “Accompagnement et soutien à la constitution d’entrepôts de données de santé hospitaliers”, entend synchroniser ses 140 établissements en France pour réaliser du pilotage médico-économique par la donnée. “Nous avons besoin de données massives et croyons aux EDS pour améliorer la qualité des soins et faire du recueil d’indicateurs de qualité” confirme Samantha Pasdeloup. Mais elle note qu’il reste un travail important à accomplir “pour alléger le fardeau du recueil et de la structuration des données pour les mettre entre les mains des chercheurs”. Le principal enjeu, selon Samantha Pasdeloup, sera de “rester pragmatique” dans ce chantier titanesque et d’avancer “étape par étape”. “Les projets prennent très vite une portée industrielle avant même de monter les premiers cas d’usage pilotes, dit-elle. Le risque serait de ne pas trouver de modèle économique en investissant trop dès le départ.” “Ce n’est pas parce que nous créons des magasins immenses de données que quelque chose en tombe. Il faut travailler sur les projets” insiste, pour sa part, Arnaud Vanneste. Pour lui, l’une des priorités est de “développer et maintenir un vivier de compétences”. Le CHRU de Nancy a choisi de miser sur les atouts de son écosystème, avec l’Inria et les écoles d’ingénieurs à proximité. “Nous travaillons également avec l’université de médecine pour que les étudiants puissent avoir un volet consacré à l’IA” précise Arnaud Vanneste. Des données hétérogènes Du point de vue d’Anne Buronfosse, directrice information médicale, prospectives, data sciences du groupe hospitalier Paris Saint-Joseph, partie prenante du projet européen EMC2, le contre-coup à ces ambitions serait de faire des EDS des “cimetières des données”. L’hébergement d’EMC2 par Azure : imbroglio juridique et technique Afin qu’il vive, un entrepôt doit résoudre le problème de l’hétérogénéité des données, constate Pr Olivier Saint-Lary, porte-parole du projet P4DP de médecine générale, qui rassemble l’Université Côte d’Azur, l’Université de Rouen Normandie, le CHU de Rouen, le Collège National des Généralistes Enseignants, le Heath Data Hub et Loamics. Aujourd’hui, les mêmes données peuvent être récupérées de différentes manières selon chaque site. Les professionnels peuvent par exemple coder différemment un même résultat de biologie. L’EDS que projette de construire le consortium P4DP va collecter plus de 5 millions de données prévisionnelles d’ici la fin 2025. “Nous avons un parc très hétérogène même si nous sommes aidé par le Ségur du numérique, qui facilite le modèle de données que nous essayons de pousser” analyse le Pr Olivier Saint-Lary. L’une des priorités pour atteindre ces objectifs sera, selon ce dernier, “d’acculturer les médecins généralistes et de bien réfléchir à ce qu’ils gagneront à contribuer à cette dynamique globale”. Pour éviter les écueils liés à une impossibilité de relier les données et les systèmes entre eux, le comité stratégique des données de santé du HDH réfléchit à la standardisation du socle commun. Le groupe de travail devrait rendre en septembre des recommandations sur l’interopérabilité du socle commun des données de santé pour les EDS hospitaliers. L’objectif est de “passer d’une définition textuelle du socle commune à quelque chose d’implémentable”, en travaillant notamment sur les formats OMOP et FHIR et sur la la sémantique, a précisé Vianney Jouhet, praticien hospitalier, responsable de l’EDS du CHU de Bordeaux. Puisque les standards et les sources de données évoluent dans le temps, Vianney Jouhet défend aussi la nécessité d’installer une gouvernance pour fixer un cap et pérenniser le partage de la valeur à long terme. AAP DAtAE, après la première vague L’appel à projets DAtAE (Données de santé et Applications), doté de 3,5 M€, soutient le développement de projets de recherche qui mobilisent les EDS. 15 projets lauréats ont été retenus sur la première vague qui s’est terminée le 10 juin dernier. “À l’avenir, nous tâcherons de redimensionner cet AAP pour obtenir un taux de sélection plus important. Nous allons lancer une deuxième édition en octobre pour l’édition 2024” a déclaré Lionel Da Cruz, Chef du bureau Organisation et financement de la recherche à la DGOS. Le projet HFNO-Weaning du CHU de Poitier est l’un des lauréats de la 1ère vague de l’AAP DAtAE. Il vise le sevrage de l’oxygénothérapie nasale à haut débit (OHD) chez les patients souffrant d’une insuffisance respiratoire aiguë. “L’insuffisance respiratoire aiguë est une charge très lourde, qui concerne 25% des admissions en soins critiques” a indiqué Rémi Coudroy, réanimateur en médecine intensive-réanimation au CHU de Poitiers. En cas d’intubation (qui concerne 40% des patients), le taux de mortalité atteint 50%. “Nous voulons proposer un algorithme capable de mesurer les risques d’un sevrage trop tardif ou trop précoce de ce traitement recommandé en première intention” poursuit Rémi Coudroy. Un groupe de coopération sanitaire de Nouvelle-Aquitaine s’est formé avec les CHU de Bordeaux, Poitiers et Limoges pour réaliser un EDS collectif. “L’objectif est de travailler sur l’émulation d’essais cliniques en comparant le pronostic des patients qui ont eu une première tentative de sevrage et ceux qui poursuivent le traitement par OHD” décrit Rémi Coudroy. Alexandre Vainchtock, cofondateur de la société Heva et coanimateur du groupe RWD au sein de l’AFCROs, à propos de l’accès et de la valorisation de la donnée : “La question de l’accès à la donnée issue des EDS est aujourd’hui un point clé. Nous avons, d’un côté, le HDH qui dit que les données recueillies dans le cadre du soin et qui ont fait l’objet d’un financement public doivent être accessibles et, de l’autre côté, les producteurs de ces entrepôts qui soutiennent que le travail important qu’ils ont accompli doit être valorisé. On en revient à la question du modèle économique. Le comité stratégique des données de santé du HDH travaille là-dessus, mais cela ne pourra fonctionner que si l’ensemble des acteurs se mettent autour de la table et voient l’intérêt de faire une valorisation de ces données dans les deux sens du terme : économique, mais surtout scientifique. Aussi, les règles d’accès aux données issues des EDS préoccupent les acteurs de la recherche que l’AFCROs représente, parce que ces règles d’accès ne sont pas encore très claires. La périmètre des données du SNDS, défini dans la loi de 2019, dit que toutes les données recueillies au cours du soin sont concernées, ce qui laisserait entendre que ces données d’EDS rentrent dans le périmètre du SNDS historique. Il y a beaucoup d’attente de la part des acteurs de la data sur ces EDS, qui vont nous permettre d’enrichir les données médico-administratives avec des données médicales. Mais il reste beaucoup d’inconnues sur les conditions d’accès et le modèle économique, mais également sur la constitution concrète de ces EDS, qui pour beaucoup, sont encore en construction”. Interview réalisée à l’issue du colloque “Données de Santé en vie réelle” organisé par le groupe de travail RWD de l’AFCROs, le 20 juin 2024 Romain Bonfillon et Clarisse Treilles Données de santédonnées de vie réelleEntrepôt de données de santéHealth data hubHôpitalRecherche Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind