Accueil > Industrie > Marché chinois des dispositifs médicaux : freins et opportunités Marché chinois des dispositifs médicaux : freins et opportunités Avec ses 1,4 milliard d’habitants, la Chine représente le second plus gros marché mondial de la pharmaceutique, et le troisième plus grand marché pour les dispositifs médicaux. Les entreprises françaises qui proposent un dispositif médical numérique sont pourtant réticentes à se lancer sur ce marché, que des experts de Business France et de Cenponts Healthcare nous font découvrir. Par Romain Bonfillon. Publié le 18 juillet 2023 à 22h39 - Mis à jour le 19 juillet 2023 à 19h07 Ressources La santé en Chine En 2022, la Chine a consacré 6,7% de son PIB à la santé (vs. 5,3% en 2019). Cette hausse est à la fois liée au vieillissement de la population (conséquence de la politique de l’enfant unique lancée dans les années 1980 et abrogée en 2016) mais aussi à un meilleur accès aux soins d’une grande part de la population, depuis l’entrée en vigueur, en 2011, d’une couverture médicale universelle. Si l’Assurance santé universelle couvre aujourd’hui entre 90 et 95% de la population sur les besoins de base (l’assurance privée se développant en parallèle), “l’accès aux soins est encore inégalitaire sur l’ensemble du territoire. Il suit la dynamique de développement du pays, avec des grands hôpitaux très bien équipés et du personnel compétent sur l’ensemble de la côte orientale et des régions enclavées qui ont eu un niveau de développement plus réduit”, observe Alexandre Ea, directeur du pôle Art de vivre & Santé de Business France Chine. Source : Bureau National des Statistiques de la RPC Aussi, “en dépit d’une hausse très importante des dépenses publiques de santé, la Chine a réussi à contenir ces dépenses à un niveau raisonnable (cf. tableau ci-dessus, ndlr). Cela est dû notamment à la concentration de la patientèle auprès des structures de publiques : les deux tiers des patients du pays se rendent dans ces établissements qui représentent pourtant un tiers seulement de l’offre de soins”, analyse Yohan Brochard, Chargé de développement Santé chez Business France Chine. Il ajoute que “la mise en œuvre récente de programmes d’achats centralisés à l’échelle nationale et provinciale (Volume-Based Procurement – VBP) pour les produits pharmaceutiques et médicaux a joué un rôle non négligeable dans la limitation des dépenses publiques de santé en Chine”. Quelques chiffres La Chine est la 2ème économie mondiale, avec un PIB estimé à 16 459 Mds EUR et un taux de croissance de 3% pour l’année 2022. Sa population : 1,412 Md d’habitants en 2022. Business France dispose de 6 bureaux en Chine et à Hong Kong. 76 experts sectoriels y travaillent dont 6 experts dans les secteurs de la santé. Focus sur le marché des DM Yohan Brochard, Chargé de développement Santé chez Business France Chine. En 2021, le marché chinois des dispositifs médicaux (DM) s’élevait à 32,8 Mds USD (+ 15% par rapport à 2021). “Toutes les projections montrent que l’on va rester sur une croissance assez forte, le secteur des DM devrait connaître un taux de croissance annuel composé de 8,6% sur la période 2021-2026”, précise Yohan Brochard, ajoutant que “ce marché reste très dépendant des importations, à hauteur de 67% en 2021. Si les fabricants chinois de dispositifs médicaux sont traditionnellement positionnés sur des produits bas-moyen de gammes (classe I voire II), une montée en gamme du secteur, avec des acteurs proposant des produits de classe III, qui concurrencent directement les produits importés. En revanche, même si une concurrence locale apparaît sur le segment des DM haut de gamme, de classe II et III, ils sont toujours majoritairement importés, des Etats-Unis et d’Allemagne pour une grande part (cf. tableau ci-dessous). En 6ème position en 2022, la France tire son épingle du jeu principalement grâce à l’exportation de ses solutions en imagerie diagnostique, en orthopédie ainsi que de ses produits dentaires. Distinguer la part des dispositifs médicaux numériques (DMN) dans ces exportations de DM est cependant compliqué. “Si l’on constate une montée en puissance des solutions locales de e-santé, elle est difficile à quantifier, la réglementation pour les logiciels de santé évolue rapidement, rendant difficile leur classification”, regrette Yohan Brochard. Xianding Ma, Partner et cofondateur de Cenponts Healthcare Partner et cofondateur de Cenponts Healthcare (une société de conseil basée à Paris et à Hong Kong, spécialisée dans les transactions transfrontalières, les services de fusions et acquisitions et de levée de capitaux), Xianding Ma constate quant à lui que “dans le domaine du diagnostic, de la téléconsultation ou de la prise de rendez-vous, toutes les plateformes européennes de santé ont leur équivalent en Chine, avec parfois des solutions plus avancées que les nôtres”. L’entreprise “Ping An Good Doctor” (un Doctolib chinois) fait à ce titre figure de fleuron : l’entreprise était valorisée 6 Mds USD en 2018, juste après son introduction en bourse à Hong Kong. “La Chine a l’immense avantage d’avoir une grande population. Ce grand nombre d’utilisateurs potentiels est un atout majeur pour la santé numérique, qui se construit avec de la data”, explique Xianding Ma. Les aspects politiques Autosuffisance et ouverture En même temps qu’elles poursuivent leurs efforts pour parvenir à une autosuffisance technologique, les autorités chinoises restent ouvertes aux innovations en santé venant de l’extérieur. Mais pas de n’importe où. “Il y a actuellement une grande tension entre la Chine et les Etats-Unis. Dans certains secteurs, l’Etat américain est allé jusqu’à interrompre des échanges de produits ou de technologies avec des entreprises chinoises, rappelle Xianding Ma. L’Etat chinois, poursuit-il, se prépare donc à des situations extrêmes en investissant beaucoup dans la R&D, pour les entreprises d’Etat, mais aussi en promouvant l’innovation dans les entreprises privées. En revanche, concernant l’Allemagne et les autres pays européens, la Chine considère qu’il est toujours possible d’avoir une stratégie gagnant- gagnant. À l’avenir, la baisse des collaborations avec les Etats-Unis pourrait donc se reporter sur l’Europe et le Moyen-Orient”. Le “Volume based procurement” En 2018, la Chine a mis en place une politique industrielle et sectorielle appelée “Volume Based Procurement”. Ce programme d’appel d’offres à échelle nationale ou provinciale, vise principalement une réduction du prix des produits pharmaceutiques dans un effort de limitation des dépenses publiques de santé, à travers l’achat de grands volumes, ainsi qu’une centralisation des différents programmes d’achats publics, jusqu’alors très fragmentés. D’abord appliqué aux seuls médicaments, ce dispositif a été étendu en 2020 aux dispositifs médicaux. Et les baisses de prix constatées sont loin d’être anodines : entre -65% et -70 %, selon le dispositif et jusqu’à – 93 % pour les stents coronaires (sources : Deloitte, ChemLinked, Fitch). “Cela constitue un vrai défi pour les acteurs du marché de la santé, mais les solutions digitales sont relativement épargnées”, constate Yohan Brochard. Indirectement, pour les autres industries du monde de la santé, ce dispositif “constitue une barrière non tarifaire qui oblige les sociétés étrangères à investir et s’implanter en Chine, et favorise très nettement les concurrents chinois”, analyse Alexandre Ea. L’offre locale n’est en effet pas soumise aux mêmes problèmes de taxes à l’importation et de coûts de production que les sociétés internationales. Le plan “Healthy China 2030” Publié en 2016 par le gouvernement central chinois et republié en langue anglaise par la Banque mondiale et l’OMS, ce plan dresse un bilan du système de santé chinois et fixe les axes prioritaires de développement du secteur, à horizon 2030. Objectif principal : améliorer l’accès aux soins de la population chinoise, au travers de plusieurs filières stratégiques. Les appréhensions des entreprises étrangères Bien moins présentes en Chine qu’Outre-Atlantique, les healthtech françaises ont, reconnaît Yohan Brochard, encore quelques appréhensions à s’attaquer au marché chinois. Au-delà du fossé culturel, deux éléments expliquent ces réticences. La politique chinoise sur les données de santé, qui impose que toutes les données générées en Chine soient aussi hébergées et exploitées sur place. C’est cette politique qui a poussé l’entreprise française Euris, spécialisée dans l’hébergement des données de santé, à installer l’une de ses filiales à Shanghai. La difficulté à construire des études cliniques, qui doivent être menées sur des patients chinois. “Une entreprise souhaitant vendre un médicament en Chine peut toutefois réaliser ses essais cliniques en Europe, en incluant des personnes européennes d’origine chinoise”, précise Xianding Ma. Temps d’homologation d’un dispositif médical, selon les pays. Sources : Business France et NMPA Pour Yohan Brochard, l’écart constaté entre la durée théorique d’homologation d’un DM et la durée constatée (cf. tableau ci-dessus) est principalement dû aux essais cliniques. “Ces essais peuvent prendre plus ou moins de temps, en fonction des résultats déjà disponibles sur des cohortes lors d’essais réalisés à l’étranger, sachant que pour faire enregistrer un DM étranger en Chine, il faut déjà un agrément FDA ou un marquage CE, à l’exception des dispositifs innovants répondant à des besoins non-satisfaits, pour lesquels il existe une procédure de fast-track”, détaille-t-il. Et d’ajouter : “à moins de disposer d’une filiale en Chine, toute société étrangère doit se faire représenter par une entité locale pour déposer sa demande d’homologation. Les délais dépendent donc aussi de la bonne communication entre le déposant de la demande et les autorités” (ici la NMPA). Les perspectives 2023 Alexandre Ea, directeur du pôle” Art de vivre & Santé” de Business France Chine. Le 8 janvier dernier, la Chine mettait fin à près de 3 ans de restrictions sanitaires. “La reprise de la consommation suite à la réouverture de la Chine a été beaucoup plus rapide que prévu. Les ambassades tablaient sur un premier et un deuxième trimestre 2023 sacrifiés”, témoigne Xianding Ma. Le gouvernement central chinois table sur une croissance de 5,3% cette année. Aussi, constate Yohan Brochard, “la dynamique marché est favorable aux innovations étrangères puisque, après des années Covid qui ont vu le marché intérieur atone, les entreprises chinoises sont en recherche d’une clientèle étrangère et vont de plus en plus sourcer l’innovation en dehors de leurs frontières”. Cette appétence se retrouve du côté des VC qui, avaient levé de fortes réserves de capitaux avant crise, sans forcément les investir. “L’épargne qui a été accumulée pendant ces 3 années de fermeture est de l’ordre de 3200 Mds $. Il suffirait que 0,5% de cette réserve soit consacré à l’achat de produits français pour que l’on puisse regagner nos parts de marché en Chine”, analyse Alexandre Ea, directeur du pôle Art de vivre & Santé. Xianding Ma est quant à lui “convaincu que les investissements chinois en santé, plus faibles actuellement que pendant la période avant-Covid, vont s’intensifier dans les mois qui viennent. Les investisseurs chinois commencent à regarder l’extérieur de la Chine parce qu’il y a trop de concurrence sur le marché local. Ils scrutent actuellement les opportunités aux Etats-Unis et en Europe”, conclut-il. Quelques conseils avant de se lancer Se faire accompagner “Si vous voulez réussir sur le territoire chinois et plus largement en Asie, il faut absolument se faire accompagner, affirme Xianding Ma. Un investisseur local peut vous aider à trouver les chemins d’accès au marché ou un partenaire industriel pour la commercialisation”. À noter que Business France Chine, l’agence publique en charge de l’internationalisation des entreprises françaises, peut permettre au travers de ses programmes d’accompagnement de trouver le bon partenaire commercial et fournir une expertise marché et réglementaire. Le Club Santé Chine, association qui fête cette année ses 10 ans et regroupe 18 sociétés dans le domaine de la e-santé, permet quant à lui aux filiales françaises implantées en Chine de bénéficier, après adhésion, de l’expertise et du retour d’expérience des acteurs français du secteur s’étant développé sur le marché. Avoir une certaine maturité Business France Chine recommande d’avoir une première expérience dans l’export avant de se lancer sur le marché chinois. Yohan Brochard note également qu’“un projet bien ficelé suppose un certain niveau d’avancement des essais cliniques. Avant des essais de phase IIb, obtenir un financement en Chine est assez compliqué. Il y a en général, chez les investisseurs chinois, une aversion au risque plus importante que celle que l’on connaît aux Etats-Unis ou en Europe”, constate-t-il. Être prudent sur tous les aspects réglementaires Yohan Brochard recommande de “connaître un minimum l’environnement réglementaire chinois avant d’attaquer ce marché : “être protégé en ayant enregistré sa marque en caractères latins et en caractères chinois, avoir fait un dépôt de brevet en Chine ou avoir au minimum effectué une extension de dépôt de brevet qui couvre la Chine”, conseille-t-il. Avoir une vision à long terme “Nous prévenons dès le départ les entreprises qui souhaitent que nous les accompagnons : il n’est pas envisageable de faire un one shot sur le marché chinois, en particulier dans le domaine de la santé”, assure Alexandre Ea. Il faut donc penser à investir ce marché sur le long terme, au minimum sur 12 mois, idéalement avec une équipe dédiée à ce marché très singulier, mais porteur de nombreuses opportunités. Romain Bonfillon Dispositif médicalMarchéRèglementaire Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind