Accueil > Industrie > Stanley Durrleman (Clinique du Docteur Memo): “Nous cherchons à créer une file active de patients aux stades précoces d’Alzheimer” Stanley Durrleman (Clinique du Docteur Memo): “Nous cherchons à créer une file active de patients aux stades précoces d’Alzheimer” En 2016, Stanley Durrleman déposait un brevet pour une technologie d’intelligence artificielle construisant des modèles personnalisables de progression des maladies neurodégénératives. Six ans plus tard, il fonde avec Igor Koval la société Qairnel. Avec la Clinique du Docteur Memo, ils souhaitent faire progresser la détection précoce et la prise en charge de la maladie d’Alzheimer. En parallèle, ils collaborent avec l’industrie pharmaceutique afin d'améliorer le design des essais cliniques. Par Coralie Baumard. Publié le 24 septembre 2024 à 22h33 - Mis à jour le 24 septembre 2024 à 16h35 Ressources En 2022, vous avez créé la Clinique du Docteur Memo. Cette clinique virtuelle a pour vocation de repérer précocement les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Quelles ont été les prémices de sa création ? La Clinique du Docteur Memo est née après dix ans de recherche. Je dirigeais une équipe à l’Institut du Cerveau et j’ai développé des méthodes d’intelligence artificielle qui permettent de prédire la progression des maladies neurodégénératives, en particulier Alzheimer et Parkinson. Ces méthodes ont donné lieu à des publications dans Nature Communications et à des brevets. À un moment donné, nous nous sommes demandé comment faire en sorte que cela puisse bénéficier aux patients, aux médecins et au système de soins. Nous nous sommes alors aperçu de l’écart entre un beau produit de recherche et un produit trouvant sa place dans les contraintes de l’exercice de la médecine aujourd’hui. À quelles difficultés avez-vous été confronté ? Mon système n’a d’intérêt que si nous sommes capables de repérer les patients précocement et d’intervenir chez eux au stade très précoce de la maladie. Or, nous nous sommes rendu compte que les patients entraient dans le système de soins très tardivement, l’errance diagnostique est de trois à cinq ans. La personne va se plaindre à son médecin traitant et ce dernier ne prendra pas en compte cette plainte, car cela arrive souvent en deuxième ou troisième motif de consultation et qu’il n’a pas le temps ou la capacité de s’en charger. Nous perdons énormément de temps sur la maladie en repoussant toujours plus le moment de rentrer dans un parcours diagnostic. La Clinique du Docteur Memo est née comme cela. Elle s’intéresse au repérage des personnes qui se plaignent de leur mémoire et cherche à les inclure très rapidement dans des parcours de prise en charge. Notre site internet docteurmemo.fr fournit des premiers outils, des questionnaires simples validés scientifiquement qui vont repérer la plainte et les facteurs de risque de la personne sous la forme d’un questionnaire anonyme, gratuit et immédiat. Cela va permettre de le rassurer s’il ne présente pas un profil à risque ou lui conseiller, le cas échéant, de consulter un médecin. C’est un premier service très simple mais qui n’existait pas auparavant. Quels autres services proposez-vous ? Nous sommes en train de constituer un réseau de médecins généralistes et nous avons construit une consultation mémoire, cela n’existait pas en médecine générale. Cette consultation est entièrement dédiée aux problèmes de la mémoire. Le médecin récupère les informations recueillies au préalable : le profil de risque de la personne et l’histoire de sa plainte. Il va lui faire passer deux tests neurocognitifs assez simples qui vont nous permettre d’avoir une première orientation. Le médecin va également faire un travail de triage en identifiant les patients ayant d’autres problèmes de santé qui ont une répercussion sur la cognition : un diabète qui n’est pas forcément bien pris en compte, une hyperthyroïdie mal réglée… Dans ce cas, il va renvoyer vers le médecin traitant avec sa recommandation. S’il pense qu’il y a le début de quelque chose, il va encourager le patient à entrer dans un parcours diagnostic en lui prescrivant une IRM, un bilan sanguin et des tests neuropsychologiques avec un courrier d’adressage pour un neurologue. L’idée est vraiment de fluidifier l’entrée dans les parcours de diagnostic afin que les patients puissent être vus beaucoup plus rapidement et que des interventions de prévention au stade précoce de la maladie puissent être mises en place. Combien de médecins ont intégré votre réseau aujourd’hui ? Nous avons trois médecins à Paris, le mois prochain, nous allons incorporer trois médecins à Montpellier. Nous recherchons des médecins volontaires, dans toutes les régions de France, qui souhaitent contribuer à la détection précoce de la maladie d’Alzheimer en recevant un patient lors d’une consultation. Cette dernière a une tarification adaptée. De plus, elle est totalement protocolisée, nous fournissons l’interface logicielle qui permet de réaliser la consultation de manière extrêmement efficace, avec notamment la génération automatique de comptes rendus, courriers et ordonnances. La détection précoce est-elle votre seul objectif ? Avec Docteur Mémo, nous cherchons à créer une file active de patients aux stades précoces, ce qui n’existe pas aujourd’hui. Prenons l’exemple d’un laboratoire académique ou industriel qui veut tester l’efficacité d’un nouveau traitement, d’un programme de renforcement positif ou d’un dispositif, afin de démontrer son effet sur le ralentissement de l’évolution de la maladie. Il faut qu’il trouve des patients à un stade très précoce pour réaliser son essai clinique. Aujourd’hui, ces patients ne sont pas repérés, nous ne savons pas où ils sont. Avec Docteur Mémo, nous avons ici un moyen unique de pouvoir réaliser ces essais et de démontrer que ces programmes et dispositifs ont un intérêt. Selon moi, nous sommes avec Alzheimer dans la même situation que le cancer, il y a vingt ans. Il s’agit d’une maladie incurable, qui fait peur, et face à laquelle nous ne savons pas comment réagir. Dans le cancer, nous avons mis en place des parcours de soins. Nous avons réussi à faire du repérage, nous agissons sur les facteurs de risques et les modes de vie. Aussi, des schémas thérapeutiques mis bout à bout permettent de gagner des années de vie et d’avoir des rémissions longues, même s’il reste des progrès à faire sur certaines indications. Dans vingt ans, notre idéal est d’être dans la même situation pour la maladie d’Alzheimer. Un malade sera repéré tôt, nous agirons sur les facteurs de risque et nous ferons des recommandations sur son mode de vie. Nous mettrons en place des stratégies thérapeutiques à base d’entraînement cognitif, de lutte contre l’isolement social, de lutte contre la surdité, etc. Nous aurons un arsenal thérapeutique qui commence à se mettre en place, nous comprendrons comment il faut administrer ces médicaments pour obtenir in fine un bénéfice. Demain, nous aurons gagné peut-être sept, huit, voire dix ans avant qu’un patient ait une perte d’autonomie irréversible, contre trois à cinq aujourd’hui. Comment fonctionnent les modèles personnalisables de progression des maladies neurodégénératives que vous avez développés ? Nous avons pris des bases de données déjà existantes avec des historiques médicaux de patients couvrant différents stades de la maladie. Ces données racontent la façon dont la maladie évolue chez chaque patient, car elle peut s’exprimer de manière différente selon les individus. Nos algorithmes d’intelligence artificielle ont analysé ces données, ont été capables de les mettre bout à bout pour comprendre comment la maladie se développe sur de longues périodes, et prédire comment un individu donné va évoluer. Les modèles prédisent l’évolution d’un patient avec un trouble de la mémoire jusqu’à quatre ans en avance. Si l’on demande au modèle comment les symptômes apparaissent en moyenne, il va indiquer en premier lieu la mémoire. Mais, le modèle est aussi capable de voir que certaines personnes entrent dans la maladie plutôt avec un problème d’orientation spatiale ou un problème attentionnel. Il existe une grande variation dans la façon dont les patients expriment la maladie. Quand un patient entre dans le système, nous mesurons ses différentes fonctions cognitives à partir de tests standardisés, nous pouvons les compléter avec une IRM, éventuellement des marqueurs du liquide céphalo-rachidien, voire demain des marqueurs plasmatiques, et nous entrons ces données dans le modèle. À partir de cette photo à un instant T, il construit le scénario d’évolution du patient. Il va se prononcer sur l’évolution de son score de mémoire, son score d’attention, ses marqueurs biologiques, nous sommes donc capables de prédire si certains patients vont décliner très rapidement ou d’autres très lentement, ce qu’aucun neurologue n’est capable de faire aujourd’hui. Nous sommes également en mesure de savoir quels troubles coïncident avec leur entrée dans la maladie et cela va nous permettre d’adapter la prise en charge. Aujourd’hui, tous les patients sont pris en charge de manière identique ; or si l’on a en face de nous une personne qui décline très lentement, ce n’est pas la même chose qu’une personne dont les capacités cognitives seront altérées dans 12 à 18 mois. L’idée est de personnaliser la prise en charge. Sur quel volume de données vos modèles ont-ils été entraînés ? Nous avons validé le modèle sur plus de 5000 patients de manière rétrospective. Nous avons entraîné le modèle sur des données de patients américains, c’était la plus grande base de données dont nous disposions. Ensuite, nous avons testé les performances en prédiction sur des patients australiens, japonais et européens. Nous avons montré que les performances étaient même meilleures sur des ethnies et des géographies tout à fait différentes que celles des patients sur lesquelles les algorithmes avaient été entraînés. C’est un résultat très satisfaisant, car souvent dans ces approches, l’IA généralise mal sur des cas différents de ceux utilisés pour l’entraînement. Le développement d’algorithmes appliqués aux maladies neurodégénératives présente-t-il une difficulté particulière ? Il existe des facteurs aidants et des facteurs défavorables. Alzheimer s’étale sur de longues périodes de temps, il est très difficile de suivre des patients tout au long de la maladie. De plus, nous avons souvent des clichés de l’histoire de la maladie à quelques instants dans le temps, il manque beaucoup de choses entre les données que nous sommes capables de capturer. Cela rend le problème difficile. Les approches traditionnelles d’intelligence artificielle, notamment le deep learning, mais aussi les grands modèles de langage très populaires aujourd’hui comme ChatGPT ne fonctionnent pas car il n’y a pas assez de patients et trop de “trous” dans les données disponibles. Quand nous avons 5 000 ou 10 000 patients, c’est extraordinaire. De plus, ChatGPT s’entraîne sur des textes entiers. Moi, j’ai 10 000 livres qui me racontent quelques bribes de la maladie par ci par là. Cette tâche est beaucoup plus difficile, c’est pour cela que nous avons développé et breveté nos propres modèles. Mais il existe des facteurs facilitants, ces maladies sont progressives et évoluent dans le sens d’une aggravation. Un modèle s’adapterait plus difficilement à des évolutions non linéaires comme c’est le cas avec des pathologies qui, comme la sclérose en plaque, alternent des phases de poussées et de rémissions, ou qui incluent des traitements changeant énormément le parcours de la maladie. Vos modèles sont donc un moyen pour mieux cibler les patients susceptibles de participer à un essai clinique ? Il s’agit de la première application, nous travaillons déjà avec des laboratoires pharmaceutiques, Sanofi ou Biogen notamment, pour mieux cibler les patients ou pour mieux voir comment un médicament agit selon différents profils de patients en construisant des jumeaux numériques des patients inclus dans les essais. L’autre application est la personnalisation des parcours de soins et de prise en charge. À terme, la vocation de Docteur Memo est d’inclure ces prédictions et d’en informer les médecins pour qu’ils puissent offrir des parcours personnalisés, mais nous n’en sommes pas encore là. Nous sommes au début de notre histoire, nous construisons nos consultations, nous captons la donnée en consultation. Beaucoup de choses doivent être mises en place d’un point de vue organisationnel, logistique et règlementaire pour utiliser ces outils très puissants en consultation. Vous avez participé au livre blanc sur les données artificielles, paru en avril dernier, quel est le principal apport pour la recherche clinique ? Nos algorithmes génèrent des données artificielles. Quand nous prenons le patient à l’entrée dans un essai clinique, notre modèle va générer la progression de la maladie telle qu’elle aurait été si le patient n’avait pas été traité. Cela apporte une donnée supplémentaire qui vient compléter les données mesurées pendant l’essai. Finalement, c’est un peu comme si l’essai avait quatre bras. Nous avons deux bras, le bras placebo et le bras traité et nous doublons ces bras avec des bras artificiels, qui nous enseignent quelle aurait été l’évolution du patient sous placebo s’il n’avait pas eu de placebo ? Quelle aurait l’évolution du patient traité s’il n’avait pas été traité ? J’apporte de la donnée, de la connaissance supplémentaire pour mesurer l’efficacité du médicament et, aujourd’hui, nous pouvons démontrer que cela permet d’augmenter la puissance statistique de l’essai. Cela veut dire que je suis capable de montrer la même efficacité avec moins de patients, car ma mesure va être plus précise avec l’intégration de ces données artificielles. Quand on est sur des maladies rares ou des maladies où les patients sont difficiles à trouver, comme Alzheimer au stade précoce, cela permet d’en recruter moins, d’aller plus vite et de réaliser des essais moins coûteux. Mais au-delà des avantages que cela présente pour les industriels, cela va dans le sens d’une accélération de la recherche, bénéfique pour les patients. Biographie de Stanley Durrleman Depuis septembre 2022 : CEO et cofondateur de Quairnel Depuis 2019 : Titulaire d’une chaire de recherche à l’institut interdisciplinaire en intelligence artificielle PRAIRIE Depuis septembre 2011 : Chercheur INRIA à l’Institut du Cerveau, en détachement du Corps des Mines Mars 2017 – juillet 2021 : Coordinateur au Centre de neuro-informatique de l’Institut du Cerveau. 2020 : Lauréat du Prix Inria – Académie des sciences jeune chercheur 2019 : Lauréat des Sanofi iDEA Awards 2016 : Lauréat d’une bourse ERC Starting Grant pour ses recherches sur la modélisation dynamique du vieillissement cérébral. 2010 : Doctorat en mathématiques appliquées, Université Nice-Sophia Antipolis Coralie Baumard AlgorithmesAlzheimerDonnées de santéEssais cliniquesIntelligence Artificielle Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind