Accueil > Parcours de soins > Jean-François Pomerol (TRIBVN Healthcare) : “Nous voulons être l’Outlook du pathologiste” Jean-François Pomerol (TRIBVN Healthcare) : “Nous voulons être l’Outlook du pathologiste” La pathologie numérique n’en est qu’à ses débuts mais les projections lui promettent déjà un bel avenir. Sur ce marché que se partagent une dizaine d’acteurs, l’éditeur de solutions pour l'imagerie numérique TRIBVN Healthcare se positionne comme le compagnon de la transformation de toute une profession. Une stratégie qui lui permet aujourd’hui d’occuper une place centrale. Explications avec son PDG, Jean-François Pomerol. Par Sandrine Cochard. Publié le 06 octobre 2021 à 6h45 - Mis à jour le 12 octobre 2021 à 16h40 Ressources Depuis quelques années, la microscopie numérique a modifié les pratiques de la pathologie clinique. Quel est le rôle de TRIBVN Healthcare dans cette évolution ? Jean-François Pomerol : TRIBVN Healthcare accompagne les pathologistes dans la transformation de leur métier. Ces médecins étudient cellules et tissus au microscope pour poser un diagnostic sur une maladie complexe, comme le cancer. Ils sont aussi de plus en plus amenés à déterminer des éléments pronostiques de l’évolution de la maladie et prédictifs de réponse à des thérapies. Leur rôle est essentiel dans l’avènement de la médecine de précision, qui permet de passer à des thérapies très ciblées. Or, ces thérapies sont plus efficaces mais aussi beaucoup plus chères. Il est donc capital de déterminer si un patient va tirer ou non un bénéfice de cette molécule avant de lui administrer. La décision thérapeutique va s’appuyer sur des éléments diagnostiques pour lesquels les pathologistes sont clé. C’est une transformation de fond de leur métier ! Notre rôle est de les accompagner en les aidant à passer du microscope, qui est leur outil de travail depuis toujours, à l’écran. En quoi passer à l’écran va-t-il améliorer la pathologie clinique ? J.-F. P. : Le passage à l’écran permet deux choses fondamentales. Premièrement, la circulation de l’information : le pathologiste peut travailler en réseau et accéder à des expertises, même à distance. On n’est plus contraint d’avoir dans une unité de lieu l’échantillon de biologie, le microscope et le pathologiste. Cela représente une économie et un confort. Deuxièmement, l’aide à l’interprétation de ces images par l’intelligence artificielle (IA). On peut développer un algorithme capable de préparer et d’extraire les informations de ces très grandes images. C’est un atout car traditionnellement, ces images sont longues à interpréter, avec des scores de pourcentage de cellules tumorales par m2 de tissus ou de cellules en prolifération à réaliser. Ce comptage fastidieux peut être délégué à l’algorithme. En passant à l’écran, les pathologistes gagnent du temps et de la précision. En passant à l’écran, les pathologistes gagnent du temps et de la précision. Quels types d’algorithmes interviennent ? J.-F. P. : Nous avons plusieurs types d’IA. Des IA de repérage qui permettent de classer et trier en lames “normales” ou “anormales”. Un enjeu fort lorsque l’on sait que, par exemple, 4 millions de biopsies digestives sont réalisées en Europe chaque année et que 50% d’entre elles sont normales. Déléguer ce tri à un algorithme permet de concentrer le temps médecin là où il a de la valeur, c’est-à-dire à interpréter des biopsies complexes. Nous avons aussi des algorithmes de comptage (nombre de cellules tumorales, de biomarqueurs) pour évaluer le suivi thérapeutique du patient. Enfin, nous avons des algorithmes de détermination d’une réponse pronostique ou prédictive, pour savoir quels patients ont le meilleur pronostic, ceux qui ont un risque de rechute ou ceux qui vont répondre positivement à telle molécule. Certains traitements fonctionnent très bien chez certains patients et pas chez d’autres. Il s’agit donc de déterminer quels patients ont une chance d’en tirer un bénéfice avant d’administrer cette molécule coûteuse, avec des effets secondaires importants. On ne se substitue pas au médecin pour faire le diagnostic, mais on propose des outils qui permettent de gagner du temps et de réaliser des quantifications impossibles à faire à l’œil au vu de la richesse de l’information contenue dans la lame. Comment concevez-vous ces algorithmes ? J.-F. P. : Nous travaillons systématiquement en partenariat avec des hôpitaux et des médecins car pour que l’IA fonctionne, il faut de la data science, de l’expertise médicale et des données. Nous avons en interne une équipe de data scientists de 7 personnes très performante dans le domaine de la pathologie numérique, au niveau européen. Mais pour concevoir un modèle, il faut aussi du recrutement (donc des données et des images patients) et de l’expertise médicale, pour savoir si une cellule est tumorale ou s’il s’agit de tissu normal etc. Comment avez-vous travaillé avec le Groupement Hospitalier Paris-Saclay, dont l’hôpital Bicêtre a été le premier à faire fonctionner son service d’anatomopathologie en full digital ? J.-F. P. : On les a accompagnés dès 2011-2012 pour un projet de regroupement et de répartition d’activité entre les hôpitaux Paul Brousse, Antoine Béclère et Bicêtre. Le projet a commencé par la gestion des extemporanés à distance, ces examens réalisés pendant que le patient est opéré pour avoir une indication en temps réel de la nature du tissu enlevé et déterminer la suite à donner à l’opération. Nous avons commencé à déployer la téléextemporané entre Bicêtre et Paul Brousse, la digitalisation de cet examen, afin d’éviter aux médecins de se déplacer et d’aller au bloc pour un examen qui dure 30 minutes. Puis, en 2018, le projet a été de passer en full digital avec un plateau technique centralisé à Bicêtre. Aujourd’hui, ils numérisent l’intégralité de leurs lames, qui sont revues dans notre logiciel CaloPix. Il s’agit d’un projet de flux, de transformation d’un métier d’abord avec une dimension d’IA qui se structure afin d’être implémentée en routine clinique. Plus on va avancer dans le temps, plus la donnée va être accessible. Les hôpitaux français sont-ils matures sur le sujet de la data et de l’IA? J.-F. P. : Certaines grandes institutions se sont dotées d’entrepôt de données, comme l’AP-HP, le CHU de Nantes et celui de Lille par exemple. D’autres établissements qui n’en n’ont pas peuvent tout de même mener des travaux de recherche et mettre à disposition des données dans le contexte d’une étude. Après, si on veut créer un modèle pour comprendre un patient en longitudinal, sur plusieurs années, et en multimodal, avec la radiologie, la biologie, la génétique et l’anatomo-pathologie, c’est impossible sans entrepôt de données. Mais plus on va avancer dans le temps, plus la donnée va être accessible. Justement, à qui appartiennent les données ? J.-F. P. : Les données appartiennent aux patients, l’hôpital en est le gestionnaire avec des obligations d’accès, de modifications etc. Nous sommes potentiellement un utilisateur mais certainement pas un propriétaire. Ce qui est intéressant dans notre modèle, c’est que nous aidons nos clients à structurer leurs données. Une donnée seule ne vaut pas grand-chose si on n’a pas les annotations, l’indexation etc. Toutes ces données sont structurées et enrichies grâce à nos outils. Pouvez-vous les utiliser de votre côté ? J.-F. P. : Pour chaque algorithme que l’on veut développer, nous avançons projet par projet, avec un investigateur principal, et nous devons justifier l’accès des données que l’on réclame, dans une méthodologie de référence qui est souvent la 004 puisque l’on n’a pas d’impact sur la prise en charge thérapeutique du patient. Nous devons aussi passer devant le comité d’éthique de l’hôpital. Nous avons un accès limité aux données, en conformité avec la réglementation. Par exemple, lorsque nous travaillons avec l’AP-HP, les données restent dans leur entrepôt. En juillet dernier, TRIBVN Healthcare et CYPATH ont annoncé un accord de partenariat pour numériser le groupe de pathologie, qui réalise un million de lames par an. Où en est ce projet aujourd’hui ? J.-F. P. : C’est un partenariat de cinq ans avec l’objectif à terme d’équiper l’ensemble des médecins du groupe. CYPATH est un groupe de 60 pathologistes répartis dans l’Est de la France, de Marseille à Thionville, avec un grand pôle d’une vingtaine de pathologistes à Lyon. L’idée est d’optimiser les plateaux techniques, c’est-à-dire la fabrication des lames, des tissus et leur scan alors que les médecins sont dans différents endroits. Il est donc nécessaire de répartir la charge de travail et de faire circuler l’information, notamment sur les cas complexes. Nous allons procéder par vagues. Pour l’instant, nous nous occupons du plateau central, avec une mise en production en fin d’année/début d’année 2022 pour les deux tiers des pathologistes de Lyon. C’est un projet très structurant pour nous. Aujourd’hui, les laboratoires privés voient la pathologie numérique comme un outil nécessaire à la poursuite de leur activité. On est à un point d’inflexion dans l’industrie. Les technologies sont suffisamment matures, le business case et le retour sur investissement aussi. Aujourd’hui, 95% des pathologistes travaillent encore au microscope mais dans cinq ans, on sera à moins de 50%. Combien coûte le passage au numérique ? J.-F. P. : Pour un laboratoire de pathologie de taille standard, avec une quinzaine de pathologistes, le passage au numérique représente un investissement d’environ 500 000 € : 300 000 € pour l’achat de scanners, 100 000 € pour la partie logicielle et l’accompagnement au changement et 100 000 € pour l’infrastructure informatique avec des investissements pour le stockage, les serveurs, les PC et des GPU si on veut faire de l’IA. Chez TRIBVN Healthcare, nous favorisons également une adoption progressive pour maîtriser les budgets et proposons des solutions de financement en mode SaaS pour lisser l’impact financier. Comment évaluer le ROI ? J.-F. P. : En fonction de l’efficience générée derrière. Entre les économies que l’on a sur le préanalytique, la réorganisation du plateau technique, la réduction de transport des lames, le gain de temps du médecin, le travail à distance… On est tout à fait capable de justifier un retour sur investissement. On a aujourd’hui un modèle économique pour la pathologie numérique, c’est pourquoi cette transformation de fond va s’accélérer. En se transformant, nos clients constituent de plus un actif qui est la donnée. L’accès aux données est également un levier de financement. Il s’agit de données de vie réelle en oncologie ou sur des maladies complexes. Cela intéresse beaucoup la recherche pharmaceutique. En se transformant, nos clients constituent un actif qui est la donnée. Selon le nouveau rapport d’étude de marché “Digital Pathology Market by Product”, le marché de la pathologie numérique devrait atteindre 1,054 Md$ d’ici 2025. Qui sont vos concurrents aujourd’hui ? Craignez-vous les projets des GAFAM en santé ? J.-F. P. : Les GAFAM ne sont pas des concurrents aujourd’hui. Ils sont plutôt en retrait sur ce type d’approches très verticales et centralisées. Ce marché reste un petit marché à l’échelle mondiale, d’autant que ce milliard se divise en trois parties : les scanners, les logiciels et l’IT. Nos concurrents viennent soit de la radiologie, comme Philips, soit du laboratoire, comme Leica. Ces derniers acteurs qui, historiquement, vendent des microscopes doivent se repositionner dans la nouvelle chaîne de valeur. Demain, il n’y aura plus de microscopes dans les laboratoires ! Nous appartenons à un troisième type d’acteurs que sont les pure players. Il y a une dizaine d’acteurs qui sont à peu près les mêmes depuis 3-4 ans. Qui sont vos clients et quelles sont vos cibles ? J.-F. P. : Nous nous positionnons comme un acteur de la transformation digitale. Ce qui nous différencie de nos concurrents, c’est la notion de plateforme et de services. Nous visons des laboratoires d’au moins 15 pathologistes engagés dans une transformation organisationnelle, car nous pensons que pour tirer parti de la transformation numérique, il est nécessaire de l’inscrire dans une transformation globale. Historiquement, nos clients sont les CHU et les centres de lutte contre le cancer : l’AP-HP, Gustave Roussy, Léon Bernard, le CHU de Montréal, les hôpitaux Erasme à Bruxelles etc. Et, de plus en plus, les laboratoires privés comme CYPATH, Cerba… C’est notre cœur de cible. Nous visons également les biotech et la pharma, afin qu’elles intègrent de plus en plus systématiquement les données histopathologiques dans leurs processus précliniques et leurs essais cliniques. Sur quels développements travaillez-vous actuellement ? J.-F. P. : La moitié des ressources de l’entreprise est consacrée à la R&D. Notre vision est d’être l’Outlook du pathologiste, c’est-à-dire l’outil que l’on démarre le matin qui centralise les listes de travail, les cas à lire, les cas déjà validés etc. en ayant une vision globale de la charge de travail qui nous a été attribuée. Notre volonté est de faire de CaloPix et de nos outils la station de travail qui accompagne le pathologiste dans toute sa dimension. On part de l’image mais on va ensuite lui amener tout ce dont il a besoin pour prendre une décision diagnostique et éclairer au maximum la décision thérapeutique, avec les éléments du compte-rendu, les altérations génomiques etc. Ceci pour avoir une vision holistique du patient. Pour devenir l’outil du quotidien du pathologiste, nous travaillons beaucoup sur l’ergonomie, la simplicité d’utilisation et l’expérience utilisateur de notre plateforme. Plus la pathologie numérique se démocratise, plus il faut des outils simples. C’est ce qui nous permettra de nous démarquer car demain, tout le monde aura un viewer et zoomer dans une image ne suffira pas pour se différencier. Nous investissons également beaucoup sur l’IA pour préscreener les lames et guider le pathologiste, aller chercher directement le modèle de compte-rendu pertinent et automatiser les tâches répétitives. Aujourd’hui, nous avons une place centrale qui nous permet de contrôler l’expérience utilisateur, y compris jusqu’à l’algorithme d’intelligence artificielle qui ne sera pas le nôtre. Réalisez-vous cela en interne ou comptez-vous investir dans des start-up ? J.-F. P. : Tous nos développements sont réalisés en interne. Nous avons fini premier du Data Challenge de la Société Française de Pathologie en 2020, et 1er industriel d’un challenge MICCAI sur les mitoses cette année. Nous voulons avoir cette excellence en IA car nous pensons que c’est essentiel pour nos clients, notamment pharmaceutiques, d’avoir un partenaire capable de comprendre les enjeux derrière l’IA, en matière de collecte et de structuration des données notamment. On ne fera pas tout car l’IA est un champ très vaste. Depuis le début, notre philosophie est d’avoir une plateforme ouverte. Nous sommes capables de connecter notre solution à tous les scanners, quelle que soit la marque. Idem avec le système d’information de l’hôpital : nous travaillons avec l’environnement de nos clients, avec des protocoles standardisés de communication. Nous voulons avoir la même ouverture avec l’IA. Nous avons développé une API qui permet de connecter des algorithmes tiers. Prochainement, nous allons intégrer un algorithme d’Owkin. Beaucoup de start-up étrangères spécialisées en IA sont intéressées car elles ont un enjeu de diffusion et d’accès aux données. Le dernier échelon passe par nous. Cette notion de hub d’IA est essentielle. Aujourd’hui, nous avons une place centrale qui nous permet de contrôler l’expérience utilisateur, y compris jusqu’à l’algorithme d’intelligence artificielle qui ne sera pas le nôtre. Quels sont vos projets à court terme ? J.-F. P. : Après une série A en 2019 et une levée de fonds avec LBO France (Fond Digital Health) comme actionnaire principal, nous sommes en train de préparer une série B, avec l’objectif d’accueillir des VC étrangers. Nous voulons nous renforcer et étendre notre réseau commercial dans les territoires que nous couvrons déjà (Europe francophone, anglophone et germanophone, Canada) mais aussi créer une filiale aux Etats-Unis. C’est l’un de nos objectifs pour 2022. Nous avons entamé les démarches pour mettre à niveau le système qualité et voir sur quel predicate se positionner pour obtenir l’agrément de la FDA. Enfin, nous dévoilerons la dernière version de CaloPix le 11 octobre prochain. Ce sera le socle de notre développement commercial pour les années à venir : design très ergonomique, architecture web robuste et natif IA. Jean-François Pomerol Depuis 2015 : Président-Directeur Général de TRIBVN Healthcare 1999-2015 : Directeur de TRIBVN 1997-1999 : Analyste financier à la Société Générale TRIBVN Healthcare en chiffres Créée en 2011, la société compte aujourd’hui une quarantaine de personnes. Le siège est à Paris, une filiale a été lancée à Montréal Entre 2 et 5 millions CA /an +200 clients essentiellement des hôpitaux, des laboratoires privés, des centres de lutte contre le cancer, des universités et des biotech pharma : AP-HP, Gustave Roussy, Paris-Saclay, les hôpitaux d’Erasme à Bruxelles, le CHU de Montréal, l’hôpital des enfants de Toronto, la Cleveland Clinic, Sanofi, Servier, Cypath, Cerba, Transgene ou encore la fondation Imagine. Sandrine Cochard anatomie pathogiqueImagerie médicaleIntelligence ArtificielleOutils numériquesStratégie Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Jean-Marc Bourez dévoile les premiers membres du Venture Centre of Excellence d’EIT Health France Dossier [Étude exclusive mind Health] Quels industriels se sont le plus emparés des technologies numériques dans leurs essais cliniques ? Étude de cas Comment le CHU de Lille s’est appuyé sur Docaposte pour dématérialiser le recueil et la gestion du consentement patient Tribvn Healthcare annonce une compatibilité avec Microsoft Azure