Le contexte
Une presse libre, indépendante et forte est un prérequis essentiel au bon fonctionnement de la démocratie. C’est d’autant plus vrai en période de crise géopolitique telle que la guerre actuelle en Ukraine où les médias sous le joug d’un État se font le relais d’une propagande politique destinée à orienter l’opinion publique et internationale. La presse avait déjà été mise à l’épreuve avec la crise sanitaire du Covid-19, durant laquelle elle a dû lutter contre la désinformation sur la pandémie et ses vaccins. En parallèle, le contexte économique incertain lié à ces événements a fragilisé le modèle économique des médias déjà fragilisé, notamment par le poids de plus en plus important des plateformes numériques. D’une part via l’effondrement des investissements publicitaires en temps de crise, qui représentent une source de revenus majoritaire pour ces acteurs. D’autre part via les mouvements de concentration qui ont lieu lorsque seuls quelques acteurs – ayant tout intérêt à orienter le récit médiatique – peuvent soutenir financièrement les médias.
Ajoutée à cela la prolifération des fake news et de leur audience face à l’accélération des usages médias en ligne, la confiance dans les médias des citoyens n’est pas acquise. Selon le baromètre sur la confiance dans les médias de Kantar pour La Croix, moins de la moitié des Français (47 %) estimaient en 2022 que “les choses se sont passées” comme les médias le racontent (contre 41,5 % en 2021). Une confiance qui va de pair avec l’équilibre économique des médias. Pour apporter des garanties aux deux, la législation française est mise à jour (concentration des médias, aides à la presse…), tandis que l’Europe va appliquer ou prépare de nouveaux textes dans ce sens (DSA, Media Freedom Act…).
Les enjeux
Protéger l’indépendance des médias
La question des propriétaires des médias est centrale, en témoigne l’intérêt porté à leur cartographie. De là découlent plusieurs enjeux. D’une part la concentration des médias, du fait qu’un grand nombre de titres appartiennent à un petit nombre de propriétaires, souvent de grandes entreprises industrielles, de riches familles ou aux États qui ont intérêt à ce que la couverture éditoriale soit en leur faveur ou en celle de leurs activités. Cette concentration implique par ailleurs un risque pour le pluralisme des points de vue portés dans les médias, et plus largement pour le pluralisme représenté dans l’ensemble du paysage médiatique, les médias aux capacités financières plus réduites ayant plus de mal à faire le poids face à de gros groupes. Lorsque les médias sont possédés par des grands groupes se pose la question de leur gouvernance, pour garantir que, malgré leur actionnariat, ils demeurent libres de leur ligne éditoriale et d’une éventuelle ingérence en cas de couverture éditoriale sur des thématiques contraires aux intérêts des propriétaires et des sociétés qui participent à leur financement via la publicité.
Les réglementations : en France, le principal texte encadrant l’indépendance des médias est la loi sur la liberté de communication, dite loi Léotard. Datée de 1986, elle est considérée comme obsolète aujourd’hui en raison de la profonde évolution du paysage médiatique ces quarante dernières années. Malgré les recommandations de réécriture ou de mise à jour formulées par plusieurs rapports, aucune n’a pour l’instant passé le stade de l’examen législatif. Au niveau européen, une proposition de règlement, dite Media freedom act, est actuellement étudiée au sein de la Commission européenne, va également dans ce sens, en insistant aussi sur la protection des journalistes et le financement du service public.
Rendre plus viable le financement des médias
Tous les enjeux précédemment cités sont liés au financement des médias. Ces derniers sont des entreprises dont l’activité est en effet rarement rentable, et à l’inverse nécessite des investissements relativement importants et continus (la masse salariale des journalistes notamment). Des investissements durs à financer en raison des modèles économiques des médias : la publicité, très sensible au contexte économique et qui expose à des pressions de la part des annonceurs ; les abonnements payants, encore relativement peu acceptés par les lecteurs partout dans le monde ; et les investissements d’entreprises, de fonds ou d’investisseurs particuliers qui posent la question de l’indépendance. Les mécanismes de financement public des médias, en plus de médias publics, permettent donc d’assurer une base financière.
Les réglementations : en France, les aides à la presse font régulièrement l’objet de tentatives de réforme pour mieux participer au pluralisme des médias ou s’assurer qu’elles financent du journalisme et non des supports majoritairement publicitaires – c’est le cas depuis un décret publié fin 2021.
Aider les médias à résister à la concurrence des grands acteurs du numérique
Les récentes évolutions réglementaires visent aussi à rééquilibrer le paysage médiatique qui a profondément évolué ces vingt dernières années avec l’arrivée des grandes plateformes numériques (réseaux sociaux, services de streaming…). Outre l’audience qu’elles génèrent et donc les revenus publicitaires qu’elles en tirent, au détriment des médias, certaines s’appuient sur la reprise de contenus de médias, sans les rémunérer ou du moins de façon encadrée.
Les réglementations : c’est pour répondre à ce dernier point que le Parlement et le Conseil européen ont émis en avril 2019 la directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, transposée dans la loi française en juillet 2019. Quatre ans plus tard, son application fait toujours l’objet de négociations, après des sanctions de différentes autorités en France et à l’étranger, entre les plateformes et les éditeurs de contenus. Sur d’autres volets, citons également le DSA et le DMA qui visent à mieux réguler les plateformes, et qui commencent déjà à s’appliquer.
Empêcher la prolifération des fake news
Le DSA comporte également des dispositions pour lutter contre la propagation de contenus illicites et des fake news en ligne, en particulier lorsqu’elles sont diffusées sur les plateformes. L’objectif est d’améliorer les mécanismes de signalement puis de retrait de ces contenus, tout en asséchant leurs revenus publicitaires.
Les réglementations : en France, le rapport sur Les Lumières à l’ère numérique dit rapport Bronner, remis début 2022, a recommandé une série de mesures qui comprennent notamment l’engagement de la responsabilité civile des internautes diffusant sciemment des fake news ou le renforcement de l’éducation aux médias.
Les chiffres clés
- L’ensemble des médias d’information français appartiennent à une trentaine de propriétaires, selon la cartographie du Monde diplomatique mise à jour pour la dernière fois fin 2022
- 47 % des Français déclaraient avoir confiance dans les médias en 2022, selon le baromètre de Kantar pour La Croix, contre 41,5 % en 2021
- En 2021, 431 titres de presse français ont reçu une aide à la presse pour un montant total de 91,5 millions d’euros, selon les données publiées par le ministère de la Culture
- La monétisation publicitaires de sites de désinformation leur aurait rapporté 25 millions de dollars durant la pandémie de Covid-19 en 2020, selon une étude Global Disinformation Index