Accueil > Marques & Agences > Comment les agences créatives s’emparent de l’intelligence artificielle générative Comment les agences créatives s’emparent de l’intelligence artificielle générative L’intelligence artificielle générative bouscule la création publicitaire. ChatGPT, Dall-E ou encore Midjourney se sont rapidement intégrés aux routines professionnelles des agences créatives. Comment utilisent-elles ces outils ? Pour quels clients et quelles campagnes ? Quel est leur premier bilan ? Nous avons interrogé Ogilvy, Publicis Conseil, BETC Fullsix et McCann Paris, qui partagent leur vision et les défis organisationnels, éthiques et juridiques qui restent à relever. Par Charlène Salomé. Publié le 19 juillet 2024 à 15h25 - Mis à jour le 19 juillet 2024 à 15h25 Ressources Décrite comme un outil précieux dans l’amélioration de la créativité, l’intelligence artificielle générative suscite un fort intérêt dans le secteur de la publicité. Face aux nouvelles opportunités promises par l’IA, les agences investissent massivement dans ces nouvelles technologies. WPP, société mère de l’agence créative Ogilvy, a annoncé investir un peu plus de 300 millions de dollars dans l’IA en 2024, et Publicis 300 millions d’euros sur trois ans, en plus des 8 milliards d’euros qu’elle a déjà consacrés à l’acquisition d’entreprises spécialisées dans l’IA, telles que Sapient et Epsilon. Toutes les agences interrogées par mind Media ont déjà lancé des campagnes publicitaires utilisant l’IA, mais elles restent encore anecdotiques, et toutes disposent d’unités se concentrant uniquement sur ce sujet. Elles soutiennent que ces nouveaux outils créent de nouvelles opportunités dans la production de contenus, le brainstorming, la création de pitchs, la présentation des idées aux clients, et qu’en impactant l’ensemble de la chaîne créative, ils permettent de vrais gains d’efficacité. Mais les cas d’usage sont encore en cours d’exploration. Un outil au service de la créativité publicitaire “Aujourd’hui, il y a peu de sujets qu’on conçoit spécifiquement comme des projets IA. C’est comme dire qu’on mène des projets internet, ça n’a pas de sens, affirme Xavier Blairon, président de Prose on Pixels (POP) France, le réseau de production d’Havas fondé sur l’IA, et directeur général de BETC Fullsix. Nos équipes se servent désormais de l’outil Adobe Firefly tous les jours pour ajouter de la matière.” L’intelligence artificielle générative a conquis les agences, qui l’utilisent à différentes étapes de la chaîne créative. “Nous la travaillons comme un outil au service de nos ambitions créatives”, indique Julia de Sainte Marie, managing partner en charge de l’expérience et du pôle AI.Lab chez Ogilvy Paris. Les agences l’utilisent surtout aux stades d’idéation et de présentation des projets. “C’est un formidable partenaire de brainstorming”, reconnaît Pierre-Jean Bernard, directeur du pôle digital et social, également chargé de l’IA chez McCann Paris. “L’IA générative est beaucoup utilisée pour la conception d’idées et les maquettes. On produit encore assez peu de campagnes en l’état car il y a beaucoup d’interrogations légales autour de la propriété intellectuelle”, observe-t-il. En formalisant les idées des créatifs de manière simple et rapide, elle permet d’augmenter la qualité des présentations. “Nos créatifs utilisent la GenAI pour travailler des storyboards, mettre en scène les ‘big ideas’ et finalement permettre au client de mieux se projeter”, précise Julia de Sainte Marie. Julie Hardy (The Brandtech Group) : “Nous avons pris beaucoup d’avance sur l’IA générative grâce à l’acquisition de Pencil” Mêmes usages chez Publicis Conseil. Pour son président Marco Venturelli, qui explique l’utiliser avant tout “dans un cadre interne”, l’IA générative n’est d’ailleurs “pas une révolution, mais une évolution”. “Elle est exceptionnelle pour automatiser des tâches pratiques et assez techniques, comme la déclinaison des formats ou la traduction d’assets destinés aux réseaux sociaux dans différentes langues”, précise-t-il. Si la technologie est beaucoup utilisée en amont et en aval des phases de travail, elle l’est encore assez peu pour l’entière production des campagnes. “C’est bien pour illustrer un concept, mais pour créer un spot publicitaire, ce n’est pas encore au niveau. L’IA ne remplace pas les créatifs et ne permet pas de mener une campagne de A à Z”, insiste Pierre-Jean Bernard chez McCann Paris. Combiner les IA pour obtenir des contenus différenciants Les outils d’IA générative comme Dall-E et ChatGPT d’Open AI, Adobe Firefly, Gemini et Imagen de Google, ou encore le générateur d’images sous licence BRIA ont intégré les routines professionnelles des agences. Elles utilisent également des outils générateurs de vidéos comme Runaway ou encore Sora. Pour Xavier Blairon, la création avec ces outils fait appel à “un mélange d’IA et de technicité métier”. “Sur le son, par exemple, on va combiner plusieurs IA, mais aussi retravailler manuellement les pistes pour arriver à un résultat intéressant. C’est de l’orfèvrerie”, insiste le président de POP. IA générative : Schibsted va multiplier les outils intégrés au CMS Dans un marché dominé par une poignée d’acteurs, ce n’est pas une seule IA générative, mais plutôt une combinaison d’IA que les agences utilisent pour livrer des contenus de qualité et différenciants à leurs clients. Chez McCann Paris, Pierre-Jean Bernard rappelle la nécessité de “tester des outils plus confidentiels pour obtenir des cas d’usage plus spécifiques”. Publicis, et récemment WPP, ont intégré le grand modèle de langage Claude, développé par Anthropic, entreprise rivale d’OpenAI, au sein de leur environnement de travail, une plateforme sécurisée et propriétaire. “Chez Ogilvy, on utilise le portail WPP Open, qui est un système d’exploitation propriétaire, dans lequel on va avoir accès à des outils d’IA générative sécurisés, en phase avec notre politique interne de sécurité des données”, explique Julia de Sainte Marie. Même précaution chez ses homologues. “Tous ces outils sont mis à disposition de nos collaborateurs de manière encadrée au sein de notre plateforme Marcel, qui permet de protéger les clients des dangers liés au respect des droits d’auteur”, précise Marco Venturelli, président de Publicis Conseil. Un cadre réglementaire encore en définition De l’avis de tous les interlocuteurs interrogés, les vraies limitations de l’IA générative ne sont pas technologiques, mais bien éthiques et juridiques. “Le sujet de fond, qui est légal et philosophique, doit être réglé au niveau international et dépasse notre industrie”, rappelle Marco Venturelli chez Publicis France. La question des droits d’auteur sur les données utilisées pour entraîner les systèmes d’IA générative n’a pas encore été résolue. Certaines marques craignent ainsi de s’exposer à de graves répercussions juridiques. “Certains clients ont établi des règles internes qui interdisent l’usage de l’IA, d’autres la plébiscitent. Nous restons vigilants sur l’utilisation de l’IA pour protéger la réputation du client et toujours en respectant les droits liés à la propriété intellectuelle”, poursuit-il. Toutes les agences créatives se sont dotées d’une charte établissant les DO et DON’T en matière d’IA générative, et ont identifié les plateformes avec lesquelles elles souhaitent travailler. “Le service juridique d’Ogilvy France participe activement à la réflexion globale au niveau du groupe WPP pour dessiner la liste des partenaires avec lesquels on a envie de travailler sur la GenAI. Il y a des plateformes plus ou moins sécurisées, dont les termes et conditions sont plus ou moins en phase avec nos règles internes”, indique Julia de Sainte Marie. Son usage nécessite des discussions au cas par cas avec les clients, selon leurs besoins et leurs propres feuilles de route. “Toute utilisation de l’IA générative est transparente et validée en amont par nos clients”, assure Xavier Blairon pour BETC Fullsix. Comment Prisma Media teste un chatbot alimenté par l’IA générative sur son site Ça m’intéresse Ces discussions préalables à la signature des contrats concernent les guidelines internes des clients – “certains clients refusent de générer des images de visage via l’IA générative”, cite Pierre-Jean Bernard chez McCann Paris – mais aussi les conditions générales d’utilisation, qui diffèrent d’un outil à l’autre. Le cadre réglementaire est encore en définition, et l’usage de l’IA fait l’objet d’allers-retours entre l’agence et l’annonceur. Rendre l’IA accessible à l’ensemble des collaborateurs Les agences créatives développent des offres dédiées autour de l’intelligence artificielle générative : Ogilvy a lancé le AI.Lab, BETC Fullsix et Prose on Pixels se sont associés pour créer un studio IA. De son côté, McCann Paris a annoncé un partenariat stratégique avec le studio [Ai]magination. Elles sont un moyen de concentrer des experts sur le sujet, rapidement identifiables, mais aussi de déployer une approche transversale autour de l’utilisation de ces nouveaux outils, qui évoluent rapidement. L’accélération de l’IA générative touche une grande partie des métiers au sein des agences. “L’IAGen et ses fonctionnalités sont en train d’être injectées dans l’ensemble des outils qu’on utilise, autant dans les outils bureautiques que les navigateurs web ou les logiciels pour capter de la vidéo et du son”, observe Pierre-Jean Bernard chez McCann. Pour sensibiliser les équipes aux bouleversements induits et les faire monter en compétences, des formations sont organisées. “Au niveau EMEA, on a mis en place l’IA Academy. Ogilvy Paris est chargé de la formation des équipes créatives, commerciales ou encore support, explique Julia de Sainte Marie. On est convaincu que l’IA doit être partagée de façon transverse et doit intégrer l’ensemble des métiers au sein de l’agence.” Chez BETC Fullsix, “une formation par semaine” est organisée sur différents angles du sujet : “d’un point de vue consommateur, tendance, juridique, création”, détaille Xavier Blairon. Vers un nouveau modèle pour les agences ? Les gains d’efficacité permis par ces nouveaux outils devraient permettre d’augmenter les marges des agences, et la réduction du coût de création des publicités de toucher un marché d’annonceurs plus large, composé de grands groupes mais aussi de plus petites entreprises. Pour le moment, les campagnes basées sur l’intelligence artificielle générative sont surtout le fait de grands groupes – Nestlé avec sa campagne La Laitière, Cola-Cola, Tinder ou encore Orange – mais séduisent également les plus petites structures. “Il y a neuf mois, on a créé pour l’association Adapt, qui avait peu de budget, une campagne impactante sur le handicap grâce à l’IA générative”, illustre Xavier Blairon (BETC Fullsix). L’IA générative permet également de surmonter certains obstacles techniques et financiers. “Elle nous permet de faire des choses qu’on ne pouvait pas faire avant, pour des raisons de prix ou de délais”, poursuit Xavier Blairon. En ouvrant la voie à la conception rapide d’images, elle permet aux agences de s’affranchir de certains tournages complexes et/ou lointains. Pour une campagne Yves Rocher à venir, McCann Paris a ainsi pu créer des images de molécules, “de manière esthétique mais en se débarrassant de la complexité de ce genre de séances photo”, reconnaît Pierre-Jean Bernard. Cependant, pour le moment, le processus créatif n’est pas moins chronophage, ni plus économique. “Si, à terme, ces outils nous permettront de gagner du temps et de l’argent, pour le moment ce n’est pas encore le cas, car on passe du temps à comprendre, identifier et rechercher”, insiste Xavier Blairon. Pierre Harand (Fifty-five) : “La moitié des données de campagnes qui alimentent les IA génératives sont mal qualifiées” Parmi les grandes attentes des agences, on peut citer les nouveaux outils de génération de campagnes vidéo comme Sora d’OpenAI, et plus largement la production industrielle des campagnes et l’hyper-personnalisation publicitaire. “L’IA va permettre de répondre à la promesse faite il y a 20 ans, sur la personnalisation de masse, à savoir proposer le bon contenu à la bonne personne au bon moment”, note Xavier Blairon. Mais pour le directeur général de POP, cette hyper-personnalisation de masse s’accompagne d’une démarche responsable : “il ne s’agit pas de produire juste pour produire, mais de produire uniquement ce qui est utile et efficace, pour le consommateur et l’annonceur”. Pour garantir la pertinence du contenu, les annonceurs pourront alors s’appuyer sur les agences : “cette intelligence à produire va devenir primordiale car les outils de production seront démultipliés”, conclut-il. Pour les interlocuteurs interrogés, l’IA générative promet dans tous les cas de renforcer le rôle des agences, qui sauront s’adapter et minimiser les risques de violation du droit d’auteur ou d’atteinte à la réputation. “Le délai entre le brief et la livraison des contenus va devenir plus court, exposant les marques à des risques”, prévient Marco Venturelli, pour qui les agences serviront de “pilotes stratégiques et créatifs de haut niveau pour les accompagner et éviter les dérapages”. Pour le président de Publicis Conseil, à une “époque de démocratisation des moyens de production”, les agences créatives auront la capacité de se démarquer en capitalisant sur “leur talent et leur créativité”. C’était, en synthèse, le message passé par les agences lors du festival de la création publicitaire Cannes Lions 2024. Charlène Salomé Agences créativesIA générativeJuridiqueStratégies annonceurs Besoin d’informations complémentaires ? 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