Accueil > Marques & Agences > Jérémy Lamri (Tomorrow Theory) : “Les managers devront sensibiliser en permanence les collaborateurs et les challenger sur la façon dont ils utilisent l’IA générative” Jérémy Lamri (Tomorrow Theory) : “Les managers devront sensibiliser en permanence les collaborateurs et les challenger sur la façon dont ils utilisent l’IA générative” L’intérêt de l’industrie média et publicitaire pour l’intelligence artificielle générative et réel depuis l’ouverture au public de ChatGPT par OpenAI à l'automne 2022. Les premiers cas d’usages sont amorcés. Les outils se multiplient et vont modifier certaines pratiques en entreprise. Jérémy Lamri, cofondateur du Lab RH et du Hub France IA, également CEO du studio d’innovation RH Tomorrow Theory, explique comment ces technologies vont bouleverser les organisations du travail et les pratiques RH et à quels défis les directions des sociétés doivent se préparer, y compris au sein des agences, annonceurs, médias et adtechs. Par Nathalie Tran. Publié le 30 août 2023 à 18h48 - Mis à jour le 30 août 2023 à 18h48 Ressources En quoi les intelligences artificielles génératives vont-elles révolutionner le monde du travail ? Elles vont principalement le faire en permettant de produire à la vitesse de la pensée : l’effort de production qui est finalement le plus chronophage dans un processus de conception va être pris complètement en charge par la machine. Elles peuvent aider à automatiser des tâches qui nécessitent une analyse approfondie, ce qui peut permettre aux salariés de consacrer moins de temps à ces dernières. Elles peuvent également servir à accélérer le processus de décision en fournissant des informations et des analyses plus rapides. Mais, attention, leur utilisation productive, si elle peut créer de la valeur économique, ne va pas permettre aux gens de développer leurs compétences et leur connaissance. Elle fera juste d’eux des ouvriers de l’IA. Jérémy Lamri 2022 CEO et cofondateur, Tomorrow Theory2022 HR Tech Advisor, Job Teaser2015 CEO et cofondateur, Le Lab RH L’arrivée des IA génératives est-elle alors plutôt une opportunité ou un danger ? Dans toute innovation, il y a des aspects positifs et des aspects sur lesquels il faut porter attention parce qu’ils peuvent déstabiliser profondément le socle de la société. Il y a en revanche une autre utilisation plus vertueuse des IA génératives, qui est une utilisation réflexive et qui peut nous aider à répondre à des questions, exécuter des tâches mais surtout nous assister dans notre travail. Par exemple, je suis dirigeant, je dois prendre une décision et, plutôt que de demander à l’IA quelle décision prendre, je peux lui demander quelles questions je dois me poser pour bien prendre ma décision. Non seulement cette dernière me revient mais l’IA générative, dans ce cas, va développer ma réflexion, me permettre de mieux gérer mes capacités intellectuelles et ma charge mentale. En revanche, si je me réfère entièrement à elle pour prendre ma décision, il y a 9 chances sur 10 qu’elle ne comprenne pas suffisamment le contexte. La partie productive du travail, c’est celle qui va nous permettre peut-être de nous poser des questions et d’apprendre, pour que les tâches suivantes soient faites de manière différente ou soient plus pertinentes pour l’entreprise. Donc, à l’échelle de la tâche, l’artificiel va être très productif et très utile mais, à l’échelle de l’entreprise, il y a un risque que l’IA nous fasse perdre un peu de vue les sujets les plus importants et notamment le développement de nos compétences et de nos capacités de réflexion. Comment l’intelligence artificielle générative bouleverse les médias Vont-elles entraîner des destructions d’emplois ? Si elles vont entraîner des restructurations lourdes dans certains métiers – je pense par exemple à la conception et de la production graphique où une seule personne peut désormais réaliser le générique d’une série en quelques heures grâce à elles quand cela nécessitait une équipe de 15 personnes jusqu’ici – dans la plupart des emplois, il faut considérer ce que l’arrivée des IA génératives va permettre de libérer comme “temps de cerveau” et ce que l’on va pouvoir faire qu’on ne pouvait pas faire auparavant. Les employeurs auront le choix entre continuer comme avant avec moins de salariés ou explorer de nouveaux territoires et penser l’entreprise différemment. Il ne faut pas se leurrer, le côté productivité va prendre beaucoup de place, mais les entreprises intelligentes ne licencieront pas. Elles ouvriront de nouveaux sujets car elles ont une bataille à mener : celle de l’attraction et de la fidélisation des talents. À court terme, il va y avoir certainement des réductions de postes, mais les employeurs vont en revenir parce qu’ils auront du mal à recruter et se rendront vite compte qu’il est indispensable de trouver un équilibre entre la dimension productive et la dimension réflexive. Ce sera l’opportunité pour des entreprises de se démarquer. “Les personnes qui vont perdre leur emploi ne vont pas être détrônées par des IA génératives, mais par des gens capables de bien les utiliser” Quels vont être les métiers les plus concernés ? L’IA générative touche les métiers de la production intellectuelle à faible expertise. Demain, les experts qui apporteront un aspect original – quel que soit le type de compétences – auront de la valeur. Il en sera de même des personnes capables de coordonner un grand nombre de tâches en même temps. Les entreprises auront besoin en effet de chefs de projets pour coordonner le travail réalisé par les IA génératives ou de collaborateurs pour manager des freelances spécialisés dans la production rapide. Nous n’en sommes pas encore au stade ou l’IA remplace complètement les personnes, celles qui vont perdre leur emploi, notamment en Europe, dans les mois et années à venir, ne vont pas être détrônées par des IA génératives mais par des gens capables de bien les utiliser. Martin Sorrell (S4 Capital Group) : “L’intelligence artificielle générative va bouleverser les relations dans l’entreprise” En quoi l’arrivée des IA génératives va-t-elle transformer les pratiques RH ? Il n’y a pas un seul sujet RH qui ne sera pas impacté par les IA génératives. La paie, la contractualisation, le recrutement, la marque employeur, la formation ou la collaboration… Toutes ces activités vont évoluer. Prenons un exemple : actuellement, lorsque l’on doit faire paraître une offre d’emploi, on en ré-utilise une ancienne ou on en cherche une sur Google que l’on adapte pour la poster sur les différents sites d’emploi. Désormais, en fonction du poste pour lequel on recrute et des critères retenus, l’IA générative va permettre de créer des propositions d’offres d’emploi ciblées pour chaque support : Indeed, Monster, LinkedIn, Welcome to the Jungle, etc. Elle va permettre de mieux contextualiser, de gagner du temps et surtout de faire plus de choses qu’auparavant. Il en est de même pour les tests de recrutement : les IA génératives vont permettre aux éditeurs de proposer des millions de tests différents et de créer un test en fonction du candidat et du poste. De la même façon, les formations ne seront plus seulement adaptées à une entreprise, mais à une personne en particulier. Nous avons fait (avec Gaspard Tertrais co-auteur du livre Travailler à l’ère des IA génératives, éditions EMS, ndlr) un travail un peu prospectif avec GPT-4 en lui demandant d’identifier tous les métiers RH pour lesquels 80 % des tâches pourraient être effectuées par l’IA avec 80 % de probabilité. Nous sommes arrivés à une liste consolidée d’une vingtaine de métiers pour lesquels les opportunités de transformation sont très fortes. Ces métiers ne disparaîtront pas, mais ils devront embarquer beaucoup d’IA. Il sera donc nécessaire d’anticiper leur transformation, pour accompagner leur prise en main et penser des tâches humaines à plus forte valeur ajoutée. C’est le cas par exemple du métier de recruteur dont les activités de sourcing, présélection et évaluation des candidats seront remplacées à horizon 2025. Le risque pour les RH sera de perdre le lien humain. Ils vont devoir s’assurer que le temps gagné grâce à tous ces processus soit bien investi. Les responsables RH devront-ils développer de nouvelles compétences ? Si demain les professionnels des RH veulent créer rapidement ces différentes offres d’emploi par exemple, puis les mettre sur les réseaux et suivre les métriques, ils vont devoir apprendre à gérer des projets et être plus analytiques. Ils devront développer une culture beaucoup plus centrée sur la donnée, aussi bien quantitative que qualitative, car posséder de la data sur ce qu’on fait permet de s’améliorer dans le temps et de prioriser ce que l’on a à faire. Ce sujet devient indissociable de l’avenir de la fonction RH et cela va se traduire dans les années à venir sur leur capacité à attirer et fidéliser les talents. Pourquoi ? Parce qu’en 2023, un collaborateur veut avoir une vision précise des métiers qui peuvent lui correspondre au sein de l’entreprise. Pour cela, il a besoin que cette dernière connaisse ses compétences ainsi que celles de l’ensemble des métiers qui existent dans l’entreprise. Cette démarche peut sembler anodine, mais elle n’est possible aujourd’hui que dans de rares d’entreprises. Demain, un responsable RH qui n’utiliserait pas les IA génératives, ce serait comme un recruteur aujourd’hui qui ne se servirait pas des réseaux sociaux. Jeff Katzin (Bain & Company) : “Seules les applications de l’IA générative qui permettent à l’entreprise de se différencier vaudront la peine d’être explorées” “Demain, un responsable RH qui n’utiliserait pas les IA génératives, ce serait comme un recruteur aujourd’hui qui ne se servirait pas des réseaux sociaux” Quels sont les grands dangers potentiels associés à l’utilisation d’IA génératives ? Les IA génératives ont été entraînées avec tout un tas de données du passé qui peuvent être biaisées, ce qui peut amener à prendre des décisions discriminatoires en matière d’emploi, même si les modèles tendent aujourd’hui à être corrigés. Outre le risque de biais, la notion d’éthique varie d’un continent à l’autre. Suivant l’endroit où l’IA générative a été entraînée, le cadre peut être différent. Nous utilisons beaucoup d’IA américaines, ce qui veut dire que petit à petit nous pourrions être potentiellement influencés culturellement. L’utilisation des IA génératives pose aussi le problème de la confidentialité et de la sécurité des informations. Enfin, si un grand nombre de gens s’en remettent à ChatGPT pour prendre des décisions, la possibilité de prendre plus de mauvaises décisions ou des décisions biaisées existe. Je vois également un risque pour la santé mentale car si l’IA fait le travail à notre place, comment trouver du sens au travail ? Par ailleurs, si l’on travaille plus vite, il y aura aussi plus de choses à faire. La charge mentale va également augmenter. Devoir gérer dans la semaine non plus quatre sujets, mais 140, occasionne forcément plus de fatigue. Enfin, il existe un risque de rupture de la chaîne de compétences très important. Si demain un manager choisit d’utiliser l’IA parce qu’elle permet de travailler beaucoup plus vite sur un sujet que s’il est confié à des salariés juniors, ceux-ci ne pourront plus acquérir des compétences sur ce sujet. De fait, ils ne deviendront pas des seniors et les leaders de demain de l’entreprise. Le rôle des RH sera donc de s’assurer que les collaborateurs continuent à se développer même en utilisant l’IA. Comment les professionnels de la publicité envisagent l’usage de l’intelligence artificielle générative Quels garde-fous les employeurs devront-ils mettre en place ? Tout d’abord, les employeurs vont devoir outiller les collaborateurs, c’est-à-dire les équiper d’une IA sécurisée. Microsoft, par exemple, va bientôt proposer un cloud privé, ce qui évitera que les données ne sortent de l’entreprise. Ensuite, il faudra former le personnel mais aussi cadrer, c’est-à-dire mettre en place des règles précises sur ce qu’il est possible de faire et ce qui ne l’est pas. ChatGPT est un phénomène mondial et les salariés n’ont pas attendu leur employeur pour l’utiliser. Or, jusqu’à présent, très peu d’entreprises leur ont adressé un mail pour les mettre en garde sur son utilisation et instaurer de bonnes pratiques, comme ne pas indiquer le nom de l’entreprise ou ne pas faire de résumés de rapports de comex, par exemple. Beaucoup de développeurs codent à présent avec ChatGPT et, potentiellement, c’est de la propriété intellectuelle qui part dans la nature… Enfin, les managers devront sensibiliser en permanence les collaborateurs et les challenger sur la façon dont ils utilisent l’IA générative, à savoir notamment quelles questions ils doivent se poser. _____Cette interview a été publiée une première fois par mind RH, autre publication du groupe mind. Nathalie Tran AgencesInnovationsIntelligence artificielleOrganisationRHTransformation numérique Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Dossiers Comment les professionnels de la publicité envisagent l’usage de l’intelligence artificielle générative Entretiens Cécile Lejeune (VMLY&R) : Intelligence artificielle générative : "Les agences vont devoir modifier leur business model" Analyses Entretiens Jeff Katzin (Bain & Company) : Intelligence artificielle générative : “Seules les applications qui permettent à l'entreprise de se différencier vaudront la peine d'être explorées” Analyses Entretiens John Cosley (Microsoft Advertising) : “Nous voulons innover pour les consommateurs, les annonceurs et les éditeurs" Analyses Entretiens Pierre Calmard (Dentsu France) : "Les directions des achats chez l'annonceur ont souvent trop de poids au détriment des directions marketing" Comment l’intelligence artificielle générative bouleverse les médias Google déploie son intelligence artificielle générative Duet AI dans Workspace IA générative : les éditeurs d’informations américains attendent “des milliards” Dentsu s'associe à Microsoft pour utiliser l'IA générative Google veut créer une IA générative pour écrire des articles d’actualités OpenAI va participer au financement de l'info locale aux Etats-Unis Google lance Bard en français essentiels Nos synthèses et chiffres sur les principales thématiques du marché L’essentiel sur les identifiants publicitaires La transformation du marché publicitaire en 2024 2023 : le marché publicitaire doit se préparer à la fin du tracking utilisateur Comment l’intelligence artificielle générative bouleverse les médias Les enjeux réglementaires des médias en 2023 Intégrer la transition écologique dans les performances des médias et de la publicité Les enjeux réglementaires de la publicité en ligne en 2023 2023 : la transformation du marché publicitaire analyses Les articles d'approfondissement réalisés par la rédaction ENQUÊTE - La régie publicitaire du Monde a réduit ses effectifs de 8 % INFO MIND MEDIA - Le CESP va lancer sa certification Retail Data Trust Agence79 officialise la consolidation du budget média numérique de Carrefour Publicis et Omnicom, champions de la croissance au premier semestre 2024 INFO MIND MEDIA - Une levée de fonds d’environ 750 000 euros en vue pour le nouveau média The Big Whale Google reconnu coupable de monopole dans la recherche en ligne : ce qu'il faut retenir 24 lobbys enjoignent Bruxelles d’harmoniser le RGPD Outbrain acquiert Teads sur une valorisation d’1 milliard de dollars : les détails de l’opération Fin des cookies tiers : derrière l’annonce de Google, la méfiance du marché INFO MIND MEDIA - Marketing des abonnements : TBS Group rachète OwnPage data Les baromètres, panoramas et chiffres sur l'évolution du marché IA générative : quels éditeurs français bloquent les robots d’OpenAI et Google, lesquels ont adopté le protocole TDMRep ? 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