Accueil > Médias & Audiovisuel > Concentration dans les médias : un rapport préconise une régulation au cas par cas Concentration dans les médias : un rapport préconise une régulation au cas par cas Publié mi-juillet, le rapport qui avait été commandé par le gouvernement à l'Inspection générale des finances et à l'Inspection générale des affaires culturelles propose plusieurs évolutions structurelles pour concilier cadre concurrentiel, évolution des usages numériques et pluralisme de l'information, avec un rôle accru attribué à l'Arcom. Par Jean-Michel De Marchi. Publié le 29 juillet 2022 à 15h12 - Mis à jour le 02 août 2022 à 18h27 Ressources L’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) ont rendu mi-juillet leur rapport pour une éventuelle évolution des règles anti-concentration dans la presse et sur l’audiovisuel. Ils avaient été sollicités à l’automne par le gouvernement. Un cadre légal aujourd’hui “obsolète et complexe” La mission pose différents constats : “Le secteur des médias se caractérise par un degré de concentration hétérogène autant que par un fort niveau de pluralisme” “La santé économique des médias est la première condition du pluralisme et requiert un environnement concurrentiel équitable avec les nouveaux opérateurs et plateformes numériques” “Le cadre juridique du contrôle sectoriel des concentrations spécifique aux médias est obsolète, dans ses outils et dans son approche” “Un contrôle des concentrations spécifique au secteur des médias demeure nécessaire, mais l’approche actuelle basée sur des seuils fixés dans la loi n’est plus adaptée” Le dispositif anti-concentration sectoriel tel qu’il est actuellement pensé est à la fois “obsolète et complexe”, pointe le rapport. En effet, l’offre et les usages médias se sont aujourd’hui largement déplacés vers le numérique, tandis que le dispositif anti-concentration sectoriel ne s’applique qu’aux médias traditionnels, l’audiovisuel hertzien et la presse écrite. De plus, il repose sur une conception sectorielle des médias, observe la mission, avec une logique de silos, support par support (télévision, radio, presse). Cette conception fait donc l’impasse sur l’évolution du marché, ces 15 dernières années, vers une convergence entre médias et l’émergence de médias plurimédias ou globaux. “Le salut des médias passera par une information plus qualitative” La réforme proposée du contrôle des concentrations spécifique aux médias ne sera efficace qu’à trois conditions, soulignent les auteurs du rapport : assurer l’indépendance et l’honnêteté de l’information ; garantir un pluralisme d’exposition à travers, notamment, la régulation des algorithmes ; et enfin articuler le dispositif sectoriel français avec les éventuelles initiatives européennes en la matière, notamment le DSA. Insister sur “le pluralisme d’exposition” est un point notable : outre la nécessité de garantir la diversité des contenus – un objectif largement partagé – l’enjeu porte de plus en plus dans l’accès aux contenus médias, désormais totalement fragmentés sous l’effet du numérique. “L’exposition des consommateurs à ces contenus (…) peut être biaisée par les algorithmes de recommandation ou des équipements électroniques dédiés (par exemple le bouton Netflix sur la télécommande des téléviseurs ou un bouton d’autoradio Spotify)”, souligne la mission. Une régulation fine plutôt qu’une réglementation générale Le rapport tente d’apporter des réponses sur la façon de concilier protection du pluralisme de l’information et capacité pour les acteurs locaux à faire face à la concurrence, notamment étrangère, des plateformes et des grands groupes médias. Les deux peuvent d’ailleurs être liés : “La concurrence des grandes plateformes numériques génère un risque en matière de pluralisme, qui requiert une concurrence équitable avec les acteurs traditionnels et une régulation nouvelle au niveau européen”, observe la mission. Une fois le constat posé, le rapport repousse plusieurs pistes qui ont été évoquées dans de précédents rapports ou dans le débat public, toutes jugées inadaptées pour corriger le cadre actuel. Il écarte notamment un dispositif qui serait basé sur la seule audience réelle des médias : “Dans le contexte de numérisation et de convergence des médias, la mesure de l’audience s’est considérablement complexifiée (…) et elle ne saurait être, à elle seule, un indicateur satisfaisant en termes de pluralisme” en raison de la fragmentation des usages médias. Le rapport écarte également un dispositif qui serait basé sur des règles différentes pour chaque média (presse, radio, télévision) : “Dans le contexte de convergence des médias et d’émergence de médias globaux, présents sur tous les supports, l’approche en silos des seuils mono-médias, qui avait une justification en 1986, perd sa cohérence : par exemple, dans la mesure où la presse écrite produit également des contenus vidéo et audio, ceux-ci doivent être également pris en compte pour mesurer le poids d’un titre de presse dans la formation de l’opinion. Il existe certes des seuils pluri-médias, mais ceux-ci fonctionnent par addition de seuils mono-médias et non par agrégation de contenus de nature différente dans une même mesure.” Médias et publicité : les principaux chantiers réglementaires pour le gouvernement français Enfin les auteurs critiquent les défauts d’un dispositif basé sur des seuils anti-concentration fixés dans la loi, comme c’est le cas aujourd’hui : “La stabilité de la règle n’exclut pas des modifications du niveau du seuil ou de la méthodologie de mesure (…), et les seuils ne permettent pas un “réglage fin” du secteur, par exemple en autorisant une opération sous conditions comme peut le faire l’Autorité de la concurrence,” voire en ayant “des effets contre-productifs en matière de pluralisme : par exemple, les règles applicables à la radio pourraient empêcher l’arrivée d’un réseau national dans une zone où l’offre de services de radio est pauvre.” Des propositions vers plus de souplesse Parmi ses recommandations, la mission suggère d’élargir le champ de l’article 7 de la loi du 1er août 1986 aux services de presse en ligne (SPEL) – le seuil qu’il prévoit ne s’applique qu’aux entreprises “éditant une publication de presse” – et d’étendre le périmètre de la réglementation des investissements étrangers en France à l’ensemble des médias d’information. L’article 7 de la loi du 1er août 1986 interdit en l’état la détention par un étranger (au sens d’étranger à l’Union européenne et à la la Communauté économique européenne, ndlr), directement ou indirectement, de plus de 20 % du capital ou des droits de vote d’une “entreprise éditant une publication de langue française”. “Les seuils spécifiques aux personnes extra-européennes devraient être conservés car ils poursuivent un objectif de souveraineté autant que de pluralisme”, rappelle la mission. Ces seuils limitent les possibilités de rachat de médias français par des acteurs étrangers afin de limiter l’influence ou l’ingérence étrangère dans la formation de l’opinion en France. Le rapport propose un contrôle accru pour le régulateur audiovisuel, l’Arcom : contrôler l’indépendance et l’honnêteté de l’information sur les chaînes TV, et apprécier au cas par cas l’impact sur le pluralisme d’une opération de concentration sur la base d’une analyse transversale et multifactorielle. Autre proposition de la mission : réaliser “une évaluation des dispositions protégeant l’indépendance et l’honnêteté de l’information”, “notamment des dispositions de la loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016”, constatant leur faible effectivité. Cette loi prévoit l’adoption obligatoire de chartes de déontologie par les éditeurs de presse ou de services audiovisuels, l’institution de comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information dans les sociétés de services audiovisuels, et la reconnaissance d’un droit d’opposition permettant aux journalistes de refuser les pressions et actes contraires à leurs convictions professionnelles. Elle prévoit aussi un contrôle accru pour le régulateur audiovisuel (l’Arcom) pour contrôler l’indépendance et l’honnêteté de l’information sur les chaînes TV. Enfin, et c’est le point le plus important, la mission préconise de refonder le dispositif sectoriel de contrôle des concentrations dans les médias en confiant à l’Arcom la responsabilité d’autoriser les opérations impliquant des médias d’information, “dans le cadre d’une approche caractérisée par sa plasticité et multifactorielle”. Concrètement, le contrôle des concentrations serait revu en passant “d’un contrôle rigide” comme c’est le cas aujourd’hui (à partir de seuils fixés dans la loi), à “une régulation sectorielle”, par exemple en autorisant une opération sous conditions d’engagements. Ces engagements pourront être comportementaux (le maintien de rédactions séparées…) ou structurels (la cession d’un titre d’information…). Sur ce point, le rapport cite en exemple le dispositif en vigueur au Royaume-Uni, où le rôle est conféré à l’autorité de régulation des télécommunications britannique (l’Ofcom). Le dispositif proposé ici ne s’appliquerait qu’aux seuls médias d’information, alors que les seuils actuellement en vigueur s’appliquent à tous les médias traditionnels. L’Arcom aurait donc un nouveau rôle : apprécier au cas par cas l’impact sur le pluralisme d’une opération, “sur la base d’une analyse transversale intégrant tous les médias d’information détenus par les parties notifiantes”. Cette appréciation s’appuierait sur une grille d’analyse multifactorielle comprenant des indicateurs tant qualitatifs (diversité des contenus, indépendance de l’information au regard des agissements passés, etc.) que quantitatifs (audience réelle, couverture, viabilité économique des opérateurs, parts d’attention, etc.), comme le pratique l’Ofcom aujourd’hui au Royaume-Uni. “Un objectif de transparence devrait être poursuivi quant à la méthodologie suivie pour examiner l’impact de l’opération sur le pluralisme aux fins de garantir une forme de prévisibilité pour les acteurs économiques, comme le pratique au l’Autorité de la concurrence dans le cadre de ses lignes directrices”, souligne le rapport. “L’indépendance des médias est un défi juridique mais aussi financier” Une dimension européenne Enfin la mission propose d’inscrire le dispositif proposé dans un cadre européen. De son côté, l’Autorité de la concurrence conserverait l’examen de l’impact de l’opération sur la concurrence. En cas de divergence entre les deux organes, l’opération serait bloquée. En soutenant les amendements apportés à la proposition de la Commission européenne visant à intégrer la prise en compte du pluralisme des médias dans les mécanismes de régulation des algorithmes du Digital Services Act ; En renforçant, dans le cadre du “Media Freedom Act”, la coordination et le dialogue entre les régulateurs européens concernant les opérations de concentration dans le secteur des médias et leur impact sur le pluralisme et leur indépendance. Plusieurs préconisations de la mission nécessitent une évolution législative. Celle-ci pourrait intervenir via la prochaine loi audiovisuelle. Le gouvernement devra maintenant se prononcer sur ses intentions. Il pourra également s’appuyer sur le rapport de la commission d’enquête sur la concentration des médias du Sénat, qui a rendu en mars sa synthèse. Parmi ses 32 propositions : la création d’un rôle d’administrateur indépendant dans les conseils d’administration des groupes détenant plusieurs médias, la prise en compte de la condition financière des groupes dont les titres bénéficient d’aides pour privilégier les médias indépendants, et l’obligation de publication des accords entre les éditeurs et les plateformes sur les droits voisins. Jean-Michel De Marchi Aides à la presseConcurrenceInnovationsLobbyingSites d'actualitéTransformation de l'audiovisuelTransformation des médiasTV Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Analyses Les principaux chantiers réglementaires qui attendent le prochain gouvernement français Tribunes gratuit "Le salut des médias passera par une information plus qualitative" Concentration des médias : la commission sénatoriale veut réformer la loi de 1986 Matthieu Pigasse propose un financement des médias par la BPI et l'IFCIC Dossiers gratuit Publicité en ligne : un rapport remis au gouvernement français propose différentes mesures très coercitives contre les plateformes Bruno Le Maire ne juge pas la concentration des médias "excessive" "L’heure est à la souveraineté française et européenne pour la publicité" Tribunes gratuit "Pour une réglementation des plateformes en position dominante" Analyses Dossiers Les start-up françaises des médias, de la publicité et de la culture ont levé 820,3 millions d'euros en 2021 L'idée de quotas publicitaires imposés aux annonceurs de nouveau évoquée Analyses Dossiers Google accusé de truquer le marché publicitaire en ligne : de nouveaux éléments mettent en cause son système d'enchères programmatiques Dossiers gratuit Comment les dirigeants des régies analysent le marché publicitaire post-covid Header bidding : la Commission européenne ouvre une enquête contre Google et Meta Analyses Les principales propositions pour le secteur des médias des candidats à l’élection présidentielle essentiels Nos synthèses et chiffres sur les principales thématiques du marché L’essentiel sur les identifiants publicitaires La transformation du marché publicitaire en 2024 2023 : le marché publicitaire doit se préparer à la fin du tracking utilisateur Comment l’intelligence artificielle générative bouleverse les médias Les enjeux réglementaires des médias en 2023 Intégrer la transition écologique dans les performances des médias et de la publicité Les enjeux réglementaires de la publicité en ligne en 2023 2023 : la transformation du marché publicitaire analyses Les articles d'approfondissement réalisés par la rédaction Adtech : ce qu’il faut comprendre du procès de Google aux Etats-Unis Recommandation, personnalisation des contenus, services technologiques… Cafeyn veut transformer son offre Le rapport des États généraux de l’information veut concilier économie des médias, indépendance et qualité de l’information Dmitry Shevelenko (Perplexity) : “Nous encourageons les éditeurs français à rejoindre notre programme de partenariats médias” ENQUÊTE - La régie publicitaire du Monde a réduit ses effectifs de 8 % INFO MIND MEDIA - Le CESP va lancer sa certification Retail Data Trust Agence79 officialise la consolidation du budget média numérique de Carrefour Publicis et Omnicom, champions de la croissance au premier semestre 2024 INFO MIND MEDIA - Une levée de fonds d’environ 750 000 euros en vue pour le nouveau média The Big Whale Google reconnu coupable de monopole dans la recherche en ligne : ce qu'il faut retenir data Les baromètres, panoramas et chiffres sur l'évolution du marché IA générative : quels éditeurs français bloquent les robots d’OpenAI et Google, lesquels ont adopté le protocole TDMRep ? Le panorama des sociétés spécialisées dans les technologies de l’e-retail media La liste des outils utilisés par les équipes éditoriales, marketing et techniques des éditeurs français Digital Ad Trust : quels sites ont été labellisés, pour quelles vagues et sur quel périmètre ? Panorama des offres AVOD alternatives Le détail des aides à la presse, année par année Ads.txt : la liste des relations établies entre les éditeurs français et les vendeurs et revendeurs programmatiques Les indicateurs financiers des grands groupes de communication Les levées de fonds des start-up des médias, du marketing et de la culture en France Les principales solutions de paywall dynamique