Accueil > Médias & Audiovisuel > DNI : comment Google a distribué les 140 M€ du fonds pour l’innovation dans l’information en Europe DNI : comment Google a distribué les 140 M€ du fonds pour l’innovation dans l’information en Europe 662 projets ont été soutenus financièrement par le programme Digital News Innovation de Google dans 30 pays européens entre 2016 et 2019. mind Media a analysé l'attribution des financements et les met en perspective avec des graphiques comparatifs. Par Jean-Michel De Marchi. Publié le 05 novembre 2020 à 15h55 - Mis à jour le 21 décembre 2021 à 17h38 Ressources Google a officiellement clôt jeudi 29 octobre 2020 le fonds européen du Digital News Innovation (DNI). Cet outil de financement avait été lancé par le groupe américain en 2016 dans le cadre de son programme Digital News Initiative, composé de trois piliers : un comité de réflexion avec les éditeurs autour de la conception de nouveaux outils digitaux – c’est dans ce cadre qu’a été créé le produit pour mobile Accelerated Mobile Pages (AMP) -, des formations gratuites pour les journalistes et rédactions à l’utilisation d’outils numériques, notamment ceux de Google, et le fonds européen. Le DNI est le prolongement européen du Fonds pour l’innovation numérique de la presse (FINP), mis en place entre 2013 et 2016, doté de 60 millions d’euros et limité à la France. Le fonds du DNI était doté, lui, d’un budget total de 150 millions d’euros. Il visait à favoriser la collaboration entre éditeurs et partenaires, développer de nouveaux formats éditoriaux et accélérer la monétisation des offres. mind Media dresse un bilan chiffré du fonds DNI à partir de ses rapports annuels, dont le rapport final du 29 octobre, ainsi que de nos différents articles et nos différents entretiens avec son directeur exécutif, le Français Ludovic Blecher (sa fiche LinkedIn). Comment a fonctionné le Fonds du Google DNI ? Google a accordé trois niveaux de financement en Europe selon la taille des projets soumis : Les projets “prototypes”, financés à 100 % par Google avec un budget plafonné à 50 000 euros, Les projets “medium”, cofinancés à 70 % par Google avec un budget plafonné à 300 000 euros, Les projets “large”, cofinancés à 70 % par Google avec un budget plafonné à 1 million d’euros. Le fonds était dirigé par Ludovic Blecher en qualité de directeur du DNI, par ailleurs ancien directeur des éditions électroniques de Libération.Google, qui ne prenait pas de part au capital des sociétés sélectionnées quelles que soient leurs tailles, a reçu et examiné un peu plus de 5 000 dossiers en trois ans. Le choix des projets à financer a été assuré par deux comités. Le premier, baptisé “équipe projet”, piloté par Ludovic Blecher et composé de cadres de Google et d’experts extérieurs, était chargé de sélectionner les projets prototypes et les projets intermédiaires. Elle a également effectué une pré-sélection des projets larges (1 million d’euros maximum) pour lesquels elle a formulé des recommandations auprès d’un second comité. C’est celui-ci, baptisé “Conseil du Fonds”, qui a sélectionné les projets d’envergure. Il était composé d’une quinzaine de personnes : des cadres de Google, des éditeurs et experts. Bruno Patino, président d’Arte en France et directeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po en était le seul membre français (sa fiche Linkedin). Il y a eu six appels à projets au total, soit environ un tous les six mois entre 2016 et 2019. 43 % des fonds distribués dans les 5 pays européens majeurs Sur les 150 millions d’euros de budget, 140,5 millions ont été attribués. Le solde, 9,5 millions d’euros (6 % de l’enveloppe), ayant été mobilisé pour “les frais généraux, le reporting et le partage de connaissance”. Sur un peu plus de 5 000 demandes reçues en trois ans, le fonds du DNI a financé ou cofinancé 662 projets médias dans 30 pays européens. Soit un taux d’acceptation des dossiers de l’ordre de 14 %. Rappelons que les éditeurs devaient dégager un budget pour les projets larges et medium – Google accordait les fonds de façon progressive et sur présentation de factures – en vue de développer des offres éditoriales ou des dispositifs techniques. Les équipes mobilisées sur les projets ne pouvaient pas être comptabilisées dans le budget prévu. 284 des 662 projets retenus, soit 43 %, proviennent d’organisations situées dans les pays qui sont traditionnellement considérés comme les cinq pays majeurs en Europe : Allemagne, Royaume-Uni, France, Espagne et Italie. Selon Google, 52 % des projets qui ont été soutenus en Europe sont dédiés au développement de nouvelles technologies, 21 % visent à lutter contre la désinformation, 15 % au lancement de nouveaux formats et 12 % à augmenter les revenus. La proportion est quasi-similaire en France. 20 % étaient des collaborations entre éditeurs et/ou start-up, l’un des effets de levier souhaités par le groupe américain lors de la présentation du fonds. 38 % des fonds versés à des structures qui ne sont pas des éditeurs médias Ces 662 projets ont été présentés en partie par des organisations professionnelles – des éditeurs médias – mais pas seulement : start-up, agences de presse, structures sans but lucratif, institutions académiques et acteurs individuels ont reçu 53,4 millions d’euros d’aides, soit 38 % des 140,5 millions d’euros attribués. C’était là aussi un objectif : aider au développement d’un écosystème d’acteurs autour des éditeurs traditionnels. Parmi les structures sans but lucratif dont le projet a été sélectionné figure notamment l’association française Reporters d’espoirs, pour la création d’un “hub du Journalisme de solutions”: une plateforme numérique qui mettra à disposition des journalistes, analystes et professionnels des médias, un ensemble de données, bases d’initiatives et de reportages, “afin d’aider ceux qui souhaitent progresser dans la voie d’un journalisme plus constructif”. Ce projet prototype (50 000 euros maximum alloué par Google) doit être présenté par l’association en novembre. En Allemagne, l’association à but non lucratif Correctiv a, elle, reçu un financement important (500 000 euros) pour son projet “CrowdNewsroom” qui vise à la création d’une plateforme de journalisme participatif : elle doit permettre de collecter et traiter des données envoyées par des citoyens contributeurs pour les utiliser dans des articles. Au global, le montant moyen accordé par Google s’est élevé à 210 000 euros par dossier retenu. Cette moyenne masque des disparités importantes selon les types de projet qui lui étaient soumis (prototype, medium, large) et donc les budgets nécessaires. Les médias les plus importants ont souvent proposé plusieurs projets au cours des trois ans d’existence du fonds, cumulant ainsi plusieurs financements. Certains groupes médias ont ainsi récolté quelques millions d’euros d’aides au financement pour plusieurs de leurs titres. 75 projets médias soutenus dans l’Hexagone C’est le cas, en France, du Monde, du Parisien, des Echos et du Figaro notamment, comme notre étude de 2019 sur les projets français financés par Google DNI le mettait en évidence. Graphique : Aymeric Marolleau / cellule Data Lab du groupe mind Selon nos estimations, les groupes Le Monde et Le Figaro ont ainsi reçu, chacun, entre 2 et 3 millions d’euros d’aides à l’innovation journalistique de la part du fonds du Google DNI entre 2016 et 2019, via 5 à 7 projets financés chacun. C’est le cas également de l’ensemble Les Echos – Le Parisien. Ces montants s’aditionnent aux quelques millions d’euros déjà reçus par chacun de ces groupes dans le cadre du FINP en France entre 2013 et 2016. En France, la somme totale de 20,1 millions d’euros a été accordée entre 2016 et 2019 par Google, soit 14 % du budget total du fonds. Ce montant a permis de financer ou cofinancer 75 projets présentés par 62 organisations. Soit une moyenne de 270 000 euros alloués par projet, avec là encore des variations importantes selon le type de projets soumis. A lire également Analyse – Qui sont les acteurs français sélectionnés depuis 2016 par Google DNI et pour quels dispositifs ? Data – La liste des 75 projets français soutenus par Google DNI de 2016 à 2019 Parmi les projets sélectionnés, le recrutement et la fidélisation des abonnés numériques étaient au centre des préoccupations (Le Monde, lire notre article, mais aussi Courrier International, L’Equipe, Les Echos – Le Parisien), ainsi que la personnalisation des offres (L’Équipe, CCM Benchmark, EBRA…), et l’amélioration de l’infrastructure technique (les CMS du Figaro et du Monde, le SSO du Geste…). La connaissance client a également été le cœur de nombreux projets (Prisma Media, Le Monde, Le Figaro…), et quelques autres ont porté sur des services audio (La Croix, Le Télégramme…) ou la création de nouveaux formats (Brief.me, Condé Nast, CosaVostra…). Pas d’innovations de rupture, mais un soutien budgétaire réel Il est difficile de faire un bilan qualitatif des 140 millions d’euros alloués par Google. Il y a eu peu ou pas d’innovation majeures, en rupture avec les pratiques existantes du journalisme numérique. Certains projets ont par ailleurs été abandonnés ou ne sont toujours pas lancés. Les fonds alloués ont plutôt permis l’accompagnement de tendances préexistantes (la data, les paywalls, l’audio) et beaucoup d’éditeurs ont bénéficié d’un effet d’aubaine – les projets étaient déjà lancés ou prévus. Un bilan qu’assume Ludovic Blecher : “Nous avons eu ce questionnement en interne ; nous nous sommes interrogés sur ce qu’est l’innovation et quelles doivent être nos attentes sur les “projets innovants” acceptés : une innovation de rupture ou une évolution réaliste de dispositifs qui apporte quelque chose en plus ? Nous avons finalement acté que l’innovation est relative au niveau de maturité et aux pratiques existantes, qui peuvent être très différents selon les pays et parfois même entre les organisations d’un pays. Nous avons donc laissé aux candidats la liberté de définir où se situe l’innovation dans leur projet et de nous en convaincre. Cela nous a paru plus juste et plus équitable. A fortiori s’il faut investir plusieurs centaines de milliers d’euros sur des projets radicalement nouveaux, plus risqués. Notre intention était plus simple : favoriser la créativité et la collaboration au sein des médias, entre les médias, et entre les médias et les start-up.” C’était la première mission que s’est donnée DNI à son lancement : accompagner les médias dans le développement d’initiatives concrètes et réalistes, en lien avec le marché, et encourager les initiatives de tout un écosystème de partenaires et d’acteurs différents. On peut supposer que les aides accordées par Google ont permis à tous les éditeurs médias, petits ou grands, de valider de nouveaux projets sur lesquels une incertitude budgétaire planait, ou de revoir leurs ambitions à la hausse. Son apport a également favorisé les initiatives au sein des structures les plus petites, y compris hors médias. La création du niveau de projets dits “prototypes”, que le fonds du DNI à financé à 100 % jusqu’à 50 000 euros, avait aussi pour objectif d’encourager la prise de risque et favoriser l’innovation de rupture. “Il y a eu, dans les dossiers financés, quelques projets très innovants et novateurs, souligne Ludovic Blecher. Parmi ceux-là, certains n’ont pas marché mais d’autres connaissent aujourd’hui un vrai succès, comme celui de la société britannique Trint qui propore un outil de speech-to-text très avancé.” TRINT : 400 000 euros reçus pour démocratiser le speech-tO-text dans les médias Trint est une société britannique fondée en 2014 avec des bureaux situés à Londres et Toronto. Elle a reçu en 2018 un financement de 400 000 euros du fonds du DNI pour accélérer le développement de son activité, la création d’une plateforme de speech-to-text amélioré, rendant le contenu retranscrit “multimédia, vérifiable, interrogeable, modifiable et partageable”. Sa plateforme repose sur l’intelligence artificielle et est destinée aux journalistes et producteurs de contenus afin de leur faire gagner du temps dans la rédaction de textes voire dans la production de vidéos à partir de contenus audio. Le modèle est payant en BToB et en BToC. Ses résultats sont jugés de meilleure qualité que ceux d’autres solutions, ce qui a convaincu l’agence Associated Press et plus récemment le New York Times de prendre une participation à son capital. L’outil sera déployé dans l’ensemble de la rédaction du journal américain. Parmi les autres clients de Trint : des médias, des marques productrices de contenus : Nike, The Associated Press, Airbnb, CNN, Spotify. Le fonds du Digital News Initiative est désormais clôt. Le programme Google News Initiative News (GNI) lui a succédé depuis 2018, avec un périmètre d’activité plus large, un rayonnement mondial et un financement équivalent à 300 millions de dollars. Il est dirigé de nouveau par Ludovic Blecher et rassemble désormais toutes les initiatives mondiales de Google qui sont destinées à favoriser la création et l’innovation au sein de l’information et des contenus. mind Media reviendra plus en détail la semaine prochaine sur les fonds accordés ces deux dernières années par le GNI. Google et les éditeurs, des relations de plus en plus paradoxales L’objectif pour Google avec cette nouvelle structure reste le même : favoriser le développement du journalisme numérique et de l’innovation, favoriser le développement d’un écosystème lié à l’information, accélérer la croissance des médias de taille modeste et aider au financement des médias pour améliorer ses relations avec les grands éditeurs et son image. Car les relations entre éditeurs médias et Google sont de plus en plus paradoxales, voire schyzophréniques. Tout en faisant cofinancer leurs projets et en nouant des partenariats, les grands éditeurs médias ont accentué leur pression ces deux dernières années sur le groupe américain, utilisant la voie contentieuse et le levier politique, même si des accords sont en cours de discussion en France et que d’autres ont été conclus dans le monde. La pression sur Google vient aussi et surtout, désormais, des autorités politiques en Europe, en Australie et aux Etats-Unis, pour une plus grande régulation de ses pratiques, présumées anti-concurrentielles. Le groupe est pointé du doigt pour son omniprésence dans l’accès aux contenus en ligne, la gestion des données et le verrouillage des outils publicitaires. L’enjeu entre Google et les médias : trouver le juste équilibre dans le partage de valeur générée par la production et la monétisation des contenus en ligne. SURMONTER LA CRISE mind Media lance un nouveau “hub” pour comprendre les nouveaux enjeux de la crise économique et publicitaire, présenter les chiffres clés du marché et les initiatives des acteurs : lire notre synthèse. Et sur notre site : #Surmonter la crise Jean-Michel De Marchi FinancementFonds GoogleGAFAMGoogle DNIInnovationsLobbyingSites d'actualitéTransformation des médias Besoin d’informations complémentaires ? 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