De retour du congrès HIMSS (Healthcare Information and Management Systems Society), qui s’est tenu du 17 au 21 avril à Chicago, le directeur exécutif de l’initiative @Hôtel-Dieu analyse les grands enjeux des hôpitaux à l’heure de la montée en puissance du numérique et de l’intelligence artificielle en santé.

Quel est l’élément qui vous a le plus marqué pendant cette édition HIMSS ?

L’omniprésence dans toutes les discussions de ChatGPT a été particulièrement frappante. Même si elles ne sont pas encore très présentes dans les produits, les technologies LLM (Large Language Model qui utilisent l’intelligence artificielle, le deep learning et d’énormes sources de données pour générer, résumer et prédire de nouveaux contenus, ndlr) interrogent tous les acteurs sur leur potentielle utilisation. Une rupture technologique majeure vient d’avoir lieu et les uns et les autres se demandent comment elle va pouvoir s’intégrer demain dans des univers numériques hospitaliers. Cela n’a rien d’évident puisque la santé est un univers qui a des exigences éthiques et des contraintes réglementaires très fortes.

Les technologies LLM pourraient-elles être rapidement utilisables dans le domaine hospitalier français ?

Ces technologies commencent à être matures, notamment les solutions utilisées pour générer automatiquement des comptes rendus de consultation à partir d’une simple captation de l’échange entre le médecin et son patient. Nous avons eu un échange avec 3M et il était intéressant de voir combien les soignants de la délégation ont été frappés par la qualité de ce qu’ils ont vu. Mais la maturité technologique est une chose, la capacité à déployer de manière maîtrisée en est une autre. Il y a aujourd’hui beaucoup de discussions sur les nouveaux marchés que cette technologie va ouvrir, mais il y avait au HIMSS peu de réflexion sur le cadre éthique dans lequel tout cela pouvait s’intégrer.

Cela renforce le sentiment d’avoir d’un côté les États-Unis, avec des acteurs qui veulent avancer mais sans trop se demander pourquoi et dans quel cadre, et de l’autre côté une culture européenne qui essaye de réfléchir d’abord aux principes éthiques et aux futures réglementations à mettre en œuvre. L’un de nos objectifs à l’Hôtel-Dieu AP-HP, c’est de pouvoir penser ce cadre au plus près des projets d’innovation eux-mêmes, pour ne pas avoir à choisir entre émergence rapide des nouveaux outils et la nécessaire régulation sans laquelle il n’y a pas de confiance. 

Vous avez visité avec votre délégation la Mayo Clinic. En quoi cet hôpital, considéré par plusieurs classements comme le meilleur au monde, peut-il être inspirant, notamment pour @HôtelDieu ?

L’initiative @HôtelDieu est une manière de rendre possible de la conception, du codéveloppement, de l’évaluation de solutions innovantes portées par des start-up. Il était important pour nous aussi de voir quelles initiatives peuvent ressembler à la nôtre, pour voir si notre démarche a aussi du sens ailleurs. Tout ce qui est fait autour de Mayo Clinic Platform est finalement un environnement assez proche de ce que nous construisons nous à l’Hôtel-Dieu. Nous commençons à travailler avec quelques acteurs économiques qui proposent d’être des partenaires de l’hôpital pour codévelopper et coévaluer des innovations. Nous ne sommes qu’au début de ce mouvement. 

La visite de la Mayo Clinic m’a conforté dans l’idée qu’un grand hôpital de classe internationale comme l’AP-HP et tant de CHU avaient tout pour être capable d’accompagner plus fortement encore des innovations à très fort potentiels, pour leur donner l’assise et la pertinence médicale dont ils ont besoin. La rencontre avec les responsables de la Mayo Clinic Platform a aussi été instructive, notamment pour la partie accélérateur, même si nos modèles sont différents. Notre objectif en matière d’innovation n’est pas d’abord économique : la priorité, c’est l’impact pour les soignants et les patients. Nos établissements de santé et notre communauté soignante ont surtout besoin d’avoir les meilleurs outils pour soigner les patients. L’impact médical est le critère majeur pour nous. 

Quelles sont selon vous les forces et faiblesses de l’écosystème français, au regard du système américain ? 

Face aux États-Unis, nos grands hôpitaux n’ont pas à rougir. Nous avons aussi en France un environnement de start-up qui sont souvent portées par des ingénieurs, des médecins parfois, et qui construisent des solutions très comparables à ce que l’on trouve aux États-Unis. L’une des différences majeures à mes yeux est que nous ne disposons pas aujourd’hui en France d’acteurs de référence qui puissent jouer le rôle d’intégrateur de toutes ces solutions. Lorsque nous avons échangé avec les équipes de la Mayo et de la Cleveland Clinic, il était très frappant de constater que la colonne vertébrale de la recherche autour de la donnée et des solutions de digitalisation effective du soin est le dossier patient, et en particulier la solution proposée par Epic. L’éditeur Epic joue aujourd’hui ce rôle d’intégrateur sur lequel viennent se greffer progressivement une série d’innovations – ce qui amène d’ailleurs certains hôpitaux à le regretter et à le voir comme une limite. Ce n’est pas vrai en Europe. Nos grandes solutions de DPI ne jouent pas ce rôle – en tout cas pas à date. Cela nous permet de garder une certaine liberté, nous sommes objectivement beaucoup moins dépendants des choix technologiques de nos grands éditeurs. Mais cela nous pose aussi des problèmes majeurs d’interopérabilité et nous y perdons aussi en termes de coordination et de capacité à passer à l’échelle. Ces maillons intermédiaires permettent d’amener les innovations en routine de soin, avec un très fort niveau d’interpénétration avec les outils déjà existants.