Anne-Laure Gayet (Fondation Jérôme Gayet) : “Peu d’enseignes ont vraiment fait du retour à l’emploi leur priorité RSE”

Atypique, car composée de mentors bénévoles venus essentiellement du secteur du retail, de l’e-commerce et de la tech, la fondation Jérôme Gayet va fêter ses cinq ans en 2025. Alors que de nouveaux projets arrivent, elle s’apprête à lancer un nouveau type d’accompagnement pour les porteurs de projets en amorçage.

Par Sophie Baqué. Publié le 11 septembre 2024 à 11h19 - Mis à jour le 02 octobre 2024 à 11h59

Pouvez-vous nous présenter la mission de la fondation Jérôme Gayet ?

Anne-Laure Gayet : La fondation a été lancée en avril 2020, quelques mois après le décès de Jérôme (Jérôme est l’ancien actionnaire de notre publication, renommée mind Retail en 2021, NDLR), sous l’égide de la Fondation Entreprendre. Reconnue d’utilité publique, elle est financée uniquement par des dons. Nous accompagnons des porteurs de projets en phase d’amorçage, basés dans les Hauts de France et en Ile de France. Leur point commun est celui du retour à l’emploi, de la réinsertion de personnes éloignées du monde du travail soit en raison de parcours cabossés, soit car ils sont porteurs de handicap. Ce sont tous des projets à impact, solidaires, certains avec une dimension environnementale, ayant pour objectif d’œuvrer localement pour une société plus juste et plus durable. Depuis 4,5 ans, nous avons accompagné 12 projets, parmi lesquels AJDB à Bagnolet (liens, jardins partagés et agriculture urbaine dans les quartiers), Chicon (solution de restauration anti-gaspi à destination de personnes en situation de précarité), Projet Z (académie de formation vers les métiers de développeurs), La Recyclerie ReSport (articles de sport et loisirs issus du réemploi), Remise Enjouée (remise en état puis revente de jouets), ReCycle Moi (collecte et réemploi de vélos), La Cuisine de Jeannette (transformation de fruits et légumes invendus et reconditionnés sous forme de tartinades, compotes, pickles, etc.), etc.

Quel est le budget annuel de la fondation ?

Il est de € 80 000 par an. La fondation s’appuie sur une trentaine de bénévoles, dont 19 mentors.

Comment sont accompagnés vos porteurs de projets ?

L’accompagnement, de 18 mois en moyenne, est réalisé par un binôme de mentors homme-femme pour plus de complémentarité. Ce duo est indispensable, car le fait d’être trois avec le porteur de projet crée une dynamique, une possibilité de relais, et surtout une relation forte. Nos mentors ne sont pas des professionnels de l’économie sociale et solidaire, ce sont tous des personnes qui travaillent dans le privé. Ce sont des personnes issues en grande partie du retail et de la tech, pour la plupart dans des fonctions de management, issues d’entreprises très axées sur le commerce. Via leur parcours professionnel et leurs compétences acquises, elles savent comment gérer un recrutement, passer une période compliquée en trésorerie ou mener une action commerciale. Etant toutes bénévoles, elles font aussi preuve d’un véritable engagement personnel, ce qui est moins le cas dans certaines grandes fondations où les accompagnants sont salariés. Concrètement, l’accompagnement se fait via des rendez-vous réguliers, mensuels à minima. En fin d’accompagnement, les mentors entrent souvent au conseil d’administration de la structure qu’ils ont accompagnée.

Apportez-vous des méthodes du privé au secteur de l’économie sociale et solidaire ?

Absolument, et c’est ce qui nous différencie. La plupart des porteurs de projet communiquent avec leur duo de mentors au fil de l’eau, via Whatsapp par exemple. L’an dernier, nous avons aussi lancé le format “master mind” : ces réunions regroupent le porteur de projet et une dizaine d’experts (en physique ou en visio), pour un brainstorming collectif. C’est un format extrêmement riche, où les idées fusent et où l’aspect collectif apporte une réelle valeur ajoutée. Ce mois-ci, la fondation lance également un nouvel accompagnement de niveau 2, plus ciblé, sur une durée d’un an. L’idée est de proposer aux porteurs de projets déjà accompagnés par la fondation un accompagnement très ponctuel sur des problématiques très ciblées. Comme par exemple mettre en place une nouvelle offre commerciale, des actions de marketing digital ou sur les réseaux sociaux, améliorer l’organisation logistique et faire monter en puissance l’équipe.

Comment l’écosystème du retail s’est-il engagé dans le travail de la fondation ? 

Au départ, il y a eu de belles contributions d’acteurs comme Boulanger, Contentsquare ou encore Decathlon qui a accueilli dans ses locaux le projet La Remise Enjouée par exemple. Les membres de cet écosystème s’engagent surtout à titre individuel aujourd’hui. 

Selon l’étude OC&C, le taux de turnover en GMS a atteint 69 % aux USA en 2023. Les personnes en réinsertion sont-elles des salariés plus fidèles ?

Oui, et nous le voyons dans les projets que l’on accompagne. Mais en France, on constate que peu d’enseignes ont vraiment fait du retour à l’emploi leur priorité RSE. Aujourd’hui, les retailers sont axés sur leurs politiques RSE, couplées à d’autres initiatives comme le 1 % pour la planète ou le label B Corp. Boulanger, par exemple, s’engage pour l’éducation des jeunes. Chez Leroy Merlin, c’est l’’adaptation du logement au handicap ou la perte d’autonomie. Chez Rouge-Gorge, c’est la lutte contre les violences faites aux femmes. Le Groupe Nosoli (Decitre, Furet du Nord) est une exception : il prennent principalement des stagiaires issues de la Bouquinerie du Sart dans le cadre de leur parcours de résinsertion, pour des postes de magasinier (tri, mise en rayon…) en point de vente ou en entrepôt. Ces stages peuvent aller jusqu’à l’embauche. Les entreprises du retail pourraient agir très concrètement, en ré-embauchant des personnes issues de programmes de réinsertion menés par des acteurs de l’ESS, et les réintégrer dans leur effectifs. C’est étonnant qu’elles ne le fassent pas davantage, quand on connaît les taux de turnover dans le secteur. 

Quels sont vos priorités pour préparer 2025 ?

Alors que nos projets arrivent à une certaine phase de maturité, nous avons besoin de l’écosystème du retail pour poursuivre notre dynamique de croissance. Nous avons besoin d’un réseau d’entreprises autour de nous et de financements, pour apporter aux porteurs de projets des possibilités d’expertises. Nous sommes aussi preneurs d’expertises bénévoles sur des domaines très pointus, comme les réseaux sociaux, le marketing digital, l’e-commerce, la logistique, la diversification des sources de financement, la sectorisation comptable, etc.

Anne-Laure Gayet

-01/2020 – now : President, Jerome Gayet Foundation

-1994 : Graduate of the EDHEC Business School

Fondation Jérôme Gayet, prochaines dates à retenir

-1er octobre au 31 octobre : prochain appel à projets

-15 octobre : soirée annuelle à Lille