En avril 2018, Ausy (aujourd’hui 7.000 salariés dans le monde) a formulé une demande de clémence sur son “gentlemen’s agreement” de non sollicitation respective de salariés conclu avec son concurrent Alten en France. Sept ans plus tard, la démarche, qui permet à la société de conseil informatique d’échapper à une amende, conduit l’Autorité de la concurrence à sanctionner trois entreprises sur ces pratiques. Celles-ci ont couru sur plusieurs années et ont consisté non seulement à s’entendre pour ne pas solliciter les équipes managériales respectives mais aussi à écarter systématiquement les candidatures spontanées selon des mails recueillis lors de l’instruction. “Dès lors que des entreprises cessent de se faire concurrence sur le plan des ressources humaines, cela a un impact sur les salariés qui sont empêchés d’obtenir un meilleur traitement ou une meilleure rémunération en changeant d’entreprise”, explique Benoît Coeuré, président de l’Autorité de la concurrence. Les entreprises sont ainsi sanctionnées au titre de l’article 101, paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui interdit les associations entre entreprises conduisant à se répartir les sources d’approvisionnement.
Une décision qui a vocation à faire date
L’analyse de l’Autorité de la concurrence a également été faite au regard du secteur des services numériques (730.000 salariés en France), qui “connaît un turnover important”, où la “compétence est rare et elle joue un rôle pour la compétitivité”, précise M. Coeuré. “Ces accords sont également de nature à nuire aux besoins des entreprises en matière RH et donc à leur performance économique”, ajoute-t-il. Il espère que la décision aura un rôle de “sensibilisation” pour les entreprises et leur permettra d’évaluer leurs pratiques. C’est la première décision de l’Autorité qui porte exclusivement sur des ententes illicites concernant le personnel. En plus des sanctions financières, qui s’appliquent à trois entreprises pour un montant de près de 30 millions d’euros, l’autorité indépendante a prononcé une injonction de publication de la décision sur LinkedIn, ce qui est là encore une première. “Nous avons considéré qu’elle serait éclairante au regard de la nature de la plateforme”, indique son président. En revanche, les clauses de non-sollicitation contenues dans des contrats commerciaux plus larges ne sont pas sanctionnées, en ce qu’elles étaient en l’espèce ciblées sur un projet ou une catégorie de personnel et limitées dans le temps.
Un contexte international
La décision confirme l’intérêt croissant des régulateurs de la concurrence pour les ressources humaines. Elle est publiée de manière fortuite une semaine après une communication de la Commission européenne qui a annoncé une amende transactionnelle de 329 millions d’euros envers les plateformes de livraison Glovo et Delivery Hero. Celle-ci porte notamment sur un accord de non-sollicitation de personnel. “C’est également la première fois que la Commission sanctionne un accord de non-débauchage, qui a consisté à ce que les entreprises cessent de se disputer les meilleurs talents et réduisent les possibilités pour les travailleurs”, a déclaré la vice-présidente de la Commission Teresa Ribera. Par ailleurs, un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne doit prochainement préciser les cas où des circonstances exceptionnelles et l’intérêt légitime des entreprises peuvent justifier des accords de non-sollicitation dans l’affaire des footballeurs portugais, où des clubs s’étaient entendus pour ne pas engager des joueurs de concurrents ayant résilié leur contrat du fait du Covid-10. Enfin, la Federal Trade Commission américaine avait interdit les clauses de non-concurrence dans les contrats de travail en 2024.