Accueil > Assurance > Le multi-produit et les partenariats, des leviers décisifs pour les néoassureurs Le multi-produit et les partenariats, des leviers décisifs pour les néoassureurs Qu’ils soient assureurs de plein exercice ou intermédiaires, la diversification des produits et la multiplication des partenariats ont permis à de nouveaux entrants de se faire une place sur le marché. Ceux qui ont misé sur une approche mono-produit et une croissance agressive en termes d’acquisition et de souscription ne connaissent pas un sort aussi favorable. Au-delà de la seule expérience digitale, les défis restent encore nombreux pour les insurtech BtoC, notamment sur le plan de la gestion de sinistre. Par Antoine Duroyon. Publié le 28 juin 2023 à 17h30 - Mis à jour le 11 juillet 2023 à 14h39 Ressources Les points clés Les néoassureurs BtoC, qui se sont focalisés sur un type de produit et ont poursuivi une acquisition agressive, sont pénalisés dans le contexte de marché actuel. Une approche multi-produit et tournée vers les partenariats a permis à de nouveaux entrants de générer de la croissance rentable. Au-delà de la seule promesse d’une expérience digitale, les néoassureurs doivent s’interroger sur leur proposition de valeur, notamment en termes de gestion de sinistre et de distribution. Les temps ont changé pour l’insurtech. Après avoir culminé à 14,5 milliards de dollars en 2021, les augmentations de capital bouclées par les start-up du secteur sont retombées à 7,3 milliards de dollars en 2022, selon une étude du cabinet BCG. “Dans le contexte actuel de retournement de marché, les investisseurs sont devenus plus prudents dans le déploiement des capitaux et effectuent des vérifications préalables plus approfondies. Après avoir vu ce qu’il est advenu des valorisations des sociétés cotées, les investisseurs dans les insurtech non cotées exigent plus d’efficacité, de durabilité et de solides performances opérationnelles et financières”, soulignent les auteurs du rapport. La débâcle a été manifeste pour les insurtech qui ont fait le choix d’aller en Bourse. Elles se valorisent en moyenne 0,2 fois les primes acquises en 2023, contre un multiple de 9,7 en 2022 et de 27,5 en 2021, indique une note d’Equal Ventures. “Il faut toutefois garder à l’esprit que la plupart des insurtech cotées, actives aux États-Unis, ont la particularité d’être des acteurs full-stack, avec un agrément d’assureur. À titre de comparaison, seulement 2 % des start-up insurtech ayant levé des fonds au cours des cinq dernières années en Europe présentent ce type de positionnement”, explique Florian Graillot, founding partner chez Astorya.io. L’investissement en capital-risque dans les fintech et insurtech Un moment charnière pour l’insurtech S’il n’est pas évident de s’appuyer sur des benchmarks solides, force est de constater que l’insurtech se situe à un moment charnière. “Le marché est revenu sur terre et questionne la valeur ajoutée de ces start-up issues de la première vague de l’insurtech. L’expérience digitale est une nécessité, mais ne représente plus un enjeu en tant que tel, à la différence d’une amélioration des coûts d’acquisition”, estime Florian Graillot. Le fait est que les acteurs qui ont misé sur une croissance agressive en BtoC ont mordu la poussière. Luko en est probablement l’exemple le plus éclatant. Avec une approche initiale mono-produit centrée sur l’habitation, la start-up est parvenue à réunir plus de 400 000 clients. Interrogé en 2020 par mind Fintech, Raphaël Vullierme, CEO de Luko, défendait cette perspective verticalisée : “L’assurance est un produit peu différencié et peu engageant. Soit on multiplie les produits mais avec une différenciation faible et c’est très difficile en termes d’acquisition, soit, et c’est notre approche, on se positionne sur une verticale pour venir y greffer des services et changer la proposition de valeur”. L’insurtech s’est aussi développée à l’étranger, mais a fait machine arrière. Elle a ainsi fermé son activité en Espagne qu’elle a transférée à son concurrent Tuio. Pour financer son développement, l’entreprise a levé 72 millions d’euros en equity et a financé partiellement en titres les rachat de Coya, une insurtech allemande dotée d’une licence, et d’Unkle, un acteur français de la garantie locative. L’échec d’une augmentation de capital à l’été 2022, dans un contexte où les investisseurs se détournaient de l’insurtech BtoC, a rendu exigible une partie de la dette de 45 millions d’euros de Luko. Quelques jours après l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, la société a finalement été rachetée par Admiral Group (L’olivier Assurance), pour un montant estimé à 14 millions d’euros, dont 3 millions d’euros sous forme de complément de prix. L’olivier Assurance va coexister avec Luko Enrichissement qualitatif chez Friday La stratégie mono-produit n’effraie pas pour autant les nouveaux venus sur le marché français. L’insurtech allemande Friday, détenue par l’assureur suisse Bâloise, s’est lancée en 2022 dans l’Hexagone sur le terrain de l’habitation, alors que la start-up est connue outre-Rhin pour son offre auto. “Si le marché est tiré par le prix, nous travaillons aussi sur l’enrichissement qualitatif de notre produit, avec une protection contre l’invasion de nuisibles, par exemple, explique Sara El Bekri, directrice générale de Friday en France. Et nous conservons un cash burn extrêmement raisonnable, l’idée étant de prendre le temps d’aller plus loin, grâce au soutien de notre actionnaire de référence“. Autre exemple similaire : le néoassureur allemand Getsafe a débarqué en France début 2023, avec une approche mobile-first focalisée sur l’habitation. Ces deux acteurs ne communiquent pas leur nombre de clients dans l’Hexagone, pas plus que Lemonade, la locomotive américaine arrivée en France en 2020, et dont le développement ne semble pas correspondre aux ambitions initiales. D’autres néoassureurs présents sur le marché français ont opté pour une trajectoire différente. C’est le cas d’Acheel, qui a suivi dès l’origine une logique multi-produit. Lancée en 2021, l’insurtech régulée par l’ACPR propose en BtoC des offres autour de l’habitation, la santé, l’assurance des animaux, l’assurance propriétaire non occupant (PNO), l’assistance et la protection juridique. “50 % de notre activité, en termes de nombre de contrats, se fait via le BtoC”, note Ralph Ruimy, PDG d’Acheel. Lovys et Leocare, qui opèrent tous les deux avec un statut de courtier, proposent quatre produits chacun : habitation, auto, animaux et smartphone pour le premier, et habitation, auto, moto, smartphone pour le second. Mais au-delà de cette vitrine en BtoC, une part importante de l’activité de ces acteurs s’effectue en BtoBtoC. Acheel peut développer 17 produits différents et travaille avec les principaux courtiers grossistes du marché (SPVIE Assurances, Wazari, Santiane, Entoria…). “Le BtoBtoC représente encore environ 85 % de notre chiffre d’affaires, mais le but à terme est d’être à 50/50. Notre produit phare en BtoBtoC, c’est l’assurance santé avec une prime moyenne à 1 100 euros, tandis qu’en BtoC, il s’agit de l’assurance habitation avec une prime moyenne à 109 euros. On encaisse donc dix fois plus de primes en BtoBtoC. Même si la croissance est un peu plus forte en BtoC, cela explique l’écart en termes de primes encaissées”, détaille Ralph Ruimy. Acheel s’ouvre aux courtiers de proximité L’assureur prévoit désormais d’ouvrir aux courtiers de proximité. “Plus de 500 courtiers ont fait des demandes d’ouverture de code. La clé du succès, c’est que nous connaissons parfaitement le secteur de l’assurance. Et en assurance, il n’y a pas qu’un seul modèle, il faut être capable de répondre à l’ensemble des besoins et configurations, en termes de fronting, de gestion de produit, etc.”, estime Ralph Ruimy. Deux ans après son lancement, la société revendique 300 000 contrats, un peu plus de 400 000 assurés et un total de primes émises de 130 millions d’euros. Leocare creuse également le sillon du BtoBtoC. Avec un modèle d’agent souscripteur (MGA), le courtier, qui a levé 110 millions de dollars en 2021 (dont une partie non chiffrée en dette) dans un contexte euphorique pour l’insurtech, compte plus de 200 courtiers partenaires en France et en vise 1 000 d’ici la fin de l’année, ont récemment indiqué ses dirigeants au magazine breton 7 jours. Leocare évoque 850 000 téléchargements de son application, 160 000 clients et un chiffre d’affaires de 44 millions d’euros en 2022. Du côté de Lovys, 25 partenariats ont été scellés, dont certains avec des acteurs financiers de premier plan comme Ma French Bank. “Aujourd’hui, 50 % de nos clients viennent du direct, 10 % des comparateurs et 40 % des partenariats. Les deux leviers du multi-produit et des partenariats sont essentiels”, résume João Cardoso de Jesus, cofondateur et co-CEO de Lovys. Le néoassureur rassemble 50 000 clients dans trois pays : France, Espagne et Portugal. Et même le petit poucet Friday a signé en mars 2023 un partenariat avec le courtier Verspieren. Tous ces acteurs devraient donc poursuivre sur cette voie. Même Luko envisage de lancer prochainement l’assurance auto Luko grâce au soutien de L’olivier Assurance. Lovys table sur le lancement de nouveaux produits d’ici la fin de l’année 2023 et Acheel a déposé une demande d’agrément supplémentaire auprès de l’ACPR. “Cela va nous permettre de proposer des produits additionnels dans le contexte de l’assurance embarquée”, dévoile Ralph Ruimy, qui évoque notamment le terrain de jeu de l’assurance emprunteur. Lovys va s’appuyer sur Aïkan Si les néoassureurs ont modernisé le processus de souscription, en le rendant plus intuitif et automatisé, il reste un volet problématique : la gestion de sinistre. En s’appuyant sur des délégataires (Stelliant étant le leader du marché), parfois à la demande du régulateur, le néoassureur confie à un tiers la gestion d’un moment décisif dans la relation avec l’assuré. “Le résultat a été une catastrophe. Nous avons donc décidé d’internaliser la gestion des sinistres MRH et de conserver un prestataire sur la partie santé”, rapporte Ralph Ruimy chez Acheel. Leocare a également réinternalisé la gestion de sinistres, tandis que Lovys, qui externalise la gestion en MRH et auto, préfère changer de délégataire et va désormais s’appuyer sur Aïkan. “C’est parfois difficile de collaborer avec des tiers, mais la complexité de certains sinistres nous y oblige. L’objectif est d’atteindre le même impact dans la gestion de sinistre que dans le processus de souscription”, pointe João Cardoso de Jesus. Quant à Friday, la start-up s’appuie sur Geco (groupe Polyexpert). “Ils ont une expertise technique et nous les accompagnons sur la partie relationnelle”, considère Sara El Bekri. La première vague de l’insurtech a été caractérisée par l’arrivée tonitruante d’acteurs promettant de révolutionner le secteur par une expérience digitale et une efficacité opérationnelle hors-norme. Dans un contexte où l’argent coulait à flots, ce mouvement s’est traduit par des pratiques hyper-agressives en termes d’acquisition directe (Luko) et/ou de souscription (Lemonade). Embedded et open insuring Mais comme on a pu le voir chez les néobanques, la croissance à tout prix a cédé le pas à la croissance soutenable et à la recherche de rentabilité. “S’il faut rappeler que 80 % de la distribution passe encore par les courtiers, ce qui justifie le positionnement BtoBtoC des néoassureurs, l’assurance embarquée (embedded) se situe dans le prolongement de cette première vague. L’embedded représente des volumes considérables et des acteurs spécialisés comptent bien en tirer profit (Qover, Wakam, Neat, Owen, etc., Ndlr)”, estime Florian Graillot. Chez Friday France, on parle pour le moment d’open insuring. “Nous pourrions développer des produits pour le compte de tiers ou envisager une structure de distribution avec un partenaire porteur de risque dans une logique de multi-équipement”, conclut Sara El Bekri. Mais au niveau du groupe, l’incursion vers l’assurance embarquée s’est manifestée dernièrement par un accord avec AutoProtect. Cette start-up insurtech va permettre aux clients des concessionnaires Nissan de souscrire une assurance auto en ligne via Friday au moment de l’achat de leur véhicule. Antoine Duroyon assurance dommagesassurance embarquéeassurance santéinsurtechnéoassurance Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Entretien Jehan de Castet (Friday) : “La néoassurance, c’est utiliser le digital pour offrir plus de service” Les néoassurances sur le segment MRH misent sur les services et les partenariats Comment les acteurs de la garantie locative entament leur diversification produit