Accueil > Investissement > MiCA, premier acte : les émetteurs de stablecoins Circle et SG-Forge sont conformes MiCA, premier acte : les émetteurs de stablecoins Circle et SG-Forge sont conformes Circle, SG-Forge et Salvus sont les trois premiers émetteurs de stablecoins à avoir obtenu leur agrément d’établissement de monnaie électronique en France, dans le cadre de MiCA. Alors que certains points du règlement européen dédié aux cryptoactifs sont encore flous, ces acteurs rassurent. mind Fintech fait le point sur cette entrée en application partielle. Par Caroline Soutarson. Publié le 03 juillet 2024 à 18h00 - Mis à jour le 03 juillet 2024 à 17h33 Ressources Le 1er juillet, deux émetteurs de stablecoins ont annoncé avoir obtenu un agrément d’établissement de monnaie électronique (EME) auprès de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), dans le cadre du règlement européen crypto MiCA (Markets in crypto-assets). Parmi eux, l’Américain Circle, à l’origine de l’USDC, le deuxième stablecoin mondial en termes de capitalisation (plus de 30 milliards de dollars), et de l’EURC (plus de 37 millions de dollars). À ses côtés, le Français SG-Forge, filiale de Société Générale, déjà agréé en tant qu’entreprise d’investissement et prestataire de services sur actifs numériques (PSAN), qui a créé l’EURCV (plus de 11 millions d’euros). Ils rejoignent Salvus, projet de stablecoin initié par la plateforme de paiement omnicanal Market Pay, qui a décroché son agrément en novembre 2023. Toutefois, ce stablecoin euro n’est pas encore lancé, confirme à mind Fintech Aude Vicaire, directrice générale de Market Pay Tech, filiale tech de l’entité régulée Market Pay. Salvus, un projet de stablecoin pour les paiements BtoB Ex-filiale de Carrefour rachetée par le groupe de private equity britannique AnaCap Financial Partners en 2020, Market Pay travaille sur la création d’un stablecoin depuis 2022, se remémore Aude Vicaire. “En tant que bons connaisseurs du paiement et des besoins des marchands BtoB, nous avons trouvé pertinente l’idée de lancer un stablecoin euro.” Salvus doit notamment servir “aux paiements de fournisseurs, le parent pauvre du paiement avec des transferts Swift coûteux et longs, et au transfert de flux entre filiales d’un même groupe”. À l’époque, les dirigeants doivent convaincre le principal actionnaire du potentiel du projet. “AnaCap n’est pas un fonds de capital-risque mais de private equity, il n’aime par conséquent pas trop le risque… Mais nous avons réussi à l’embarquer”, se félicite Aude Vicaire. Toutefois, le délai d’obtention de l’agrément d’EME plus long que prévu a eu raison de la bonne volonté du groupe britannique. “AnaCap estime que le timing n’est plus bon, que le projet ne sera pas rentable assez tôt et pourrait paralyser la revente de Market Pay”, raconte la DG de Market Pay Tech. Dès lors, la fintech se met en ordre de marche pour trouver un repreneur pour Salvus. Les discussions sont aujourd’hui bien avancées, assure Aude Vicaire, qui attend toutefois l’aval de l’ACPR. “Le timing est excellent car peu de stablecoins sont régulés. Il n’attirera pas la communauté crypto anti-système, mais il répond aux critères que pourraient fixer les corporates et s’adresse aux acteurs crypto qui voudraient un stablecoin qui ne soit pas adossé au dollar”, analyse Aude Vicaire. Ces annonces coïncident avec l’échéance du 30 juin, qui a vu l’entrée en application partielle de MiCA (Markets in crypto-assets). Plus précisément, ce sont ses dispositions dédiées aux stablecoins (titres III et IV du règlement) qui sont concernées. Le reste du texte, qui concerne les prestataires de services sur cryptoactifs, sera appliqué à partir du 30 décembre 2024. Néanmoins, étant donné l’importance des stablecoins dans l’écosystème crypto, cette étape réglementaire a une incidence sur une large partie des acteurs qui le composent, au moins dans l’Union européenne (UE). Au 30 juin, MiCA régule les ART et EMT Dans la “famille” des cryptoactifs, sont qualifiés de stablecoins, “ceux qui visent à conserver une valeur stable”, définit simplement Faustine Fleuret, présidente de l’Association pour le développement des actifs numériques (Adan). Et ce, quelles que soient leurs mécanismes techniques (collatéralisés, algorithmiques, adossés à plusieurs actifs, etc.). MiCA régule deux types de stablecoins : les jetons se référant à un ou des actifs (ART pour asset-referenced tokens) et les jetons de monnaie électronique (EMT pour e-money tokens), qui s’adossent à une devise officielle. Les trois acteurs agréés EME en France disposent d’EMT, d’où l’obtention de ladite licence – qui n’est pas obligatoire pour les émetteurs d’ART. notre Essentiel : Comprendre les crypto-actifs Pour ces deux types de jetons stables, les émetteurs doivent aussi délivrer un livre blanc aux autorités compétentes. Il doit notamment comprendre des informations sur : l’émetteur, le jeton, son offre au public ou son admission à la négociation, les droits qui y sont rattachés, sa technologie sous-jacente, ses risques, ses “principales incidences négatives sur le climat et d’autres incidences négatives liées à l’environnement du mécanisme de consensus utilisé pour [l’]émettre”, selon les articles 19 et 51 du règlement, paragraphes 1. Le livre blanc est l’un des outils qui doivent aider à la protection des investisseurs, un des principaux objectifs de MiCA. À ce titre, “les émetteurs doivent aussi fournir des avertissements aux souscripteurs”, rappelle Faustine Fleuret, de l’Adan. Les émetteurs doivent par exemple clairement indiquer que les stablecoins ne sont pas couverts par les systèmes d’indemnisation des investisseurs et autres garanties des dépôts. Ils doivent également “être en capacité de rembourser les souscripteurs sans frais, grâce à leurs réserves conditionnées. Les EMT ne peuvent pas placer plus de 30 % de leurs réserves sur des produits financiers, qui doivent être très liquides et associés à des risques minimum de crédit, de marché, de concentration et de liquidité, et doivent déposer les 70 % restant sur des comptes ségrégués”, développe Faustine Fleuret. Des mesures plus contraignantes sont également en place pour les jetons d’importance significative, à base d’audits réguliers, d’informations supplémentaires à donner et d’une surveillance supranationale, par l’Autorité bancaire européenne (EBA). Trois stablecoins euros contre un adossé au dollar Alors que les stablecoins adossés à l’euro sont loin d’être majoritaires dans l’écosystème – ils participent à environ 1,1 % des transactions crypto, contre 90 % pour ceux adossés au dollar, selon le fournisseur de données crypto français Kaiko (juin 2024) -, ils sont majoritaires dans ces premiers agréments (EURC, EURCV, et Salvus). Un autre pourrait les rejoindre plus tard, celui de la néobanque pour les pros luxembourgeoise OlkyPay, qui se présente comme un partenaire des fournisseurs de services sur cryptoactifs et qui cherche à devenir EME. En revanche, la filiale de Casino, Lugh, un temps tentée par une candidature, a annoncé début juin cesser d’émettre son stablecoin euro, l’EURL. Contactée, la société n’a pas souhaité commenter ce changement de feuille de route. Toutefois, la déviation s’inscrit dans un changement de direction du groupe (comex et CA), à la suite de la prise de contrôle de Casino par le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky. Enfin, un autre stablecoin qui ne sera pas régulé à moyen terme, adossé au dollar cette fois, n’est autre que l’USDT, le troisième cryptoactif en termes de capitalisation (plus de 100 milliards de dollars) et le premier chez les stablecoins, selon les données de CoinMarketCap, propriété de l’exchange Binance depuis 2020. Son émetteur Tether a annoncé il y a quelques semaines qu’il ne se mettrait pas en conformité avec la régulation européenne. Delisting et limitations sur les exchanges À la suite de cette décision, plusieurs plateformes d’échange crypto “ont adapté leur propre politique interne : delisting de l’USDT et/ou limitation des nouvelles souscriptions”, indique Stéphanie Cabossioras, ancienne co-DG de Binance France et actuellement conseillère référendaire à la Cour des comptes, qui s’exprime auprès de mind Fintech à titre personnel. Le plus grand exchange mondial en termes de volume de transactions Binance a par exemple décidé de limiter les opérations liées aux stablecoins non conformes sur sa plateforme “pour les utilisateurs de l’Espace économique européen, en mettant en œuvre des changements progressifs et des restrictions de produits pour garantir la conformité et minimiser les perturbations du marché”. Son service de conversion n’est désormais utilisable qu’à la vente pour les stablecoins non régulés tandis que les opérations de trading au comptant les prennent toujours en compte, “jusqu’à nouvel ordre”. Bien qu’elle ne soit pas prévue dans les textes réglementaires, une période de transition tacite semble s’installer, où plateformes d’échange et autres prestataires dépendant des stablecoins vont s’adapter. Le calendrier en serait la principale raison. “Il s’est écoulé seulement un an entre l’adoption du texte et l’entrée en application des dispositions relatives aux stablecoins. C’est relativement court pour en faire l’analyse juridique, pouvoir poser des questions, déposer un dossier d’instruction, etc. En outre, les RTS, qui ont demandé un travail conséquent à l’EBA et à l’ESMA, ont été publiées en cours d’année”, constate Stéphanie Cabossioras, qui a notamment fait ses armes à l’Autorité des marchés financiers (AMF). “Les régulateurs ne peuvent pas aller contra legem [contre la loi, Ndlr], ajoute l’ex-dirigeante de Binance France. Donc, en l’absence de disposition concernant une période transitoire, ils n’ont qu’un seul levier : donner des orientations à chaque prestataire de manière non publique.” Matthieu Lucchesi, avocat au sein du cabinet Gide 255, rappelle néanmoins que “si les autorités acceptent une certaine période de tolérance, il ne faut pas la prendre pour acquise. En pratique, la tolérance des autorités sera sans doute corrélée aux démarches et aux efforts des acteurs avec les autorités sur leur mise en conformité”. Impacts pour l’écosystème par ricochet Les plateformes d’échange ne sont pas les seules à devoir s’adapter. En légiférant sur les stablecoins, c’est tout l’écosystème qui doit revoir sa feuille de route. Alors que la finance décentralisée (DeFi) n’entre pas dans le champ d’application de MiCA 1 par exemple, certains de ses protocoles pourraient tout de même souffrir du règlement. Alexis Masseron, vice-président du comité DeFi de l’Adan, explique : “il y a un impact par ricochet. Si le principal stablecoin est délisté partout, il devient moins liquide et difficile à off-ramper [convertir en monnaie fiat, Ndlr]”. Et la DeFi n’est qu’un exemple parmi d’autres, car les stablecoins sont utilisés dans tous les maillons de la chaîne, plus que le bitcoin et l’ether, souligne Chainalysis. Selon la plateforme américaine d’analyse des transactions crypto, les stablecoins ont représenté 60 % du volume global des transactions on-chain en 2023. “Cela se traduit par une moyenne mondiale quotidienne de 17,4 milliards de dollars transférés en stablecoins”. Bas Lemmens et Alexandre Eich Gozzi (Chainalysis) : “65 % de nos revenus viennent du secteur public” Négociation pour le marché secondaire des EMT Les transferts de fonds en EMT font d’ailleurs débat. Selon le règlement, article 48, “les jetons de monnaie électronique sont réputés être de la monnaie électronique”. “En cas d’assimilation totale, il faudrait donc en déduire que certains services sur jetons de monnaie électronique tombent dans le champ de la réglementation sur les services de paiement. Et dans ce cadre, les fournisseurs de ces services devraient obtenir un statut spécifique”, analyse Matthieu Lucchesi. Faustine Fleuret de son côté, qui défend les intérêts des acteurs crypto à Bruxelles, estime que ce pont entre les deux législations n’a pas lieu d’être. “Selon l’interprétation de la Commission européenne donnée il y a une dizaine de jours, les PSAN devraient être des prestataires de services de paiement (PSP). Or, bien que des règles précises aient été piochées dans la directive sur la monnaie électronique, nous ne considérons en aucun cas qu’il y a une équivalence avec les stablecoins et ne sommes pas d’accord avec cette interprétation. Surtout qu’elle arrive à un moment où les PSAN doivent déjà se mettre en conformité avec MiCA, déplore la présidente de l’Adan. La DSP2 n’a pas été pensée au temps des blockchains et des crypto. Par ailleurs, on nous explique depuis des années que les cryptoactifs ne sont pas de la monnaie.” Si l’Adan espère se faire entendre auprès des législateurs, Matthieu Lucchesi voit une opportunité. “Cette assimilation des jetons de monnaie électronique à de la monnaie électronique peut aussi avoir un effet positif pour l’écosystème, avec des perspectives de cas d’usage dans le paiement. Ces jetons pourraient être utilisés comme moyens de paiement au même titre que d’autres formes de fonds classiques (par exemple dans le cadre du paiement de transactions financières). Cela peut créer de potentiels développements significatifs pour les acteurs Web3 et de nouvelles synergies avec notamment la finance dite traditionnelle.” Dans tous les cas, le compte à rebours a commencé pour les fournisseurs de services sur actifs numériques souhaitant cibler l’UE. L’AMF a ouvert son guichet pour les dépôts de candidatures le 30 juin. La liste des PSAN enregistrés et agréés auprès de l’AMF Caroline Soutarson cryptoactifrégulationstablecoin Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire MiCA : l’EBA précise des éléments prudentiels pour les émetteurs de stablecoins Robinhood mise sur les cryptoactifs avec le rachat de Bitstamp pour 200 millions de dollars Lugh cesse d’émettre son stablecoin euro MiCA : l’AMF recevra les candidatures à l’agrément européen de CASP à partir du 30 juin Marsh cible les opérateurs soumis à MiCA