Accueil > Services bancaires > Banque au quotidien > Comment les applications de transfert d’argent BtoC prennent les banques de vitesse Comment les applications de transfert d’argent BtoC prennent les banques de vitesse Les acteurs des transferts de fonds internationaux - Transferwise, Azimo, WorldRemit et consorts - s’attaquent à Western Union mais aussi aux banques traditionnelles, qui dégagent de fortes marges sur cette activité. Si les établissements bancaires étudient le modèle des nouveaux entrants, ils font pourtant preuve d’une très forte inertie sur le sujet. Par Aude Fredouelle. Publié le 16 février 2017 à 20h00 - Mis à jour le 16 février 2017 à 20h00 Ressources Les applications BtoC de transferts de fonds internationaux qui ont éclos en Europe en 2011 et 2012 brassent désormais, pour les leaders, plusieurs milliards d’euros par an (un milliard d’euros de transactions par mois, dans le cas de Transferwise). Les coûts appliqués sont souvent divisés par cinq à huit par rapport à ceux des banques traditionnelles ou de Western Union. Sans que ces derniers n’aient encore créé d’alternatives crédibles pour les contrer… faute de flexibilité, mais aussi de volonté. Agréments moins contraignants et absence d’agences Si les nouveaux opérateurs de transferts d’argent (MTO) sont moins chers que les banques, c’est d’abord grâce à leur statut de service de paiement, dont les contraintes sont bien moins lourdes. “Avant 2009, les banques avaient le monopole des services de paiement, rappelle Jean Yves Rossi, président fondateur de Canton Consulting. Depuis la DSP, de nouveaux acteurs peuvent les proposer sous un régime d’exercice allégé, en fonds propres et reporting notamment, avec des systèmes d’information agiles, sans le poids du “legacy”. Ils fonctionnent sur un schéma comptable et des contraintes différentes des banques et peuvent optimiser ces différences. La DSP a aussi alourdi les exigences sur les banques en rehaussant des contraintes de qualité de service comme le paiement J +1 ou une vigilance blanchiment efficiente, uniformes avec les établissements de paiement mais plus difficiles à remplir pour un établissement de crédit.” Comme pour les autres fintech qui s’attaquent aux marchés des banques traditionnelles, les MTO n’ont pas à assumer les coûts de maintenance de systèmes anciens (legacy systems), ni ceux des agences physiques. Les start-up comme Azimo ou WorldRemit nouent des partenariats avec des banques de détail ou même certains commerçants, comme WalMart au Mexique pour Remitly, afin que leurs clients puissent retirer de l’argent dans leurs espaces physiques. Ils développent aussi des réseaux de wallets mobiles en s’alliant aux opérateurs dans les pays émergents. “WorldRemit le propose déjà dans 34 pays”, se félicite Catherine Wines, directrice des opérations (COO). Concrètement, les MTO déposent de l’argent chez leurs partenaires financiers qui, moyennant une petite commission, les reversent aux destinataires. Transferwise, concurrent le plus direct des banques Transferwise a cependant choisi une stratégie différente : la start-up ne fait que des virements bancaires, pas de retraits en cash. Elle ne cible pas les populations mal bancarisées des pays en voie de développement mais plutôt les expatriés des pays développés. Transferwise (comme l’irlandais CurrencyFair, par exemple) concurrence avant tout les banques en se spécialisant uniquement sur le change de devises, alors que WorldRemit ou Azimo ciblent en premier lieu (mais pas seulement) les clients de Western Union en développant d’immenses réseaux de retraits de cash ou de wallets mobiles. Nous changeons les devises avec des partenaires de liquidité Michael Kent CEO d’Azimo Avant de déposer les fonds sur le compte bancaire ou chez le partenaire du pays destinataire, les MTO doivent cependant effectuer le change de devises. Sur cette étape, les start-up sont peu prolixes. “Nous changeons les devises avec des partenaires de liquidité”, se contente de commenter Michael Kent, CEO d’Azimo. Mais la plupart passent en fait par des technologies tierces spécialisées : Azimo utilise CurrencyCloud, API de conversion de devises ainsi qu’Earthport, à laquelle recourent aussi Transferwise (qui a autrefois aussi travaillé avec CurrencyCloud), Worldremit et l’américain Xoom. Et plus ils traitent de gros volumes, moins la commission est élevée. “Ces acteurs agiles intègrent au fur et à mesure toutes les offres moins chères qui naissent de la recomposition de la chaîne de valeur du paiement”, commente Jean-Yves Rossi. Les banques traditionnelles, elles, passent par le réseau interbancaire international Swift, coûteux et lent. Transferwise privilégie les transferts nationaux Transferwise, encore une fois, se distingue de ses concurrents par son modèle. Grâce aux volumes importants traités, et parce que la start-up se positionne sur les transferts d’un pays développé à un autre, bien plus équilibrés dans un sens et dans l’autre que les transferts des pays développés vers les pays en voie de développement, elle a pu mettre en place un système original pour baisser ses prix. Plutôt que de faire un transfert international, Transferwise effectue deux transferts nationaux sur le marché intermédiaire et évite d’avoir à changer des devises. La start-up compense les demandes d’échanges. Harsh Sinha, vice-président de l’ingénierie, assure que “la majorité des volumes transitant entre deux pays depuis lesquels Transferwise propose d’envoyer de l’argent transitent par ce biais”. Cela concerne les transactions en livres, euros, dollars américains et australiens. Pour le reste, Transferwise utilise des outils tiers et des partenariats avec des banques pour effectuer le change (notamment pour les pays où les utilisateurs peuvent recevoir mais pas encore envoyer de l’argent). Certains concurrents se disent sceptiques : “les devises sont extrêmement fluctuantes et avec cette méthode, le taux de change n’est pas fixé dès le départ. Transferwise ne peut pas être sûr qu’elles ne seront pas modifiées à la baisse pendant le transfert”, explique l’un d’entre eux sous couvert d’anonymat. La société assure de son côté que “pour protéger ses clients d’une chute potentielle du cours, la baisse de taux est plafonnée par défaut à 3 % pour chaque transfert. Si le taux de change s’améliore, on offre automatiquement un meilleur taux.” Les banques ne se sentent pas acculées Christophe Lassuyt CEO de Moneytis Les start-up de transfert d’argent à l’international trouvent en tout cas leur marché. Transferwise, valorisée à 1,1 milliard de dollars, a enregistré 35 millions d’euros de chiffre d’affaires sur l’exercice fiscal 2015-2016 (clos fin mars), trois fois plus que l’année précédente. WorldRemit, valorisée à 500 millions de dollars, a dégagé 41 millions de chiffre d’affaires en 2016 (contre 26 millions un an plus tôt) et revendique 590 000 transactions par mois. Pas assez encore pour pousser les banques à les imiter, cependant. “Pour l’instant, pour les gros montants, les clients ont souvent encore du mal à passer par un autre acteur que leur banque, donc elles ne se sentent pas acculées“, note Christophe Lassuyt, CEO de la plateforme Moneytis, qui compare les solutions de transferts d’argent pour les particuliers. D’autres raisons expliquent l’immobilisme des acteurs traditionnels. Dans le cas des plateformes comme WorldRemit, spécialisées sur les flux vers les pays émergents, “une majeure partie des transferts internationaux représentent des petites sommes en liquide mais demandent beaucoup de vérifications”, explique Catherine Wines. “Ils n’intéressent pas les banques car gérer des espèces complique les processus de conformité et oblige à former des agents”. Les start-up, elles, automatisent pour faire du volume. “Nous avons développé des technologies de vérification d’identité en ligne et d’empreinte comportementale”, commente Catherine Wines. Chez Transferwise, ajoute Harsh Sinha, “des systèmes repèrent les comportements suspicieux et scrutent les listes de sanctions internationales. En outre, un “money laundering reporting officer” rapporte aux autorités toutes les suspicions d’activité criminelles.” Tentatives timides d’innovation Quant aux transferts d’un compte bancaire à un autre, les banques ne sont pas prêtes à renoncer aux marges confortables prélevées à l’international. Ensuite, cette activité implique des milliers d’emplois pour les plus gros acteurs. “Ce serait une énorme révolution interne au niveau humain et des infrastructures”, estime Christophe Lassuyt. Une considération qui a par exemple freiné les velléités d’ING, qui a étudié le modèle en espérant l’imiter. La banque a finalement noué un partenariat avec OFX, société australienne spécialisée dans le change de devises. Certes, la Société Générale a mis en place fin 2016 un système de transferts internationaux sur mobile à prix attractifs comparé aux autres acteurs traditionnels, loin toutefois de concurrencer les nouveaux entrants. Swift, de son côté, travaille avec plusieurs banques pour diminuer ses coûts et améliorer son efficacité. Mais, selon Christophe Lassuyt, certaines banques ont plutôt choisi le parti de mettre des bâtons dans les roues des acteurs traditionnels. “De grandes banques françaises, notamment, déclenchent des suspicions de fraude quand un de leurs clients veut envoyer de l’argent via une application comme Transferwise ou Azimo. De nombreux utilisateurs de notre comparateur nous le signalent. Cela génère beaucoup de frustration chez le client, qui doit ensuite prouver que ce n’est pas une fraude et qui se décourage souvent.” Les banques françaises s’interrogent Les acteurs traditionnels entament tout de même une réflexion en interne sur le sujet. “Nous sommes en discussion avec plusieurs banques, dont certaines Françaises, et avec des néo-banques, pour leur proposer de passer par Moneytis pour choisir un opérateur MTO et prélever une commission au passage, raconte Christophe Lassuyt. Mais je ne pense pas que les banques traditionnelles puissent mettre en place un projet avec nous en moins de deux ou trois ans : rédiger un contrat de deux pages prend six mois !”. Avec son API, Transferwise a ouvert la voie des partenariats, mais pour l’instant seule la banque estonienne LHV et la néo-banque allemande N26 ont franchi le pas. Le marketing, plus gros poste de dépenses Le premier poste de dépenses de ces start-up réside en fait dans les investissements marketing. Sur l’exercice 2015-2016, Transferwise a révélé avoir dépensé 12,3 millions de livres pour se faire connaître, alors que ses dépenses salariales atteignaient 10,4 millions de livres, les commissions pour ses services et banques partenaires 7,6 millions et les pertes de taux de change 1,4 million de livres. Les pertes se sont creusées, passant de 11,1 millions de livres fin mars 2015 à 17,5 millions de livres un an plus tard. En 2015, WorldRemit a aussi dépensé le plus gros de son budget en marketing, avec 15,4 millions de livres attribués à l’acquisition client et à la publicité. Il faut dire que le marché est extrêmement concurrentiel. Mais petit à petit, les plus gros acteurs se détachent de leurs concurrents et parviennent à réduire ce poste de dépenses. WorldRemit a baissé de 60% le coût d’acquisition client au premier semestre 2016 par rapport à l’année précédente. Michael Kent, le CEO d’Azimo, évoque pour sa part un coût d’acquisition divisé par deux chaque année. Le start-up compte sur l’effet boule de neige et a mis en place un programme de parrainage. Cliquez sur le tableau pour l’agrandir Aude Fredouelle banque de détailéchange de devisestransfert d'argent Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind