Accueil > Financement et politiques publiques > Start-up de la e-santé : 255 M€ levés en 2023, en France Start-up de la e-santé : 255 M€ levés en 2023, en France Après le niveau record enregistré en 2022, les montants levés par les start-up de la e-santé accusent une forte baisse en 2023. Les investisseurs y voient un rééquilibrage nécessaire et se disent optimistes pour 2024. Quelles start-up ont levé le plus ? Quels investisseurs se sont montrés les plus actifs ? Pour la sixième année, mind Health fait le bilan des levées de fonds des start-up et scale-up françaises de la e-santé. Par Valérie Moulle et Rudy Degardin avec Aymeric Marolleau, Coralie Baumard et Sandrine Cochard. Publié le 30 janvier 2024 à 14h18 - Mis à jour le 18 mars 2024 à 16h06 Ressources Après avoir fortement augmenté de 2018 à 2021, le nombre de start-up de la e-santé qui levaient des fonds a brutalement baissé en 2022, passant de 67 à 40. Les montants globaux, eux, ne s’étaient maintenus à un niveau élevé – 1,16 milliard – que grâce à la levée record de Doctolib de 500 millions en 2022. Si le nombre d’entreprises ayant annoncé une opération a de nouveau légèrement augmenté l’an dernier, selon le relevé de mind Health (45 contre 39), le montant total a, lui, fortement chuté, pour s’établir à peine au-dessus de l’étiage de 2018, à 255 millions d’euros. Année par année, les principales levées de fonds des start-up de l’e-santé Baisse du ticket médian Alors qu’en 2022 quatre opérations avaient excédé 50 millions d’euros, aucune n’a dépassé la barre des 30 millions l’an dernier, si bien que les levées de fonds sont plus concentrées en 2023. 50% d’entre elles ne dépassent pas 3,5 millions d’euros, contre 7 millions l’an dernier et environ 2,5 millions les années précédentes. Une seule start-up, Gleamer, qui développe une plateforme d’aide aux diagnostics pour les radiologues, a levé plus de 20 millions d’euros l’an dernier grâce au soutien de quatre investisseurs. Avec 27 millions d’euros récoltés en 2023 auprès de BPI France, Elaia, UI Investissement et MACSF, elle compte pour 10,3 % du total. Elle a levé 36 millions d’euros depuis sa création en trois opérations. Seulement sept start-up ont réussi à passer la barre des 10 millions d’euros. Une baisse significative par rapport à l’année précédente puisque neuf start-up et scale-up avaient levé plus de 20 millions. La spécialité “Télémédecine et télésuivi” toujours très représentée Dans le détail, les start-up qui ont levé des fonds en 2023 appartiennent à 17 catégories différentes. Comme en 2022, la plus représentée est celle qui réunit les outils pour les professionnels de santé, avec huit acteurs : Le Comptoir Des Pharmacies, Faks, Maddie, Stane, Kiro, Swing, Via Sana et Rema. La catégorie “Télémédecine et télésuivi” n’est pas en reste avec six start-up (elles étaient quatre en 2022) et la “Thérapie numérique”, qui en compte cinq (contre deux l’année précédente). “Après une première phase de lancement/structuration, qui a débuté fin 2017 / début 2018, en parallèle de la feuille de route de l’État “Ma Santé 2022”, puis une 2ème étape d’accélération avec l’arrivée du Covid, nous sommes désormais sur un nouveau cycle pour la e-santé : celui de l’analyse concrète des fondamentaux, avec des tris et des consolidations, pour avoir les solutions les plus abouties possibles”, explique Chahra Louafi, directrice du fonds Patient Autonome de Bpifrance. Les solutions de santé numérique n’ont d’autre choix que de monter en gamme : “Les start-up doivent accélérer et se concentrer sur les preuves, les résultats, des milestones tangibles”. La consolidation du marché s’est accentuée en 2023, confirme Baudouin Hue, Partner chez Karista, du fait de la maturation du secteur et d’une recherche de masse critique pour arriver à un niveau de rentabilité pérennisant les sociétés. Il observe aussi un coup de frein sur le déploiement de capital : “Nous sommes dans un maelström : il n’y a plus de sortie en bourse, les taux d’intérêts sont élevés, il est plus difficile de lever des capitaux et de se refinancer”, analyse-t-il. TENDANCES 2024 – Financements : le retour à la raison “Une année compliquée” “2023 a été une année compliquée pour l’ensemble du Venture”, estime quant à lui Valéry Huot, Partner chez LBO France, qui a participé l’an dernier aux tours de table de Tribun Health (technologie d’imagerie numérique) et Kayentis (fournisseur de solutions eCOA). En cause, l’effondrement des marchés boursiers, notamment des valeurs technologiques, et l’ajustement à la baisse tardif des multiples des sociétés non cotées, jusqu’en septembre 2023 : “Les entreprises ont repoussé leurs levées, en demandant à leurs actionnaires de faire des Bridge Financing. Nous avons nous-mêmes participé à de nombreux refinancements de nos sociétés pour leur permettre de traverser cette période compliquée en termes de levée”. Autre difficulté : des sommes importantes ont été récoltées depuis trois ans en santé digitale. Or, trouver un modèle économique déclinable hors de France est difficile : “Les sociétés qui se développent sont celles qui ont su trouver dès le départ ou adapter au cours de leur vie un business model correspondant à une demande du marché”, pointe-t-il. LBO France : des sociétés en développement commercial Les fonds de LBO France sont en cours de déploiement et le 2ème fonds de santé digitale (155 M€), levé à partir de 2019, se trouve dans le dernier tiers de sa période d’investissement. La stratégie consiste à investir, en Europe de l’Ouest, dans des sociétés développant des produits non invasifs ou non implantables en eux-mêmes, en phase d’essor commercial et réalisant au moins 1 M€ de chiffre d’affaires. Le ticket initial est de 3,5 à 10 M€, avant refinancement. Incepto est un exemple de ces sociétés : sa plateforme de distribution de logiciels d’IA à destination du monde hospitalier apporte de la productivité à ses utilisateurs. “Je pense que dans un 2ème temps, quand toutes les applications de productivité se seront bien disséminées, nous passerons à un 2ème niveau, avec des IA venant essentiellement optimiser le diagnostic”, indique Valéry Huot. Samantha Jerusalmy, Partner chez Elaia – a pris part à trois levées de fonds annoncées publiquement impliquant I-Virtual (télémédecine), Gleamer, Tilak Healthcare (plateforme de jeux vidéo médicaux) -, confirme qu’en temps de crise, les investisseurs se repositionnent sur leur portefeuille : “Nous nous sommes tous refocalisés sur nos sociétés. Il y a eu beaucoup de tours internes en 2023, qui ne sont pas tous comptabilisés dans les chiffres. Cela montre aussi notre confiance”. Céline Passedouet, Investment Manager chez Elaia, rappelle en outre que l’effervescence des levées dans la Tech en général, dans les années 2021/2022, n’était pas tenable sur le long terme : “C’est un retour aux valorisations de 2018/2019, ce qui est plutôt positif du point de vue des investisseurs”. Elaia : du pré-Seed à la série B Elaia investit en santé digitale à travers deux Business Units : la 1ère est Digital Venture (DV), dont le 4ème millésime (200 M€) a été levé en 2021/2022, qui a notamment investi dans Tilak Healthcare, InHeart, SeqOne Genomics, etc. et dont les tickets sont compris entre 2 et 15 M€. La 2nde est Deep Tech Seed, qui lève son 3ème millésime et investit très tôt dans les start-up (Gleamer, Aqemia, Sancare…) avec ses partenaires académiques PSL et Inria ; ses tickets sont de quelques centaines de K€ à 2,5 M€ en primo investissement. “Nous couvrons tout le spectre, du pré-Seed jusqu’à la série B. Nous gardons toujours de quoi faire les tours ultérieurs, l’idée étant d’accompagner les sociétés jusqu’à leur sortie”, explique Samantha Jerusalmy. L’objectif est de couvrir l’ensemble du parcours patient, du préventif jusqu’au non invasif, avec des solutions couvrant tout le cycle des données de santé, de leur création à leurs structuration et valorisation. Expertise et complémentarité de l’équipe, taille du marché, capacité à s’exporter, rupture technologique et modèle économique réaliste permettant de s’insérer dans la chaîne de valeur de la santé sont les critères clés dans les choix d’investissement. Enfin, chez Sofinnova Partners, qui a pris part à la levée de Kiro (plateforme pour les professionnels de santé), Simon Turner, Partner, considère que la baisse des investissements observée en 2023 n’a pas eu que des effets négatifs : “Nous voyons des sociétés de très bon calibre, avec des fondateurs de très haut niveau, qui sont actuellement en train de se financer. Les montants sont peut-être un peu plus bas, mais c’est un rééquilibrage, avec un retour à des niveaux réalistes”. Sofinnova : un réseau d’expertise Créée en 1972 et dédiée aux sciences de la vie, Sofinnova se positionne, en e-santé, sur le segment de la médecine digitale, via son fonds “Sofinnova Digital Medicine I” (200 M$) levé en octobre 2023 et focalisé sur trois axes : les technologies facilitatrices, l’analyse des données de santé, les traitements digitaux. Ses critères d’investissement sont précis : les solutions doivent être globales, différenciantes, déclinant plusieurs offres de services, avec des bénéfices tangibles ; la qualité et la volonté des dirigeants de changer les paradigmes existants sont clés. Cinq investissements ont déjà été réalisés en Europe, dont deux en France : Kiro, qui développe un outil d’aide à la décision agrégeant les données de laboratoire des patients, et L’école AI, dont la technologie de “Machine Teaching” permet aux utilisateurs de développer leurs algorithmes à partir de leurs bases de données. Dans ses investissements, Sofinnova est lead, parfois co-lead, et privilégie le Seed ou la série A : “Ainsi, nous épaulons les fondateurs sur la stratégie car nous avons des liens approfondis avec tous les acteurs impliqués dans la “Digital Medicine”. Nous apportons aux entreprises le réseau d’expertise que nous avons construit ces 50 dernières années », souligne Simon Turner. Le ticket est en général compris entre 2 et 10 M€ pour le 1er tour, avec une capacité de réinvestissement. Une petite poche est en outre dédiée au pré-amorçage, avec des tickets entre 500 K€ et 2 M€. Moins de fonds généralistes Sur le profil des investisseurs, la variété est de mise, entre fonds français et européens, avec des Corporates issus de la pharma, du logiciel (Dassault Systèmes) ou des entreprises comme Air Liquide, Orange et La Poste notamment. Certains fonds généralistes, déçus de leurs réalisations en santé digitale, sont en revanche sortis du secteur : “La compétition a un peu diminué en quantité mais pas en qualité car les investisseurs sont très spécialisés dans le domaine », indique Valéry Huot. Même analyse chez Chahra Louafi, directrice du Fonds Patient Autonome de Bpifrance, qui estime que les co-investisseurs sont moins nombreux du fait du temps long lié à la santé, qui peut rebuter des non spécialistes. “Pour pouvoir élargir la base investisseurs et capter des fonds pour lesquels la santé numérique est une partie de la stratégie, il faut que les sociétés aient des résultats, des revenus. Cela tient beaucoup au projet, au dirigeant, à la manière dont il construit ses preuves rapidement”. Hors business angel, 98 investisseurs différents ont participé au tour de table d’une start-up de la e-santé en 2023. Mais seulement seize d’entre eux ont participé à plus d’une opération. Bpifrance a, comme les années passées, particulièrement investi l’e-santé avec 12 opérations. L’optimisme de retour L’année 2024 va être une bonne année, avec de gros tours annoncés, prédit Samantha Jerusalmy. Elle pointe la qualité accrue des sociétés, avec un impact positif attendu en termes de levées de fonds et de valorisation. Même optimisme chez LBO France : “Les investissements en santé digitale sont repartis au dernier trimestre 2023, sur la base de valorisations assagies, qui permettent de trouver un terrain d’échanges entre une société et de nouveaux actionnaires. Nous anticipons une année 2024 en nette progression par rapport à 2023”, prévoit Valéry Huot. Certains redressements judiciaires survenus l’an dernier (cf. le cas de Wefight et de BioSerenity) peuvent également constituer des opportunités : “Cela va enrichir notre stratégie d’investissement car nous sommes à l’affût de sociétés qui n’ont pas pu se développer mais qui, pour certaines, ont de beaux actifs, de belles thèses d’investissement”. Enfin, son optimisme repose aussi sur les fondamentaux solides des sociétés de portefeuille, sur un marché de la santé où les opportunités de digitalisation restent majeures. La santé digitale est, de fait, toujours considérée comme un marché stratégique : dans une compétition qui monte en gamme, les innovations sont de plus en plus sophistiquées et la France est bien située dans la concurrence européenne, avec un grand nombre de sociétés prometteuses, insiste Chahra Louafi. “Le segment reste attractif, confirme Baudouin Hue, entre des besoins importants, l’arrivée attendue de ruptures technologiques majeures, une IA devenue de plus en plus indispensable en santé, et des marchés clés qui s’ouvrent, notamment grâce aux remboursements de solutions numériques obtenus en France, en Allemagne ou aux USA. Les valorisations revues à la baisse aiguisent par ailleurs l’appétit des Corporates, (des fonds adossés à de grandes entreprises, ndlr), ajoute-t-il, précisant qu’“un des enjeux de l’année à venir porte sur les levées qui seront menées à des stades plus matures” (séries B, C, D). Pour autant, le manque de fonds actifs en e-santé et l’incapacité de certaines start-up à trouver un modèle d’affaires viable risquent de causer de nouvelles défaillances. “De même, si des fonds ont des capitaux à investir et un programme à exécuter, le marché des levées de fonds des fonds eux-mêmes est plus compliqué, en raison de la remontée des taux et du ralentissement des sorties. Dans ce contexte de grippage, la question est de savoir si les gestionnaires vont privilégier les fonds de private equity”, conclut Baudouin Hue. Quelles start-up ont levé le plus depuis leur création ? Parmi les 12 start-up et scale-up de la e-santé qui ont levé le plus de fonds depuis leur création, aucune n’a annoncé de nouveau tour de table en 2023. Et parmi celles qui ont levé l’année dernière, aucune n’a rejoint ce cercle. Méthodologie Notre baromètre annuel des levées de fonds par les start-up de la e-santé ne prend en compte que les opérations qui ont été annoncées publiquement. Depuis 2018, outre les levées de fonds de sociétés non cotées, nous avons également pris en compte les augmentations de capital des sociétés cotées en bourse (Pixel Vision par exemple), ainsi que les levées de fonds à l’occasion des IPO. Limites Il n’est pas toujours possible de distinguer précisément la part levée en equity de celle levée en dette. Certaines start-up et certains fonds d’investissement peuvent avoir changé de nom au cours de leur histoire, ce qui complique le suivi de leurs opérations. Toutes les levées de fonds ne sont pas communiquées publiquement, pas plus que l’identité de tous les participants à un tour de table. La frontière entre “start-up” et entreprise mature est parfois difficile à tracer précisément, de même que la frontière des sociétés actives dans la santé digitale, auxquelles nous nous sommes efforcés de restreindre notre périmètre. Si des levées de fonds ont échappé à notre vigilance, ou si vous pensez avoir repéré une erreur, n’hésitez pas à nous le signaler : datalab@mind.eu.com Valérie Moulle et Rudy Degardin avec Aymeric Marolleau, Coralie Baumard et Sandrine Cochard DiagnosticfinancementFinancementsFonds d'investissementLevée de fondsMarchésanté numériquestart-up Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Année par année, les principales levées de fonds des start-up de l'e-santé Les start-up françaises de la e-santé ont levé 69 millions d'euros au premier trimestre 2023 Les levées de fonds des start-up françaises de la e-santé à leur plus bas depuis trois ans Les start-up françaises de la e-santé ont levé 55 millions d'euros au troisième trimestre 2023 Santé numérique : un marché mondial en repli sur le troisième trimestre