[Étude exclusive] Le bilan des initiatives des GAFAM dans la santé en 2023

Nouvel épisode dans la bataille de l’IA générative en santé. Le 29 avril 2024, Google DeepMind et Google Research publient un document pour présenter Med-Gemini, leur nouvelle famille de modèles multimodaux spécialisés en médecine et basés sur Gemini, le grand modèle multimodal (LMM) de Google. Les LMM permettent de saisir des données d’entrée d’un ou plusieurs types (texte, vidéo ou image) et de générer des résultats sans se limiter au type de données utilisé au départ. Les modèles de Med-Gemini seraient donc capables d’analyser des dossiers médicaux électroniques mais aussi des scans 3D et 2D. Si cette famille de modèles est encore en phase de recherche, elle dépasse déjà selon Google les performances de son concurrent GPT-4, développé par OpenAI et soutenu par Microsoft.

En 2023 également, l’IA générative a été le principal terrain d’expérimentation des GAFAM dans le secteur de la santé. À quelles autres thématiques les géants du numérique américains se sont-ils intéressés l’an dernier en santé ? Que développent-ils ? Dans quelles directions se dirigent leurs investissements ? Au printemps 2024, mind Health a mis à jour sa base de données des initiatives des GAFAM dans la santé et analysé une nouvelle fois leur diversification dans l’industrie.

Les GAFAM ont participé à 53 initiatives dans le secteur de la santé en 2023

Selon notre décompte, les GAFAM ont lancé ou se sont associés, d’une manière ou d’une autre (nouveau produit ou service, nouvelle fonctionnalité, investissement ou acquisition, partenariat…), à 53 initiatives dans le domaine de la santé en 2023. Alphabet est celui  qui a participé au plus grand nombre d’entre elles, 27, devant Amazon et Microsoft (12 chacun). Nous n’en avons identifié que deux pour Apple et aucune pour Meta.

Les initiatives d'Alphabet sont surtout le fait de ses cinq filiales : 16 pour GV (anciennement Google Ventures), six pour Google Cloud, deux pour Google et autant pour Verily.

Microsoft, leader sur l’IA générative

Les GAFAM se sont intéressés, l'an dernier, à huit services différents de la santé. C'est dans le domaine de l’IA générative qu'ils se sont montrés les plus entreprenants, avec 20 opérations, en particulier grâce à Microsoft, qui en a à lui seul annoncé dix.

Cela s’explique notamment par son partenariat avec OpenAI, l’entreprise créatrice de l’agent conversationnel ChatGPT basé sur le grand modèle de langage (LLM) GPT. En janvier 2023, Microsoft a annoncé le lancement de la troisième phase de ce partenariat à long terme à travers un investissement pluriannuel de plusieurs milliards de dollars. Selon Bloomberg, le montant investi dans l’entreprise atteindrait les 10 milliards. En 2019, Microsoft avait déjà investi 1 milliard dans l’entreprise, complété par un financement d’un montant non divulgué en 2021. Dans son communiqué, Microsoft a indiqué qu'il allait déployer les modèles OpenAI dans ses produits grand public et d'entreprise.

Son objectif est également de déployer de nouveaux services comme Azure OpenAI, qui permet aux entreprises de créer leurs propres applications d’IA générative grâce aux modèles de son partenaire. Azure OpenAI est d’ailleurs au cœur du projet de Microsoft avec Epic, un des acteurs majeurs du dossier médical électronique, dévoilé en avril 2023. En août,  la CEO d’Epic Judy Faulkner a dévoilé les détails de cette collaboration. Outre la synthèse de notes cliniques, ses clients pourront bénéficier d’une solution d’amélioration du processus de facturation et appliquer l’IA générative à SlicerDicer, son outil d’analyse de données cliniques. Microsoft s’est également allié à IBM pour développer une solution permettant d’analyser les dossiers médicaux complexes et fournir aux infirmières et aux médecins un assistant virtuel pour les aider à collecter des informations à partir des dossiers des patients. 

Pour déployer l’IA générative dans les hôpitaux, Microsoft mise également sur des partenariats noués avec des établissements de santé réputés comme la Mayo Clinic et Mercy. Ces partenariats ont pour objectif de réduire les tâches administratives des cliniciens et de fournir des solutions basées sur l’IA générative permettant de communiquer avec les patients. La société de télémédecine Teladoc Health bénéficie également des solutions de Microsoft pour automatiser la création de notes cliniques. 

En mars 2023, Nuance, l’éditeur spécialisé dans la reconnaissance vocale acquise par Microsoft en 2022, a annoncé qu’il intégrait GPT-4, le LMM le plus récent d’OpenAI, dans son logiciel de traitement du langage naturel (NLP) Dragon Ambient eXperience (DAX) Express.

Les GAFAM s’affrontent sur la génération de notes cliniques

Alphabet n’est pas en reste. En avril 2023, Google annonçait un accès limité pour certains de ses clients à Med-PaLM 2, la seconde version de son LLM médical sur lequel l’entreprise travaille depuis 2022. En décembre 2023, Google a annoncé le lancement d’une nouvelle suite de modèles d’IA générative, baptisée MedLM, dédiée aux applications de santé et disponible via Google Cloud. MedLM comprend deux modèles (un grand modèle et un modèle de taille moyenne), basés sur Med-PaLM 2. Selon la firme de Mountain View, ils doivent répondre aux besoins spécifiques de ses clients du secteur de la santé comme la rédaction de compte-rendu et la réponse à des questions médicales. Le réseau hospitalier HCA Healthcare fait partie des premiers utilisateurs. Il teste une solution de génération de compte-rendu par reconnaissance vocale. Google Cloud a également utilisé l’IA générative pour faire évoluer son outil Vertex AI Search qui permet aux structures de santé, publiques ou privées, de chercher des informations cliniques précises. 

“Dans le cadre des applications en santé des LLM, l'aide à la rédaction de comptes-rendus et l'allègement des tâches administratives ne nécessitant pas une expertise médicale se déploie extrêmement rapidement, constate le Pr Stéphanie Allassonnière, professeure de Mathématiques Appliquées, vice-présidente Valorisation et Partenariats Industriels de l’Université Paris-Cité, directrice Adjointe et Chaire de PR[AI]RIE et cofondatrice de Sonio. Nabla a été une des premières entreprises à le développer en utilisant GPT et en le calibrant sur les dernières couches sur des comptes-rendus, notamment d'obstétrique. D’autres l’ont fait de manière différente. Dans certaines disciplines, le recours aux LLM n’est pas nécessaire car les comptes-rendus sont très standardisés. C’est le cas, par exemple, en neurologie où les tests de bilan mémoire permettent de prérédiger des comptes-rendus facilement."

Amazon s’est également lancé dans la partie. En avril 2023, sa filiale AWS a noué un partenariat avec 3M Health Information Systems afin d’améliorer sa plateforme d’IA conversationnelle, utilisée par plus de 300 000 cliniciens. En juillet 2023, AWS a dévoilé HealthScribe, un nouveau service s'appuyant sur la reconnaissance vocale et l’IA générative pour créer automatiquement une documentation clinique à partir des conversations entre le patient et le clinicien. Comme Microsoft avec OpenAI, Amazon est allé plus loin, en s’associant à Anthropic, le créateur du modèle Claude, et en annonçant en septembre 2023 y investir jusqu’à 4 milliards de dollars.

Alphabet, le touche-à-tout de la santé

Comme l’an dernier, Alphabet est l'acteur qui s'est intéressé au plus grand nombre de domaines différents appliqués à la santé, sept, contre six pour Amazon et trois pour Microsoft. 

Alphabet est par exemple le seul à s’être positionné dans le domaine de l’assurance maladie, et Amazon le seul sur la distribution de médicaments.

Apple, de nouvelles perspectives en santé avec Vision Pro ?

Apple, de son côté, ne s'est penché que sur le domaine du quantified-self (automesure connectée, ndlr), qui consiste à analyser l’activité physique ou le mode de vie d'un individu grâce à des objets connectés ou des applications mobiles. Le géant de Cupertino en fait sa spécialité en s’appuyant, notamment, sur l’Apple Watch. L’an dernier, la FDA avait d’ailleurs autorisé les start-up Rune Labs et H2o Therapeutics à l’utiliser pour surveiller les symptômes de la maladie de Parkinson. Mais Apple s’appuie également sur l’iPhone pour réaliser des études à grande échelle avec des instituts de recherche, comme en témoigne celle menée avec la Harvard Chan School sur le SOPK qui a permis d'examiner une cohorte d’analyse préliminaire de plus de 50 000 participantes. 

En 2023, le géant de Cupertino s’intéresse à la santé mentale avec l’introduction de nouvelles fonctionnalités dans iOS 17, iPadOS 17 et watchOS 10. Les utilisateurs peuvent désormais noter leurs émotions passagères et leur humeur quotidienne et accéder facilement à des évaluations et des ressources. L’iPhone, l’iPad et l’Apple Watch s’enrichissent également de nouvelles fonctionnalités de santé visuelle qui invitent les utilisateurs à adopter des habitudes saines pour réduire le risque de développer une myopie. 

À la même date, Apple a également dévoilé l’Apple Vision Pro, son premier casque de réalité mixte et les applications en santé n’ont pas tardé à voir le jour. L’entreprise japonaise Jolly Good a par exemple annoncé en novembre qu’elle développait un programme de thérapie comportementale et cognitive basé sur la réalité virtuelle pour l’Apple Vision Pro. En mars 2024, Sumbul Desai, vice-présidente de la division Santé d’Apple, confirmait les ambitions de l’entreprise : “Chez Apple, nous pensons que la technologie peut jouer un rôle important dans l'évolution des soins de santé. Avec la possibilité de transformer l'espace d'un utilisateur, d'afficher des objets 3D à taille réelle et de visualiser en une seule fois toutes les données pertinentes, les opportunités pour les développeurs du secteur de la santé d'utiliser Apple Vision Pro afin d’améliorer la planification des procédures, la formation et les résultats sont illimitées.” Une quinzaine d’applications santé avait déjà été développées pour Vision Pro en mars 2024.

Amazon se recentre sur les soins et la pharmacie

La finalisation de l’acquisition de One Medical pour 3,9 milliards de dollars constitue l’initiative majeure d’Amazon dans le secteur de la santé en 2023. La société de soins primaires propose de la télémédecine et possède un réseau de cliniques. Amazon se renforce également dans le domaine du soin en déployant sur l’ensemble du territoire américain Amazon Clinic, son service de mise en relation de patients avec des cliniques virtuelles. L’entreprise a également continué de développer son service Amazon Pharmacy, notamment en inaugurant en octobre 2023 la livraison par drones. Mais elle a choisi de mettre fin à Amazon Halo, sa gamme d’objets connectés, qui n’a pas réussi à s’imposer sur le marché. En deux ans, il s’agit de la troisième fermeture d’une des divisions santé du géant du commerce électronique. Amazon a en effet mis fin à Amazon Care en décembre 2022 et à Haven, sa coentreprise avec JPMorgan Chase et Berkshire Hathaway proposant un service de prise en charge des soins de santé de leurs employés, en 2021. 

Drug discovery : Amazon et Alphabet placent leurs pions

Lorsqu’ils interviennent dans le secteur de la santé, les géants technologiques américains s’intéressent majoritairement aux laboratoires, puisque c’est le cas d’environ 42 % des projets dans lesquels ils sont impliqués, contre 36 % pour les professionnels de santé (certains projets s’adressent à plus d’une cible). 11 projets concernent le grand public.

Là encore, ces chiffres masquent des disparités entre acteurs. Pour s’implanter dans la découverte de médicaments, GV, le fonds d’Alphabet, a multiplié les investissements dans des biotech. Il a notamment dirigé la série B de 135 M$ de Chroma Medicine (thérapies génomiques) et codirigé le tour de financement de 210 M$ de Nimbus Therapeutics, spécialisée dans les petites molécules, ainsi que celui d’Aera Therapeutics (193 M$) axée sur les thérapies génétiques. Alphabet mise également sur les partenariats en la matière. Google a ainsi entamé un partenariat avec Bayer et s’est allié au laboratoire américain Ismed, spécialisé dans les maladies rares, pour utiliser l’IA générative afin de réduire les délais de développement de nouveaux médicaments et améliorer leur efficacité.

Pour Camille Madelon, directrice associée Life Sciences de Capgemini Invent, ces partenariats sont clés pour les entreprises pharmaceutiques: “Elles se lancent toutes dans des partenariats avec les trois grands hyperscalers (Microsoft, Amazon et Google) et désormais avec Mistral pour accéder à certains LLM. Une entreprise peut choisir un acteur unique pour gérer tout son cloud ou choisir de multiplier les collaborations en fonction des cas d’usage. Nous sommes aujourd’hui aux prémices de l'utilisation de l'IA générative. Les coûts ne sont pas encore très importants, mais ce sera le cas dès le passage à l'échelle. Cela va constituer une part très importante des budgets IT, d'où l'importance de créer des partenariats de long terme et de bien mesurer l’impact de ces choix en matière énergétique et environnementale. D’autant que la majorité des entreprises du secteur s’est prononcée en faveur d’une réduction de son empreinte carbone.” Pour les GAFAM, ces partenariats ont également un intérêt économique non négligeable selon elle : “L’utilisation du cloud constitue le cœur de l’activité de Microsoft, Amazon et Google. Il n’est pas anodin qu’ils soient les premiers à avoir poussé l’IA générative qui en est très consommatrice. L’industrie de la santé présente pour eux un fort intérêt car elle utilise et va utiliser de plus en plus de données avec l’essor de la médecine personnalisée.”

Alphabet n’est pas seul en scène, AWS a également signé des partenariats avec de grands noms de l’industrie pharmaceutique comme Merck et Amgen. L’objectif est de mettre à profit l’IA générative pour accélérer la découverte de nouvelles thérapies, notamment en favorisant l’innovation en matière d'essais cliniques. Pour le Pr Stéphanie Allassonière, les modèles génératifs pourraient bouleverser le champ des essais cliniques : “En dehors des LLM, les modèles génératifs ont pléthore d'applications. L’une d’elles me paraît fondamentale : leur utilisation pour générer des patients artificiels qui intégreraient des bras contrôles avec des patients réels afin d’augmenter les cohortes dans les essais cliniques, notamment pour les pathologies connaissant des difficultés de recrutement comme les cancers rares, les maladies rares ou certaines populations fragiles (enfants, femmes enceintes, personnes âgées). Ils peuvent également être utilisés pour générer des patients afin d’entraîner des algorithmes de dispositifs médicaux.”

GV domine encore les investissements

Pour s’inviter sur le terrain de la santé, les GAFAM ont procédé majoritairement, en 2023, à des investissements, ce type d’opération représente environ 34 % de celles étudiées, contre 30 % pour les partenariats et 17 % pour les nouveaux services et produits.

Comme l’an dernier GV a été le plus actif sur le plan des investissements, en privilégiant des investissements dans des biotech, notamment spécialisées en génomique. Mais le fonds de la firme de Mountain View a également dirigé deux investissements dans des femtech : Midi (25 M$) et Allara (10 M$). GV a cependant réduit le nombre de ses prises de participation par rapport à 2022, lorsqu’il en avait réalisé 26. Outre son financement d’OpenAI, Microsoft a investi en 2023 dans la plateforme de données d'imagerie médicale et d'IA Flywheel (série D de 54 M$ en juin 2023).