Accueil > Industrie > TENDANCES 2024 – De l’IA appliquée à la drug discovery, des partenariats tous azimuts TENDANCES 2024 – De l’IA appliquée à la drug discovery, des partenariats tous azimuts De la drug discovery jusqu'à la fabrication de médicaments, l'IA bouleverse le monde de la pharma, et l'intelligence artificielle générative devient un atout dans la manche des chimistes pour concevoir des candidats médicaments. Par Clarisse Treilles. Publié le 16 janvier 2024 à 15h02 - Mis à jour le 17 juillet 2024 à 17h35 Ressources L’utilisation de l’intelligence artificielle pour accélérer la recherche et le développement de médicaments continue à progresser. Les algorithmes d’apprentissage automatique peuvent aider à identifier de nouvelles cibles thérapeutiques, concevoir des molécules candidates, prédire l’efficacité des médicaments et optimiser les essais cliniques. Comment le marché s’organise et sur quels partenaires misent les grands laboratoires pour continuer d’innover ? Signaux forts et faibles Les entreprises spécialisées en IA générative font progresser des molécules vers des essais cliniques. A titre d’exemple, la société Insilico Medicine a commencé les essais cliniques de phases 2 de son premier médicament – conçu entièrement par une IA générative – contre la fibrose pulmonaire idiopathique. Récemment, la biotech s’est aussi alliée au groupe pharmaceutique Menarini autour d’un nouvel inhibiteur de KAT6, destiné notamment au traitement du cancer du sein. L’équipe R&D d’Insilico a conçu une molécule prometteuse via sa plateforme Pharma Generative AI. Cette collaboration permet “d’explorer une nouvelle approche thérapeutique” et de “débloquer potentiellement de nouvelles thérapies anticancéreuses transformatrices” a déclaré Elcin Barker Ergun, PDG du groupe Menarini. Les grands laboratoires qui font de la R&D nouent des partenariats avec les start-up innovantes, à l’instar de l’accord pluriannuel à 140 millions de dollars passé entre Aqemia et Sanofi ou de l’accord passé entre Servier et Owkin en vue de développer de nouveaux traitements ciblant les tumeurs. Iktos, qui travaille au lancement de sa plateforme Iktos Robotics et à l’élargissement de son offre logicielle en SaaS, est aussi sur une pente accélératrice : la start-up a levé 15,5 millions d’euros en série A en mars 2023. Ce tour de table a été mené par M Ventures et Debiopharm Innovation Fund, avec la participation d’Omnes Capital. Les grands laboratoires, pour remplir leurs pipelines de nouveaux médicaments, sont avides de nouveaux partenariats. Isomorphic Labs, filiale d’Alphabet, a annoncé en début d’année deux collaborations de grande ampleur avec Novartis et Eli Lilly, axées sur les petites molécules. Isomorphic Labs fournit des outils technologiques et d’IA, dont le modèle AlphaFold de DeepMind, la division IA du groupe Alphabet. Par ailleurs, notons que Merck a récemment lancé sa première plateforme logicielle d’IA, AIDDISON, pour la découverte de médicaments. Elle combine l’IA générative, le machine learning et l’assistance par ordinateur pour augmenter le taux de réussite des candidats médicaments et pour évaluer les voies de synthèse en incluant un logiciel de rétrosynthèse. Les nouveaux visages des essais cliniques Selon Franck Mouthon, président de France Biotech, “les nouvelles méthodologies cliniques englobent des aspects de numérisation pour gagner en vélocité et en qualité”. Outre la décentralisation des essais cliniques qui “va continuer de se mettre en place”, il observe que les nouvelles méthodologies, embarquant par exemple des bras synthétiques, commencent à apparaître, citant l’exemple de la filière IA et cancer (FIAC). “On constitue un groupe de travail dédié à ces nouvelles méthodologies cliniques. Mais cela prend du temps, car cela demande des changements culturels à la fois pour l’évaluation et la régulation” a déclaré Franck Mouthon à mind Health. Owkin fait partie des acteurs français qui œuvrent sur le développement de modèles d’IA pour couvrir tout le spectre de la découverte au développement, jusqu’à l’implémentation en clinique. Sur le versant des essais cliniques, Owkin travaille avec différentes technologies pour “les accélérer et les dérisquer”, à l’instar “des bras de contrôle externes pour compléter les essais cliniques standards, basés sur des jumeaux numériques pour simuler la réponse d’un patient” ou bien “dans le cas d’essais randomisés, une technologie pour augmenter la puissance statistique et obtenir des résultats significatifs avec moins de patients en contrôlant l’hétérogénéité de résultats qu’on observe dans la réponse par ce que prédit le modèle d’IA” a détaillé Jean-Philippe Vert, Chief R&D Officer chez Owkin, à l’occasion de l’événement GenAI4care organisé le 18 décembre 2023. En d’autres termes, il se dit très favorable à l’introduction de modèles d’IA : “Il y a énormément d’opportunités pour améliorer la productivité des essais et l’extraction des informations. Beaucoup d’essais aujourd’hui sont longs parce que l’on recherche des événements rares. Pour qu’un essai démontre les bénéfices du traitement, il faut d’importantes cohortes. Si on peut dès le début enrichir la cohorte avec un modèle d’IA, pour prédire par exemple les populations les plus à risques, alors cela pourrait permettre d’aller vers plus d’efficacité”. Et d’ajouter : “L’IA peut aider à corriger l’hétérogénéité des réponses des patients. Aujourd’hui, les critères d’inclusion sont très étroits pour permettre de comparer plus facilement le bras de contrôle et le bras de traitement. Le fait d’utiliser des outils d’IA permettrait de corriger des variations au sein de la population pour mieux évaluer l’impact du traitement, y compris chez les patients qui sortent des critères d’inclusion.” La société CluePoints, qui propose des solutions logicielles de “Risk Based Monitoring” pour gérer et documenter les risques liés aux essais, constate l’intérêt d’injecter des modèles d’IA pour optimiser la méthodologie des essais cliniques. Dans un article de blog, l’entreprise indique : “Au cours des 12 à 18 derniers mois, les sociétés pharmaceutiques et biotechnologiques ont créé des LLM [Large Language Models, ndlr] pour les aider dans des tâches telles que la rédaction de protocoles et la conception d’évaluations des risques. De telles applications peuvent réduire de plusieurs mois les délais de mise en place des études, accélérant ainsi le processus de développement global. À l’avenir, l’IA générative pourrait également être utile pour développer des groupes témoins simulés, ou “bras synthétiques”. Cela pourrait considérablement rationaliser le lancement des études, en particulier dans les indications où un groupe témoin est difficile à recruter ou à retenir, comme les maladies rares ou celles comportant des risques de mortalité imminents.” Pourquoi c’est important ? Dans un rapport, le cabinet MarketsandMarkets prévoit que le marché mondial de l’IA dans la découverte de médicaments passera d’un chiffre d’affaires de 0,9 Md $ aujourd’hui à 4,9 Mds $ d’ici 2028. L’IA peut en effet contribuer à concevoir les cibles thérapeutiques et les molécules synthétiques et prédire les réponses des patients dans une approche plus personnalisée. MarketsandMarkets témoigne dans son rapport de l’avance prise par les États-Unis qui contrôlent près de la moitié du marché. Toutefois, on retrouve en France un écosystème de start-up dynamique, avec entre autres Iktos, Aqemia, Qubit Pharmaceuticals et WhiteLab Genomics. Historiquement, la mise sur le marché d’un nouveau médicament est un processus complexe, coûteux et hasardeux, avec un taux d’échec supérieur à 90%. Les nouvelles technologies peuvent optimiser ces étapes de R&D, les acteurs pharmaceutiques collaborant avec des sociétés innovantes plus petites pour alimenter leur pipeline de molécules. Lors de GenAI4Care, Paul Hudson, CEO de Sanofi, déclarait : “Il faut compter 1,5 milliard [de dollars] pour faire avancer le processus de découverte de médicament, la dernière étape du procédé se révélant être plus proche des 3 milliards. Dans une entreprise comme Sanofi, nous dépensons environ 7 milliards par an en recherche et développement. Cela devient de plus en plus difficile parce que le prix des médicaments ne cesse de diminuer et que nous avons toujours dû fixer des prix de manière responsable pour pouvoir investir dans la R&D. Dans la drug discovery, nous commençons avec environ 30 000 idées pour un médicament et nous finissons avec peut-être deux. Le risque que ces idées échouent est de 98%. C’est pourquoi l’IA dans la découverte de médicaments permet d’anticiper les problèmes de sécurité et d’aider à prévoir un problème avant qu’il ne survienne. La plupart des médicaments échouent en raison de problèmes de sécurité ultérieurs. Beaucoup de petites entreprises nous aident à réinventer notre façon de travailler, ce qui nous permet de réduire le coût et finalement le prix”. Selon Emmanuel Cayemaex, Executive Vice President, Immunology and U.S. Solutions chez UCB, l’IA générative permet deux choses : d’augmenter la productivité et de mener les applications les plus pointues en collaboration avec des biotech ou des partenaires académiques. “Avec Stanford, par exemple, nous utilisons leur outil GenAI combiné à notre plateforme pour tester des hypothèses en laboratoire”. Dans le développement d’une molécule, “la vraie valeur de l’IA ce n’est pas les économies générées, mais c’est la vitesse et le fait d’avoir un médicament potentiellement plus efficace et plus différencié. Enfin, il y a l’aspect sécurité qui entre en jeu, pour éviter les effets secondaires qui peuvent faire échouer une molécule en phase IIb.” Analyse et perspectives pour 2024 Le marché reste fragmenté entre les groupes pharmaceutiques traditionnels, les biotech et les start-up innovantes spécialisées sur une étape de la chaîne de la drug discovery. Traditionnellement, différentes équipes sont responsables pour chacune des étapes de la chaîne de valeur, telles que la conception de bibliothèques, le criblage de composés et la synthèse. L’IA offre certes la possibilité de fusionner ces étapes, en automatisant potentiellement le processus, mais les acteurs demeurent bien spécialisés. Selon Yann Gaston-Mathé, le PDG d’Iktos : “C’est assez classique de penser qu’il y a beaucoup d’acteurs qui font la même chose, alors qu’en fait, les sociétés font des choses si spécifiques qu’il est parfois difficile de comparer deux acteurs entre eux. Très souvent, les sociétés qui font de l’IA en drug discovery pourraient travailler ensemble en complémentarité plutôt que d’être vues comme des concurrents potentiels”. Les partenariats devraient ainsi continuer à croître. Selon le rapport annuel de Galen Growth “Pharmaceutical digital health innovation index”, de plus en plus d’entreprises biopharmaceutiques sont actives dans la santé numérique. À titre d’exemple, AstraZeneca a conclu 36 partenariats de santé numérique au cours des trois dernières années, 28% des nouveaux partenariats contribuant au processus de développement de médicaments. Le développement d’AlphaFold a fait énormément parler de lui et devrait continuer d’intéresser les laboratoires (comme Novartis) : l’algorithme de deep learning développé par DeepMind permet de prédire les structures des protéines avec des performances “assez remarquables” reconnaît le PDG d’Iktos. Un rapport commandé par le Wellcome Trust et rédigé par le Boston Consulting Group (BCG), intitulé “Unlocking the potential of AI in Drug Discovery” (juin 2023), observe que les domaines thérapeutiques où l’IA est plus présente sont les domaines qui sont les plus “riches en données et commercialement attractifs”, comme l’oncologie (37%) et les maladies infectieuses (12%), telles que le paludisme, la tuberculose ou le VIH. L’analyse des pipelines de biotech “AI-first” montre que la vaste majorité des actifs sont des petites molécules, bien que les vaccins et les anticorps gagnent aussi du terrain. Les acteurs impliqués dénoncent un problème récurrent : celui de l’accès aux données. La formation de modèles d’IA générative nécessite en effet d’importants volumes de données. Drug Discovery : l’IA générative face à la complexité de la recherche préclinique Clarisse Treilles Intelligence ArtificielleMédicamentPartenariatPharmacieRecherchestart-up Besoin d’informations complémentaires ? 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