Accueil > Adtechs & Martechs > Fin des cookies tiers : derrière l’annonce de Google, la méfiance du marché Fin des cookies tiers : derrière l’annonce de Google, la méfiance du marché Sous pression des autorités et de l’industrie, le groupe change de stratégie en annonçant ne pas supprimer les cookies tiers, mais en proposant de laisser le choix à l’utilisateur. Si certains acteurs se félicitent de cette annonce, beaucoup craignent une démarche similaire à App tracking transparency (ATT) d’Apple, qui a conduit à une quasi disparition des identifiants publicitaires dans son écosystème mobile. Par Paul Roy. Publié le 23 juillet 2024 à 18h00 - Mis à jour le 30 août 2024 à 17h39 Ressources Après plus de quatre ans d’incertitude et de reports, Google a finalement décidé de faire volte-face en annonçant lundi 22 juillet qu’il ne supprimera pas lui-même les cookies tiers. Dans un billet de blog, Anthony Chavez, vice-président Privacy Sandbox de Google, explique qu’“au lieu de supprimer les cookies tiers”, Google introduira “une nouvelle expérience dans Chrome qui permettrait aux utilisateurs de faire un choix éclairé qui s’appliquerait à toute leur navigation sur le web, et dans laquelle ils pourraient ajuster ce choix à tout moment.” Le dispositif reste pour le moment flou, mais la CMA, l’autorité de la concurrence britannique, qui contrôle l’avancée du dispositif et son respect des règles concurrentielles, évoque dans son message de réaction un “prompt de choix de l’utilisateur”. Google a indiqué continuer à collaborer avec la CMA et l’ICO dans le développement de ce nouveau dispositif. Une pression accentuée par les retours du marché La décision a évidemment été prise au regard des avis rendus par la CMA tout au long de son encadrement, qui ont obligé à plusieurs reprises le groupe à décaler la fin des cookies tiers sur Chrome. L’autorité de la concurrence britannique a de son côté lancé un appel à contributions auprès des acteurs du marché, pour soumettre leurs retours jusqu’au 12 août. Elle réaffirme d’ailleurs son rôle “Nous devrons examiner attentivement la nouvelle approche de Google en matière de Privacy Sandbox, en étroite collaboration avec l'ICO à cet égard, et nous accueillerons volontiers les avis sur l'approche révisée de Google - y compris les implications possibles pour les consommateurs et les résultats du marché”, a-t-elle indiqué dans un communiqué. Privacy Sandbox : la catégorisation des sites dans Topics interroge toujours La pression de la CMA semble s’être accrue ces derniers mois avec les premiers retours de tests grandeur nature de l’industrie. L’annonce survient en effet à quelques jours de la diffusion très attendue d’un nouveau rapport trimestriel de la CMA - qu’elle ne publiera donc qu’après avoir recueilli les retours marché. Cette annonce aura été précédée par plusieurs publications de résultats de tests par des sociétés adtechs majeures, en juillet - dont Criteo, Index Exchange ou Teads. Au total, nous en avons relevé une dizaine depuis janvier 2024. Les chiffres issus des tests de Criteo, qui pointent une perte potentielle de 60 % pour les éditeurs et une augmentation substantielle de la part de marché de Google Ad Manager, ont particulièrement été repris, obligeant même le groupe à répondre, avait indiqué le JDN. Ne pas supprimer les cookies pour s’affranchir de la CMA Si Google semble avoir cédé face au marché publicitaire et à la CMA, s’agit-il vraiment d’une bonne nouvelle ? Pour un expert interrogé par mind Media, cette décision dans un contexte très tendu est surtout une manière pour Google de s’extirper du contrôle de la CMA - qui basait sa démarche sur la suppression des cookies tiers, et par sur une dégradation résultant du choix de l’utilisateur - et des retours du marché pour s’offrir beaucoup plus de flexibilité. “Google passe sur des délais beaucoup plus courts. Le groupe n’aurait de toute façon pu supprimer les cookies tiers avant 2026 au moins (en prenant en compte un nouveau report induit par le rapport trimestriel de la CMA, ndlr). Avec cette annonce, il va permettre la dégradation des cookies tiers en reportant le choix sur l’utilisateur, dans une période de temps beaucoup plus resserrée, tout en travaillant sur Privacy Sandbox”, indique-t-il. Privacy Sandbox : Google prend des engagements auprès de l’Autorité de la concurrence britannique Un point de vue que partage Alain Lévy, CEO de Weborama, qui souligne la nécessaire mobilisation du marché face à “l’aboutissement d’un processus assez catastrophique” de la part de Google, qui aura toujours eu du mal à comprendre l’écosystème publicitaire et ses attentes sur le sujet. “Il faut rappeler que les engagements ont été avant tout pris sur Privacy Sandbox et pas sur le cookie tiers. Dans les prochains jours, la communauté tech va insister sur ce principe-là pour que Google ne s’affranchisse pas du contrôle de la CMA”, anticipe-t-il. L’ombre d’App tracking transparency d’Apple Car comme en témoignent les nombreuses réactions à l’annonce de Google sur le marché publicitaire, la crainte en laissant le choix à l'utilisateur est surtout de voir se reproduire les effets de la démarche adoptée par Apple sur mobile. Le groupe américain impose depuis 2021 une fenêtre de consentement à son identifiant publicitaire IDFA, qui résulte en un taux d’acceptation de 15 à 30 %. Ce qui a bouleversé le fonctionnement de l’industrie publicitaire mobile, et conduit à une redirection des investissements sur les environnements du groupe (Search Ads notamment). “Si un phénomène similaire se produit, la Privacy Sandbox servirait alors de solution de repli - plutôt que de solution primaire, comme proposé au départ. Et effectivement, cela pourrait encore signifier l'abandon quasi-total (mais pas total) du cookie tiers”, avertit ainsi Andrew Casale, CEO d’Index Exchange, particulièrement engagé dans la construction d’alternatives, dans un post LinkedIn. Alliance Digitale rappelle elle aussi le risque d’un double consentement, comme c'est le cas sur Apple, contre qui elle - et d’autres organisations - avait déposé une plainte en 2021 auprès de l’Autorité de la concurrence française : “Nous ne voyons pas comment nous pourrions accepter une pop-up additionnelle sur ce sujet, puisque celle-ci nous paraît à la fois inutile, difficilement compréhensible pour les utilisateurs et potentiellement anticoncurrentielle”. Alban Peltier, CEO d’Antvoice, appelle aussi à la vigilance : “Comme souvent, les annonces des GAFAM se font en plusieurs coups, et nous attendons de voir précisément comment va être gérée la question du double consentement”. Pour le moment, il est en effet difficile d’en jauger l’effet tant que le dispositif n’est pas décrit plus précisément - ce qui devrait être le cas à la rentrée - mais les signaux sont plutôt négatifs. “Au contraire d’Apple, dont la pop-up apparaît sur chaque application, Google a jusque-là collecté un consentement à Privacy Sandbox au niveau du navigateur, ce qui a théoriquement beaucoup plus d’impact”, nous explique un expert adtech, indiquant que le concept de “prompt” évoqué par la CMA va aussi dans ce sens. Privacy Sandbox peu convaincante en matière de protection des données personnelles ? L’intégration de la Cnil britannique dans la démarche de la CMA pour son rapport du T1 2024 a aussi pu être un élément déterminant dans la décision de Google. L’ICO a été particulièrement critique sur la capacité de Privacy Sandbox de se conformer aux réglementations des données personnelles. Si l’on se fie aux interprétations de la CMA de ce rapport, l’ICO avait entre autres critiqué la fenêtre de consentement de Google qui “n’informerait pas de manière adéquate” les utilisateurs sur la manière dont sont utilisées leurs données - ce à quoi Google avait répondu par un changement de l’interface. D’autres voix s’étaient élevées sur cet aspect, à l’image de l’organisation Noyb, qui a déposé une plainte en juin concernant le recueil de consentement sur Privacy Sandbox. Google devra aussi prendre en compte cet aspect pour son nouveau dispositif. “Le diable se cache dans les détails”, prévient ainsi le Movement for an open web dans son communiqué de réaction, rappelant qu’il faudra s’assurer que le consommateur puisse faire un choix qui “soit réellement éclairé, impartial et qu'il s'applique aussi bien aux propriétés de Google qu'aux autres fournisseurs BtoB et BtoC”. À l’annonce de Google, l’ICO n’a cependant pas caché sa déception, considérant in fine la suppression des cookies tiers comme une mesure viable pour les consommateurs. “Nous sommes déçus que Google ait changé ses plans et n'ait plus l'intention de déprécier les cookies tiers du navigateur Chrome”, a déclaré Stephen Bonner, commissaire adjoint à l'ICO, dans un communiqué repris par The Drum. “Depuis le début du projet Privacy Sandbox de Google en 2019, nous sommes d'avis que le blocage des cookies tiers serait une mesure positive pour les consommateurs.” Autant de questions auxquelles Google doit répondre devant la CMA, qui devra s’assurer que le nouveau dispositif n’accentue pas les déséquilibres sur un marché publicitaire déjà fragile. James Rosewell, fondateur de l’organisation à but non-lucratif Movement for an open web, pointe que la “nouvelle approche” ne fonctionnera que si elle est appliquée de la même manière aux produits et services de Google : “Cela signifie que les avis concernant l'interopérabilité, la personnalisation, l'utilisation des données, y compris la publicité ou la personnalisation, doivent être les mêmes pour toutes les parties”. Il va même plus loin en demandant à la CMA de pousser Apple à rétablir l’interopérabilité et les cookies tiers sur son navigateur Safari. Continuer de préparer l’après cookies tiers Les entreprises qui se positionnent sur le développement de solutions pour préparer l’après cookies tiers l’ont beaucoup répété : au regard des nouvelles réglementations, et des politiques des grands groupes américains, il sera toujours nécessaire de diminuer sa dépendance aux traqueurs publicitaires. La possibilité d’une nouvelle dégradation des cookies tiers sur Chrome induite par le système de préférences utilisateur envisagé par Google renforce cette conviction. “Dans un marché difficile, les annonceurs ne devront plus être dans une logique de test, mais de savoir quelles solutions (contextuel, ID, etc.) vont générer le maximum de performance. Il va falloir faire encore davantage d'évangélisation, et que tout soit très simple d’accès”, constate Alban Peltier, CEO d’Antvoice, rappelant qu’il y aura de toute façon nécessité de combiner toutes les approches. Alain Levy (Weborama) ajoute que les acteurs adtechs auront un rôle d’interface pour l’utilisation de l’ensemble de ces outils. Fin des cookies tiers : les identifiants uniques opérationnels, mais encore loin du passage à l’échelle Même si cette annonce arrive dans une période creuse pour le marché publicitaire, l’effet sera sans doute visible à court terme pour les fournisseurs de solutions post-cookies tiers. “Sur les deux prochains mois, les annonceurs vont rester sur cette impression que la fin du cookie tiers est annulée. Mais à partir de septembre, nous sommes convaincus qu’il va y avoir une clarification des ambitions de Google, et donc un recours à nos solutions”, indique un cadre d’une entreprise de solutions post-cookies tiers. Le marché est donc une fois de plus en attente de clarification, alors que durant les mois précédant les tests grandeur nature, l'attitude du groupe laissait entrevoir une collaboration possible avec le secteur adtech. “J’espère qu’ils ont prévu leur coup et que nous n’allons pas à nouveau être dans l’expectative pendant des mois. J’ai été surpris par leur attitude globale sur Privacy Sandbox : ils sont assez brouillon et ils ne sont pas à la hauteur des responsabilités qui viennent avec la position de force qu’ils ont sur le marché”, regrette Alain Lévy. Paul Roy CookiesGoogle Privacy Sandbox Besoin d’informations complémentaires ? 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