E-sport : les avancées et les lacunes de la nouvelle loi pour les organisateurs de compétitions

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Les compétitions de jeux vidéo disposent en France d’un cadre juridique relativement complet depuis la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique. Mais ce cadre reste encore à parfaire, notamment afin de donner aux organisateurs les outils nécessaires à la défense et à la valorisation des compétitions de e-sport qu’ils organisent, par exemple pour les retransmissions audiovisuelles. Jean-Sébastien Mariez et Xavier Près, avocats au sein de la société De Gaulle Fleurance & Associés, expliquent les apports du nouveau texte pour les organisateurs des compétitions de e-sport et le chemin qu’il reste à faire afin de sécuriser son exploitation audiovisuelle.


Les avancées de la loi d’octobre 2016

Une première étape législative s’est jouée avec la loi d’octobre 2016 pour une République numérique qui a souhaité tout à la fois favoriser le développement de ce secteur, économiquement en pleine expansion, tout en le régulant juridiquement. Economiquement, le secteur est prometteur : selon le Rapport concernant la pratique compétitive du jeu vidéo de R. Salles, J. Durant, et A. Kirchner « la taille du marché mondial de l’e-sport serait de l’ordre de 600 millions de dollars, avec des taux de croissance annuels de l’ordre de 30 % par an. A ce rythme, les revenus de l’e-sport dépasseront les 1,5 milliard d’euros (soit la taille approximative du marché mondial du tennis) en 2020 ». Juridiquement, le e-sport est désormais doté d’un régime relativement complet. Il repose sur trois piliers, soit autant de temps forts de cette première mi-temps législative.

1 La levée des barrières légales. Le premier apport de la loi République numérique a été de lever le risque de voir les compétitions de e-sport interdites en application du principe de prohibition des loteries et jeux d’argent défini par le Code de la sécurité intérieure et sanctionné pénalement. La nouvelle loi établit un mécanisme de dérogation à ce principe applicable dans les cas où la présence physique des joueurs est requise. Pour en bénéficier, l’organisateur de la compétition de e-sport devra satisfaire à une obligation de déclaration auprès d’une autorité administrative qui reste à définir par voie de décret.

Ce texte détaillera les mesures que devra prendre l’organisateur pour se conformer au nouvel article L. 321-9 du Code de la sécurité intérieure, d’abord pour s’assurer que le montant total des droits d’inscription ou des autres sacrifices financiers consentis par les joueurs n’excède pas une fraction du coût total d’organisation de l’évènement, ensuite pour garantir le reversement effectif de la totalité des gains ou lots mis en jeu. S’agissant des compétitions se déroulant uniquement en ligne, ce mécanisme de dérogation n’est pas applicable et le régime juridique plus complexe. En substance, l’intention du législateur est d’autoriser les compétitions en ligne lorsque le joueur pourra participer à la compétition sans débourser davantage que les frais d’accès à internet et le montant de la somme correspondant à l’acquisition du jeu vidéo servant de support à la compétition.

2 La création d’un statut du joueur professionnel. Ce statut vise le joueur professionnel salarié de jeu vidéo compétitif définit « comme toute personne ayant pour activité rémunérée la participation à des compétitions de jeu vidéo dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société bénéficiant d’un agrément du ministre chargé du numérique, précisé par voie réglementaire ». Il se décline autour d’un contrat de travail spécifique, en ce qu’il s’agit d’un contrat de travail à durée déterminée, obéissant à un régime doublement dérogatoire du droit commun : d’abord parce que son recours est obligatoire, alors même qu’il ne s’agit ni de remplacer un salarié absent, ni de faire face à un accroissement temporaire de l’activité ; ensuite parce que sa durée est susceptible de dépasser la durée légale maximale de principe (18 mois) puisqu’elle est d’une durée minimum de 12 mois (soit une saison) et maximum de 5 ans. Il convient enfin de noter que seules les associations ou sociétés bénéficiant d’un agrément délivré par le ministre chargé du numérique seront autorisées à proposer ce nouveau CDD aux joueurs. Ces règles sont directement inspirées du CDD spécifique prévu par le Code du sport pour les sportifs de haut niveau.

3 L’encadrement de la participation des mineurs. Le législateur a souhaité encore encadrer la participation des mineurs à des compétitions de e-sport. L’organisateur devra ainsi prendre soin d’obtenir l’autorisation du représentant légal du mineur, lequel ne pourra, s’il a moins de 16 ans, être engagé pour participer à une compétition de e-sport que sous réserve du respect de règles similaires à celles applicables à l’emploi des enfants dans le secteur du spectacle (i.e. en substance, autorisation administrative préalable et rémunération encadrée).


Une nouvelle étape législative doit être actionnée

L’e-sport désormais libéralisé et régulé, reste encore à asseoir les droits qu’un organisateur de compétition est susceptible de revendiquer afin de défendre et de valoriser l’évènement qu’il conçoit et développe, souvent au prix d’investissements substantiels. La question est économique ; elle est aussi juridique. Elle se résume principalement aux droits audiovisuels des compétitions de jeux vidéo.

La question des droits audiovisuels. L’essentiel des revenus d’un organisateur d’une manifestation provient traditionnellement des droits d’entrée des spectateurs (et, le cas échéant, des participants), des revenus versés par les sponsors, des recettes générées par la commercialisation de produits dérivés et des droits audiovisuels. Billetterie, contrat de parrainage (sponsoring) et licence de merchandising constituent pour ces trois premières sources de revenus un fondement juridique solide et aisé à mettre en place.

Il en va différemment pour les droits audiovisuels lorsque, comme c’est le cas pour le e-sport, il n’existe pas, en l’état de la législation actuelle, de fondement juridique totalement satisfaisant de nature à conférer à l’organisateur un droit privatif sur la manifestation elle-même, lui permettant ainsi d’en autoriser l’exploitation, et notamment de fixer les conditions de commercialisation des droits audiovisuels des compétitions de e-sport, et ce indépendamment des autorisations à obtenir des titulaires des droits sur le jeu vidéo lui-même. La question est d’autant plus aigüe que les enjeux économiques sont significatifs, spécialement lorsque l’on rappelle l’importance des droits audiovisuels, à l’instar de ce qui existe dans le domaine du sport.

Les solutions actuelles, en l’état du droit. La protection par le droit d’auteur est une piste envisageable dès lors que la qualification d’œuvres de l’esprit a été reconnue à certaines manifestations sportives, ou encore, dans des domaines similaires, à des formats d’émissions TV ou encore à des défilés de mode. Mais, dans tous les cas, cela suppose que la manifestation réponde aux conditions de protection du droit d’auteur, à savoir qu’il s’agisse d’une création de forme originale, c’est-à-dire que des choix, libres et créatifs, soient opérés et ce tant en ce qui concerne le déroulement de la manifestation et ses mécanismes que ce qui touche à son aspect formel tenant par exemple au décor, au cadrage, au positionnement des protagonistes, à l’ambiance sonore et visuelle.

A défaut, l’évènement relèvera du concept et, à l’instar des idées, sera donc insusceptible de protection. Le droit d’auteur n’offre donc pas un cadre de protection systématique. Il en est de même de la concurrence déloyale ou parasitaire, qui permettra certes de faire sanctionner des actes contraires aux usages loyaux du commerce, mais nécessitera la preuve d’un risque de confusion ou d’investissements financiers, humains ou matériels détournés par un opérateur économique souhaitant, sans bourse délier, s’immiscer dans le sillage d’un autre pour tirer profit des efforts et du savoir-faire de ce dernier.

Les solutions nécessitant une évolution législative. C’est parce que ces solutions ne sont pas totalement satisfaisantes que nous avons proposé dans le cadre des travaux parlementaires ayant donné lieu au Rapport concernant la pratique compétitive du jeu vidéo précité, , la reconnaissance au profit de l’organisateur d’une compétition de jeux-vidéo d’un monopole comparable à celui dont jouissent les organisateurs de manifestations sportives. Cette proposition a été reprise dans le Rapport concernant la pratique compétitive du jeu vidéo précité (proposition n° 6). Si elle était consacrée, les organisateurs seraient ainsi titulaires d’un droit de propriété sur les manifestations ou compétitions de jeux vidéo qu’ils organisent. Ils disposeraient ainsi, notamment du droit d’autoriser les exploitations, notamment audiovisuelles, sans avoir à rapporter la preuve aléatoire d’une œuvre originale, ni à démontrer l’existence d’une faute pour faire sanctionner des comportements déloyaux. L’ensemble de la chaine des droits en serait ainsi sécurisé.

La consécration d’un tel monopole suppose toutefois l’intervention du législateur, le principe d’interprétation stricte ne permettant pas de transposer au e-sport les solutions du sport. C’est cette nouvelle étape législative qui qui reste donc à jouer. Elle suppose toutefois que le secteur s’organise, se structure et se fédère.

Par Jean-Sébastien Mariez et Xavier Près, avocats chez De Gaulle Fleurance & Associés

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