Suffit-il de « manger » du digital pour se digitaliser ? Si l’on observe les grands réseaux et leur appétit de glouton à consommer des agences digitales comme on enfile des perles, le constat est pour le moins nuancé. A chaque fois, l’argumentaire est le même : il s’agit d’intégrer des compétences et d’adresser encore mieux un marché, dont chacun convient qu’il attend des réponses numériques. Est-ce pour autant que les grands réseaux affichent les caractères d’un monde digital ? Je ne le crois pas. Leur nature n’a pas franchement évolué.
LES RÉSEAUX D’AGENCES SONT PRÉOCCUPÉES PAR LES GAFA
Plongée dans un environnement traditionnel et publicitaire, réduite à l’état de canal ou de métier, l’agence digitale se conformera et perdra son caractère. Choc des cultures, difficulté d’intégration et finalement départ des forces vives de l’agence acquise caractérisent la digestion. Au mieux, l’objet se maintient dans un recoin de l’environnement. Marginalisé qu’il est, donc marginalisable, il luttera pour sa survie, dépensant inutilement énergie et créativité. Il rentrera dans le rang. Et c’est bien normal, la culture publicitaire et le poids du média dominent les réseaux. La préoccupation des agences globales n’est plus spécialement de se digitaliser, mais de faire face aux GAFA, avec lesquels ils entrent en concurrence frontale sur le marché de l’activation du consommateur. La raison – et la nature – du problème en est bien simple : les GAFA sont connectés au public, ce qui n’est pas le cas des réseaux ! Car pendant ce temps, que font les gens ? Il est bon de rappeler que le coeur du sujet est et reste celui qui a le porte-monnaie, c’est-à-dire le consommateur. Le métier d’agence a toujours été de comprendre l’air du temps et de connecter les clients aux gens. C’est encore plus vrai aujourd’hui. Les gens ont changé, eux. Ils ont adopté le digital et y ont trouvé un sens. Ils s’en servent, notamment et surtout pour se connecter entre eux. Cela fait une décennie que l’on sait que l’enjeu du digital, ce n’est pas d’être dessus, mais de faire partie d’une société d’individus connectés. Le digital est une culture, elle relie les gens. C’est une question de relation, pas une question de poids du média ou de réclame. Comme le disait en 2009 Trevor Edwards, le président de Nike, « notre travail n’est pas d’engraisser les médias. Notre travail est de nous connecter à nos clients ». Celui-ci présenta ensuite alors le FuelBand, ce bracelet connecté pour le sport. L’ADN d’une agence digitale se situe ainsi dans sa capacité à comprendre le consommateur connecté, et à se relier à lui à travers des expériences qui font sens.
LE NUMÉRIQUE ÉXIGE UN ÉTAT D’ESPRIT
La digitalisation n’est pas une affaire de technologie ou de compétences. C’est une culture qui se traduit par une attitude dans le business, avec des modes d’organisation et de fonctionnement très différents du monde d’avant. C’est un état d’esprit. La culture digitale n’est pas soluble dans celle de la réclame, celle du siècle précédent. Ce que fait une agence digitale, c’est de réellement connecter la marque à ses clients. Elle n’est pas seulement digitale, elle est simplement en phase avec l’air du temps. Sa préoccupation n’est pas de vendre d’abord et avant tout de l’espace. Sa qualité est de créer les conditions de la relation. C’est une satisfaction partagée. Si l’on raisonne en termes d’expérience, la réflexion ne doit pas être orientée par le métier. Elle doit s’exprimer dans un contexte de parfaite neutralité au regard des canaux et des moyens. Pour faire du digital, il faut tellement de compétences qu’il est obligatoire d’avoir une approche neutre en termes de métier.
RÉUSSIR SA PROPRE MUTATION
Ce qui doit relier la marque et ses clients prime sur tout. Prise comme un métier qu’elle n’est pas et confrontée à d’autres métiers mieux installés dans les réseaux, l’agence digitale perd son sens. C’est la même chose avec le client, qui ne raisonne plus en canaux mais en expérience globale de la marque, une et indivisible. Le reste n’est que des moyens et surtout pas la fin.