LCB-FT et cryptos : un nouvel exercice d’équilibriste

Image à la une de l'article LCB-FT et cryptos : un nouvel exercice d’équilibriste
Matthieu Lucchesi, collaborateur au sein du cabinet Gide, revient sur l'ordonnance du 9 décembre 2020 qui modifie le cadre LCB-FT pour les services sur actifs numériques instauré par la loi PACTE en 2019.
Cet article vous est proposé gratuitement par la rédaction.
Lancez votre essai gratuit de 15 jours pour découvrir l’ensemble de nos contenus

Un an à peine après l’entrée en vigueur de la loi PACTE et de ses textes d’application sur les actifs numériques, une ordonnance du 9 décembre 2020 (2) vient modifier le régime que cette réforme avait introduit. 

Pour rappel, l’équilibre alors trouvé reposait sur deux corps de règles. D’une part, la loi PACTE avait introduit un régime largement optionnel pour les acteurs, leur permettant d’opter pour l’obtention d’un agrément comme label réglementaire pour faciliter leur développement. D’autre part, cette même loi, transposant une directive européenne, avait également prévu une obligation d’enregistrement pour deux types de services : la conservation pour compte de tiers d’actifs numériques et leur conversion en monnaie légale. L’enregistrement pour ces deux services implique un contrôle, par les autorités françaises, de l’honorabilité, de la compétence et surtout du dispositif de lutte anti-blanchiment et contre le financement du terrorisme (LCB-FT), avant le lancement d’activités pour les acteurs. Pour ceux déjà en activité lors de la réforme et désormais soumis à enregistrement, une période transitoire est prévue jusqu’au 18 décembre 2020.

C’est cet équilibre que vient modifier l’ordonnance du 9 décembre 2020, qui intervient dans un contexte particulier. Elle s’inscrit dans le prolongement de la finalisation par le Groupe d’action financière (GAFI) de ses recommandations sur les services sur actifs numériques dès juin 2019. Ces recommandations invitent les juridictions membres du groupe, dont la France, à imposer des obligations dédiées principalement à la LCB-FT à un périmètre d’acteurs plus large que ceux visés par la loi PACTE telle qu’adoptée en mai 2019. Alors que la France fait actuellement l’objet d’une revue par le GAFI du respect des recommandations publiées par ce dernier, le gouvernement a souhaité rapidement initier une réflexion sur les ajustements dont devrait faire l’objet le cadre français pour permettre sa conformité aux standards internationaux.

Au-delà de ce contexte réglementaire, cette ordonnance fait également suite aux prises de position politiques récentes après le drame de Conflans-Sainte-Honorine et au démantèlement de certains réseaux intervenus au cours de cette année, appelant à renforcer en France la LCB-FT. Elle intervient également au moment où de plus en plus d’acteurs établis annoncent vouloir intégrer des crypto-actifs tels que le Bitcoin dans leurs offres de services, notamment de paiement. Ces circonstances ont ainsi renforcé le besoin de s’assurer que le cadre réglementaire français permet de soutenir un développement sain du marché des crypto-actifs, y compris du Bitcoin, et d’empêcher son utilisation à des fins illégales.

Voici donc le défi que cherche à relever l’ordonnance du 9 décembre 2020 : rechercher un nouvel équilibre pour renforcer la lutte contre le blanchiment et le terrorisme sans affecter son attractivité pour les utilisateurs de cryptos. Autrement dit améliorer son efficacité pour répondre aux risques tout en soutenant l’innovation.

Pour cela, l’ordonnance s’est concentrée sur deux axes principaux. Le premier concerne le périmètre des services entraînant l’obligation d’enregistrement pour le prestataire qui les fournit. L’ordonnance du 9 décembre 2020 étend ce périmètre en y incluant, au-delà de la conservation pour compte de tiers d’actifs numériques et leur conversion en monnaie légale, les services de conversion d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques, ainsi que la gestion de plateforme d’échanges. En contrepartie, la réforme allège les diligences des autorités préalables au lancement de leurs activités par les acteurs. Ainsi, pour les services déjà soumis à enregistrement, la réforme restreint le spectre de vérifications à mener en amont par les autorités. Pour les deux services nouvellement visés, ces diligences sur le dispositif LCB-FT ne se feront qu’a posteriori, permettant aux acteurs de ne pas suspendre leur développement aux vérifications menées par les autorités.

Le second axe concerne le champ d’application géographique du régime. Réaffirmant que le cadre français peut capter des acteurs étrangers, l’ordonnance annonce que le règlement général de l’Autorité des marchés financiers (AMF) précisera les critères selon lesquels les services sur actifs numériques sont considérés comme étant fournis en France. Ces critères sont stratégiques car ils déterminent si ces acteurs étrangers sont soumis à l’obligation de s’enregistrer auprès de l’AMF. On comprend d’ailleurs que lesdits critères devraient reprendre ceux déjà précisés par la doctrine de l’Autorité, renforçant ainsi leur portée et leur force contraignante. En contrepartie de cette extension, l’ordonnance consacre en partie un mécanisme de reconnaissance mutuelle, permettant aux prestataires déjà enregistrés dans un autre Etat membre de bénéficier d’une procédure simplifiée.

Au-delà de ces deux axes, l’ordonnance finalise l’équilibre qu’elle recherche via des modifications ciblées. Elle soumet ainsi les acteurs cryptos à l’interdiction de tenir des comptes anonymes. A l’inverse, elle leur permet de bénéficier du régime de tierce introduction, leur aménageant ainsi plus de flexibilité dans l’organisation du dispositif LCB-FT qu’ils doivent mettre en place.

Cette ordonnance révèle une volonté politique de répondre aux multiples enjeux soulevés par l’écosystème des cryptos, en instaurant un équilibre nouveau, mais peut-être temporaire. A court terme, il devrait en effet être complété par des décrets, précisant notamment les dispositions sur le gel des avoirs et le traitement des clients occasionnels. A plus long terme, il sera sans doute être revisité par l’Union européenne à l’issue de ses travaux sur le marché des crypto-actifs et la LCB-FT. Ces modifications à venir seront sans doute l’occasion de repenser l’équilibre réglementaire qui vient d’être trouvé pour s’assurer qu’il reste adapté à un écosystème en constante évolution et compétitif à l’échelle internationale.

(1) Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019
(2) Ordonnance n° 2020-1544 du 9 décembre 2020
(3) Directive européenne 2018/843

Vous avez une information à nous partager ?
Article à retrouver dans La lettre mind Fintech n°182
Chaque mois, retrouvez l'essentiel de nos articles
Jeudi 7 janvier 2021
Nos autres services
Research
La réalisation d'études sur-mesure : benchmark, panorama, newsletter personnalisée, contenus en marque blanche.
En savoir plus
Formations
Nos formations & masterclass : des formats courts pour le management, le coaching de dirigeants, la montée en compétence de profils junior.
En savoir plus
Events
Des conférences d'une demie journée dédiées aux problématiques du secteur et ouvertes à l'ensemble de l'écosystème.
En savoir plus
Ce que vous devez absolument lire cette semaine
Les contenus essentiels de la semaine sélectionnés par la rédaction.
Voir tout
La sinistralité des catastrophes naturelles demeure structurellement élevée
Selon le Swiss Re Institute, 2025 marque la sixième année consécutive où les pertes assurées mondiales liées aux catastrophes naturelles excèdent...
19 décembre 2025
La FCA laisse les banques choisir la limite du paiement sans contact
“Les banques et prestataires de paiement disposant de dispositifs robustes de lutte contre la fraude pourront fixer leurs propres plafonds pour les paiements sans contact, ce qui leur...
19 décembre 2025
Google lance des cartes de crédit co-brandées en Inde avec Axis Bank
Google poursuit son incursion dans les services financiers en Inde. Le 17 décembre, la Big Tech y a lancé Flex by Google Pay, une carte de crédit co-brandée, en...
18 décembre 2025
Le Crédit Agricole lance un parcours 100 % en ligne pour le crédit immobilier
Si la période de confinement liée à la crise du Covid-19 a poussé les banques à avancer rapidement sur la digitalisation des parcours bancaires, les...
18 décembre 2025
Les articles les plus consultés du mois sur mind Fintech
Ce sur quoi les lecteurs cliquent le plus le mois dernier.
Ce sur quoi les lecteurs cliquent le plus le mois dernier.
1
Nitya Gupta (13books) : “Trois participations fintech françaises de 13books préparent leur Série B”
Fondée en 2019, la société londonienne de capital-risque 13books (ex-Element Ventures) a investi dans une trentaine de fintech européennes en early stage, dont quatre françaises : Aria, Ramify...
2 décembre 2025
2
BNP Paribas rejoint Qivalis, le consortium bancaire européen pour un stablecoin euro
Ambitions, feuille de route, gouvernance… Qivalis, le consortium de banques européennes qui œuvre à la création d’un stablecoin euro, dévoile de premières informations sur le projet et accueille...
2 décembre 2025
3
Les services numériques sont devenus un indispensable de la banque privée
Digitalisation des services, tendance à la démocratisation des offres “banque privée”, baisse de la gestion sous mandat… Pour la 10ème édition de son Observatoire de la Banque Privée, Swiss Life...
28 novembre 2025
4
L’exchange crypto Kraken déploie une carte de débit
En proposant une carte de débit Mastercard à ses utilisateurs, la plateforme d’échange crypto Kraken continue de construire des ponts entre la finance traditionnelle (TradFi) et la finance...
25 novembre 2025
5
Bitstack annonce une levée de 15 millions de dollars menée par 13books
L’application française Bitstack, qui permet d’épargner en bitcoin, a annoncé le 2 décembre une levée de fonds en Série A de 15 millions de...
2 décembre 2025
6
Un an après son lancement, Figen AI prépare son expansion en Europe
Onze mois après sa création, le fournisseur français d’assistants IA dédiés à la gestion de patrimoine Figen AI dénombre 1 200...
26 novembre 2025