Accueil > Investissement > Sébastien Le Roy : “Serena s’intéresse à la tendance du CFO stack” Sébastien Le Roy : “Serena s’intéresse à la tendance du CFO stack” Chaque mois, mind Fintech échange avec un professionnel du capital-risque sur la stratégie de son fonds et sa vision du secteur fintech. Pour ce numéro, Sébastien Le Roy, partner chez Serena, décrypte les conséquences du contexte économique sur la société de capital-risque et les start-up de son portefeuille. Parmi elles : Memo Bank, Libeo, Pretto, Silvr, Descartes Underwriting… Par Aude Fredouelle. Publié le 14 juin 2023 à 11h15 - Mis à jour le 15 juin 2023 à 10h55 Ressources Quelle est la thèse d’investissement de Serena ? Serena investit du seed jusqu’à la Série B, avec plusieurs véhicules d’investissement dont des fonds de seed verticalisés, pour s’assurer de bien connaître les industries et ainsi de bien accompagner les entrepreneurs. Nous avons donc trois fonds de seed : un fonds impact [Racine², le fonds d’investissement de la MGEN opéré par makesense et Serena et doté de 85 millions d’euros, Ndlr], avec lequel nous avons par exemple investi dans la néobanque verte Helios. Ensuite, un fonds tech/IA [Serena Data Ventures, qui a réalisé en 2017 un closing de 80 millions d’euros, Ndlr], qui peut aussi nous amener à regarder des fintech ou insurtech comme la société crypto Acinq. Nous avons fini d’investir le premier fonds et nous venons de closer le deuxième, à hauteur de 100 millions d’euros. Deux investissements ont déjà été effectués, dont un dans la fintech, et deux autres le seront d’ici à l’été. Ce fonds sera investi sur un axe technologique, et donc dans le domaine des fintech et insurtech, nous regarderons attentivement les infrastructures. L’enjeu sera de dénicher des technologies et les entrepreneurs puis de les accompagner pour concevoir le produit et trouver un product market fit. En Série A, lorsque nous investissons, il y a déjà un cas d’usage. Le troisième fonds seed est dédié au gaming, au consumer et au retail [V13, fonds de la FDJ de 30 millions d’euros confié à Serena, Ndlr]. Ensuite, nous disposons d’un fonds dédié à la Série A, avec lequel nous pouvons aussi parfois investir en Série B, comme nous l’avons fait pour Pretto [Serena III, doté de 300 millions d’euros, a été closé en février 2021 et poursuit son déploiement, Ndlr]. En Série A, l’objectif est de passer à l’échelle et potentiellement d’internationaliser, en fonction du modèle. Pour les fintech, le “go to market” peut être assez différent d’autres modèles software plus traditionnels, qui visent très vite les Etats-Unis après leur marché domestique. Dans la fintech, c’est souvent plutôt paneuropéen, car il y a des sujets réglementaires et parce que cela fait sens sur un positionnement PME par exemple. Nous avons par exemple investi par ce biais dans des fintech et insurtech comme Pretto (Série B), Descartes Underwriting (Série A) ou encore Libeo. Nous pouvons aussi intervenir en seed via ce véhicule, quand il y a un enjeu de go-to-market, de scalabilité ou d’expansion internationale. Quel est votre ticket moyen et votre rythme d’investissement ? Nous investissons en moyenne de 500 000 euros à 3 millions d’euros en seed, et de 4 à 10 millions d’euros sur un premier tour, avec pour objectif de pouvoir suivre sur les tours de table suivants. Au total, la fintech et l’insurtech représentent environ 20 % de notre portefeuille. En moyenne, nous réalisons entre 5 et 10 investissements par an. Serena compte 28 personnes, dont 11 au sein de l’équipe d’investissement et 7 dans l’équipe operating. Quel est le rôle de l’équipe operating ? Pour chaque investissement, Serena dédie à la société du portefeuille un binôme composé d’un “investment partner” et d’un “operating partner”, ancien entrepreneur ou opérateur de start-up. Ces collaborateurs travaillent avec les entrepreneurs et les C-level sur des sujets d’exécution. Nous les accompagnons donc à la fois sur l’equity story et la roadmap d’exécution. Serena dispose de plusieurs operating partners partners verticalisés par business model ou segment (marketplace/consumer, software…). Les fintech et insurtech sont par exemple souvent accompagnées d’un point de vue opérationnel par Jessica Ifker Delpirou, passée par plusieurs scale-up européennes [qui a notamment été directrice générale de BforBank, directrice générale France et Espagne de Made.com, VP Europe du Sud du groupe Meetic et membre du conseil d’administration d’ING Direct, Ndlr]. Dans la plupart des fonds, cette approche est assez récente. Mais chez Serena, nous avons toujours porté cet ADN d’accompagnement très opérationnel, car les fondateurs sont des anciens entrepreneurs. La proposition de valeur autour de l’intervention des operating a été formalisée entre 2015 et 2016. Concrètement, chaque start-up est à la fois accompagnée par un partner “investissement” sur sa stratégie equity, et d’un autre partner côté operating. Ensuite, nous mettons en place une communauté d’entraide entre les fondateurs et surtout les C-level, grâce à des workshops mensuels, une communauté online entre C-level. Ces derniers sont très impliqués : nous observons plus de 90 % de taux d’activité et un temps de réponse qualitatif de 30 minutes en moyenne. Nos participations accèdent aussi à 200 playbooks formalisés, coécrits avec des sociétés du portefeuille, sur des questions qui reviennent régulièrement. Dans le secteur fintech, quels sont vos segments privilégiés ? Nous aimons particulièrement les modèles SaaS BtoB – par exemple, nous avons investi dans le spécialiste IA Dataiku. Aujourd’hui, on voit un changement s’opérer sur le secteur fintech : après la vague des fintech BtoC et les valorisations et montants déployés très élevés, la fintech atteint le BtoB et particulièrement les PME. Nous avons investi dans Libeo, sur ce positionnement, dans Memo Bank, et dans iBanFirst [racheté par le fonds de private equity américain Marlin Equity Partners en octobre 2021 pour une valorisation de 200 millions d’euros, Ndlr]. Même si nous avons un ADN plutôt tourné vers le BtoB, nous avons réalisé quelques investissements en BtoC, par exemple dans MONI, [ex-Monisnap, Ndlr], qui a un modèle de one-stop-shop pour les diasporas et dans Helios, la néobanque verte. Mais ce qu’on voit c’est que ces pure player BtoC commencent à faire du BtoBtoC car leurs technologies intéressent l’écosystème. Chez MONI, les dirigeants ont d’abord lancé une app web et mobile permettant d’envoyer de l’argent peu importe la méthode de cash in ou cash out, et aujourd’hui la société permet également à des services financiers d’intégrer un service de remittance, comme avec Nickel. Ils ont déjà signé une poignée de clients. Cela reflète un mouvement de marché en cours. Nous regardons aussi de très près toutes les sociétés en “embedded” dès le départ, qui adaptent des services pour les consommateurs finaux auprès du BtoB, à la fois dans la banque et dans l’assurance. Nous suivons actuellement quelques acteurs qui proposent à des acteurs comme des retailers d’embarquer leur portefeuille d’assurance avec un partage de revenus, en s’affranchissant de l’acquisition du client final et en se concentrant sur la technologie. Enfin, la tendance du “CFO Stack” et l’évolution du métier du directeur financier nous intéresse beaucoup. Une vague d’outils a émergé et le CFO peut désormais interconnecter des services divers, comme Libeo par exemple. Memo Bank a aussi un positionnement de banque “software” qui permet au Comex de gagner en agilité. Concernant Helios, par exemple, pourquoi la start-up vous a séduit malgré le positionnement BtoC ? Nous avons investi dans Helios en raison de la prise de conscience sociétale de l’impact environnemental de l’épargne et du potentiel de la finance verte. De plus en plus de produits sont labellisés ISR mais certains continuent de financer les énergies fossiles, donc il y a un besoin pour un tiers de confiance. Et le compte bancaire est la porte d’entrée pour verdir l’ensemble des produits bancaires. Investissez-vous uniquement en France ? Nous investissons principalement en France, mais on se pose la question d’aller à l’international et de diversifier notre sourcing à l’occasion de la levée de nouveaux fonds. Jusqu’à aujourd’hui, les quelques investissements hors de France étaient plutôt opportunistes – avec des entrepreneurs que l’on suivait depuis longtemps déjà. Ceci dit, une partie de notre portefeuille a déplacé son siège à l’étranger, comme Dataiku aux Etats-Unis par exemple. Etes-vous en cours de levée ? L’environnement économique complique-t-il la levée de nouveaux fonds ? Nous sommes en quelque sorte toujours en processus de levée de nouveaux fonds, car nous voulons nous assurer de ne jamais être hors-marché et nous avons une équipe dédiée aux relations avec les investisseurs. Ce que j’observe, au-delà de Serena, c’est que les LP continuent d’être actifs mais que cela prend plus de temps, tout comme sur le segment de la levée de fonds avec les VC. Il y a 24 mois, pour les start-up en quête de fonds, les process étaient très normés. Aujourd’hui, c’est moins prédictible et cela prend plus de temps, et on observe un retour aux basiques comme l’efficience capitalistique. C’est vrai dans le software mais tout autant dans la fintech et insurtech, où les rationnels de valorisation étaient très élevés. Cette normalisation de la valorisation est une opportunité pour une société telle que la nôtre qui a rarement investi dans des sociétés qui n’avaient pas des “unit economics” saines. Ces tours de table survalorisés rendent les perspectives d’exits plus compliquées… Comment voyez-vous vos futures sorties fintech et insurtech ? Nous n’avons pas au portefeuille ce cas de start-up avec une valorisation extrêmement élevée au tour de table précédent. Nous avons investi dans des insurtech avec des loss ratio [ratio de perte, en qui met en relation le coût des sinistres avec le montant des primes encaissés, Ndlr] très sains. De même dans la fintech : nous n’avons pas investi dans des entreprises avec un burn rate délirant, ou bien il s’agissait vraiment d’exceptions. Concernant les sorties potentielles : le marché de l’IPO ne restera pas fermé indéfiniment et l’introduction en Bourse reste donc une option en fonction de l’exécution, du marché et du positionnement de la société. Ensuite, les acteurs bancaires sont de plus en plus présents auprès des start-up, et les établissements structurent de plus en plus des équipes ventures ou M&A – ou les deux. Les acteurs comme Visa ou Mastercard restent assez actifs en termes d’acquisition, et il faut aussi compter sur les pure players qui ont émergé, comme Stripe, Adyen et consorts, qui ont pour habitude de bien valoriser les start-up et entrent dans une phase d’acquisitions, investissements et partenariats. Enfin, beaucoup d’acteurs qui n’étaient pas dans l’univers de la banque, dont Apple par exemple, qui a sorti son offre avec Goldman Sachs, commencent à regarder de plus en plus activement la fintech. On peut anticiper des partenariats stratégiques voire des acquisitions de leur côté. Les Gafam confirment leur intérêt pour les services financiers et Apple accélère Avez-vous déjà réalisé des sorties sur le segment fintech ? Nous sommes sortis d’iBanFirst mais pour les autres, c’est encore un peu tôt. Nous avons réinvesti sur les tours suivants. Nous ne communiquons pas sur le multiple de sortie. Certaines des fintech ou insurtech sur lesquelles vous avez misé ont-elles fermé ? Non, aucune fintech dans laquelle nous avons investi n’a fermé, d’une part car nous avons investi dans beaucoup de start-up très BtoB et d’autre part car la notion de l’efficience est très importante chez nous. Le modèle d’accompagnement en binôme avec un operating permet aussi de détecter les signaux faibles et d’accompagner les entrepreneurs si nécessaire. Dans le nouvel environnement économique, avez-vous moins de concurrence auprès des start-up, avec le départ de certains acteurs qui étaient actifs sur le capital-risque ces dernières années ? Pour tous les segments de marché, beaucoup de fonds internationaux se sont retirés. En Allemagne par exemple, les montants investis ont été divisés par 5 entre 2021 et 2022. En France, cela s’est mieux maintenu, mais avec moins de fonds américains et européens que les années précédentes. En termes de dealflow, nous observons que cela reste encore extrêmement actif en seed mais moins sur les sociétés plus late stage, à partir de la Série B et cela commence même à descendre jusqu’à la Série A. Globalement, beaucoup de fonds de VC ont soutenu les start-up en portefeuille pour leur laisser le temps d’espérer une remontée des valorisations. Baromètre des levées de fonds de mind Fintech et eCAP PARTNER Chez Serena, nous pensons que pour les sociétés qui n’avaient pas des “unit economics” saines et de bons ratios de perte (dans le cas des insurtech), il sera extrêmement compliqué de lever et cela va conduire à une vague de M&A dans les 24 à 36 mois. Mais les autres, dont le modèle est efficace, parviendront à lever des fonds même si les valorisations ne seront plus équivalentes à celles de 2021. L’investissement en capital-risque dans les fintech et insurtech Le marché immobilier est mis à mal. Qu’est ce que cela signifie pour Pretto, courtier en ligne dans lequel vous avez investi ? Le marché de l’immobilier ralentit, avec une baisse de 20 à 30 % depuis l’an dernier, et les banques octroient peu de crédits car le taux d’usure rend beaucoup de dossiers non finançables. C’est une étape compliquée pour le marché. Mais on anticipe que le crédit immobilier, qui est un produit d’acquisition pour les banques, va redevenir un produit sur lequel elles pourront monétiser, et nous prévoyons donc une réouverture du marché. Pretto sera bien placé pour prendre cet appel d’air du marché. D’ailleurs, nous suivons de près les parts de marché de Pretto et même si le marché se contracte, la société les augmente significativement. Si une société répond à un réel besoin de marché, elle revêt un potentiel de croissance, quand bien même le contexte macroéconomique se révèle compliqué. Tous les mois, mind Fintech vous propose un entretien avec un investisseur actif dans le secteur fintech. Lire tous les entretiens Aude Fredouelle capital-risqueinsurtechlevée de fonds Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind