Le marché de la téléconsultation se consolide en attendant l’éventuelle sortie de la crise sanitaire

Si les acteurs de la téléconsultation ont grandement bénéficié de la crise sanitaire du COVID-19 pour se développer, tous ne sont pas exempts de tout reproche. Ainsi sur 103 contrôles réalisés par la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) auprès de 69 opérateurs, principalement les sièges de plateforme et les officines de pharmacie proposant un service de téléconsultation, 23 % d’entre eux présentaient des anomalies qui ont donné lieu à douze avertissements et cinq injonctions de mise en conformité. Le rapport d’activité 2020 de la DGCCRF indique qu’« outre des défauts d’information sur les tarifs et les honoraires, liés généralement à une méconnaissance de la réglementation, ont également été constatées des pratiques commerciales trompeuses comme, par exemple, la présentation confuse d’un service de « télé conseil » non pris en charge par l’Assurance-maladie à la différence d’une téléconsultation. Des pratiques entre opérateurs susceptibles de contrevenir au droit de la concurrence sont également en cours d’analyse ». Deux sites, docteursecu.fr et arretmaladie.fr ont également été fermés définitivement par le tribunal judiciaire de Paris le 06 mars 2020, saisi par l’Assurance maladie et le Conseil national de l’ordre des médecins. Hormis ces irrégularités, le secteur de la téléconsultation se consolide. Déjà, en 2018, lorsque la téléconsultation a rejoint le droit commun permettant d’autoriser le remboursement des actes, MédecinDirect avait été racheté par Teladoc Health, un groupe américain. Récemment, en avril 2021, Qare, a été absorbé par Health Hero, un groupe anglais.

Trois modèles économiques

Quelques mois après le premier confinement, en mars 2020, le secteur avait connu, selon Pierre Traineau, directeur général du Catel (Centre de ressources et d’expertise en santé connectée), « une première régularisation, grâce à une qualification plus serrée du ministère des solidarités et de la santé, faisant diminuer le nombre d’acteurs de plus de 200 à 80 entreprises opérant dans la téléconsultation ». Les acteurs restants se répartissent, aujourd’hui, selon trois modèles économiques distincts d’après un porte-parole de l’association professionnelle LET (Les entreprises de télémédecine)

Le premier est le B2B2C et concerne des professionnels de santé organisés sur une plateforme de services qui permettent à leurs bénéficiaires, des assurances complémentaires en santé, des instituts de prévoyance ou des salariés d’entreprise, de bénéficier librement d’un accès à la téléconsultation sans qu’elle ouvre le droit à un remboursement par la sécurité sociale. Concilio, Medaviz, MédecinDirect ou TokTokDoc se sont ainsi positionnés sur ce créneau. Un deuxième modèle, B2C, s’adresse directement au patient pour lequel la facturation est remboursable dans environ 30 % des cas car elle se trouve fréquemment en complément du parcours de soin. Cette catégorie comprend des sociétés telles que Feeli, Livi ou Qare. Le troisième modèle est SaaS/B2B et propose une mise à disposition des professionnels de santé du matériel permettant la téléconsultation (comme le logiciel de visioconférence sécurisé). Dans ce dernier cas, la téléconsultation est remboursée à 70 % pendant une période normale et à 100 % durant la crise du COVID-19. Maiia, Doctolib, Hellocare, MesDocteurs ont ainsi choisi ce business model. Les acteurs de ces trois modèles économiques ont tous bénéficié de l’augmentation de la taille du gâteau de la téléconsultation. 

Selon la Cnam (Caisse nationale de l’assurance maladie), le pourcentage de téléconsultation des médecins est passé de 0,04 % du total des consultations en 2019 à 5,4 % en 2020 avant de se maintenir à 5,1 % lors des quinze premières semaines de 2021. De même les téléconsultations de spécialistes ont augmenté de 0,05 % en 2019 à 3,7 % en 2020 avant de se stabiliser à 3,1 %. Parmi ces derniers, c’est la spécialité de psychiatrie qui a connu le plus haut pic, passant de 0,1 % en 2019 à 10,4 % en 2020 et 10,3 % les quinze premières semaines de 2021. Selon David Syr, directeur général adjoint de Gers Data, si le taux des spécialistes est moins élevé que chez les généralistes, c’est parce que : « le besoin de voir et de toucher le patient pour comprendre ses maux est plus prégnant chez les spécialistes que chez les généralistes. »

La téléconsultation augmente

Cette augmentation de la demande est logiquement liée à la crise sanitaire et à ses impacts, mais aussi parce que selon Pierre Traineau, « les pouvoirs publics, l’Assurance-maladie et le ministère de la santé en tête, ont mis en place des conditions dérogatoires dans des délais extrêmement courts permettant de favoriser l’utilisation de la télémédecine, en particulier la téléconsultation, et dans des situations non autorisées auparavant ». Un exemple de dérogation est donné par Louise Pihouee, chargée de mission télésanté au ministère des solidarités et de la santé : « Pour réaliser une téléconsultation, nous n’avons pas forcément besoin d’un outil spécifique. S’il n’y a pas d’échange de données de santé, cela peut-être n’importe quel outil de visioconférence, et dans le cadre des dérogations actuelles, on peut le faire par téléphone. Cependant, pour échanger des données de santé, pour l’envoi d’une ordonnance par exemple, il faut un outil sécurisé ».

Les pouvoirs publics et les professionnels de santé continuent d’ailleurs de se parler. « Il y a des négociations en cours avec les syndicats de médecins, d’infirmiers, de kinésithérapeutes et autres, et l’Assurance maladie d’ici l’été pour discuter des modalités de la téléconsultation. Les négociations portent notamment sur l’organisation de la prise en charge. Par exemple, certains sujets de discussion portent sur le rôle d’une infirmière dans la pratique d’une consultation assistée, mais aussi sur le rôle d’un kinésithérapeute ou d’un opticien. Ils négocient également les conditions financières de ces nouvelles pratiques, c’est-à-dire la tarification de l’acte par les professionnels paramédicaux. Les questions concernent également la délégation de tâches, c’est-à-dire lorsqu’un médecin ou un spécialiste délègue des actes médicaux qu’il réalisait jusqu’à présent lui-même. Il pourrait confier ce rôle à des paramédicaux de manière plus aisée avec la télémédecine car il peut être en visioconférence au moment de l’acte et suivre sa réalisation via le paramédical », constate Pierre Traineau.

La téléconsultation trouve ainsi une place qui ne consiste pas seulement au remplacement de la consultation en temps de crise. « Il y a des dizaines de questions de santé qui ne nécessitent pas une visite chez le médecin, mais cela rassure d’avoir un avis médical, notamment lorsque nous sommes à la recherche de commentaires de prévention du médecin. La télémédecine permet d’apporter des éléments que nous n’avons plus l’habitude d’aller chercher chez notre médecin. Nous allons chez ce dernier quand nous sommes malades et que nous avons besoin d’une ordonnance. En téléconsultation, dans 50% des cas, il n’y a pas d’ordonnances délivrées. Que fait donc le médecin ? Il donne des conseils, il oriente, rassure. Les plus jeunes utilisent la télémédecine, de la même façon qu’ils se renseignent sur Internet. Les personnes âgées sont, elles, plus friandes du deuxième avis médical. Un professionnel leur annonce qu’une opération est nécessaire et ils recherchent une confirmation. En dermatologie, beaucoup envoient les photos au dermatologue en demandant ce qu’ils doivent faire. J’ai l’impression que l’on reconstruit, avec la télémédecine et la téléconsultation en particulier, quelque chose que nous avions oublié dans la relation avec le médecin, c’est-à-dire le conseil, l’orientation, la prévention. Il faudra donc travailler en amont de la maladie pour éviter qu’elle ne se déclare car nous savons qu’une fois que la maladie se déclenche cela coûte cher à tout le monde. “Avoir le bon comportement pour éviter les maladies cardio-vasculaires, ou la contamination au Covid, tout ça, c’est de la pure prévention”, affirme François Lescure, manager France de Teladoc Health et président du LET. 

Des freins à la téléconsultation

Toutefois, il existe encore des freins au développement de la téléconsultation. « Nous perdons tout le cérémonial du cabinet », affirme David Syr. Pierre Traineau dénombre, lui, quatre écueils : « Pour les professionnels de la santé, il manque une connaissance plus précise des indications de bonnes pratiques (quels sont les actes médicaux que je peux réaliser à distance ?). Il manque aussi une identification plus précise des modèles organisationnels (quelles sont les organisations sur lesquelles on peut s’appuyer). Par exemple, si je suis généraliste, plutôt que de me déplacer chez une personne âgée, comment puis-je m’appuyer sur une infirmière qui se rend régulièrement chez le patient ? Un troisième frein demeure le niveau de rémunération de cet acte à distance, voire l’absence de sa rémunération. Il y a enfin un frein lié au manque d’information pour guider le patient dans ces nouvelles façons de s’occuper de sa santé grâce au numérique ».

Mais c’est surtout la sortie de la crise sanitaire qui occupe le secteur de la téléconsultation. Louise Pihouee énumère les actions prochaines du ministère des solidarités et de la santé : « L’important sera d’accompagner les usages de la téléconsultation. Il existe un travail effectué par les sociétés savantes, le Collège de la médecine générale, la Fédération des spécialités médicales et la Société française de santé digitale sur la demande de la Cnam et du ministère, qui consiste à expliquer quels sont les cas d’usages de la téléconsultation. L’objectif est d’accompagner les professionnels de santé dans leur pratique du quotidien. Nous allons aussi continuer les actions de formation des professionnels et d’explications autour de la téléconsultation auprès du grand public ».