Accueil > Industrie > Les start-up françaises de la e-santé ont levé 1,2 milliard d’euros en 2022 Les start-up françaises de la e-santé ont levé 1,2 milliard d’euros en 2022 L’année 2022 a été marquée par un tournant dans le domaine de l’investissement au sein des start-up. Les fonds se sont montrés plus prudents, même si le secteur de la e-santé reste porteur sur le long terme. Quelles start-up ont levé le plus de fonds ? Quels investisseurs se sont montrés les plus actifs ? Pour la cinquième année, mind Health fait le bilan des levées de fonds des start-up et scale-up françaises de la e-santé. Par et Aymeric Marolleau. Publié le 24 janvier 2023 à 17h00 - Mis à jour le 04 février 2025 à 17h35 Ressources Les start-up françaises de la e-santé ont levé un montant total de 1,16 milliard d’euros en 2022, selon nos estimations, contre 1,02 milliard d’euros en 2021, soit 138 millions de plus. Elles sont toutefois bien moins nombreuses qu’en 2021 à avoir réalisé un tour de table : 39 contre 67. Année par année, les principales levées de fonds des start-up de l'e-santé Exit la pleine croissance donc. L’heure n’est plus à la prise de risque mais plutôt à l’attentisme. “Le début de l’année 2022 était encore porté par la dynamique de lancement de 2021, mais au troisième trimestre, la situation s’est ralentie pour devenir beaucoup moins favorable pour les deals au quatrième trimestre”, souligne Catherine Boule, directrice générale de Karista. En cause ? Le contexte géopolitique, la crise économique, les incertitudes du marché financier qui en découlent, le durcissement des exigences des banques centrales, la hausse des taux d’intérêt ou encore les restrictions des liquidités. Une réalité récente, génératrice d’un repli, voire d’un comportement protectionniste de la part des fonds d’investissement. Les conséquences se font déjà ressentir aux États-Unis. Comme le rappelle Denis Lucquin, managing partner et ancien président du fonds spécialisé en santé Sofinnova, “dans le domaine du diagnostic, il n’y a eu aucune introduction en bourse les 6 premiers mois de 2022, alors qu’il y en avait eu 15 en 2021. S’agissant du medical device, il y en a eu une seule au cours du premier semestre 2022 versus 12 en 2021”. “Nous sommes désormais face à des exigences plus importantes de la part des investisseurs en raison de l’incertitude à l’égard de l’avenir, indique Chahra Louafi, directrice du fonds Patient autonome de Bpifrance. L’accompagnement, par les fonds, des sociétés qu’ils détiennent en portefeuille doit permettre d’atteindre des résultats créateurs de valeur, au risque de se voir imposer des corrections importantes par les acteurs des tours suivants, notamment en termes de valorisation de l’entreprise.” Et d’ajouter : “Nous sommes actuellement sur un ajustement des valeurs des actifs, ce qui implique de nombreuses discussions avec les entrepreneurs et demande une concentration des efforts sur les dossiers les plus risqués.” Augmentation du montant du ticket médian La santé digitale a pourtant, ces dernières années, été dynamisée par la crise sanitaire. Les montants des tours d’investissements sont d’ailleurs montés en flèches, en France, en Europe et aux États-Unis. Dans l’Hexagone, si les start-up sont moins nombreuses à avoir levé, les opérations sont, elles, généralement plus conséquentes. Alors que le ticket médian était resté stable de 2018 à 2021, autour de 2,5 millions d’euros, il est monté à 7 millions d’euros l’année dernière. La raison ? Les levées modestes (moins de 5 M€) se sont faites plus rares - 16 en 2022 contre 47 l’année précédente -, tandis que celles de taille intermédiaire (5 à 25 M€) ont été plus nombreuses : 18 en 2022 contre 13 en 2021. De même que depuis la crise, les tours, notamment en série A, sont compris en moyenne entre 20 et 25 millions d’euros le ticket, alors qu’ils étaient davantage autour de 7 à 8 millions d’euros il y a encore quelques années. “En Biotech, certains tours de série A sont montés à 80 millions d’euros, ce qui implique un plan de charge adapté à un tel développement, et forcément, cela pose question pour les tours suivants”, reconnaît Catherine Boule (Karista). “Pendant cette période, les fonds généralistes ont souhaité investir dans le secteur de la santé par intérêt voire spéculation, en se disant qu’il était prometteur, pointe du doigt Valéry Huot, Partner en charge de l’activité Venture-Santé digitale chez LBO France. Mais face à la complexité du secteur, qui implique des connaissances à la fois techniques et médicales, aujourd’hui, ils reculent.” Conséquence : depuis début 2022, le marché est de nouveau principalement occupé par des fonds spécialisés de plus en plus exigeants. Des fonds attentistes Dans le secteur de la santé numérique plus spécifiquement, les solutions attendues sur le marché se doivent désormais d’être déjà complètes. “Nous sommes arrivés à une étape où les fonds peuvent s’intéresser d’avantage aux clients, notamment les hôpitaux, afin d’analyser leurs besoins et leur apporter des solutions clefs en main”, explique Chahra Louafi. Actuellement, les fonds demandent des consolidations, s’interrogent davantage sur la nécessité ou non d’effectuer des bridges afin de créer de la valeur en interne et ainsi arriver avec des solutions plus complètes au tour d’investissement suivant", ajoute-t-elle. Les fonds retardent parfois d’eux-mêmes l’arrivée sur le marché des start-up de leur propre portefeuille, afin de les financer en interne, le temps de répondre aux exigences attendues.” C’est notamment pour cette raison que les levées de fonds officielles ont été moins nombreuses en 2022. “L’état d’esprit a changé, confirme Roger Caniard, directeur financier et membre du comité exécutif du groupe MACSF. Les fonds d’investissement sont plus prudents, et à la MACSF par exemple, nous considérons qu’il est désormais important d’investir dans des sociétés dégageant déjà une rentabilité sans être dépendantes d’autres levées.” Outre la création de valeur en interne, de nombreux fonds attendent de voir comment la situation du marché va évoluer. “Les arbitrages en interne sont nombreux afin de savoir si nous gardons nos fonds pour refinancer des sociétés déjà en portefeuille ou si nous nous découvrons pour de nouveaux deals, rapporte Catherine Boule. Mais aujourd’hui, nous rencontrons des difficultés à trouver des confrères pour nous suivre en série A. Tout le monde est attentiste.” Les fonds vont avoir encore plus tendance à “chasser en meute” des deals plus importants, plutôt que de multiplier des petits tickets sur des petites start-up. Le choix des fonds d’investissement L’essentiel des sommes levées en 2022 est ainsi resté concentré sur quelques opérations clés, puisque les neuf start-up qui ont levé plus de 20 millions d'euros comptent pour 82,9 % du total. Quatre des plus grandes levées de fonds enregistrées par le secteur l'ont d’ailleurs été l'an dernier : 500 M€ pour Doctolib (en mars), 183 M€ pour Alan (en mai), 80 M€ pour Padoa, spécialisée dans la santé au travail (en février) et 70 M€ pour Diabeloop, spécialisée dans le traitement du diabète (en juin). Dans le détail, ces start-up appartiennent à 15 catégories différentes. La plus représentée est “l’aide à la décision ou diagnostic”, avec huit représentantes (elles étaient sept en 2021) : Incepto, Therapixel, Allisone, Siview, Sonup, Surge, Nurea et Diagnoly. En 2021, c’est la catégorie “Télémédecine et télésuivi” qui comptait le plus grand nombre de représentantes (17), pour des montants plutôt modestes. Elles n’ont été que quatre cette année : Apricity, Sêmeia, Charles.co et Cardiorenal. Selon nos constats, hors business angels, 37 investisseurs différents ont participé au tour de table d'une start-up de la e-santé en 2022, contre 57 en 2021. Onze d'entre eux ont participé à plus d'une opération. Comme l'an dernier, Bpifrance a été particulièrement actif dans l'e-santé, participant à 11 opérations, soit autant qu’en 2021, notamment via ses fonds Patient Autonome, Digital Venture et Large Venture. C’est la seule constante, puisque tous les autres investisseurs à plus d’une opération ont changé : exit le réseau BADGE, la Banque des Territoires (Caisse des Dépôts), Elaia et Kurma Partners. Ils ont cédé leur place à des acteurs tels que MACSF, Karista, XAnge et LBO France. La MACSF a par exemple investi en série A pour Invivox, Hoopcare et Quinten. “Nous avons décidé de nous mettre en conformité avec nos décisions internes, c’est-à-dire de participer à des tours en présence d’actionnaires solides à savoir des fonds institutionnels ou des grands fonds spécialisés, afin d’éviter l’écueil d’impasse de financements, confie Roger Caniard. Nous voulons nous reposer sur des personnes dont c’est le métier. La présence de nombreux investisseurs pouvant accompagner les start-up dans la durée et financer le développement d’un modèle est rassurant.” C’est le cas par exemple avec Quinten, où le tour de financement est presque intégralement financé par TechLife Capital, avec un accompagnement de la MACSF à hauteur de 1,5 millions d’euros sur les 14 millions d’euros du tour. Seule exception avec Hoopcare, investissement sur lequel la MACSF est co-leader, ce qu’elle souhaite désormais éviter. Mais le projet, financé en 2022, a été validé en 2021 par le comité médical. “Nous ne pouvions donc pas revenir en arrière, insiste-t-il. Cependant, à partir de 2023, les critères financiers vont devenir non négociables.” Du côté du Fonds patients autonomes de Bpifrance, les choix effectués en 2022 sont à la fois des poursuites de financements et des nouveaux investissements. “Pour Incepto et Invivox, nous étions présents au tour précédent, rappelle Chahra Louafi. Nous avons donc poursuivi le financement de la société dans le cadre d’un nouveau tour avec de nouveaux investisseurs.” Pour Ludocare, le fonds a investi en amorçage et pour Implicity, en série A, notamment pour des raisons de qualité managériale et de besoin de marché. LBO France a fait le choix d’investir dans Incepto, Siview, Diabeloop et Impress (société espagnole spécialisée dans l’orthodontie) avec, pour ce dernier, un tour à 80 millions d’euros. “Nous investissons notamment en nous basant sur les caractéristiques humaines des start-uppers, confirme Valéry Huot. Nous allons passer les prochaines années à travailler ensemble, il nous faut des équipes solides, résilientes et entrepreneuriales. Le business model doit être par ailleurs validé.”Pour Karista, deux nouveaux deals ont été financés en 2022 : Ludocare en amorçage et Kranus Health en série A. Des refinancements ont eu lieu pour Implicity (série A), Incepto (série B) et Tricares (medtech spécialisée dans la cardiologie, série C). “Nous recherchons des sociétés proposant des solutions digitales et répondant à des besoins médicaux ou organisationnels non assouvis, précise Catherine Boule. Elles doivent avoir un go to market identifié mais nous sommes encore plus vigilants sur les équipes qu’auparavant.” Un marché porteur Malgré cette situation, le marché est toujours considéré comme porteur. “Les coûts de santé restent un puits sans fond, rappelle Chahra Louafi. Il faut sans cesse réinventer des modèles économiques.” Les fonds attendent des start-up des solutions apportant des innovations dans les parcours de soins, pour créer de la productivité, faire en sorte que les temps médicaux et paramédicaux soient libérés afin de transformer les organisations et mieux soigner. “Mais aujourd’hui, l’enjeu est principalement de capter de la donnée pour mieux comprendre les profils de patients et les facteurs de risque associés aux pathologies, ajoute-t-elle. Nous entrons dans l’univers de la data, du culturel, de la pratique quotidienne afin de prévenir la santé et à terme réduire les coûts de santé.” Car malgré tous les progrès médicaux, la santé reste l’un des secteurs économiques le moins digitalisé, “il y a donc encore beaucoup à faire pour améliorer la productivité et la qualité des soins, estime Valéry Huot. La jeune génération de médecins y aspire. De fait, nous sommes persuadés que la santé reste un marché très porteur avec de nombreux potentiels notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle, qui attire de plus en plus avec des propositions de valeur réelle”. Le deal flow est d’ailleurs toujours aussi important et les opportunités restent nombreuses. “Mais le marché ne sera, selon nous, plus accessible pour les solutions partant de zéro, met en garde Roger Caniard. L’enjeu est important dans le traitement et la modélisation des données de santé. Le potentiel est présent à condition d’utiliser des données et de générer de la valeur. Si la e-santé a un bel avenir devant elle, nous en sommes déjà au stade de la phase de sélection. Les acteurs les plus importants vont rester, et les initiatives individuelles vont disparaître au profit des leaders.” Quelles start-up ont levé le plus depuis leur création ? La e-santé compte désormais 12 start-up qui ont levé 50 millions d'euros ou plus depuis leur création, contre 10 fin 2021. Diabeloop et Padoa ont rejoint ce groupe l'an dernier, aux cinquième et septième positions. Doctolib est repassé devant Alan et se démarque nettement, en ayant levé 735 millions d'euros depuis sa création en sept opérations. Méthodologie Notre baromètre annuel des levées de fonds par les start-up de la e-santé ne prend en compte que les opérations qui ont été annoncées publiquement. Depuis 2018, outre les levées de fonds de sociétés non cotées, nous avons également pris en compte les augmentations de capital des sociétés cotées en bourse (Pixel Vision par exemple), ainsi que les levées de fonds à l’occasion des IPO. Limites Il n'est pas toujours possible de distinguer précisément la part levée en equity de celle levée en dette. Certaines start-up et certains fonds d'investissement peuvent avoir changé de nom au cours de leur histoire, ce qui complique le suivi de leurs opérations. Toutes les levées de fonds ne sont pas communiquées publiquement, pas plus que l'identité de tous les participants à un tour de table. La frontière entre “start-up” et entreprise mature est parfois difficile à tracer précisément, de même que la frontière des sociétés actives dans la santé digitale, auxquelles nous nous sommes efforcés de restreindre notre périmètre.Si des levées de fonds ont échappé à notre vigilance, ou si vous pensez avoir repéré une erreur, n’hésitez pas à nous le signaler : datalab@mind.eu.com Baromètres annuels 2021 : Plus de 900 millions d'euros levés en France en 2021 par les start-up de la e-santé2020 : Près de 400 millions d'euros levés en France en 2020 par les start-up de la e-santé 2019 : Plus de 500 millions d'euros levés par Doctolib, Bioserenity, Dental Monitoring... 2018 : Plus de 200 millions levés par Voluntis, Dreem, Alan, Happytal... et Aymeric Marolleau DiagnosticDonnées de santéFinancementsFonds d'investissementIPOLevée de fondssanté au travailstart-upTélémédecine Besoin d’informations complémentaires ? 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