Accueil > Industrie > François Vonthron (Mila) : “La pédagogie rendra la prescription des DTx aussi naturelle que celle d’un médicament ” François Vonthron (Mila) : “La pédagogie rendra la prescription des DTx aussi naturelle que celle d’un médicament ” La start-up Mila développe des thérapies numériques (DTx) pour les enfants atteints de troubles dys (dyslexie, dyscalculie, dyspraxie...). François Vonthron, son cofondateur, revient sur les particularités de cette solution et sur les conditions de développement de la filière française des DTx. Par Romain Bonfillon. Publié le 04 juillet 2023 à 15h43 - Mis à jour le 04 juillet 2023 à 16h39 Ressources Comment est né Mila ? Cela fait 5 ans que notre projet est né, à partir de problématiques de recherche académique à l’origine. L’idée est née à la fois de travaux du CNRS de Marseille sur les liens entre l’apprentissage musical et les troubles cognitifs chez l’enfant, et d’un autre projet de recherche que je menais à Polytechnique sur la personnalisation des soins. Des membres des deux équipes se sont rassemblés il y a 4 ans pour monter Mila. Notre activité, tournée vers l’accès au soin, s’adresse aux familles et consiste à faire de la recherche clinique toujours en amont, des dispositifs médicaux et de l’accompagnement, qui est une partie tout aussi importante dans le domaine des DTx. Où en êtes-vous, en termes de développement de votre solution ? Nous sommes marqués CE médical depuis juillet 2022, selon la nouvelle réglementation (MDR). Nous en sommes à un stade où l’on commercialise notre solution via les assureurs et mutuelles. Nous nous attaquerons au marché américain dans un second temps. Nous sommes pour l’instant en discussion avec la FDA pour voir quel est le meilleur parcours réglementaire. En quoi consiste votre solution Mila Learn ? Nous nous adressons aux enfants qui ont des troubles dys. Ce sont des enfants qui, au-delà du sujet clinique, vont avoir beaucoup de problèmes d’estime de soi. Mais fondamentalement, d’un point de vue purement neurologique, il a été démontré qu’il y a un défaut de connectivité au niveau de ce que l’on appelle le faisceau arqué. Ce faisceau est constitué de matière blanche et relie deux zones du cerveau qui permettent de maîtriser le langage, la motricité. C’est ce lien là, qui lorsqu’il est dysfonctionnel, provoque des difficultés à manipuler des sons, lire et écrire correctement. Assez curieusement, c’est le même faisceau qui est à l’œuvre lorsque vous écoutez de la musique et que vous devez percevoir une information rythmique et reproduire un tempo. Pendant 20 ans, des chercheurs comme le Pr Habib à Marseille ou d’autres au Canada ou aux Etats-Unis, ont mis au point des entraînements rythmiques pour faire en sorte de stimuler le faisceau arqué. Cette stimulation se voit en IRM fonctionnel, au travers d’une épaisseur corticale qui se crée. Comment s’est-elle construite ? Les bilans que nous ont transmis des orthophonistes ont montré une progression des enfants sur des compétences essentielles pour la vie quotidienne. Nous avons mis tous ces protocoles au sein d’une application qui a été testée auprès de plus de 7000 familles. Nous l’avons co-développé avec la Fédération française des troubles dys et mise à l’épreuve à travers 4 essais cliniques. Le dernier en date est un essai multicentrique randomisé et contrôlé par placebo. Petit à petit, nous allons rajouter des couches de service pour vraiment avoir une prise en charge complète de l’enfant. Aujourd’hui, Mila Learn est proposée où et comment ? Elle est proposée en France et pour l’instant uniquement au travers de nos partenaires, qui sont à date la MAE, l’IRCEM, PRO BTP, Allianz et Aesio Mutuelle. Ces partenaires financent Mila pour leurs adhérents et nous payent derrière à la licence activée. C’est un modèle qui est à la fois un gage de stabilité pour nous et qui est différenciant pour les mutuelles. Il y a aussi, derrière ce modèle, une logique d’économie de coût pour le système de santé et une promesse de meilleure accessibilité aux soins. Le dispositif de prise en charge anticipée numérique (PECAN) a été lancé récemment. Vous intéresse-t-il ? Nous entrons en effet dans le cadre des thérapies numériques, tel que le prévoit la PECAN. Nous prévoyons de déposer un dossier mais nous souhaitons encore générer quelques données cliniques, pour nous donner les meilleures chances. Quel regard vous portez sur ces nouveaux dispositifs ? Je porte un regard très favorable sur ce tournant. L’Allemagne était en pointe, la France a fait plus que la rattraper. Nous sommes l’un des rares pays au monde à avoir pris de telles mesures. Les équipes de l’ANS et de la DNS ont eu l’intelligence de recruter beaucoup d’anciens entrepreneurs en santé qui connaissaient très bien le sujet et toutes les problématiques d’accès au marché. Pour moi, c’est un très bon signal. Les conditions pour permettre l’émergence d’une filière DTx en France vous semblent-elles enfin réunies ? Malheureusement pas encore. Nous avons beau parler d’harmonisation à l’échelle européenne, elle n’est pas encore effective. C’est le cas sur le plan réglementaire, mais pas sur le plan clinique. En tant que start-up française, nous devons à la fois mener des essais randomisés contrôlés avec des patients français, mais les reproduire aussi en Allemagne, en Finlande (etc.) si nous souhaitons entrer sur ces marchés. D’un point de vue financier, c’est très compliqué, cela demande des investissements colossaux. Aussi, le financement par les VC est conditionné par cette capacité à accéder à d’autres marchés. Comme beaucoup de nos homologues, nous nous demandons si nous devons nous concentrer demain sur l’Europe ou les États-Unis. Au moins aux États-Unis, il y a une certaine homogénéité entre les États. C’est assez regrettable évidemment, mais notre choix aujourd’hui d’être en France est dû à un soutien institutionnel fort, notamment de Bpifrance sur les aspects de R&D. Les pouvoirs publics ont-ils pris des mesures concrètes pour que les critères d’évaluation cliniques européens s’harmonisent ? L’ANS a annoncé le 26 octobre dernier le lancement d’une taskforce dont la mission sera précisément d’harmoniser les critères d’évaluation des dispositifs médicaux numériques (DMN) à l’échelle de l’UE. Cette taskforce européenne est présidée par la Délégation ministérielle au numérique en santé (DNS) et coordonnée par EIT Health. Les travaux avancent, mais nous ne verrons pas de recommandations avant 3 à 5 ans minimum. C’est un sujet d’une importance stratégique majeure, si l’on souhaite disposer d’un potentiel de patients suffisant pour créer des leaders de la santé numérique. Le risque est que ces champions quittent la France ou que l’on ne se fasse doubler par des solutions venues d’autres pays qui ont des investissements en santé colossaux. Mila est membre de la DTx Alliance. En quoi consiste ce consortium ? La DTx Alliance rassemble un petit groupe de personnes convaincues par la nécessité de la démonstration clinique. Ces 6 dernières années, nous avons vu déferler un nombre important d’applications en santé avec des revendications non vérifiées. Une meilleure sélectivité par la démonstration clinique doit se faire et cela passe notamment par des publications dans des journaux relus par des pairs. Cela passe aussi par un travail d’harmonisation au niveau international, pour définir ce qu’est une DTx. Pour nous, une solution de DTx n’est pas de la télésurveillance ou du coaching, elle doit déclencher chez le patient un stimuli, qui réponde à certains enjeux médicaux. Actuellement, la DTx Alliance réfléchit à la définition d’un certain nombre de guidelines et parallèlement, nous aidons nos membres à accéder plus vite au marché. J’éclaire par exemple mes homologues américains sur l’accès au marché en France et, ils font de même lorsque je vais aux États-Unis. Est-ce qu’il existe aujourd’hui un cadre qui définit quel type d’étude est nécessaire pour se définir comme DTx ? C’est précisément là qu’il y a une harmonisation à faire, à l’échelle européenne et mondiale. Pour certains, une étude pré/post suffit, pour d’autres comme la HAS il y a nécessité d’avoir des études randomisées, multicentriques, contrôlées par placebo…il n’y a pas de consensus aujourd’hui. À titre personnel, ma conviction est qu’il faut non seulement apporter la démonstration de résultats cliniques solides, mais aussi des preuves concernant la protection des données et la cybersécurité. Les DTx, par nature, nécessitent un lien de confiance extrêmement fort entre le patient et le fournisseur de dispositif médical. Il faut apporter toutes les garanties pour créer ce lien de confiance. Quelle est votre stratégie pour faire entrer votre thérapie numérique dans l’usage des professionnels ? Notre communication se fait essentiellement par l’intermédiaire de la Fédération française des troubles dys. Les orthophonistes communiquent pour que les patients soient pris en charge le plus tôt possible. C’est un gros enjeu pour nous faire connaître pas seulement des professionnels de santé, mais aussi des parents. Le plus souvent ce sont les familles qui entendent parler de notre solution, via les associations de patients, et qui vont en parler à leur orthophoniste. Ce sont alors ces derniers qui nous contactent pour voir nos travaux, nos publications. Nous sommes dans cette logique où nous n’avons pas voulu harceler le professionnel de santé, avec un énième produit à leur présenter, qui serait venu s’ajouter à toute l’offre des pharmas. Quel argumentaire déployez-vous pour convaincre ces professionnels ? Notre communication prend en compte toutes les parties : les professionnels de santé mais aussi les associations de patients et les familles. Pour chacune des parties, nous essayons d’avoir un discours adapté. Côté professionnels, il nous faut penser un parcours de soins, l’organiser afin de le fluidifier. Du côté des familles, il nous faut faire beaucoup de pédagogie, même si elles sont naturellement très curieuses de connaître la science qui se cache derrière une solution. Progressivement, les fabricants de DM numériques vont devoir se mettre à faire du support patient, de la guidance parentale et familiale pour faire en sorte que les outils soient bien utilisés. C’est grâce à la pédagogie que la prescription des DTx deviendra aussi naturelle que celle d’un médicament. François Vonthron Depuis 2018 : Cofondateur et CEO de Mila2016 – 2017 : Ingénieur de recherche en acoustique pour The Open University2017 : Ecole polytechnique2014 : Diplômé du Conservatoire de musique de Nantes Romain Bonfillon MarchémédecinNeurologieOrganisations professionnellesPatientsSanté mentaleThérapie digitale Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind