Accueil > Industrie > Michael Lukasiewicz (Roche Pharma France) : “Ma mission consiste à construire des autoroutes de données de santé” Michael Lukasiewicz (Roche Pharma France) : “Ma mission consiste à construire des autoroutes de données de santé” Le directeur médical de la filiale française de Roche Pharma se passionne pour la médecine personnalisée et les données de santé. Michael Lukasiewicz a d’ailleurs dans son périmètre le centre de données médicales créé il y a deux ans, qui se consacre aux données de vie réelle. Pour mind Health, il détaille l’organisation de cette structure et explique comment Roche France essaie de mettre en place un écosystème de santé centré sur le patient. Par . Publié le 28 septembre 2020 à 14h23 - Mis à jour le 08 janvier 2021 à 17h18 Ressources Roche Pharma France a ouvert il y a deux ans un centre de données médicales. Avec quelle intention ? Au travers de ce centre, Roche essaie d’être l’architecte d’une infrastructure qui permette de démontrer la valeur de l’innovation et de soutenir le système de santé. Des équipes travaillaient déjà sur les données de vie réelle mais nous souhaitions des équipes beaucoup plus intégrées aux aires thérapeutiques pour qu’elles puissent très tôt, dans le développement, anticiper et préparer des plans de génération de preuves (evidence en anglais) en vie réelle qui allaient permettre d’accélérer l’accès à nos innovations, d’optimiser le suivi de nos produits en vie réelle mais aussi de contribuer à la soutenabilité du système de santé. Avant, nous gérions des données souvent à la demande des autorités, de façon moins proactive. L’idée là est de devenir plus proactif, de commencer plus tôt dans la génération de données pour comprendre par exemple un besoin non couvert, pour s’assurer qu’on apporte les bonnes informations aux équipes en charge du développement des produits. Auparavant, l’essai de phase III arrivait, sans forcément de visibilité sur les besoins non couverts, et destiné surtout aux États-Unis mais peut être moins en France ou en Allemagne. Nous avons décidé d’investir dans les données de vie réelle parce qu’elles nous permettent de démontrer toute une série de preuves que les essais cliniques ne nous permettent pas d’obtenir, notamment dans les maladies rares ou la médecine personnalisée. Des équipes très intégrées, qui comprennent bien la pathologie, son traitement, les contraintes dans d’autres pays, peuvent apporter les informations qui permettraient d’avoir des essais cliniques répondant aux bonnes questions. Comment accélérez-vous l’accès au marché de vos innovations ? La question est comment en France pouvons-nous générer très tôt les données qui vont manquer pour pouvoir éclairer les processus de décision des autorités de santé ? Une piste est d’optimiser toutes les données récoltées dans le cadre des autorisations temporaires d’utilisation (ATU). Nous en avons de nombreuses en cours, par exemple dans le domaine du cancer du poumon à petites cellules, soit 1 500 patients. Aujourd’hui, dans les ATU de cohorte, nous récoltons essentiellement des données sur la sécurité et l’utilisation, mais très peu sur l’efficacité et la qualité de vie. Nous avons lancé le dialogue avec les autorités pour étendre le champ de la collecte des données des ATU et prolonger cette collecte censée s’arrêter trois mois après l’autorisation de mise sur le marché (AMM). Cela représente un gisement exceptionnel ; ce sont les premières données en vie réelle. De quelle façon collaborez-vous avec le système de santé ? Ma mission consiste à travailler avec le système de santé pour construire des autoroutes de données. Nous avons ainsi construit une autoroute de données de santé dans le domaine de l’oncologie : il s’agit du modèle de remboursement personnalisé (PRM). Et avons obtenu le premier accord en France, avec le Comité économique des produits de santé (CEPS), de remboursement à la performance, en l’occurrence en immunologie, là où c’est hautement pertinent. Cela nous a pris cinq ans, avec l’aide de 150 centres. Le principe : le remboursement ne se fait plus au volume mais à la valeur car l’immunologie adresse de multiples indications et, en fonction, son efficacité n’est pas la même. Ce cas est emblématique quant à la façon de construire avec l’écosystème une infrastructure, une confiance autour de cette infrastructure et d’arriver à un accord qui contribue à la soutenabilité du système de santé. Grâce au PRM, nous pourrons établir une collecte de données dans un environnement sécurisé – centres hospitalo-universitaires (CHU), cliniques, centres anticancéreux participants – et fournir des données fiables aux autorités qui permettront ces accords prix/remboursement. Cet accord a été signé début 2019 pour le produit Tecentriq, en partenariat avec Advanced Schema. Après un an de recueil de données, quel retour avez-vous ? Nous avons démontré que le modèle était robuste auprès des autorités de santé. L’objectif aujourd’hui, maintenant que la preuve du concept est faite, est de l’étendre à d’autres indications. Roche a d’autres ATU centriques aujourd’hui, par exemple dans l’hépatocarcinome. Ces éléments nous paraissent pertinents. Une vingtaine de personnes travaillent au centre de données médicales, en interaction avec nos médecins Michael Lukasiewicz Directeur médical de la filiale française de Roche Pharma Comment s’organise le centre de données médicales ? Une vingtaine de personnes y travaillent (sur environ 220 personnes qui dépendent du département médical), en interaction avec nos médecins qui contribuent. Aujourd’hui la donnée est au coeur de l’activité de nos médecins. Et la pharmacologie ne fait que traiter des données. Le PRM est un premier projet concret. D’autres sont en construction. J’avais au début un centre de données médicales avec une forte expertise en pharmaco- épidémiologie mais pas intégré dans la stratégie médicale. Nous avons donc souhaité attirer des profils de santé publique, et les intégrer physiquement aux aires thérapeutiques. Géographiquement, les responsables de données médicales sont installés au sein des équipes des aires thérapeutiques : un spécialiste en oncologie par exemple, qui a une très bonne connaissance des endpoints en cancérologie, travaille avec les équipes médicales et d’accès au marché. Il a ainsi toutes les informations pour bien comprendre les besoins non couverts et a accès aux experts. Nous employons aussi des statisticiens, très experts dans les études interventionnelles. Nous les avons formés à la sciences des données (data science), bien qu’ils avaient déjà un tropisme pour cette matière. Des profils externes collaborent également, ainsi que quelques profils spécifiques comme une experte dans la cartographie et la qualification des données. Face à une nouvelle aire, elle cartographie toutes les données disponibles en France, les registres existants, et les qualifient car nous avons besoin de données médicales d’une qualité qui permette de contribuer à des données d’enregistrement ou à des données de santé publique. Ou, si besoin, de travailler avec l’écosystème pour mettre en place des registres. Quels sont les projets en construction ? Sur un projet en oncologie, nous sommes allés chercher des collaborations pour construire une autoroute de données qui n’existait pas et qui va au-delà du registre : il s’agit d’un registre clinico-génomique, qui comprend des données cliniques, des données génomiques et des outils d’intelligence artificielle appariés pour évaluer les données intégrées. Concrètement, une frontière est atteinte dans les thérapies ciblées, quand les mutations touchent jusqu’à 5 % d’un organe. Aujourd’hui, la science permet de descendre à moins de 1 % dans un organe. Mais les mutations sont fréquentes et présentes dans quasi toutes les tumeurs (sein, poumon…). Or, il n’est pas possible de faire un essai clinique pour chaque organe. Nous avons une thérapie ciblée – nous avons obtenu l’AMM aux États-Unis et l’attendons avant la fin de l’année en Europe – qui cible les mutations très rares, du gène NTRK, présentes dans moins de 1 % des cancers du poumon, de la thyroïde, et un peu plus fréquentes dans les sarcomes. L’important aujourd’hui est de collecter des données en vie réelle sur ces mutations rares afin d’obtenir des volumes suffisamment importants pour pouvoir en tirer des connaissances robustes et décrocher des extensions d’indications. Mais une telle infrastructure n’existe pas aujourd’hui. Avec des partenaires – nous espérons faire des annonces dans les prochains mois – nous travaillons à la mise en place d’une infrastructure pour des données représentatives à l’échelle du territoire, pour la collecte de données de vie réelle associées à la fois à la clinique et au profilage génomique. Pour pouvoir démontrer aussi la valeur du profilage génomique. Une offre intégrée pourrait ainsi associer le profilage génomique des patients atteints de cancer à des solutions thérapeutiques en fonction des mutations, et pas seulement celles de Roche. Des aides à la décision clinique pourraient y être également associées, comme l’outil Navify Tumor Board de Roche qui traite les flux de données de façon digitalisée et met à disposition directement des médecins le profilage génomique, les essais disponibles en fonction, l’analyse des tumeurs, éventuellement de l’IA pour guider la décision clinique, et du pilotage de la donnée. Cette infrastructure, qui se veut une plateforme de données nationale, associera donc à la fois du profilage génomique en amont (diagnostic précoce), des outils de gestion digitalisés, de la collecte de données de vie réelle de qualité et le pilotage, en y associant par exemple des solutions de profilage génomique mais cette fois sanguin (et non pas sur un échantillon tumoral). Elle sera opérationnelle dans les mois à venir. Quels obstacles avez-vous pu rencontrer ou rencontrez-vous dans l’élaboration de tels projets autour de la donnée ? Il y a cinq ans lorsqu’on a monté le PRM, on nous disait que c’était fou. Comment assurer la sécurité, comment embarquer des hôpitaux autour de ces projets, comment susciter cet intérêt, comment embarquer les autorités de santé aussi… Il y a des obstacles à surmonter de data privacy, de sécurité des données, liées à la confiance en fait. Roche possède des données : ses essais cliniques – nous sommes le premier investisseur en France, avec environ 150 essais de phase I à III – , son outil PRM qui est un outil partagé de données, aujourd’hui limitées mais qui pourraient être appariées à d’autres sources de données, comme le Health Data Hub avec le Système national des données de santé (SNDS). Les données sont là mais il faut un effort encore massif pour trouver comment les structurer, comment les faire parler. Et comment en France surmonter cette dichotomie entre public et privé, comment travailler ensemble sur une finalité publique. L’évaluation aujourd’hui en France est surtout conduite par les industriels : l’accès à la donnée serait difficile si on était une académie. Outre le projet PRM, Roche travaille depuis 2014 avec Ramsay Générale de Santé sur les données de vie réelle dans le cancer. Comment déterminez-vous vos collaborations avec les établissements de santé ? Quand les données manquent, qu’il n’existe pas de registre suffisamment robuste, nous travaillons en effet avec l’écosystème. Par exemple, dans le domaine du lymphome, nous avons contribué il y a trois ou quatre ans au registre REALYSA qui collecte les données en vie réelle. La cohorte a été mise en place et fonctionne. Nous réfléchissons à ce type de principe dans de nouvelles aires thérapeutiques, comme l’amyotrophie musculaire spinale. Il est difficile en revanche de collaborer avec des établissements pour démontrer le profilage génomique. Roche a acheté des entités autour de la donnée, comme Flatiron (en 2018 pour 1,9 milliard de dollars, ndlr) ou Fondation medicine (également en 2018, ndlr). Ce sont des collaborations que nous sommes en train de construire. Nous avons aussi des projets d’études avec plusieurs centres académiques pour démontrer la valeur sur des populations, sur le profilage génomique liquide (simple prise de sang). Travaillez-vous également avec les patients ? Une de nos préoccupations fortes est de savoir comment passer à des indicateurs importants pour le patient et l’écosystème. L’obsession des collaborateurs de Roche est centrée sur “l’étoile polaire”, à savoir plus d’innovation avec de meilleurs résultats aux patients. C’est une injonction à tous les collaborateurs : ne plus s’intéresser aux parts de marché mais se demander quel est l’indicateur qui va impacter mon écosystème et les patients, l’indicateur que l’on a envie de faire bouger. Nous, au centre de données médicales, nous démontrons que le profilage génomique a une valeur pour l’écosystème à la fois en termes de résultats de santé mais aussi d’efficience pour le système de santé. Il permet de traiter plus précocement le patient, avec des traitements plus adaptés, et de détecter plus précocement les rechutes. Ainsi, nous avons lancé une étude sur la simplification du traitement, ce dont les patients parlent mais qui n’a jamais été mesurée dans nos études. Comment travaille-t-on avec eux pour définir ces mesures ? Avec une association de patients, nous avons initié une étude faite par les patients, qui définiront des indicateurs. Le protocole va être fait par des patients, qui seront accompagnés sur la méthodologie, etc., et la mesure sera faite directement auprès des patients, sans investigateurs. Nous allons nous appuyer sur des plateformes et des nouvelles technologies, notamment sur la blockchain pour le consentement éclairé. Il s’agit d’un pilote. Si nous arrivons à contribuer à la mise en place d’une plateforme, sécurisée, qui collecte directement auprès du patient et de façon large, c’est-à-dire pas seulement des patients de l’association, nous contribuerions à faire remonter la voie des patients et surtout à identifier ces résultats importants pour eux, au-delà de l’efficacité. Roche entend-il partager ces données accumulées ? Le projet PRM a été monté avec avec Advanced Schema parce que nous n’avions pas la compétence et que nous avions besoin d’un hébergeur de confiance. Roche n’a pas de visibilité dans PRM : nous avons une vision globale mais pas d’accès aux données d’un centre. Nous menons également le projet Apollo, une plateforme d’abord à visée interne. Des tonnes de données ne communiquent pas entre elles ; ce grand projet vise à faire de la curation de données, à s’assurer qu’elles sont dans le même format et à y apposer des outils d’analyse et d’IA. Nous voulons la mettre en ouvert à disposition de l’externe pour des collaborations, par exemple avec un centre de données d’imagerie. Un projet est de mettre en place en 2021 un catalogue de données Michael Lukasiewicz Directeur médical de Roche Pharma France Comment le travail du centre s’articule-t-il avec votre plateforme Clinical intelligence study ? Cette plateforme a été mise en place pour aider les investigateurs à identifier les essais cliniques autour d’une molécule : quels sont les essais cliniques pour mon patient disponibles autour de moi. Un algorithme va chercher les données sur le site ClinicalTrials.gov et d’autres plateformes pour pouvoir résumer et simplifier l’accès à ces données. Nous sommes en train d’essayer nous de permettre le partage des données dans un format accessible. C’est un projet pour Roche France : mettre en place en 2021 un catalogue de données. Nous l’avons déjà fait dans le cadre de notre programme Epidemium sur des données plus limitées ; il s’agirait là de données plus larges et mises à disposition en ouvert sur un catalogue de données produites par Roche (essais cliniques et registres). Le projet est en cours de définition. Nous souhaiterions nous appuyer sur une plateforme qu’a développée Roche. Quel budget Roche France consacre-t-il au centre de données médicales ? L’investissement aujourd’hui sur la recherche clinique et les données en vie réelle est d’environ 80 millions d’euros par an. Michael Lukasiewicz Depuis mars 2016 : Directeur médical de Roche Pharma France Mars 2014-mars 2016 : Directeur médical d’AstraZeneca France Janvier 2013-mars 2014 : En charge des plans de développement des molécules au sein de la direction médicale du groupe AstraZeneca à Londres Mai 2010-janvier 2013 : Directeur médical neurosciences et oncologie d’AstraZeneca France 2007-2010 : Médecin de recherche clinique puis responsable médical neurosciences chez Eli Lilly 2003-2007 : Chef de clinique-assistant puis praticien hospitalier au sein de l’AP-HP base de donnéesDonnées de santéEssais cliniquesIndustrieInnovationoncologiePatientPublic/PrivéRecherchevie réelle Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Plateforme Internet : Roche France répertorie les essais cliniques en oncologie Roche et Ramsay Générale de Santé renforcent leur partenariat Roche s'offre Flatiron pour 1,9 Md $ Mouvement Rémy Choquet intègre Roche Pharma France