Accueil > Financement et politiques publiques > Antoine Papiernik (Sofinnova Partners) : “L’IA va nous permettre d’arriver plus vite à la décision d’investissement” Antoine Papiernik (Sofinnova Partners) : “L’IA va nous permettre d’arriver plus vite à la décision d’investissement” Le 5 décembre, Sofinnova Partners annonçait le lancement d’une plateforme d'intelligence artificielle destinée à transformer sa pratique de l'investissement dans les sciences de la vie. Antoine Papiernik, président et managing partner de Sofinnova revient sur la construction, le fonctionnement et les espoirs suscités par cet outil de nouvelle génération. Par Romain Bonfillon. Publié le 14 décembre 2023 à 18h12 - Mis à jour le 14 décembre 2023 à 18h12 Ressources Comment s’est construite la plateforme Sofinnova.AI ? Nous avons fait appel à des prestataires de services français, qui sont des spécialistes de l’IA. Nous travaillons ensemble sur ce projet depuis quatreans et avons également recruté des personnes en interne pour le piloter. En somme, nous avons constitué une task force, qui compte aujourd’hui une dizaine de personnes. Vous ne mentionnez pas le nom des prestataires ayant participé à ce projet. Est-ce par peur de donner de bonnes idées à vos concurrents ? Nous sommes persuadés que tout le monde va, à terme, devoir intégrer ce genre d’outils. Nous avons eu cette idée bien avant l’émergence de ChatGPT et des LLM (Large Language Model, ndlr). Notre travail d’exploration a duré très longtemps, donc nous n’allons pas révéler notre “secret sauce“. Ce qui est important est d’expliquer au monde extérieur quelle est notre stratégie et comment on a construit l’outil. Quelle a été précisément votre stratégie au démarrage du projet ? Nous faisons un métier d’artisans et pour l’accomplir, nous avons besoin d’accéder de la manière la plus efficace possible aux gens avec lesquels nous allons pouvoir travailler en face à face, en utilisant notre intelligence bien humaine pour construire des projets. C’est cela que nous offre notre outil d’IA. Est-ce une expérience inédite dans le domaine du capital-risque ou avez-vous été inspiré par d’autres fonds, américains notamment ? L’innovation ex nihilo n’existe pas. Aujourd’hui, les grands fonds de la tech utilisent l’intelligence artificielle, notamment pour évaluer les entreprises. Il est en revanche beaucoup plus rare d’appliquer cette IA dans les sciences de la vie, parce que le corpus y est très différent de celui de la tech. Pourtant, la science, les formules chimiques, les domaines thérapeutiques sont extrêmement labellisés et annotés et se prêtent particulièrement bien à l’utilisation de l’intelligence artificielle. Une des caractéristiques de notre outil est qu’il repose à la fois sur ce corpus scientifique extérieur et sur l’intégralité de nos ressources internes (nos publications, brevets, acteurs, études cliniques, etc.) Pourquoi le développement de votre outil a pris autant de temps ? Connecter des points pour créer une tubulure permettant de rassembler d’énormes quantités de données et de les exploiter est ce qui nous a pris le plus de temps. Ensuite, nous avons ingurgité les data de Sofinnova, qui ne sont pas seulement constituées des sollicitations que nous avons eu depuis une dizaine d’années. Elles sont enrichies par nos analyses et par celles d’experts externes, comme des anciens de la FDA, des spécialistes en toxicité, en développement clinique, en mise sur le marché du médicament… Notre système a absorbé toutes ces données et nous avons dû créer notre propre LLM pour réaliser tout cela. Combien et quelles données alimentent Sofinnova.AI ? Sofinnova.AI s’appuie sur une base de données continuellement mise à jour qui s’alimente en temps réel du corpus global des connaissances scientifiques dans le domaine des sciences de la vie. Cette base de données contient : • > 90 millions d’auteurs de publications scientifiques • > 40 millions de publications scientifiques • > 100 000 instituts de recherche • > 4,5 millions de brevets publiés • > 450 000 essais cliniques • > 2 millions d’entreprises et 1,5 millions de fondateurs Pourquoi ne vous êtes-vous pas appuyé sur des LLM existants, comme ChatGPT ? Des LLM comme ChatGPT fonctionnent pour traiter d’informations générales, mais lorsqu’il s’agit de science et de patients, de médicaments et d’études cliniques, vous ne pouvez pas vous permettre d’halluciner (l’hallucination correspond aux écarts/erreurs générés par l’IA, ndlr). Par la nature même du LLM qui est derrière, cet outil peut inventer des auteurs et des publications. D’autres problèmes se posent : des solutions comme ChatGPT ne sont pas conformes au RGPD et garder nos data – l’ensemble des informations sur des entreprises que nous suivons depuis 20 ans – sur nos propres serveurs est une évidence stratégique. Enfin, ChatGPT n’est pas capable de répondre à une question sur un article paru la semaine dernière dans Nature. Or, dans notre métier, nous avons besoin de savoir rapidement s’il y a eu une publication fondamentale concernant une technologie qui nous intéresse. Auriez-vous des exemples de cas d’usage de votre plateforme ? Les membres de nos équipes vont pouvoir poser des questions du type : SofIA (c’est le nom de cette IA), peux-tu m’expliquer pourquoi tel récepteur dans telle pathologie est pertinent ? Quels sont les trois experts mondiaux de ce récepteur ? Qui a travaillé sur le développement clinique d’une molécule sur telle pathologie ? Quel est le centre hospitalier le plus avancé scientifiquement en matière d’hypertension pulmonaire ? Sans IA, répondre à ces questions est très compliqué, car l’augmentation massive des quantités de publications scientifiques exige une veille permanente. Aussi, notre plateforme va nous permettre de savoir que tel scientifique a déposé tel brevet, qu’il a par exemple des connexions avec l’Université d’Harvard. C’est une manière pour nous de nous faire une idée très rapide sur la qualité d’une personne ou d’un projet. En quoi l’intelligence artificielle va changer le travail de vos équipes ? L’objectif est de sérier plus rapidement les aiguilles dans la meule de foin informationnelle. Les innovations ne se trouvent pas forcément dans les instituts de recherche les plus éminents et la découverte de ces éléments de bas bruit va créer quelques surprises. Notre métier d’artisan consiste aujourd’hui à aller chercher les experts sur une science en particulier, sur le développement réglementaire, sur la mise sur le marché d’un produit précis, sur la toxicité possible d’une molécule. L’IA va nous permettre d’arriver plus vite à la décision d’investissement. L’objectif est de libérer du temps à l’équipe pour qu’elle fasse le travail qu’elle connaît le mieux, et qui est le plus important, à savoir la construction de la relation avec ce(s) scientifique(s) et l’ajout du sertissage autour d’un diamant brut qu’il nous faut tailler. Existe-t-il des biais dans l’utilisation de cet outil ? La machine n’a pas de biais, les seuls qu’elle a sont ceux qu’on lui instruit. Si l’IA classe un scientifique en fonction de la quantité de publications dans des journaux à taux d’impact important, nous allons ajouter un biais en lui demandant de ne voir que des personnes qui ont pu faire la translation de leur science vers une utilisation applicable au monde de la biotech et de la pharma. Cette IA est un outil vivant qui va se bonifier dans le temps, en fonction des questions qu’on lui pose. Nous n’avons fait qu’effleurer tout le champ de ses possibilités. Comment concevez-vous l’avenir de votre plateforme ? Au début, tout le monde ne l’utilisera pas mais, au fil du temps, les membres de Sofinnova vont s’apercevoir qu’ils en ont besoin pour être efficaces. Aussi, cet outil est pour l’instant interne à notre société mais nous nous sommes aperçus, en faisant des analyses pour valider notre modèle, qu’il y avait une foule d’informations qui pouvaient aussi intéresser tout l’écosystème de la santé. Les pouvoirs publics comme les instituts de recherche ont un intérêt à découvrir et à comprendre pourquoi l’Europe est fabuleuse en termes d’innovations scientifiques. Saviez-vous par exemple que l’Université Radboud de Nijmegen (Pays-Bas) est l’un des piliers mondiaux de la recherche sur la maladie de Parkinson ? À terme, grâce à cet outil, nous allons donc aussi pouvoir réaliser des zooms sur certains centres, afin de les mettre publiquement en valeur. Indépendamment de cette plateforme, comment envisagez-vous l’année 2024, dans un contexte toujours difficile pour l’investissement ? Nous avons aujourd’hui 100 sociétés en portefeuille. La particularité de Sofinnova est d’avoir de multiples stratégies (sur la medtech, la biotech, la médecine digitale) et de financer les start-up à plusieurs niveaux de maturité. Cela nous permet d’avoir une vue générale de l’écosystème. En 2024, nous comptons continuer à développer ces stratégies, à investir et à constituer des portefeuilles sous-jacents (cf. notre encadré). Faire fructifier nos portefeuilles dans l’environnement actuel est cependant très compliqué. L’argent ne coule pas à flots, donc le marché public est fermé. Au niveau des investisseurs des fonds également, il faut s’assurer que l’on passe 2024. C’est une année de consolidation, donc de continuation des investissements, mais c’est aussi une période pendant laquelle il nous faut rester très vigilant. Nous devons nous assurer que les sociétés sont bien financées et qu’il nous reste des liquidités pour financer ces entreprises sur les 24 prochains mois, afin de traverser cette période de vache maigre. Sofinnova Partners amplifie son soutien aux biotech en Europe Sofinnova Partners a annoncé, le 13 décembre, le lancement de sa nouvelle stratégie d’investissement “Biovelocita”, axée sur l’accompagnement des start-up de biotechnologie en Europe. Après avoir clôturé en octobre son fonds Sofinnova Médecine Digitale à 200 M$, la société de capital-risque consacre désormais un fonds à la création et l’accélération de biotech. Ce fonds est directement inspiré de l’accélérateur italien BiovelocITA, que Sofinnova Partners a cofondé en 2015. Sofinnova a choisi de s’adosser à des centres de recherche pour identifier les start-up innovantes et annonce dans le même temps un partenariat avec l’Institut Gustave Roussy pour accompagner des start-up françaises spécialisées en oncologie, issues de la recherche du centre de lutte contre le cancer parisien. Antoine Papiernik 2017 à aujourd’hui : Président de Managing Partner de Sofinnova 1997 : Rejoint Sofinnova Partners 1995 – 1997 : Directeur de l’investissement chez CDC Entreprises Innovation 1990 – 1992 : MBA à la Wharton School (University of Pennsylvania) 1988 – 1990 : Chef de marque chez Unilever Romain Bonfillon base de donnéesFonds d'investissementIntelligence ArtificielleOutils numériquesPlateformes Besoin d’informations complémentaires ? 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