Accueil > Industrie > Quel est le paysage du développement des biomédicaments en France ? Quel est le paysage du développement des biomédicaments en France ? Avec près de 600 biomédicaments en développement, la France occupe le deuxième rang européen. À quelles phases de développement se trouvent-ils ? Quelles sont les molécules les plus courantes, dans quelles aires thérapeutiques ? Quelles entreprises et institutions les portent ? mind Health a exploré la liste de tous les projets en cours dans l’Hexagone grâce aux données de notre partenaire MabDesign et de la base GlobalData. Par Romain Bonfillon, Coralie Baumard et Aymeric Marolleau. Publié le 11 février 2025 à 22h35 - Mis à jour le 11 février 2025 à 15h59 Ressources Série Cet article s’inscrit dans une étude en cinq parties que mind Health a consacrée aux biomédicaments : Quelle est la place des biomédicaments dans l’industrie pharmaceutique mondiale ? Quel est le paysage du développement des biomédicaments en France ? Biomédicaments : quelles tendances en 2025 ? Entretien avec Anne Jouvenceau (AIS) : “Nous avons positionné la France dans le peloton de tête européen” Bioproduction : perspectives et enjeux de l’accélération Les biomédicaments, qui sont venus apporter des réponses à des pathologies auparavant considérées comme en échec thérapeutique, ne représentent encore que 3 % des produits pharmaceutiques commercialisés dans le monde. Mais, comme mind Health l’a montré dans la première partie de ce dossier, leur part devrait beaucoup augmenter dans les prochaines années puisqu’ils représentent déjà 60 % des produits en développement. Ces chiffres sont issus de l’analyse des données de la base GlobalData, réalisée par mind Health en partenariat avec MabDesign, association française du secteur industriel des biomédicaments. Pour mieux connaître les acteurs français de cette filière et leurs enjeux, nous avons récupéré, début décembre 2024, la liste des biomédicaments en cours de développement par des entreprises dont le siège social se trouve en France (voir méthodologie). La France compte près de 1 300 projets en développement Dans l’Hexagone, nous avons ainsi recensé 568 produits impliqués dans 1 292 projets. 62 % des médicaments sont engagés dans un seul process de validation, c’est-à-dire pour une seule aire thérapeutique, une seule indication et une seule “géographie” (mondiale ou locale). Mais 38 % d’entre eux, soit 212, le sont dans plusieurs à la fois. Le maximum est de 100 process pour ICT-01, un anticorps monoclonal dans le domaine de l’oncologie développé par la PME marseillaise ImCheck Therapeutics. Par exemple, l’amlitelimab, de Sanofi, est un autre anticorps monoclonal testé dans quatre aires thérapeutiques : respiratoire, gastroentérique, immunologique et dermatologique. Dans ce dernier cas, il est testé pour trois indications différentes. Pour les dermatites atopiques, il est inscrit dans des process en Inde – où il est en phase de demande d’autorisation pour lancer un essai clinique -, en Chine, au Japon et au niveau mondial, où il est en phase III. Les projets sont surtout portés par des TPE et des PME Les projets recensés par GlobalData sont portés par 155 sociétés dont le siège est installé en France. Plus des trois-quarts d’entre elles sont des TPE (86 entreprises) et des PME (38 entreprises). Le reste se compose de 22 institutions, cinq ETI et quatre grandes entreprises – Sanofi, Servier, IPSEN et Pierre Fabre. Avec 89 produits impliqués dans 202 projets, le laboratoire Sanofi compte pour 16 % des biomédicaments en cours de développement en 2024. La TPE Theravectys (19 produits dans 25 projets) et la PME Innate Pharma (18 produits dans 69 projets) complètent le podium. “Outre leurs investissements propres en R&D, la stratégie de diversification du portefeuille des grands groupes dépend de leur capacité à mettre en place des accords de licensing, fusionner ou racheter des start-up qui portent leurs développements jusqu’aux phases cliniques I et II. Cela explique le dynamisme, non seulement en France mais dans tous les marchés, du tissu de TPE et de PME du biomédicament”, explique le directeur général de MabDesign, Nicolas Groux. Herbert Guedegbe directeur général de LFB BIOMANUFACTURING Sur le volet innovation, les biotech sont d’ailleurs devenues indispensables aux grands groupes, comme l’a prouvé la période Covid. “Les mastodontes du vaccin, parce qu’ils ne disposaient plus de R&D en interne, n’ont pas été capables de produire un vaccin dans les temps. Ce sont des start-up et biotech, très agiles et innovantes, sur lesquelles ces grands laboratoires se sont adossés, qui ont réussi à les produire”, analyse Herbert Guedegbe, directeur général de LFB Biomanufacturing. Aire thérapeutique et modèle économique : des choix stratégiques L’avenir d’une biotech est-il forcément d’être rachetée ? Pas forcément, témoigne Nicolas Poirier, CEO de la biotech OSE Immunotherapeutics, qui est cotée sur le marché Euronext. Créée en 2012, OSE Immunotherapeutics développe des immunothérapies first-in-class, qui sont principalement des anticorps monoclonaux et des vaccins à visée thérapeutique, pour soigner des maladies auto-immunes inflammatoires ou différents types de cancer. Pour Nicolas Poirier, “le modèle économique d’une biotech dépend d’ordinaire de la manière dont elle est financée, alors que le nôtre est plutôt fondé sur les partenariats avec de grands laboratoires pharmaceutiques, comme Boehringer Ingelheim ou Abbvie, qui prennent le relais lors de certaines phases de développement et pour la phase de commercialisation”. Car lorsqu’elles s’intéressent à de grands marchés comme ceux des maladies auto- immunes, ou inflammatoires comme la rectocolite (plus de 3 millions de patients par an), la maladie de Crohn, le diabète ou encore la sclérose en plaques, “il est très difficile pour une petite structure de développer toutes une force commerciale et une distribution au niveau mondial”, reconnaît Nicolas Poirier. Une option opposée consiste à aller sur le marché des maladies rares, où la compétition est moindre et où il existe des procédures fast-track. Compte tenu du faible nombre de patients, les candidats médicaments ne sont pas tenus par les autorités réglementaires de faire une phase III : une étude clinique dite de “phase I/II pivot” peut suffire. “Elle apporte des preuves suffisamment robustes sur l’efficacité et la sécurité, souvent dans le contexte de maladies rares, en oncologie et pour des thérapies innovantes, thérapies géniques notamment”, explique à mind Health Nathalie Manaud, directrice Innovation au Leem. Quelles phases de développement Notre pannel se compose uniquement de produits en cours de conception, aucun n’est commercialisé. Le développement d’un médicament nécessite d’emprunter huit phases successives, avec, lors de chacune, le risque de ne pas répondre aux exigences nécessaires pour atteindre la suivante. Trois phases sont dites “non cliniques” (de la découverte à celle d’investigation), cinq sont “cliniques” (de la phase 0 au pré-enregistrement – voir l’encadré méthodologique pour les détails de chaque phase). 678 des projets que nous avons étudiés se trouvent en phase non clinique, soit légèrement plus que les 614 qui se trouvent en phase clinique. Cinq produits engagés dans onze projets se trouvent dans la dernière étape avant la commercialisation : l’isatuximab de Sanofi (oncologie), les vaccins contre le chikungunya et contre le Covid-19 (VLA-2001) de Valneva, le bentracimab (contre les désordres hématologiques) de Serb et le lenadogene nolparvovec (ophtalmologie) de GenSight Biologics. Nicolas Poirier, CEO de la biotech OSE Immunotherapeutics “Plus on avance dans le développement clinique, plus les étapes sont coûteuses et longues, notamment parce qu’il faut accéder à un nombre croissant de patients, note Nicolas Poirier, CEO de la biotech OSE Immunotherapeutics. Sur les études d’enregistrement phase III, énormément de biotech passent le relais à un grand laboratoire, c’est pourquoi on y rencontre davantage de grands industriels que de biotech.” Quelles molécules ? Nous connaissons les types de molécules impliqués dans chaque médicament. Certains ont plus d’un type de molécule. MabDesign les a réunies en six grandes catégories. Les plus communes sont les anticorps, présents dans 42 % des projets, devant les médicaments de thérapie innovante (ATMP, pour Advanced Therapy Medicinal Product, 17 % des projets), les vaccins (13 %), les autres biomédicaments (11 %), les peptides (9 %) et les autre protéines (9 %). En décembre 2024, la plupart des projets impliquant des anticorps, des vaccins et des molécules classées comme “autres protéines” se trouvent dans des phases cliniques, tandis que ceux qui reposent sur les médicaments de thérapies innovantes, les peptides et les “autres biologiques” restent majoritairement au seuil des essais cliniques. Si la famille des anticorps est celle qui arrive le plus à atteindre les phases cliniques II et III, “c’est parce qu’ils ont fait la démonstration de leur efficacité en clinique, à être bien tolérés avec peu d’effets secondaires, explique Nicolas Groux (MabDesign). Concernant leur processus de développement, il existe beaucoup de gold standards. Avec plus d’antériorité et plus de molécules sur le marché, les acteurs ont une meilleure maîtrise de ce qu’il faut faire et des erreurs à éviter.” Nicolas Groux, directeur général de MabDesign Inversement, pour les médicaments de thérapie innovante (les MTI, qui comprennent les thérapies géniques, les thérapies cellulaires et la combinaison de ces thérapies), la recherche est encore un voyage en terre inconnue. “On dit souvent que pour les MTI, le produit est le process, car il n’existe pas de standard”, rapporte Nicolas Groux. Le laboratoire biopharmaceutique français Cellectis, qui s’appuie sur une technologie très spécifique, a même été jusqu’à créer ses propres unités de bioproduction faute de trouver des prestataires capables de le fournir. Dans le voyage exploratoire des MTI, “l’enjeu réglementaire et le temps de R&D demeurent aussi très importants et contribuent à ralentir leur progression”, ajoute Nicolas Groux. Il demeure aussi des enjeux de toxicité et d’efficacité. “Mais dès qu’un acteur aura démontré que cela fonctionne, les autres suivront”, considère le directeur général de MabDesign. Quelles aires thérapeutiques sont concernées ? Les biomédicaments en cours de développement concernent 20 aires thérapeutiques différentes. Près de la moitié des projets portent sur l’oncologie (48 %), loin devant les maladies infectieuses (15 %) et le système nerveux central (7 %). Pour Herbert Guedegbe, directeur général de LFB Biomanufacturing, cette répartition reflète la taille de ces différents marchés : “C’est d’abord le besoin patient qui définit ce lien. La hausse du nombre de cas de cancers, le fait que l’on voit réapparaître des maladies comme la tuberculose ou qu’il y ait de plus en plus de pathologies qui se transmettent de l’animal à l’homme, le vieillissement de la population… sont les facteurs qui expliquent ce trio de tête des aires thérapeutiques.” En outre, Nicolas Groux remarque que si Sanofi et Servier ont récemment engagé une grande restructuration de leur pipeline autour de l’immunologie, c’est parce que cette thématique permet de toucher à la fois le domaine de l’oncologie (avec les immunothérapies), celui des maladies auto-immunes (qui touchent, rien qu’en France, environ 5 millions de personnes et constituent le troisième groupe de maladies en terme de morbidité et de mortalité dans les pays industrialisés, selon l’Institut Pasteur) et les maladies infectieuses, qui impliquent directement le système immunitaire. Méthodologie Début décembre 2024, notre partenaire MabDesign, association française du secteur industriel des biomédicaments a interrogé la base de données du service d’information britannique GlobalData afin d’y récupérer la liste des biomédicaments en cours de développement par des entreprises dont le siège social se trouve en France. Notre panel n’inclut donc pas les produits commercialisés, ni les produits en développement portés par les filiales françaises d’entreprises dont le siège se situe à l’étranger. Les données financières générales et les répartitions entre biomédicaments et petites molécules chimiques sont également issues de GlobalData. Les produits pris en compte dans l’analyse du “panel France” sont ceux dont le type de molécule est “biologique”, par opposition aux petites molécules chimiques. Cela concerne 28 types de molécules différentes, que MabDesign a classées dans six catégories : anticorps, vaccins, ATMP (Advanced Therapy Medicinal Product), peptides, autres protéines et autres biologiques. Les entreprises dont le siège se trouve en France ont été classées par MabDesign dans cinq catégories : TPE (moins de 20 salariés), PME (20 à 250 salariés), ETI (250 à 4 999 salariés), grandes entreprises (plus de 5 000 salariés) et institutions. Nous avons étudié l’avancée des projets dans huit phases : Trois phases sont “non cliniques” : celles de découverte, celle dite “préclinique” et la phase “Investigational New Drug / Clinical Trial Application”, où l’objectif est d’obtenir l’autorisation des autorités de régulation pour débuter les essais cliniques chez l’homme. Cinq phases sont dites “cliniques” : phase 0 (recrutement des membres de l’essai), phase I (évaluation de la sécurité et la tolérance chez des volontaires sains ou malades), phase II (évaluer l’efficacité préliminaire et continuer à surveiller la sécurité), phase III (confirmer l’efficacité thérapeutique et la sécurité à grande échelle), pré-enregistrement (soumettre les résultats des phases précliniques et cliniques aux autorités réglementaires pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché). Un commentaire, une remarque ou une question concernant cette étude ? Contactez-nous : datalab@mind.eu.com Romain Bonfillon, Coralie Baumard et Aymeric Marolleau BiomédicalBiotechs Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Quelle est la place des biomédicaments dans l’industrie pharmaceutique mondiale ?