Accueil > Financement et politiques publiques > Anne Jouvenceau (AIS) : “Nous avons positionné la France dans le peloton de tête européen” Anne Jouvenceau (AIS) : “Nous avons positionné la France dans le peloton de tête européen” Coordinatrice de la Stratégie d'accélération des biothérapies et de la bioproduction en thérapies innovantes pour l’Agence de l’innovation en santé, Anne Jouvenceau revient pour mind Health sur les avancées permises par la mise en place de cette initiative nationale ainsi que sur les défis qui demeurent. Par Coralie Baumard. Publié le 11 février 2025 à 22h45 - Mis à jour le 08 août 2025 à 12h42 Ressources Série Cet article s’inscrit dans une étude en cinq parties que mind Health a consacrée aux biomédicaments : Quelle est la place des biomédicaments dans l’industrie pharmaceutique mondiale ? Quel est le paysage du développement des biomédicaments en France ? Biomédicaments : quelles tendances en 2025 ? Entretien avec Anne Jouvenceau (AIS) : “Nous avons positionné la France dans le peloton de tête européen” Bioproduction : perspectives et enjeux de l’accélération Quelles sont aujourd’hui les forces de la France dans la compétition internationale qui se joue autour de la bioproduction ? En premier lieu, la France a la chance d’avoir à la fois une expertise scientifique et médicale reconnue dans le domaine, c’est une constante fondamentale, qui peut susciter certaines jalousies auprès d’autres pays européens. Le deuxième point, sans vouloir faire preuve d’autosatisfaction, est que la volonté, inscrite au niveau de l’État, de renforcer la filière des biothérapies et biomédicaments, grâce à une stratégie d’accélération, a clairement dynamisé l’ensemble de l’écosystème (de la recherche à l’industrialisation). Une troisième force est la présence sur le territoire d’une infrastructure industrielle réelle, avec un marché économique à la clé. Existe-t-il une catégorie de biomédicaments sur laquelle l’écosystème français est particulièrement en pointe ? Un constat se vérifie depuis plusieurs années, les anticorps sont la famille de biomédicamentsqui compte le plus grand nombre de projets en développement et en production. Les anticorps monoclonaux tout comme les anticorps conjugués (ADC) et les bispécifiques sont concernés, même si ces deux dernières catégories sont plus émergentes et récentes. En deuxième position, nous avons les vaccins. Au regard de la stratégie, nous avons pu observer que des projets de vaccins à ARN messager émergeaient de plus en plus.. Les sociétés qui développent des anticorps ou des vaccins sont d’ailleurs souvent celles aujourd’hui ayant le plus de succès en matière de levées de fonds. En troisième position se situent les médicaments de thérapie innovante (MTI) avec les thérapies cellulaires et les thérapies géniques. Nous observons également, à travers les projets déposés, l’arrivée de nouvelles familles comme les organoïdes ou les exosomes. La Stratégie d’accélération biothérapies et bioproduction de thérapies innovantes (SABB), annoncée en 2022, doit représenter un investissement de 800 millions d’euros. En février dernier, lors du premier bilan de la stratégie, l’investissement atteignait 338 millions d’euros. Quel est aujourd’hui le montant engagé ? À fin 2024, nous étions à 478 millions engagés. En incluant les cinq lauréats de l’appel à manifestation d’intérêt “Compétences et Métiers d’avenir” réalisant des projets en lien avec les biothérapies et la bioproduction, nous atteignons 496 millions d’euros engagés. Nous avons financé plus de 100 projets à ce jour, d’autres devraient être annoncés à la fin du premier trimestre 2025. Le montant investi est en croissance car mécaniquement, nous avons de plus en plus de projets soumis aux appels à projets. Pour rappel, la stratégie fonctionne, pour partie, sous forme d’appel à projets pour lesquels il existe des relèves. Sur le volet projet industriel, deux relèves par an sont organisées sur deux appels à projets différents : le premier axé sur le développement de procédés de production ou du développement de biomédicaments, le second centré sur les capacités industrielles et le financement de nouvelles lignes de production. Le développement de formations est donc un des enjeux aujourd’hui pour développer la filière ? En effet, il y a un vrai besoin. La filière est relativement récente par rapport à celle, traditionnelle, du médicament. Il faut, dans le cadre de la formation continue voire initiale, appuyer le développement des compétences des professionnels pour maintenir à jour les connaissances. Sur ce point, je ferai le parallèle avec la médecine génomique où le besoin d’apporter de nouvelles formations est crucial afin d’éviter un goulet d’étranglement et devoir faire face à une filière qui se développe mais pour laquelle on trouve difficilement les expertises requises. C’est tout l’intérêt de l’AMI Compétences et Métiers d’avenir. Les cinq projets retenus à ce jour visent notamment la formation de techniciens, d’ingénieurs voire de doctorants mais ont également pour objectif de sensibiliser au plus tôt les jeunes étudiants (niveau lycée, parfois collège) à ces compétences et métiers. Un autre volet important, encore insuffisamment couvert aujourd’hui, est la formation des pharmaciens hospitaliers et responsables pharmaciens dans les laboratoires et les entreprises. C’est un sujet sur lequel nous travaillons, en incitant les pharmaciens à déposer des projets dans ce sens. Dans le premier bilan de la SABB, il était indiqué que 19 actions sur 21 étaient engagées. Sur quelles thématiques portaient les deux actions restantes ? La première action était du ressort de l’analyse prospective concernant l’impact des biomédicaments et plus particulièrement des médicaments de thérapie innovante en matière d’organisation des soins et en termes économiques. Cette action a pris un peu de temps à se mettre en place, l’étude vient d’être lancée par l’Agence de l’innovation en santé et la publication des résultats, intégrant la formalisation d’indicateurs d’impacts organisationnels et économiques, devrait intervenir d’ici la fin de l’année 2025. La seconde action n’a pas fait l’objet de poursuites pour le moment, car elle était un peu prématurée. Elle visait à faciliter le partage des données de bioproduction à l’échelle nationale. Cette tâche est déjà traitée, à plus petite échelle, par les huit intégrateurs, lauréats d’un appel à projets de la SABB. Plusieurs d’entre eux se sont spécialisés sur les procédés de production et la production elle-même, ils ont entamé une réflexion sur comment coupler les données de production à de l’intelligence artificielle afin de la faciliter. Sur quels aspects va porter cette étude prospective ? Au niveau organisationnel, par exemple, les médicaments de thérapie innovante sont, pour la grande majorité d’entre eux, encore administrés pour un patient donné. De plus, il y a un enjeu d’organisation des soins avec la nécessité de mettre en place des infrastructures spécifiques pour la production et l’administration de ces médicaments. Ce n’est pas la même chose qu’un médicament classique en pharmacie. Ce n’est bien évidemment pas le seul point à considérer. Concernant l’impact économique, le prix des biomédicaments peut être élevé pour un bénéfice thérapeutique de plusieurs mois à plusieurs années. Il est question de l’impact économique positif comme négatif. Il faut pouvoir l’évaluer et déterminer comment cela peut être accompagné afin d’assurer aux patients l’accès à ces médicaments de thérapie innovante. L’étude doit prendre en considération tous ces aspects, l’AIS la mène avec l’appui de plusieurs acteurs concernés. Concernant la question du coût des biomédicaments, dans un entretien à mind Health, Lise Alter (ancienne directrice générale de l’AIS, ndlr) avait évoqué l’idée d’une filière de production publique de CAR-T cells. Est-ce une piste que vous continuez d’explorer ? Un rapport sur la régulation des produits de santé, commandé par Elisabeth Borne, est paru à l’été 2023. Il comportait trois piliers, dans le deuxième, la mesure E.13 évoquait la possibilité que des structures publiques ou privées non lucratives produisent des médicaments de thérapie innovante à titre transitoire. L’AIS s’est saisie du sujet avec les ministères concernés (Recherche, Industrie et Santé) pour commencer à traiter ce point. Mais rien n’est arrêté à ce jour, l’étude est en cours. Quel est aujourd’hui l’appétence des investisseurs pour la filière ? Avez-vous noté une évolution depuis la mise en place de la SABB ? L’évolution est liée surtout à la conjoncture actuelle. Sans faire de pessimisme, à la fin 2023 et au début de 2024, la situation n’était pas simple. Nous espérions des signaux plus favorables en 2024 à l’instar du regain observé aux États-Unis. Ce regain n’a pas été particulièrement marqué en France. Aujourd’hui, le constat est que les investisseurs soit font le choix d’investir très tôt dans une société pour prendre le “contrôle” de l’entreprise, rendant difficile l’entrée d’autres investisseurs, soit font le choix d’entrer très tard au capital, en phase II clinique, une fois les phases préclinique et clinique de phase I dérisquées. Ceci est particulièrement vrai pour les sociétés travaillant sur les CAR-T cells. La situation est encore plus compliquée pour les CDMO car le retour sur investissement paraît plus lointain aux investisseurs. Quelles actions avez-vous mises en place pour accompagner les investisseurs ? En partenariat avec la Direction générale du Trésor, France Biotech et l’École polytechnique, l’AIS a participé au lancement d’une offre de formation à destination des investisseurs institutionnels afin de les sensibiliser aux investissements dans le domaine de la santé. De la même manière qu’un travail de cartographie des besoins en innovations a pu être réalisé auprès des établissements de soin, l’AIS a engagé un travail de cartographie des investisseurs du secteur : cet outil permettra des mises en relation qualifiées entre des porteurs de projets et des investisseurs, sur la base de leur TRL (niveau de maturité technologique, ndlr), de la taille des tickets, des domaines d’investissement, mais aussi de critères plus fins tels que le modèle économique ou le portefeuille de propriété intellectuelle. Cette cartographie sera présentée dans le cadre du deuxième Tour de France de l’AIS, qui débutera en avril prochain. Des objectifs très ambitieux avaient été fixés à horizon 2025, notamment la production sur le sol français de dix biomédicaments, quel est aujourd’hui l’état d’avancement ? Nous sommes en train de réaliser un bilan qualitatif de la stratégie. Si elle a démarré il y a trois ans, tous les projets n’ont pas été lancés dès le départ. Certains commencent à peine, d’autres ont été enclenchés il y a un an et demi, or, nous sommes sur du temps long. Le développement d’un biomédicament prend entre dix et quinze ans, sa production ne se fait pas en un jour. Nous nous sommes mis en ordre de marche pour positionner la France dans le peloton de tête à l’échelle européenne. En termes de nombre de biomédicaments en développement, en deux ans, nous sommes passés de la troisième à la deuxième place européenne, derrière le Royaume-Uni, cette position reste aujourd’hui confirmée. Nous sommes dans la bonne ligne droite. Si l’on regarde les taux d’attrition des biomédicaments entre le préclinique et la phase III qui sont très forts, il est difficile de se dire que tous les produits lancés vont être un succès. En revanche, nous nous donnons les moyens pour augmenter ce succès. Il est également important de souligner notre volonté d’indépendance et de souveraineté nationale et européenne. C’est la raison pour laquelle nous soutenons également des projets visant à développer de nouveaux outils de bioprocédés et de bioproduction, importants pour réduire les coûts et faciliter des productions plus rapides. À titre d’exemples, nous soutenons des sociétés comme CellQuest ou Astraveus dans le développement d’”usines miniaturisées”, qui pourraient permettre des productions presque au lit du patient. En 2022, un des éléments déclencheurs de la SABB était le fait que 95% des biomédicaments n’étaient pas produits en France. La souveraineté est donc l’enjeu majeur selon vous ? Tout à fait, et la question de la souveraineté nationale se pose à tout niveau, à la fois dans le développement de biomédicaments ou encore de leur production, mais également en termes de matières premières. Par exemple, l’État a soutenu RD biotech, une société qui produit des plasmides, un élément génétique indispensable pour développer des thérapies géniques, des anticorps ou des vaccins. Désormais, les biotech françaises peuvent s’appuyer sur cette société pour disposer de plasmides, en bonne pratique de fabrication (certification GMP) ou non, dans le cadre de leur développement de biomédicaments pour des lots précliniques et des lots cliniques. Autre initiative qui va dans ce sens et qui est soutenue très fortement par l’État le projet important d’intérêt européen commun (PIIEC), Drug Cell. Il vise à développer des thérapies cellulaires en s’appuyant sur la création de lignées cellulaires propriétaires, permettant ainsi une indépendance dans ses développements de thérapies cellulaires. Toutes ces actions prennent du temps, embarquent du monde et ce sont des développements conséquents. Comment s’articulent aujourd’hui les stratégies françaises et européennes en matière de biomédicaments ? Sur le volet académique, cela fait partie de l’ADN des chercheurs de collaborer au niveau européen. Mais Drug Cell va amplifier cette tendance et appuyer le développement d’une filière de thérapies cellulaires, dont l’objectif est de développer et produire à l’échelle européenne des biomédicaments. Nous suivons de près les réflexions en cours auprès de la Commission européenne en faveur des biotechnologies, le Biotech Act. Cette action est actuellement retravaillée dans le cadre de la présidence polonaise. À l’Agence de l’innovation en santé, nous nous sommes rendus à Bruxelles pour présenter à la fois les actions de l’agence et mettre en avant les deux Stratégies d’accélération que je coordonne, biothérapies et bioproduction et maladies infectieuses émergentes (MIE) et menaces NRBC et voir les liens que nous pourrions tisser aussi bien avec la Direction Générale de la Recherche et de l’Innovation, l’European Innovation Council et encore HERA (Health Emergency Preparedness and Response). Nous nous sommes également rapprochés de clusters européens dans le but de réfléchir à des actions communes. Ceci doit être poursuivi. Quels sont aujourd’hui les défis à relever pour la filière ? La Stratégie de biothérapies et bioproduction a permis de relever certains défis initiaux comme le renforcement des capacités industrielles, l’accélération de la recherche et de l’innovation, la formation ou encore la souveraineté sanitaire. D’autres défis demeurent, au regard notamment de la forte compétition internationale. Si la France a progressé du troisième au deuxième rang à l’échelle européenne concernant les produits en développement, elle est en concurrence avec des pays qui investissent massivement comme les États-Unis et dans une moindre mesure l’Allemagne et la Belgique. Autre point, le passage à l’échelle est encore insuffisant, la capacité à produire largement doit encore être consolidée. L’accès au marché, l’adoption des innovations, l’attractivité des talents et la visibilité de nos acteurs doivent être améliorées. C’est pourquoi nous restons très mobilisés au niveau de l’État et de l’écosystème. Anne Jouvenceau en cinq dates Depuis mai 2024 : Coordinatrice de la stratégie d’accélération des maladies infectieuses émergentes et des menaces NRBC à l’AIS. Depuis mai 2023 : Coordinatrice de la stratégie d’accélération des biothérapies et de la bioproduction en thérapies innovantes à l’AIS. De mai 2021 à mai 2023 : Directrice de recherche au sein de l’Institut Thématique Technologie pour la Santé de l’Inserm où elle supervise les initiatives liées aux biothérapies et à la bioproduction. Elle est également copilote du PEPR “Biothérapies et bioproduction des thérapies innovantes”. 2017 à 2021: Directrice générale adjointe puis Directrice générale par intérim, au sein du biocluster Genopole. 2012 à 2014 : Conseillère en Santé et Sciences de la Vie auprès de la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Coralie Baumard BioproductionbiotechbiothérapieStratégie Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind