Accueil > Financement et politiques publiques > Christophe Jurczak (Quantonation) : “Dans un workflow de drug design, l’ordinateur quantique pourrait couvrir 10 à 15% des tâches” Christophe Jurczak (Quantonation) : “Dans un workflow de drug design, l’ordinateur quantique pourrait couvrir 10 à 15% des tâches” 90% du portefeuille de Quantonation est consacré aux technologies quantiques. La société de venture capital, qui lève actuellement son deuxième fonds, a déjà investi dans les start-up en santé Qubit Pharmaceuticals et Resolve Stroke. Pour Christophe Jurczak, Partner cofondateur de Quantonation, le secteur de la pharma sera le premier champ applicatif du quantique à court terme. Par Clarisse Treilles. Publié le 08 avril 2025 à 22h45 - Mis à jour le 08 avril 2025 à 15h46 Ressources Comment est née votre appétence pour le quantum computing ? Comment cela a déterminé la création de Quantonation ? Physicien d’origine, j’ai fait ma thèse avec Alain Aspect avant de faire carrière aux Etats-Unis dans le domaine de l’énergie. J’avais senti qu’il se passait des choses dans le domaine du quantique à Palo Alto, avec de premières start-up qui commençaient à faire parler d’elles dès 2015. L’un des points de départ, selon moi, fut la mise en route de l’ordinateur quantique d’IBM avec seulement quelques qubits [IBM a dévoilé en 2017 sa feuille de route autour des systèmes quantiques “IBM Q”, ndlr]. Cette révolution a permis à l’écosystème de se développer. Je me suis alors intéressé au secteur, d’abord en cofondant la start-up de quantum computing Pasqal, puis en cocréant le fonds Quantonation en 2018 avec Charles Beigbeder et Olivier Tonneau. Nous sommes spécialisés en early stage sur le quantum et la deep physique (physique avancée). La science quantique permet, notamment, d’imaginer de nouvelles applications en allant au devant de la science dans les laboratoires. Notre ambition dès le départ avec Quantonation était de faire du transfert technologique pour créer des start-up en early stage (phases de préamorçage et d’amorçage) et être en mesure, par la suite, de mener les entreprises à maturité. Quantonation est devenu le plus grand investisseur au monde dans le domaine des technologies quantiques avec 32 start-up dans le portefeuille à date, dont 25 pour le fonds I et 7 pour le fonds II. 90% de notre portefeuille est spécialisé dans le quantique. Certaines sortent du lot, comme Resolve Stroke par exemple, qui fait de l’imagerie acoustique nouvelle génération. Cette technologie intègre à la fois du compute et du sensing (les détecteurs, ndlr), et est fondée sur de la physique innovante. Nous pensons qu’elle peut apporter des gains de performance significatifs. En santé, quels sont les cas d’usage qui vous semblent être les plus prometteurs à court terme ? La simulation et la chimie quantique sont parmi les applications les plus évidentes à court terme des ordinateurs quantiques. Les applications en santé sont surtout centrées sur le design de molécules et de matériaux. Qubit Pharmaceuticals constitue notre cheval de course dans ce domaine. Je pense que le sensing a aussi son rôle à jouer. Nous regardons notamment le sujet des interfaces cerveau-machine (ICM). Nous avons mené une première analyse en interne sur l’usage des technologies quantiques pour concevoir des ICM non intrusives. Il n’y a pas encore de start-up spécialisée sur ces thématiques, mais nous avons identifié quelques équipes académiques. En médecine de précision, le quantique pourrait-il aussi être pertinent pour l’analyse d’image et le diagnostic par exemple ? Au niveau du traitement d’image, je pense qu’il y a des sujets intéressants à explorer. La combinaison IA/quantique nourrit notamment l’approche des “réseaux de tenseurs” [une technique d’inspiration quantique, ndlr], venant de la physique. Nous avons une entreprise espagnole, Multiverse, qui utilise des réseaux de tenseurs pour faire de la compression de modèles de langage. Il serait possible d’imaginer travailler sur des “mini LLMs” grâce à cette technologie par exemple. Resolve Stroke ne fait pas du quantique mais de l’image acoustique. Ce qui est intéressant n’est pas tant le hardware, mais l’analyse d’image et le traitement de données. L’entreprise apporte une couche d’IA pour interpréter les données et apporter une ultra-résolution au niveau des pathologies. Ils utilisent aujourd’hui des ordinateurs classiques pour avancer sur leur technologie. Je pense qu’il faut raisonner en termes d’informatique hybride pour être capable de faire tourner des applications de software quantiques sur des ordinateurs classiques dans un mode “quantum native”. Quelle est la thèse d’investissement de départ de Quantonation I ? Où en êtes-vous sur Quantonation II ? Le fonds Quantonation I a levé 91 millions d’euros. Nous avons commencé la levée de fonds pour Quantonation II fin 2023. Nous devrions arriver entre 100 et 150 millions d’euros levés. L’objectif est d’aller au final closing cet été, aussi proche que possible de notre objectif de 200 millions d’euros levés. Nous commençons toutefois à déployer pour le fonds II, c’est pourquoi nous avons déjà investi dans sept entreprises. À quelles zones géographiques vous intéressez-vous spécifiquement ? Il n’y a pas de différence fondamentale entre les fonds I et II au niveau des thématiques et de la géographie ciblées. Même si nous sommes globalement très présents en Europe, c’est important pour nous d’être capable d’investir dans les meilleures entreprises où qu’elles soient dans le monde. À titre d’exemple, le premier investissement du fonds II a eu lieu en Australie. Dans le domaine du quantique, il existe 20 à 30 écosystèmes dynamiques dans le monde. Cela est dû à plusieurs facteurs : de la science très qualitative et des financements publics, avec en général un plan national quantique. En Europe, les pays les plus dynamiques sont la France, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et le Royaume-Uni. Le Canada et les États-Unis sont également très dynamiques. Nous faisons aussi de la prospection au Japon, en Australie ainsi qu’à Singapour, des écosystèmes de référence dans le quantique. Cependant, il faut être conscient que la création de start-up au Japon n’est pas la même qu’en Europe, la connaissance de la culture et les relais locaux sont importants pour passer les barrières à l’entrée. Novo Holdings a investi dans Quantonation II. Cela laisse-t-il augurer une collaboration stratégique autour des life sciences ? Novo Holdings possède une vision d’ensemble et s’intéresse aux applications couvrant le médical, comme le drug design et l’imagerie. La fondation Novo s’intéresse également aux systèmes hybrides [au Danemark, la société mère de Novo Nordisk investit 1,4 milliard de couronnes danoises en amorçage et en capital-risque pour construire un écosystème de start-up, ndlr]. Les corporates arrivent avec leurs problématiques et nous informent des limitations qu’ils perçoivent. C’est une manière pour eux de tester différentes technologies de hardware. Les acteurs pharmaceutiques sont parmi les industriels qui ont réalisé le plus de PoC jusqu’à présent, avant même le secteur des matériaux et de la finance. Christophe Jurczak Les laboratoires pharmaceutiques mènent aussi des recherches avancées dans le quantique… Les acteurs pharmaceutiques sont parmi les industriels qui ont réalisé le plus de PoC jusqu’à présent, avant même le secteur des matériaux et de la finance. Le laboratoire Boehringer, en Allemagne, a démarré assez tôt sur le quantique. Les acteurs de la pharma possèdent cette capacité à visualiser les workflow complexes. Il ne faut pas voir l’ordinateur quantique comme la machine qui réalisera toutes les tâches. Dans un workflow de design de molécules, nous estimons que 10 à 15% des tâches seraient couvertes par l’ordinateur quantique. Cela suffit déjà à donner une vraie accélération et réduire la consommation de GPU. Pour faire du big data et de l’IA, les GPU ont plus de sens. En revanche, concernant le moteur de simulation, le quantique a quelque chose à offrir. Les acteurs de la pharma comprennent bien ces enjeux. Qubit Pharmaceuticals collabore avec AWS pour ses travaux sur l’ARN Quel est votre ticket moyen ? Nos tickets d’investissement varient selon le profil des entreprises. Nous pouvons investir 500 000 euros sur du early stage et jusqu’à 10 millions d’euros sur des sociétés plus matures. Nous étudions les “uses of proceed” [document qui résume la manière dont une entreprise qui souhaite obtenir des capitaux va dépenser les fonds, ndlr], qui seront différents selon s’il s’agit de hardware ou de software. Après la série A, nous réalisons des suites d’investissement au cas par cas dans les sociétés qui progressent et pour lesquelles nous pensons qu’il y aura un meilleur retour financier. Lorsque nous investissons sur nos premiers tickets, le risque est élevé, notamment sur la technologie. Le risque évolue au fil du temps et selon la typologie d’investisseurs. Lorsque nous arrivons vers la série B, la technologie est dérisquée. Nous nous intéresserons à la capacité de l’entreprise à monter en puissance, à construire un réseau commercial et à produire, notamment dans le cas des ordinateurs quantiques. Vous avez participé à la création de start-up studios. Quelle est votre approche ? Est-ce un modèle duplicable ? Nous avons prévu dans le fonds II d’investir des petits tickets dans cinq studios maximum au niveau mondial. C’est une manière pour nous de générer des pipelines de projets très early stage. Nous avons eu l’expérience de travailler aux côtés de fondateurs académiques assez tôt, et cela fonctionne, comme c’est le cas avec Qubit Pharmaceuticals. Pour passer à l’échelle dans des écosystèmes où nous sommes moins présents, la structure du studio est prometteuse. Nous ne dirigeons pas directement ces studios, nous nous associons avec des partenaires locaux publics ou privés. Le premier que nous avons créé, QV Studio, se situe au Canada, à Sherbrooke. Il a généré deux projets dans le premier batch l’an dernier. Cinq projets de start-up sont en cours sur du hardware, du sensing ou du software. Le programme se déroule sur deux à trois ans, pendant lesquels la technologie, l’équipe et les applications sont développées. Nous disposons également de deux autres structures, la première en Italie, Quantum Italia, et la seconde en France, Quantum Launchpad, qui est en cours de lancement. En fonction des capacités locales, nous voulons pousser des idées dans lesquelles nous souhaiterions voir plus d’applications, notamment dans les logiciels. Chaque studio devrait sortir quatre à cinq projets par an. Cela ne débouchera pas à chaque fois sur des start-up, mais c’est une bonne manière de générer plus de projets dans lesquels notre structure pourra investir par la suite. Quantonation Créé en 2018 Basé à Paris, avec un bureau à Boston 8 personnes Les aires d’investissement : quantum computing (hardware et software), quantum networks, quantum sensing et deep physique (physique avancée) 32 start-up dans le portefeuille 91 millions d’euros levés pour le fonds I (clos en 2022) Objectif de 200 millions d’euros pour le fonds II (en cours) La biographie de Christophe Jurczak Depuis 2018 : Managing Partner chez Quantonation, actuellement au board de Pasqal et Qubit Pharmaceuticals entre autres.2018 – 2022 : président et cofondateur de Le Lab Quantique2017 – 2018 : Head of Quantum Computing Business Development chez QV Ware Corp 2015 – 2017 : Principal, Energy chez ExQuanto 2010 – 2015 : President, Solar chez E.ON Clinate and Renewables2007 – 2010 : CEO, Renewables chez Poweo2006 – 2007 : Director, Area Control Systems au Ministère de la Défense2002 – 2006 : Head of Renewable Energy Office au ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie Formation : 1996 : Doctor of Philosophy (Ph.D.), Quantum Physics à Ecole Polytechnique Clarisse Treilles deep techdrug discoveryFonds d'investissementLevée de fondsstart-uptechnologie Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Dossier Les TechBio françaises : le défi du financement TENDANCES 2025 - Financements : le temps des incertitudes Life sciences : moins de transactions, mais des montants plus importants