Accueil > Industrie > François Gaudemet (J&J MedTech France) : “Le robot devient, au-delà de la technologie, un vecteur de changement” François Gaudemet (J&J MedTech France) : “Le robot devient, au-delà de la technologie, un vecteur de changement” En 2023, le groupe Johnson & Johnson a annoncé une restructuration afin de se recentrer sur deux entités Johnson & Johnson Innovative Medicine, dédiée à l’innovation pharmaceutique, et Johnson & Johnson MedTech. François Gaudemet, président de J&J MedTech France, a détaillé à mind Health la stratégie d’innovation du groupe, concernant notamment la chirurgie 4.0. Par Coralie Baumard. Publié le 24 juin 2025 à 22h30 - Mis à jour le 24 juin 2025 à 16h26 Ressources Sur quels segments d’activité J&J MedTech est-elle aujourd’hui présente ? Nous nous concentrons sur quatre activités principales. Premièrement, la chirurgie où nous intéressons aux grands sujets de santé comme le cancer du poumon, le cancer du côlon, le traitement de l’obésité au sens large avec la chirurgie métabolique. Notre deuxième activité est centrée autour de l’orthopédie avec la prise en charge des polytraumatisés ainsi que la reconstruction des articulations pour les patients atteints d’arthrose afin de restaurer leur mobilité. Le cardiovasculaire constitue la troisième activité, nous avons réalisé récemment des investissements importants en cardiologie interventionnelle ou en restauration du muscle cardiaque après infarctus avec les acquisitions des sociétés Shockwave Medical (transaction de 13 Mds $ finalisée en mai 2024, ndlr) et Abiomed (transaction de 16,6 Mds $ finalisée en novembre 2022, ndlr) pour compléter notre activité axée sur la rythmologie interventionnelle, le traitement des arythmies cardiaques, en particulier la fibrillation auriculaire. Enfin, nous avons une activité autour de la vision, incluant une partie chirurgicale (implants oculaires et chirurgie de la cataracte) ainsi qu’une activité de contactologie avec la marque Acuvue. Quel est le montant de l’investissement consacré à votre stratégie R&D ? L’innovation fait partie de notre ADN, notre vocation est de proposer des technologies ou des molécules innovantes pour traiter des pathologies pour lesquelles les traitements ne sont pas encore totalement optimaux. Pour cela, nous investissons énormément en recherche et en développement tant en interne qu’en externe. Nous dépensons aujourd’hui plus de 15 % de notre chiffre d’affaires en R&D, J&J est donc un des grands plus acteurs de l’investissement en R&D au coude à coude avec les géants du numérique et de la tech. Comment est organisée la filiale française de J&J MedTech? La filiale compte 670 collaborateurs, nous sommes présents sur trois sites en France, tout d’abord au siège social de l’entreprise à Issy-les-Moulineaux que nous partageons avec la société sœur Johnson & Johnson Innovative Medicine. Nous avons un deuxième site à Lyon, fruit de l’histoire de Johnson & Johnson MedTech en orthopédie, car la région Rhône-Alpes est historiquement très dynamique sur cette spécialité et a permis le développement de technologies médicales qui ont eu un impact international. Notre troisième site est notre centre de R&D situé à Gières, près de Grenoble, qui est aujourd’hui un des centres majeurs de R&D pour la chirurgie robotisée de l’articulation du genou. Il a vu le jour à la suite du rachat, en 2018, de la société grenobloise Orthotaxy qui est devenue une partie intégrante de notre R&D mondiale concernant le remplacement de l’articulation du genou. D’autres développements sont désormais en cours. L’empreinte industrielle ne repose pas uniquement sur des sites de production. Dans le secteur des technologies médicales, la valeur est créée, en premier lieu, par l’innovation et la R&D, non par la fabrication. En termes de valeur et d’emplois créés, posséder un site de R&D est très important. L’équipe compte 50 personnes aujourd’hui, mais notre dynamique de croissance sur ce site est forte. Quelles innovations ont vu le jour grâce à ce site ? Ce site est dédié à la robotique, en particulier, à la robotique en orthopédie. Orthotaxy a été créée par le multientrepreneur grenoblois Stéphane Lavallée. La société avait développé des systèmes robotisés qui permettaient d’assister le geste chirurgical. En orthopédie, dans la robotique des tissus durs, nous sommes dans une logique de géométrie, de respect de l’anatomie du patient, de la configuration. La société, qui était parvenue à créer un prototype viable, a ensuite été rachetée par J&J. Cela nous a permis de lancer la commercialisation d’un système robotique d’assistance à la chirurgie de l’articulation du genou aux États-Unis en 2021. Nous avons obtenu le marquage CE à la fin 2023 et nous avons commencé à le commercialiser en France en juin 2024. Notre deuxième innovation est la commercialisation à venir en France et en Europe d’une assistance à la chirurgie de remplacement partiel de l’articulation du genou. Dans la chirurgie du genou, il est possible de remplacer l’articulation dans sa totalité ou d’en remplacer la moitié en posant une prothèse unicompartimentale pour préserver au maximum de l’os, notamment chez les patients jeunes. Nous avons donc lancé une technologie dédiée, d’autres travaux sont en cours sur d’autres articulations, mais sont encore confidentiels. C’est une fierté d’avoir au sein du groupe ces équipes pour développer le futur de la chirurgie robotisée, en particulier en orthopédie. Vous l’avez évoqué, la région Rhône-Alpes est en pointe sur la chirurgie robot- assistée et, ces dernières années, plusieurs financements publics ont été mis en place pour soutenir le secteur. Selon vous, la France a-t-elle une carte à jouer sur cette thématique ? Absolument. Tout d’abord, la France est une terre d’innovation reconnue dans le monde entier sur un grand nombre de pathologies. Rappelons, par exemple, que le TAVI, la révolution qui a eu lieu dans la prise en charge des patients insuffisants cardiaques et le remplacement des valves artérielles par voie percutanée, est née en France. En neurovasculaire, une incroyable effervescence a fait de la France le premier pays en termes d’innovations. En chirurgie robotique et en orthopédie, la France a un vrai savoir-faire. La prothèse de hanche, qui est commercialisée par Johnson & Johnson à l’échelle mondiale, a été inventée, développée et est toujours aujourd’hui fabriquée en France. La France dispose de plusieurs atouts, une formation de qualité est dispensée au corps médical ainsi qu’aux ingénieurs médicaux. Or, la medtech résulte souvent d’une rencontre entre un ingénieur et un médecin ou un chirurgien. Cet esprit de créativité, d’exploration est également une spécificité française qui permet l’incubation de nouvelles idées et de nouveaux dispositifs. En orthopédie, nous disposons d’une filière forte. Je fais partie du conseil d’administration du syndicat national de l’industrie des technologies médicales (Snitem), cela représente 1400 entreprises et près de 100 000 emplois, dont une grande partie se situe en région Rhône-Alpes. Vous avez évoqué des partenariats externes en matière de R&D, pourquoi est-il important de s’appuyer également sur d’autres acteurs ? Avec l’accélération de l’innovation, les systèmes fermés, où chacun travaille dans son silo, ne sont pas les plus efficaces. Notre approche repose sur l’open innovation, à l’image de ce qui a déjà été fait dans le médicament et la pharma depuis plus d’une dizaine d’années avec des partenariats externes. Orthotaxy en est un bon exemple, l’histoire a débuté par une collaboration fructueuse et il nous a paru pertinent que l’entreprise rejoigne le groupe. Les innovations ne peuvent pas naître que dans les grandes entreprises ou que dans les petites entreprises. Ce n’est pas une lutte, mais un écosystème où les innovations se nourrissent les unes des autres. Nous avons besoin de coopérer et de nous challenger. Quels sont vos différents partenaires ? Tous nos partenariats ne sont pas publics. Mais nous avons signé des partenariats avec Google, Nvidia, Microsoft centré sur l’utilisation de données numériques pour développer nos écosystèmes de chirurgie 4.0, également appelée chirurgie digitale. Nous avons basculé d’une époque où nous étions centrés sur la fabrication d’outils pour le chirurgien au développement de plateformes numériques qui intègrent de la robotique, de l’instrumentation connectée, de la visualisation avancée avec des images tridimensionnelles, des flux de données, sur lesquelles nous appliquons de l’intelligence artificielle pour assister à la planification et à la prise de décision opératoire. En France, nous avons également signé un partenariat avec la société Visible Patient (devenue Visible Patient Lab, ndlr) afin de proposer des jumeaux numériques permettant au chirurgien de mieux préparer et planifier sa chirurgie en tenant compte de l’anatomie du patient. Aujourd’hui, 20 % des patients sont insatisfaits après une chirurgie du genou, il faut donc proposer une assistance à la chirurgie beaucoup plus personnalisée. Avez-vous instauré des partenariats sur d’autres volets que le développement produit ? Nous mettons également en place un certain nombre de collaborations avec des sociétés externes pour apporter de l’innovation organisationnelle aux établissements de santé. Par exemple, dans le cadre de l’implémentation de Velys, notre système en chirurgie robotique du genou, notre approche dépasse la simple mise en place du robot, il est également nécessaire de repenser, repenser le soin, le parcours du patient, l’organisation du service, en embarquant les équipes médicales. Le robot devient, au-delà de la technologie, un vecteur de changement. Je pense que le temps où toute innovation pouvait être absorbée par le système de santé parce qu’elle apportait un bénéfice clinique est révolue. Nous cherchons désormais à identifier comment nos solutions peuvent avoir un impact sur l’efficacité du système de santé et sa soutenabilité. En repensant l’organisation des soins avec un robot, cela permet potentiellement de réduire la durée médicale de séjour, le temps opératoire, les complications et les retours à l’hôpital, cela contribue à diminuer le coût global pour la société. Je pense que c’est un enjeu majeur pour Johnson & Johnson, en particulier en France, et j’essaie de positionner la société sur cette thématique. Avez-vous déjà lancé des études médico-économiques avec des établissements de santé ? Oui, c’est d’ailleurs une thématique sur laquelle nous sommes en train d’accélérer et d’investir afin d’établir des partenariats avec des centres de soins. Nous avons des partenariats avec des centres de soin qui possèdent des entrepôts de données de santé et sur lesquels nous pouvons nous appuyer. Évidemment, nous cherchons aussi à démontrer la valeur de nos technologies dans le cadre d’une évaluation. En chirurgie robotique du genou, par exemple, nous devons œuvrer à montrer comment est-ce que nous pouvons contribuer à réduire la durée de médicale de séjour, à accélérer la reprise de la marche et le faire de manière reproductible. La reproductibilité est un des enjeux de la robotique, elle permet une standardisation de la prise en charge ou du niveau de prise en charge des patients, en diminuant la variabilité entre les procédures dans un même établissement mais également même entre les établissements. Cela a aussi un impact sur l’accès sur le territoire national à des soins de qualité comparable, indépendamment du volume. Nous pouvons également nous intéresser au cardiovasculaire, en comparant via une approche médico-économique, la prise en charge de traitement des arythmies cardiaques avec sans prise médicamenteuse. Chez J&J, nous avons mené des changements organisationnels, il y a deux ans, pour muscler notre département affaires médicales, notre département affaires économiques et, au sens large, notre département affaires scientifiques pour contribuer à développer ces évaluations. La chirurgie 4.0 fait évoluer les pratiques des chirurgiens et pose la question de la formation, quelles actions spécifiques en la matière avez-vous mis en place ? Pour la robotique sur tissus durs, nous avons créé un parcours complet de formation au format hybride intégrant des modules de e-learnings sur l’installation et le paramétrage du robot, des formations en simulation sur os secs (dry lab), une observation au bloc opératoire dans centres de référence français et des échanges entre pairs (chirurgiens, paramédicaux, logisticiens, hygiénistes) ainsi qu’une formation pratique sur modèles anatomique (wet lab)dispensée dans un centre d’excellence européen en Suisse et prochainement en France. Les premières interventions après l’implémentation de la plateforme robotique dans les centres sont réalisées sous le compagnonnage et les conseils de chirurgiens experts J&J. Au-delà des actions de formation dédiées à notre plateforme robotique, nous optimisons le parcours RAAC (Réhabilitation Améliorée Après Chirurgie) en améliorant les flux et parcours de soin ainsi que l’organisation pré-per-post op dans un contexte incluant de nouveaux outils de planification. Nous intégrons également des outils de formation en réalité virtuelle et des simulateurs en réalité étendue (avec retour haptique) pour des procédures spécifiques en chirurgie (par exemple du rachis), et en cardiologie interventionnelle. Comment intégrez-vous l’intelligence artificielle ? L’intelligence artificielle commence à perfuser dans toutes les fonctions de l’organisation et pas seulement dans les technologies du soin, par exemple, pour nous aider dans la réponse à des appels d’offres mais aussi pour améliorer la supply chain. Avec les écosystèmes de chirurgie 4.0, le système robotique devient la plateforme de collecte et de structuration de la donnée. Au moment de la procédure, le chirurgien bénéficie d’une information plus fine, plus personnalisée et donc plus intelligente pour prendre en charge son patient. Nous sommes encore au début, mais cela est en train de progresser très vite. Par exemple, on voit de plus en plus de systèmes capables d’informer le chirurgien de la proximité d’un tissu à risque comme un nerf ou une artère. Chez J&J, nous travaillons sur une plateforme baptisée Polyphonic. C’est une infrastructure digitale ouverte sur laquelle va venir se greffer notre système robotique, notre instrumentation connectée, des solutions digitales potentiellement externes à notre société. L’idée est que chacun puisse venir développer des solutions dans une démarche d’efficacité ou de de sécurité de la prise en charge chirurgicale. La phase pilote de cette plateforme sera lancée en fin d’année, mais, à terme, nous pourrions imaginer que des sociétés développant des jumeaux numériques ou des sociétés proposant du suivi post-opératoire puissent l’intégrer. François Gaudemet Depuis juillet 2022: Président de Johnson & Johnson MedTech France Juin 2019 – juillet 2022 : Vice-président EMEA d’Ethicon Endomech & Acquisition Janvier 2017 – juin 2019 : Directeur général d’Ethicon Moyen-Orient Janvier 2015 – avril 2017 : Directeur senior du développement commercial et des opérations de J&J Medical Devices Moyen-Orient Août 2012 – décembre 2014 : Responsable Marché émergents, responsable marketing EMEA d’Healthcare Antisepsis Solutions Les chiffres clés de Johnson & Johnson en 2024 138 000 collaborateurs Présent dans 175 pays 88,8 Mds $ de chiffre d’affaires dont 32 Mds$ réalisés par J&J MedTech 17,23 Mds $ de dépenses en R&D 15 produits medtech lancés Source : J&J Annual Report 2024 Coralie Baumard chirurgieIntelligence ArtificiellePartenariatRobotiqueStratégie Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind