Accueil > Industrie > DeepLife : la drug discovery passe à l’échelle cellulaire DeepLife : la drug discovery passe à l’échelle cellulaire DeepLife a fondé, depuis 2019, une méthodologie autour des jumeaux numériques cellulaires pilotés par l’intelligence artificielle en drug discovery. La TechBio étudie les interactions biologiques et simule les effets des médicaments pour aider les pharmas à identifier les molécules avec le plus haut potentiel de succès commercial. Jonathan Baptista, cofondateur et CEO de DeepLife, détaille à mind Health les dessous de cette entreprise. Par Clarisse Treilles. Publié le 10 octobre 2025 à 14h24 - Mis à jour le 10 octobre 2025 à 14h24 Ressources Genèse Initialement développés dans le secteur de l’aéronautique, les jumeaux numériques se sont progressivement déployés dans le secteur de la santé au tournant des années 2020, sous l’impulsion notamment de Dassault Systèmes. Un écosystème de start-up spécialisées dans les jumeaux numériques s’est constitué, avec des entreprises comme PrediSurge, inHEART, SURGAR et DeepLife. Jonathan Baptista, cofondateur et CEO de DeepLife Jonathan Baptista est issu du monde de l’ingénierie de recherche dans l’aéronautique et la défense. “Dans ces industries, dit-il à mind Health, l’ingénierie a été mise en place pour robustifier les processus et assurer une scalabilité pour apporter une fiabilité pour les clients et réduire les coûts.” L’idée d’appliquer ces méthodologies à la biologie naît de sa rencontre, en 2019, avec Jean-Baptiste Morlot, cofondateur et CTO de DeepLife. Ce dernier est l’auteur d’une thèse sur le machine learning appliqué à la génétique et à l’épigénétique, portant sur l’analyse des données de “single cells”. Ces données de séquençage permettent de quantifier l’activité de transcription des gènes au sein de cellules uniques. “Lorsque nous nous sommes rencontrés, j’avais une approche structurée de processus complexes (comme les moteurs d’avion), tandis que Jean-Baptiste [Morlot, ndlr] avait une vision très mathématique des systèmes de réseaux en biologie” résume Jonathan Baptista. L’objectif initial était “un peu naïvement de trouver un moyen d’accélérer le développement de nouveaux médicaments”, évoque Jonathan Baptista. La vision de DeepLife a depuis évolué. “Nous nous sommes surtout concentrés sur la manière de rendre le processus de développement de nouveaux médicaments plus robuste. En réalité, la vitesse n’est pas le problème principal, c’est le manque de fiabilité dans la réalisation des essais. Actuellement, nous devons effectuer un très grand nombre d’essais pour garantir qu’un seul sur 10 000 aboutira finalement à un succès”, explique Jonathan Baptista. Passer à l’échelle cellulaire Pour répondre à cette problématique de robustesse, DeepLife a choisi de développer des systèmes permettant d’atteindre “un grande granularité”, à savoir “descendre à l’échelle cellulaire pour identifier les différences fondamentales entre les cellules saines et maladies, et ce, à travers une diversité de patients”, indique Jonathan Baptista. Cette méthode s’oppose à une étude purement macroscopique des patients. “Actuellement, le développement de médicaments repose largement sur des observations cliniques, ce qui signifie que la validation n’intervient que 10 à 15 ans après les étapes initiales de développement” souligne Jonathan Baptista. Pour remonter la chaîne biologique, l’équipe de DeepLife doit collecter des données auprès de larges cohortes de patients afin de pouvoir “étudier, au sein de populations cellulaires spécifiques, comment une maladie impact le fonctionnement des cellules et vérifier si cet impact est similaire partout” détaille le CEO. Des groupes et sous-groupes sont ensuite formés pour “identifier les gènes dérégulés et leur impact cellulaire, par type cellulaire, population et maladie spécifiques”. Pour élaborer ce travail, DeepLife emploie une méthode in silico, s’appuyant sur des jumeaux numériques de cellules. “La suite, commente Jonathan Baptista, s’apparente à un puzzle : un tissu est composé de cellules, un organe est formé de tissus et un être humain est un ensemble d’organes, permettant ainsi de remonter toute la chaîne biologique. À l’heure actuelle, prévient le CEO, notre capacité de prédiction se limite aux types cellulaires présents dans le corps humain, et non directement aux patients. L’assemblage de ces prédictions est un processus long, nécessitant l’intégration de nombreuses hypothèses biologiques.” DeepLife cible les types cellulaires en fonction de leur impact sur la maladie. “Par exemple, dit Jonathan Baptista, dans les maladies neurodégénératives, les cellules cutanées sont moins pertinentes. Cette priorisation est essentielle pour une prise de décision optimale.” La data derrière les algorithmes La start-up collecte des volumes importants de données auprès de partenaires tels que l’Inserm, les HCL, l’Université de Zurich, l’Université McGill, ainsi que des bases de données publiques. En février 2024, DeepLife a par exemple signé un contrat de collaboration de recherche avec Inserm Transfert pour étudier le cancer de l’hépatoblastome, une tumeur du foie chez l’enfant. Inserm Transfert, filiale de l’lnserm dédiée au transfert technologique, agit au nom de l’équipe MIRCADE de l’Institut d’oncologie de Bordeaux (BRIC), chargée de partager des données omiques issues du laboratoire avec DeepLife. Le projet se concentre plus spécifiquement sur “l’identification des gènes activés et des processus moléculaires impliqués dans la résistance aux traitements et à l’adaptation des cellules tumorales à leur environnement”. En avril 2025, DeepLife et le Centre de lutte contre le cancer Léon Bérard ont également travaillé de concert pour présenter l’Oral Mucosa Cell Atlas (OMC-Atlas), un outil qui permet de cartographier l’évolution cellulaire qui va du tissu sain au carcinome épidermoïde oral. Le projet OMC-Atlas combinera les données transcriptomiques disponibles dans le catalogue DeepLife OmicStore avec des données inédites de séquençage d’ARN à cellule unique provenant du Centre Léon Bérard. DeepLife doit effectuer un travail minutieux d’harmonisation et d’annotation de toute cette data. “Pour chaque cellule de notre base d’entraînement, nous enregistrons son type cellulaire, l’expression des 20 000 gènes, ainsi qu’une cinquantaine de métadonnées détaillant son origine (patient, organe, maladie, ethnicité, traitements, etc), détaille Jonathan Baptista. Toutes ces données sont ensuite placées dans une même matrice, la plus détaillée et la plus homogène possible.” Le travail de clustering qu’effectue DeepLife repose sur la résolution d’un problème fondamental en biologie : différencier objectivement une cellule malade d’une cellule saine. “C’est un défi bien plus complexe que de distinguer une voiture rouge d’une voiture verte, car la distinction entre une cellule saine et une cellule malade n’est pas binaire. Il existe plutôt un continuum d’états cellulaires, rendant la séparation entre la santé et la maladie bien plus nuancée qu’un simple contraste noir et blanc” souligne Jonathan Baptista. Les modèles d’IA de la TechBio sont désormais capables de “déduire les connexions et les réseaux d’interactions intracellulaires, en se basant sur l’expression génique observée dans diverses conditions” soutient Jonathan Baptista. Les premières applications DeepLife ne souhaite pas se concentrer sur l’oncologie, qui appartient au champ de la médecine de précision. Jonathan Baptista justifie cette stratégie inhabituelle : “Nous souhaitons conserver un maximum de données pour entraîner nos modèles, dit-il. Or, les cancers présentent de nombreuses mutations aléatoires, ce qui ne facilite pas les comparaisons. Nous nous orientons vers les maladies les plus génériques possibles.” La start-up entend à la place valider ses premières applications dans les maladies auto-immunes et neurodégénératives. DeepLife met par exemple l’accent sur les maladies d’Alzheimer et de Parkinson. Parallèlement, elle vient d’achever un programme sur les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI). DeepLife oeuvre également dans le domaine des maladies dermatologiques, notamment dans le cadre de partenariats avec des entreprises de cosmétiques telles que Beiersdorf. “Notre objectif est de développer des programmes axés sur les maladies de peau. Notre approche consiste à identifier rapidement les molécules prometteuses. Nous privilégions les programmes de courte durée (3 à 5 ans maximum) afin d’assurer un retour sur investissement rapide et un impact significatif sur le marché” déclare Jonathan Baptista. Les TechBio françaises : le défi du financement Un modèle d’affaires ouvert entre repositionnement de molécules et extension d’indications Le CEO de DeepLife est témoin d’un “véritable changement de paradigme” dans l’industrie pharmaceutique. “Le modèle classique de développement de médicaments sur 15 ans, bien que courant, présente un retour sur investissement (ROI) relativement faible. Aujourd’hui, des approches innovantes, combinant des méthodes in silico comme les nôtres avec le repositionnement de molécules existantes, permettent d’augmenter considérablement la fiabilité des médicaments mis sur le marché. De plus, ces nouvelles méthodes accélèrent l’accès des partenaires aux premières étapes de développement.” Ainsi, la start-up use de ces nouvelles méthodologies, rendues populaires car plus économiques, pour se développer sur trois axes commerciaux. D’abord, elle intervient très en amont auprès de ses clients pour identifier, au sein de leurs programmes de développement, les molécules ayant peu de chances d’aboutir sur le marché et dont l’effet serait inférieur aux “standards of care” des médicaments déjà établis. Autrement dit, il s’agit de “prioriser les candidats les plus prometteurs”, résume Jonathan Baptista. DeepLife intervient également “en fin de course”, c’est-à-dire en fin de cycle de développement une fois que les phases cliniques 2 voire 3 ont été atteintes. “À ce stade, près d’un milliard, voire plus, a déjà été investi dans le développement [d’un médicament]”, rappelle Jonathan Baptista. Le travail de la start-up consiste à faire en sorte que le programme ne soit pas abandonné, en proposant de “réévaluer la molécule et identifier de nouvelles indications où elle pourrait avoir un taux de succès significativement plus élevé que celui obtenu initialement”. DeepLife propose alors, en collaboration avec ses partenaires, “une stratégie de développement pour cette nouvelle indication, comme si nous repartons de zéro à la fin du pipeline de développement” ajoute le CEO. L’extension d’indication constitue le troisième axe commercial pour la start-up. Cette stratégie, explique Jonathan Baptista, se concentre sur “les molécules existantes, dont les brevets arrivent à échéance et dont la rentabilité diminue pour les pharmas. Bien qu’elles aient déjà été utilisées et potentiellement rentabilisées, il est souvent possible, avec des ajustements minimes, de leur donner une seconde vie. L’avantage majeur est de limiter considérablement le nombre d’essais cliniques nécessaires, et ainsi de relancer un cycle d’exploitation intéressant pour nos partenaires.” Ainsi, l’approche commerciale de DeepLife mêle le modèle en SaaS, les services en direct et le codéveloppement. Sur ce dernier volet, les fruits des partenariats avec l’industrie sont attendus sur le long terme. “Nous recherchons activement des opportunités de codéveloppement” souligne Jonathan Baptista. Parmi les projets annoncés publiquement sur lesquels travaille DeepLife, figure notamment un programme européen lancé l’année dernière sur le cancer pancréatique avec la société CasInvet et l’Université de Berne, en Suisse. Chiffres clés Création : 2019 Financements : Le 11 décembre 2024, DeepLife a bouclé une levée de 10 M$ d’euros en série A, complétant son précédent cycle de financement de 6 M€ en 2022. Les principaux investisseurs YZR Capital et Turenne Groupe ont participé à ce tour de table, aux côtés de Beiersdorf et Groupe Prunay. Effectifs : 25 personnes. Les bureaux principaux sont situés à Future4care, à Paris. DeepLife souhaite s’établir à Londres et à New York, et dispose également de collaborateurs en Europe (Portugal, Espagne, Allemagne, Suisse). “En tant qu’entreprise in silico, nous n’avons pas vocation à croître de manière significative” explique le CEO. Chiffre d’affaires : DeepLife ne souhaite pas communiquer sur son chiffre d’affaires. “Pour le moment, nous n’avons pas atteint ni visé de seuil de rentabilité en termes de chiffre d’affaires, a déclaré Jonathan Baptista. Notre objectif immédiat n’est pas la rentabilité, car nous travaillons sur des programmes à long terme. Notre priorité est de travailler aussi rapidement que possible pour apporter un maximum de valeur, afin que les utilisateurs perçoivent les bénéfices rapidement”. Investissements en R&D : DeepLife consacre près de 70% de son budget à son activité de recherche et de développement. Clarisse Treilles Intelligence Artificiellejumeau numériquemédicamentsRecherchestart-upTechbio Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind