Accueil > Financement et politiques publiques > Financement de l'innovation > Hackathons santé : quelles attentes pour les organisateurs ? Hackathons santé : quelles attentes pour les organisateurs ? Avec une dizaine d’événements cette année, le modèle des hackathons a fait florès dans la santé en France. Les industriels de la pharmacie et des technologies se sont lancés soit comme organisateurs soit pour la remise de prix. Entre opération de communication et intérêt industriel, les bénéfices attendus diffèrent. Par . Publié le 08 décembre 2017 à 11h45 - Mis à jour le 08 décembre 2017 à 11h45 Ressources Contraction de “hacker” (pirate) et de marathon, un hackathon est un concours chronométré qui permet à un jury d’élire des projets, souvent sous la forme de prototypes, pour des développements ultérieurs. Les modalités varient mais reposent généralement sur un évènement durant lequel des équipes travaillent 48 heures d’affilée à l’élaboration d’une solution numérique pour répondre à une problématique de santé. Elles comprennent entre 6 et 12 personnes, dont au moins un professionnel de santé, un développeur, un designer, voire un patient, un entrepreneur… Dans le domaine de la santé les hackathons se sont multipliés en France dans le sillage du mouvement Hacking Health qui a pris naissance au Canada en 2011. Cette association recense 55 villes organisatrices de ces événements à travers le monde dont six en France (Strasbourg, Besançon, Bordeaux, Le Havre, Lyon, Nice). À l’initiative, différents acteurs : métropoles, clusters, pôles de compétitivité… Des laboratoires, des associations de patients et de professionnels de santé se sont également lancés dans l’organisation de ces tremplins à l’innovation. Face à la multiplication de ces événements, se pose la question des bénéfices, attendus et enregistrés, par les industriels de la santé et des technologies qui en sponsorisent. Des objectifs différents en fonction des organisateurs L’objectif affiché par tous est de soutenir l’innovation en santé. Comme en témoigne Gérald Comtet, manager général du cluster I-Care, l’un des organisateurs du Hacking Health de Lyon pour qui l’objectif est de “faire émerger des solutions qui ne trouvent pas de canal de valorisation dans les standards actuels d’innovation industrielle, notamment lorsque des patients ou des professionnels de santé en sont à l’initiative”. Du côté des laboratoires pharmaceutiques, l’identification de solutions innovantes est également citée. En plus d’aider le laboratoire à “détecter des innovations”, les hackathons “doivent permettre d’accélérer la transformation digitale du groupe”, souligne de son côté Thierry Picard, Chief digital officer de Pierre Fabre Médicament et Santé. Apporter de nouvelles pratiques pour les équipes en interne “Nos collaborateurs peuvent s’intégrer aux équipes ou jouer le rôle de mentors. Cela leur permet de se mettre à la place des patients et de penser en termes d’usage”, ajoute-t-il. Le laboratoire a organisé deux hackathons, en 2015 et 2016, dans le cadre de l’université d’été de la e-santé qui se tient tous les ans à Castres. Christophe Guillot, Digital Solutions Partner de Pierre Fabre, indique : “Une des valeurs de ces hackathons est de faire émerger des idées que nos équipes n’auraient pas identifiées grâce à la richesse d’une collaboration des gens externe avec ceux en interne”. L’organisation de hackathons permet ainsi de décloisonner les différents métiers. Chez Amgen, Éric Milbergue, responsable département communication et associations de patients, renchérit : “Un patient mieux informé se soigne mieux. Pour construire des solutions innovantes, nous avons besoin de l’appui de nouveaux métiers et de travailler avec des gens d’horizons différents”. Après un hackathon interne en 2016, le spécialiste des biotechnologies Amgen a lancé, fin septembre 2017, un concours grand public sur la communication patients-soignants dans le cancer. Profiter de la visibilité de l’événement D’autres comme Orange Healthcare y voient une façon de communiquer. “Participer au Hackathon Santé Connectée de Nice d’octobre 2016 était l’occasion de faire connaître l’activité d’Orange dans la e-santé, d’autant que Nice est une ville très dynamique dans les nouvelles technologies. Proposer un prix dans ce cadre avait plusieurs intérêts : sur le plan marketing, à chercher les services de demain, les besoins que nous n’avons pas encore identifiés ; ensuite à trouver des partenariats, même si ce n’est pas notre priorité, car beaucoup de sociétés convergeaient vers cet événement ; enfin attirer vers nous des clients potentiels”, témoigne Emmanuelle Pierga, directrice de communication de la filiale. Un investissement financier et humain pour l’organisation Avant d’en arriver aux 2 ou 3 jours du hackathon, les organisateurs s’investissent dans la préparation de l’événement. “Le plus gros du travail ce ne sont pas les deux jours du hackathon. Je commence maintenant à préparer l’événement de l’été prochain. Il faut trouver une thématique qui ait un intérêt business direct ou indirect, les bons partenaires, puis communiquer auprès de notre réseau, des écoles…”, témoigne Christophe Guillot de Pierre Fabre. Au total, il estime que l’organisation d’un hackathon puis l’accompagnement qui suit représente un investissement d’environ 50 000 euros. Un chiffre de budget confirmé par Gérald Comtet qui moblise une équipe d’une vingtaine de bénévoles pour la préparation de l’évènement. Chez Amgen, si le budget dédié reste confidentiel, éric Milbergue précise que projet a démarré en juin 2017 pour un événement fin septembre et a été mené par “une équipe cross fonctionnelle de 5 personnes”. La préparation commence également très en amont pour les hackathons organisés avec l’appui de l’association canadienne. Pour monter Hacking Health de Lyon, dont la première édition a eu lieu en 2016, le cluster s’est associé à la Métropole de Lyon et à la Fondation pour l’Université de Lyon. “Nous nous sommes appuyés sur le mouvement Hacking Health. Nous sommes bénéficiaires d’une licence d’exploitation, de l’ordre de 2 000 dollars canadiens. Un de leurs membres nous a apporté la méthodologie, nous a épaulés sur la capacité à identifier les défis afin d’éviter des doublons en proposant, par exemple, à des porteurs de projets similaires de travailler ensemble…”, ajoute Gérald Comtet. Pour la constitution des équipes, les choses se font également avant le hackathon. “Nous aidons les participants à formaliser leur problématique et à écrire des scénarii afin de présenter leurs projets. Une plateforme internet diffuse également le projet six mois avant l’événement”, détaille Sébastien Letélié, fondateur du Hacking Health de Strasbourg en 2014, ancien ingénieur et développeur de logiciels santé. Selon lui, 60 % des personnes à l’origine d’une problématique trouvent ainsi une équipe bien en amont du marathon, et non au dernier moment, c’est-à-dire lors du pitch qui a lieu la veille. Car les hackathons réunissent plusieurs dizaines de participants. Ainsi, Amgen indique avoir “rassemblé 60 personnes (représentants d’associations de patients, professionnels de santé, patients experts, développeurs ou encore start-up) autour de douze projets” pour son hackathon en septembre dernier. Christophe Guillot de Pierre Fabre souligne le challenge de réunir “une cinquantaine de personnes qui ne connaissent pas”. Des stratégies d’accompagnement de projet de 3 à 18 mois À l’issue de la course, un jury couronne les meilleures solutions, qui peuvent être des applis, des objets connectés, des serious games, des outils de gestion de bases de données ou encore d’analyse de big data. Suivant les hackathons, les prix peuvent être financiers mais aussi reposer sur des ressources pour les porteurs de projets qui bénéficient alors d’accompagnement. “Les entreprises ne se montent pas en trois mois, rappelle Gérald Comtet. La maturation de l’équipe prend de six mois à un an et demi. Il faut aussi une certaine capacité à évangéliser hors des accélérateurs, des incubateurs car il existe aujourd’hui peu de structures.” Les co-organisateurs du hackathon se répartissent le travail de suivi afin que chacun des lauréats dispose d’un correspondant, que les points de rendez-vous soient bien fixés et que les liens soient assurés avec les sociétés qui ont promis un accompagnement. Par exemple, “une aide juridique de la part d’avocats, un accès privilégié à un incubateur de projet et à deux manifestations (Biovision et le Sido)”, ajoute l’organisateur. Le modèle d’accompagnement est également adopté par les industriels. À Nice, le prix Orange a été remis à StopClop, une application mobile pour arrêter de fumer, crée par 6 jeunes. Orange a fourni un coach professionnel pour encadrer les équipes pendant l’évènement. Les gagnants ont reçu chacun une montre connectée Samsung Galaxy S2. Le concours organisé par Amgen a été remporté par deux frères ingénieurs, concepteurs d’un projet d’assistant personnel médical vocal basé sur l’utilisation d’un chatbot. “Amgen a offert deux mois “d’incubation” aux gagnants : nous les aidons sur le plan juridique et réglementaire car le projet s’appuie sur des données patient, dont l’utilisation est très encadrée. L’aide est également technologique : l’équipe peut faire appel à notre hub de Berlin qui travaille avec des structures et des start-up spécialisées dans le numérique. Enfin, la société BeMyApp les accompagne dans leur développement”, précise Éric Milbergue. Pierre Fabre propose également du monitoring et de l’accompagnement “pour aider les équipes à affiner dans un premier temps leurs projets et voir dans un deuxième temps si des produits ou des services peuvent intéresser nos métiers (ou nos équipes)”. Néanmoins Christophe Guillot témoigne des difficultés rencontrées dans l’accompagnement du projet primé en 2015. Il cite en exemple “Hack The Acné ! organisé en 2016 : le premier prix, Battle Face, un jeu coopératif ciblant les adolescents pour les inciter à mieux suivre leurs traitements tout en s’amusant, “travaille en lien avec la marque A-Derma. Elle étudie si le produit peut s’inscrire dans sa stratégie digitale”. Il ajoute : “Nous les avons accompagnés pendant une durée de 6 mois pour qu’ils puissent établir leur business plan. Selon comment l’équipe s’investit, nous co-investissons en conséquence. Mais au final, il n’y a pas d’obligation d’un côté comme de l’autre”. Entre 10 et 20 % des projets continuent Tous les projets sont loin d’en arriver au stade de la commercialisation. “On compte entre 30 à 70 projets par hackathon. Entre 10 et 20 % continuent après la remise des prix, 5 % réussissent”, observe Sébastien Letélié, fondateur du Hacking Health de Strasbourg en 2014. Rien ne garantit en effet que les équipes, réunies pour l’occasion, s’accordent pour prolonger l’aventure. Pour Sébastien Letélié, “L’idée est que tout le monde gagne quelque chose. À Strasbourg, 10 prix ont été remis en 2017. Les hackathons ne servent pas à gagner de l’argent mais des accompagnements et des contacts. Le concours permet aux porteurs de projets de présenter leurs solutions aux équipes de management de nos partenaires et d’avoir accès à des réseaux. Le prix d’accompagnement peut offrir l’accès à un accélérateur ou un incubateur.” Pour l’édition 2017 du Hacking Health de Strasbourg, deux “prix sponsors” ont ainsi été remis par le laboratoire Lilly et l’Agence des systèmes d’information partagés de santé (Asip santé). L’accélérateur parisien La Javaness, l’incubateur alsacien Semia, l’association Alsace Business Angels et le syndicat des médecins libéraux (SML) ont offert par ailleurs quatre prix d’accompagnement des projets. Le SML proposait notamment au gagnant de tester son application au sein de son réseau de médecins. “Nous avons créé une dizaine de prix afin de récompenser les participants aux hackathons. Ces concours n’aboutissent pas nécessairement à la création de sociétés”, met cependant en bémol Sébastien Letélié. “Les projets qui ne sont pas primés continuent eux aussi d’exister, indépendamment des concours, conclut Gérald Comtet. Au travers des hackathons, notre objectif est de créer une émulation que nous souhaitons la plus fertile en dynamique entrepreneuriale.” Des positionnements différents pour les porteurs de projet Quels que soient les prix et les accompagnements proposés, les lauréats restent libres de faire appel ou non aux offres des prestataires. Les concepteurs du projet Joe – un robot ludique chargé de rappeler aux enfants quand et comment prendre son traitement contre l’asthme – ont ainsi participé à 3 hackathons qui leur ont permis de perfectionner leur prototype. Aujourd’hui, l’équipe recherche des financements pour une commercialisation début 2019 soit en pharmacie soit en vente directe. “Nous voulons démontrer l’intérêt de notre solution, qui est développable pour d’autres types de pathologies, détaille Thierry Basset, afin qu’une prise en charge partielle par l’assurance maladie ou les mutuelles puisse être envisagée.“ Pour l’association de patients Activ’Diab 67, pas question de créer une société commerciale. Leur application, qui a pour but d’aider les diabétiques à pratiquer des activités sportives avec des conseils personnalisés, des alertes, sera mise à disposition gratuitement. Le Hacking Health de Strasbourg de 2016 a été un déclic pour trouver un sponsor. “Notre partenaire a découvert notre projet lors du marathon et nous aidera à supporter le coût de développement, éclaire Francis Mann, président de l’association. Le lancement est prévu pour 2018-2019”. Lauréat du prix Medtronics au même Hackathon, le Dr Jean-Noël Ravey, radiologue, n’a pas donné suite à la proposition d’accompagnement du fournisseur de matériel médical et chirurgical pour développer Keydiag, un projet de modélisation du diagnostic médical et de synthèse numérique du dossier d’imagerie du patient. “Je ne souhaitais pas de sponsors pour que ce projet, médical par essence, reste indépendant, précise le spécialiste. J’ai trouvé un appui auprès d’une communauté de radiologues.“ Ces derniers ont décidé d’investir financièrement dans le développement de la solution pour montrer que la communauté médicale peut initier elle-même ses propres outils. InnovationLaboratoiresstart-up Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind