Accueil > Financement et politiques publiques > Arnaud Vincent (Eurazeo) : “Nous intervenons sur toute la chaîne de valeur en santé” Arnaud Vincent (Eurazeo) : “Nous intervenons sur toute la chaîne de valeur en santé” Avec près de 35 Mds € sous gestion, la société d'investissement française Eurazeo compte aujourd’hui parmi les grands acteurs européens du capital-risque. Lancé en plein contexte Covid et doté de 420 M€, son fonds Nov Santé vise à améliorer la souveraineté sanitaire française et l’accès aux soins en finançant les PME et ETI. Rencontre avec son Managing Director, Arnaud Vincent. Par Romain Bonfillon. Publié le 26 février 2024 à 13h55 - Mis à jour le 26 août 2024 à 16h38 Ressources Comment se positionne Eurazeo dans le paysage des fonds d’investissement européens ? Eurazeo est un des grands acteurs de l’investissement français et européen. Nous finançons tout type de maturité d’entreprise, depuis la start-up jusqu’à la grosse ETI. Eurazeo a sa base historique à Paris et possède une dizaine de bureaux à l’étranger, qui permettent d’accompagner des entreprises sur différentes géographies, en ayant une connaissance fine des marchés. À côté des stratégies multi-sectorielles du groupe, organisées par maturité d’entreprises, deux équipes sont entièrement dédiées à la santé. Je suis responsable de l’une d’entre elles, l’autre étant gérée par le fonds Kurma Partners, dédié aux start-up (cf. encadré). Le fonds Nov Santé, lancé en février 2021, a désormais trois ans d’existence. Quelle est sa thèse d’investissement et où en sont vos investissements ? Le fonds Nov Santé a été lancé en plein contexte Covid par France Assureurs et la Caisse des Dépôts. Il est dédié au développement des filières de santé en France et au renforcement de la souveraineté sanitaire. Son objectif est donc de financer et d’accompagner les petites PME pour les amener au statut d’ETI. Avec ce fonds de 420 M€, nous investissons 10 à 40 M€ par société. Nos investisseurs, privés et publics, nous demandent qu’on leur rende un TRI standard (le taux de rentabilité interne des capitaux investis par les actionnaires dans un projet, ndlr) pour un fonds de ce type, mais ils sont aussi extrêmement sensibles à l’impact extra-financier. Notre fonds Nov Santé est article 9 et répond donc à des objectifs de finance durable. Par conséquent, lorsque nous rencontrons nos investisseurs, nous leur disons comment vont nos entreprises sur un plan business, mais également sur l’atteinte d’objectifs d’impact (combien de patients traités ? combien d’hôpitaux équipés ?). Fonds durables : les VCs en santé poussés à devenir verts À quelles problématiques sont confrontées les sociétés dans lesquelles vous investissez ? Nous investissons dans deux types d’entreprises . Tout d’abord celles ayant accédé à un stade commercial confirmé (à partir de 5 M€ de CA) mais qui n’est pas forcément encore rentable. On appelle ce stade “capital croissance”. Typiquement, nous sommes ici face à des sociétés dont le produit a rencontré son marché, mais dont tous les bénéfices sont réinvestis. Il s’agit d’abord de gagner des parts de marché pour ensuite accéder à la rentabilité, généralement dans les 2 ans qui suivent notre investissement. Les autres sociétés sont des PME qui réalisent entre 10 et 150 M€ de chiffre d’affaires et qui ont besoin d’avoir un support en fonds propres pour accéder à une taille-critique. Ces entreprises veulent par exemple rentrer dans un nouveau marché, parfois par croissance externe. Elles peuvent aussi avoir besoin d’un complément de gamme, lorsque la concurrence se transforme, pour arriver auprès de leurs clients avec des services complémentaires. Leur premier réflexe est d’aller voir les banques et de financer leur projet avec de la dette, mais à un moment cela ne suffit plus. Il faut alors augmenter les fonds propres. Ce qui est assez apprécié du monde des PME est que notre fonds ne conditionne pas son investissement à une prise de majorité. Aussi, un fonds d’investissement n’est pas une banque et on vient accompagner une entreprise dans son développement. Comment avez-vous bâti votre expertise ? J’ai passé une quinzaine d’années chez Novartis, en fusions/acquisitions au siège de laboratoire en Suisse, puis ensuite en direction financière de filiales en France. L’équipe Nov Santé est construite avec un mix de profils issus de l’industrie pharma et issus de l’univers de l’investissement. C’est cette expertise que nous venons proposer, en plus de toute la boîte à outils Eurazeo qui fait de l’investissement dans tous les secteurs économiques. Comment est aujourd’hui composé le portefeuille Nov Santé ? Nous intervenons sur toute la chaîne de valeur en santé. La recherche du médicament, avec un investissement en décembre dernier dans OncoDesign Services qui est une CRO de recherche pré-clinique. Nous avons investi dans un manufacturier de principes actifs pharmaceutiques, le groupe Seqens. Ce n’est plus tout à fait une PME puisqu’elle réalise plus d’1 milliard de chiffre d’affaires, mais nous avons fait une exception sur la typologie d’actifs dans lesquels on investit car Seqens relocalise des molécules essentielles en France et en Europe. Elle va ouvrir en 2025 la 1er usine de production de paracétamol en Europe. Plus loin dans la chaîne de valeur, nous avons investi dans NOVAIR, Horus Pharma, Ospi et dernièrement, en décembre dernier, dans Kinvent, qui conçoit des DM connectés pour les kinésithérapeutes. Nous investissons dans la chaîne de santé jusqu’à l’exercice de la médecine, avec des centres d’imagerie médicale (ImaOne, anciennement Imapôle Lyon-Villeurbanne). Ces investissements nous intéressent puisque tous participent à leur manière à une meilleure efficience du système de santé. Avez-vous déjà réalisé des sorties ? Non, il est encore trop tôt. Nous sommes un fonds classique en termes de durée de détention. Le fonds, de manière classique, a une durée de 10 ans, nous sommes amenés à garder nos lignes 4 ans au plus tôt et 6 à 7 ans au maximum. Comment réalisez-vous votre sourcing ? Notre sourcing suit deux routes : celle du marché intermédié tout d’abord. Les banquiers d’affaires font un travail extraordinaire pour aller au devant des PME et les préparer à une ouverture du capital. Les structures qu’on finance sont de petites entreprises et, parfois, ne connaissent pas le monde des fonds d’investissement et leurs codes. La deuxième voie consiste à faire du sourcing direct, en participant à des salons et des conférences. Nous avons aussi la chance d’avoir un panel d’experts des industries de santé qui nous soutiennent. Nous pouvons citer Frédéric Collet, ancien président de Novartis France et du Leem (et actuel président de la Filière IA & Cancers, ndlr), Thierry Bernard, CEO de Qiagen, Catherine Rondot Courboillet, ancienne CEO de Cerba HealthCare, des personnes qui viennent du monde des PME comme Thierry Herbreteau (Peters Surgical), etc. Ils nous aident à examiner les dossiers et nous mettent en contact avec leur réseau. Nous avons également un accès riche au réseau de Kurma Partners, avec qui nous partageons nos locaux. Quelle analyse faites-vous du marché actuel et de la valorisation des entreprises ? Le marché est en phase correctrice. Il y a eu un arrêt assez net des levées de fonds et autres opérations de financement au démarrage de la guerre en Ukraine, avec l’inflation et la hausse des taux. L’activité a perduré sur la première partie de 2022, où les dossiers d’avant la hausse des taux se sont clôturés mais après l’été 2022 et jusqu’à fin 2023, le marché a été extrêmement atone, puisque la hausse des taux a un impact direct sur les valorisations d’entreprise. Pour faire une analogie simple, c’est le même raisonnement que pour un particulier, lorsqu’il veut acheter un appartement. Il ne peut pas lever la même dette avec les taux qui montent et donc il attend. Côté entreprises, les acteurs attendent aussi que l’inflation et les taux s’assagissent. C’est précisément ce que l’on est en train d’observer depuis septembre dernier. Les taux sont sur un plateau et nous avons des messages de possible baisse des taux. Côté transactions, nous observons un dégivrage depuis la fin de l’année dernière. Les pharmas ont donné le ton en acquérant des biotech avec des valorisations dépassant le milliard. Côté fonds d’investissement, nous notons depuis le début d’année un regain d’activité avec une possible reprise des transactions à la fin de ce trimestre ou au début du suivant. Eurazeo en chiffres 33,5 milliards d’euros d’actifs diversifiés (dont 23 milliards pour le compte de clients institutionnels et de particuliers) Plus de 600 entreprises en portefeuille 400 collaborateurs 12 bureaux répartis en Europe, en Asie et aux Etats-Unis Nov Santé en chiffres : 5 investisseurs 420 M€ sous gestion 20 % de ces fonds proviennent d’acteurs publics, 80% des assureurs français 50% des fonds investis dans 7 sociétés en portefeuille Une centaine de dossiers analysés chaque année Une dizaine de due diligence Entre 0 et 3 investissements par an Sources : Eurazeo et Arnaud Vincent Kurma Partners, la filiale early stage d’Eurazeo En septembre 2021, Eurazeo est monté au capital de la société de gestion française Kurma Partners, à hauteur de 70,6%. Kurma est spécialisée dans l’innovation en santé. Elle fait de l’investissement en capital-risque et capital développement dans les nouvelles thérapies, le diagnostic, les technologies de la santé. “Elle investit des phases d’amorçage aux séries B et C plus matures (du early stage au late stage). Kurma soutient notamment des sociétés très jeunes, allant jusqu’à créer des entreprises à partir de projets scientifiques issus des laboratoires académiques français et internationaux. La société a aujourd’hui 15 ans d’existence et gère plus de 700 M€, compte une soixantaine de participations et constitue une plateforme de 25 personnes dont 12 professionnels de l’investissement”, précise Arnaud Vincent. Arnaud Vincent Depuis mars 2021 : Managing Director d’Eurazeo, chargé du fonds Nov Santé Depuis 2020 : Membre du réseau de business angels en santé « Angels Santé » 2012 – 2019 : Directeur financier France de Novartis Santé Animale, puis Sandoz, division “Generic medicine” (groupe Novartis) 2007 – 2010 : M&A Director de Novartis, Bâle, Suisse 1993 – 1998 : Master Banque & Finance de l’Université Paris Dauphine – PSL Romain Bonfillon Fonds d'investissementMarchéRSEstart-up Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind