Accueil > Parcours de soins > Gestion de la data > Bertrand Rondepierre (rapporteur de la mission Villani) : “Le plus urgent est de rendre le système de santé plus accueillant à l’innovation” Bertrand Rondepierre (rapporteur de la mission Villani) : “Le plus urgent est de rendre le système de santé plus accueillant à l’innovation” Bertrand Rondepierre, ingénieur en armement de formation, était en charge du volet santé de la mission Villani sur l’intelligence artificielle, qui a publié son rapport ce jeudi 29 mars. Pour mind Health, il décrypte les principaux enjeux soulevés par ce rapport, en grande partie autour des données de santé. Par . Publié le 28 mars 2018 à 7h53 - Mis à jour le 28 mars 2018 à 7h53 Ressources Comment la mission s’est-elle déroulée ? J’ai rejoint la mission en tant que spécialiste de l’intelligence artificielle (IA). La lettre de mission demandait d’établir les prémisses d’une stratégie nationale sur l’IA en général, en ayant à l’esprit qu’elle n’accroisse pas les inégalités mais bénéficie au plus grand nombre. Nous avons commencé à la mi-septembre 2017 à mener une série d’auditions groupées. De septembre à décembre, 250 personnes ont ainsi été auditionnées par groupe de 10 à 15 personnes autour de thèmes génériques, comme le transfert de technologies, et plus sectoriels comme la santé, le droit, la défense et la sécurité. A partir de décembre, nous avons commencé les rencontres de façon particulière. J’ai notamment échangé avec le groupe de travail maths-médecine de l’académie de médecine organisé par le professeur Bernard Nordlinger, auxquel participent notamment les chercheurs Emmanuel Bacry et Nicholas Ayache, puis j’ai discuté plus particulièrement avec Emmanuel Bacry et l’INSERM par exemple. La santé a été l’un des points les plus importants discutés pendant toute la mission car le secteur dispose d’une forte capacité à produire de la donnée et compte une grande richesse d’applications de l’IA en terme sociétal. Télécharger le rapport Villani Qu’est-il ressorti de ces discussions ? D’abord, même dans les auditions sectorielles qui regroupaient par exemple un radiologue un généraliste et un cancérologue, les discussions se spécialisaient très rapidement. Il était très difficile d’arriver à ces conclusions génériques, applicables de façon transverse à tout le secteur de la santé. Ensuite, les discussions s’orientaient très souvent vers les questions de données de santé, qui sont apparues comme le point central. Chacun sent qu’il y a un vrai champ exploratoire en matière d’IA pour la santé, que la ressource existe, mais il subsiste une question : comment se servir de cette ressource pour développer l’innovation en santé, permettre à des champions du secteur de se développer, sans pour autant renoncer aux valeurs européennes et françaises en libéralisant totalement l’accès aux données ? Quelles actions sont les plus urgentes à mettre en place ? Ce qui nous semble le plus urgent est de rendre le système de santé plus accueillant à l’innovation. De façon sous-jacente, cela implique de s’appuyer sur quatre piliers : la plateformisation pour changer les modes de création et de répartition de la valeur, en changeant notamment les modes de collaborations entre public et privé ; faciliter la démarche d’innovation pour tester des projets ; recueillir des retours et constituer un marché adressable pour les industriels du domaine ; et enfin réformer la politique de la donnée. Il faut beaucoup de données, mais seules elles ne servent à rien, elles doivent être assorties d’une structuration et d’une gouvernance. Par exemple, le recueil des données via des capteurs dans les hôpitaux doit s’articuler avec des enjeux de politiques publiques et des objectifs associés. Il faut savoir où l’on veut aller pour dérouler le reste de la stratégie. Or c’est cette politique de la donnée, si elle est mise en oeuvre, qui risque de coûter le plus cher. Ca changement d’objectif va avoir des impacts pratico-pratiques sur la manière dont sont alimentés les DMP Bertrand Rondepierre Rapporteur de la mission Villani sur l’IA Il ressort du rapport que des données sont en effet massivement collectées, notamment via le Sniiram et le DMP, mais qu’elle sont en fait très difficilement exploitables… Elles sont exploitables, mais ont été collectées et structurées pour un usage spécifique qui n’était pas initialement l’intelligence artificielle”. Le Sniiram par exemple est une base de données médico administrative conçue pour les remboursements, et donc tous les actes médicaux y sont codifiés en fonction du remboursement dont ils font l’objet. Le DMP, en l’état actuel, s’il n’accueillait que des scans de comptes-rendus en PDF ne rendrait pas les données inexploitables mais cela complexifie le processus…. Si on veut y intégrer de l’IA, il faudrait numériser d’entrée de jeu les données qui y sont entrées. Pour ces exemples, il faudrait typiquement une gouvernance de la donnée pour déterminer en amont l’objectif d’IA associé au projet. Le DMP va donc à nouveau être réformé ? Je ne pense pas qu’il y ait besoin de casser quoi que ce soit, mais ce changement d’objectif va en effet avoir des impacts pratico-pratiques sur la manière dont sont alimentés les DMP. Faut-il une nouvelle version ? Il faut en tous cas entamer une démarche d’accompagnement pour le rendre plus facilement exploitable à l’IA. La gouvernance actuelle du numérique dans la santé est-elle adaptée à ces nouveaux enjeux ? Nous avons aujourd’hui un système de santé complexe, qui compte l’Asip Santé, la CNAM, l’Inserm, les ministères… avec chacun des missions qui n’ont pas été découpées en fonction de l’IA. Les administrations en général n’ont pas été conçues pour traiter ce sujet qui nécessite beaucoup d’interconnexions, et les entreprises et administrations n’y sont pas encore habituées. Cela demande donc a minima une révolution culturelle pour interconnecter l’ensemble des maillons. La base de données du Sniiram pourrait-elle être ouverte à d’autres acteurs qu’à l’équipe du partenariat de recherche entre la CNAM et Polytechnique ? Le partenariat avec polytechnique est tout à fait positif, mais nous pensons que le Sniiram, conçu pour des besoins médico-administratifs, ne doit pas être torturé pour y faire entrer de l’IA. Nous visons une deuxième étape : entrer dans une logique de plateformisation en créant un objet, distribué entre échelon central et local, voire même l’échelon citoyen, dans lequel on trouverait les données de santé du patient. Cet objet là serait conçu pour des usages d’IA par des tiers comme l’Etat, des entreprises et des laboratoires de recherche… qui pourront travailler sur cette base, sans pour autant s’approprier les données. On peut considérer que cette proposition s’inscrit sur le plan technique comme une future évolution de l’actuel SNDS (Système national des données de santé) et l’INDS (Institut des données de santé) de pourrait également évoluer pour prendre en compte cette dimension. Les projets d’IA ont plusieurs fois démontré leurs limites… Les projets que vous évoquez ont-ils une chance de voir le jour avant dix ans ? Toutes les briques technologiques existent déjà : stockage, moteur de calcul, deep-learning… mais il reste un ingrédient qui n’a pas encore été trouvé : la technologie qui assemble tous ces outils de façon maîtrisée, qui assure le maintien de la sécurité des données, leur conservation et garantit la traçabilité de leur usage. La blockchain pourrait être une solution, pour notamment contribuer à la maîtrise de ses données personnelles par chaque citoyen… Il y en a d’autres mais à ma connaissance il n’existe pas de solution sur l’étagère. Il y a de plus un vrai besoin d’accentuer la recherche sur ces sujets pour augmenter la performance et la fiabilité des algorithmes, surtout dans la santé où l’impact d’une erreur peut être énorme. Par contre, quand bien même l’IA en santé n’était pas accessible directement au maximum de ses performances demain, il faut se mettre en position dès maintenant, pour dès demain commencer à faire facilement des statistiques, puis dans un second temps y intégrer des mécanismes d’IA très performants. Quels financement sont nécessaires et qui a les moyens de les fournir ? Les moyens matériels et logiciels pour recueillir, héberger, structurer, traiter la donnée… peuvent se chiffrer en centaine de millions d’euros. Je ne peux pas dire à l’avance qui paiera mais il existe plusieurs leviers : le fonds de transformation pour l’action publique (d’un montant de 700 millions d’euros, ndlr), le fonds pour l’innovation de rupture annoncé l’année dernière (doté de 10 milliards d’euros, ndlr), les fonds propres de l’enseignement supérieur de la recherche, les fonds recherche du ministère de la santé… Ensuite, si la gouvernance rejoint le financement, il y aura alors des budgets pluriannuels sécurisés et dédiés à ces usages-là. L’enjeu est évidemment de ne pas mettre le financement de ces projets en concurrence avec les budgets alloués au financement courant du système de santé. Les principales propositions du rapport Villani concernant la santé – Lancer un chantier spécifique pour que le Dossier médical partagé (DMP) soit utilisable à des fins d’IA – Déployer des outils et techniques d’automatisation de la codification des informations produites par les patients en données pertinentes pour le suivi médical – Intégrer des étudiants en informatique et IA dans les cursus de médecine – Former les professionnels de santé aux usages de l’IA, de l’IoT et du big data en santé – Clarifier la responsabilité médicale en lien avec l’IA – Faciliter l’accès au Système national des données de santé (SNDS) – Créer une plateforme d’accès et de mutualisation des données pertinentes pour la recherche et l’innovation en santé et fluidifier l’accès à cette plateforme – Inciter les hôpitaux à organiser des challenges autour des jeux de données – Expérimenter de nouvelles procédures de qualification et de certification des algorithmes ayant vocation à être utilisés dans un contexte médical, à l’instar du programme FDA pre-cert lancé en juillet 2017 Bertrand Rondepierre Septembre 2017 – mars 2018 : Rapporteur du volet santé de la mission Villani Depuis 2015 : Ingénieur de l’armement à la direction générale de l’armement 2014 : Mission de développement sur architecture big data au sein de Thales Communication & Security Avant 2014 : Etudes à Polytechnique, diplôme de Télécom Paris Tech dans le domaine de la big data et diplôme de l’ENS Paris-Saclay d’un M2 Mathématique-Vision-Apprentissage base de donnéesbig dataDMPIntelligence ArtificiellePolitique de santé Besoin d’informations complémentaires ? 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