Accueil > Financement et politiques publiques > Bruno Cazabat (IHF): “À l’hôpital, tout n’est pas numérique, mais le numérique est désormais partout!” Bruno Cazabat (IHF): “À l’hôpital, tout n’est pas numérique, mais le numérique est désormais partout!” L’association des Ingénieurs Hospitaliers de France (IHF) tient du 22 au 24 juin ses 62èmes Journées d'études et de formation. Son président, Bruno Cazabat, revient sur les évolutions et les spécificités du métier d’ingénieur hospitalier, dans un contexte où le besoin de maîtrise des outils numériques et des consommations énergétiques est grandissant. Par Romain Bonfillon. Publié le 21 juin 2022 à 22h50 - Mis à jour le 22 juin 2022 à 11h34 Ressources Quelle est la genèse des IHF et quelle est la spécificité d’un ingénieur hospitalier ? L’association des IHF a été créée en 1956, à peu près au même moment que la création des hôpitaux en France. Elle correspond à la nécessité de connaître ce qui se fait en matière de réglementation, développements pour construire, améliorer et maintenir des hôpitaux. L’hôpital rassemble presque toutes les sciences de l’ingénieur, dans différents environnements. Nous parlons de la construction de bâtiments qui sont ERP (Etablissement Recevant du Public), qui sont des lieux de travail, et qui accueillent des personnes plus ou moins immunodéprimées, donc s’ajoutent des exigences sanitaires. Le traitement d’air, de l’eau, l’électricité… tous ces domaines doivent être extrêmement fiables et sécurisés à l’hôpital. Qu’entend-on aujourd’hui par “hôpital intelligent” ? Des capteurs et des systèmes d’automates permettent aujourd’hui d’adapter la température et le traitement d’air aux besoins d’exploitation d’un hôpital, de déceler une consommation d’eau anormale, et donc une fuite, sans avoir trop d’exigences en matière d’intervention humaine. Beaucoup de ces interventions sont anticipées avec des outils comme la GTC (Gestion technique centralisée) et la GTB (Gestion technique du bâtiment). Ces technologies recueillent la donnée, la centralisent et la gèrent grâce à des algorithmes et déjà l’IA fait son apparition. Ces algorithmes sont issus de décisions bien humaines, d’ordres que nous donnons à des automates. À l’hôpital, tout n’est pas numérique, mais le numérique est désormais partout ! Les déploiements du WIFI et des IoT, de la vidéo surveillance, du contrôle d’accès ont ouvert de nombreux usages et applications. Ce sont des aides importantes à la construction, à l’exploitation et à la maintenance. Piloter l’hôpital par la donnée “Au-delà de personnes capables de “relever les compteurs”, nous devrons former des professionnels à même d’interpréter de grosses masses de données”. L’association des IHF est également un organisme de formation. Comment vous êtes-vous adaptés à la numérisation de la plupart des outils présents à l’hôpital ? Il est très clair que notre métier a évolué et que ces changements ont un peu compliqué les choses… Avant, les sciences de l’ingénieur étaient plus segmentées qu’elles ne le sont aujourd’hui. Lorsque nous nous intéressons maintenant à un sujet, la consommation énergétique par exemple, nous entrons très vite dans une vision globale de l’hôpital et de ses différents services. Un outil comme le BIM (Building Information Modeling) nous y aide. Il permet d’avoir une visualisation 3D du bâtiment dans toutes ses composantes, les réseaux, les percements, le mobilier. Les contingences se réglaient autrefois sur le chantier et le numérique a apporté une plus grande rigueur. Les informations sur le bâtiment sont plus précises, plus facilement consultables. Les différents corps de métier qui interviennent dans la construction d’un hôpital communiquent donc mieux et de manière plus rapide, en particulier durant la phase d’étude. Cette plus grande capacité à collecter des données, à les stocker et à les traiter va créer de nouveaux besoins : au-delà de personnes capables de “relever les compteurs”, nous devrons former des professionnels à même d’interpréter de grosses masses de données. L’objectif et la tendance actuelle est de promouvoir une capacité d’analyse plus fine, sur la consommation d’énergie par exemple, qui se fait désormais par bâtiment, voire par service et local. L’intelligence artificielle (IA) a-t-elle fait son entrée dans le domaine de l’ingénierie hospitalière ? Nous n’en sommes qu’au début, mais l’IA se développe rapidement. Appliquée à certains systèmes d’analyse et de gestion de la consommation énergétique, elle permet de faire des économies. Je pense en particulier à l’application de l’un de ces systèmes dans des bâtiments du GHU Paris, qui sera présentée lors de nos journées IHF (cf. notre article sur la solution d’Enerbrain). L’explosion actuelle du prix des énergies, et en particulier du gaz, vous impose-t-elle une nouvelle gestion des consommations ? Le prix de l’énergie a en effet considérablement augmenté et nous sommes très vigilants à diminuer la consommation énergétique et à travailler sur le mix énergétique. Nous pouvons chauffer avec du gaz mais aussi avec de la biomasse, utiliser la cogénération (qui permet de produire à la fois de la chaleur et de l’électricité, ndlr) ou raccorder des réseaux de chaleur fonctionnant par exemple avec l’incinération des ordures ménagères. La tendance est donc à la diversification car le prix du gaz a augmenté mais toutes les factures énergétiques ne s’envolent pas de la même façon. Notons aussi que les efforts de maîtrise de consommation d’électricité (utilisation de LED, de groupes froids à haute performance, etc.) est contrebalancé par l’augmentation du confort, et en particulier du confort d’été des chambres, qui sont rafraîchies. Du fait de cet effet de ciseau, le plateau de consommation énergétique reste constant depuis plusieurs années. Mais les factures ne le sont pas… “Les outils numériques vont nous aider considérablement à respecter les objectifs de décarbonation et de maîtrise de l’énergie.” Plusieurs exposés des Journées IHF mettent en avant l’utilité d’une gestion de la maintenance assistée par ordinateur (GMAO). Que permet désormais de faire cette GMAO ? La GMAO n’est pas une activité nouvelle d’ingénierie, mais les outils numériques nous permettent aujourd’hui d’aller beaucoup plus vite et beaucoup plus loin. Sur un établissement de santé assez important, nous avons rapidement des dizaines de milliers d’équipements à suivre (convecteurs, ascenseurs, portes automatiques, groupes électrogènes, etc.). Une fois identifiés et saisis sous forme numérique, ces équipements peuvent être suivis en temps réel. Nous pouvons connaître pour chacun, en plus des spécifications techniques et de leur date de mise en service, des informations sur leur état, les interventions curatives ou préventives qu’ils ont subis. Ces informations sont précieuses pour faire des analyses et préparer les plans de renouvellement et d’entretien. Ces données orientent également nos politiques d’actions puisqu’elles peuvent par exemple révéler que tel type d’onduleur a un taux de panne inhabituel. Nous pourrons alors en tirer des conséquences par rapport au fabricant, au dimensionnement de l’outil ou à l’exploitation qui en est faite. Cette gestion numérisée de la maintenance des appareils est exigeante puisqu’elle demande aux mainteneurs de connaître leur patrimoine et de saisir toutes les installations. Mais elle représente un gain d’efficacité et de temps. Ces outils, une fois mis en place, nous permettent d’extraire de nombreuses informations, pour une gestion plus intelligente des structures de santé. Quel est l’argument principal qui vous pousse aujourd’hui à recourir davantage à des outils numériques ? L’environnement – l’énergie, le climat, la décarbonation – est clairement aujourd’hui pris en compte dans nos activités d’ingénieur. C’est valable pour notre cité et plus encore pour l’hôpital. Nous y sommes d’ailleurs encouragés par le législateur, au travers de la loi Elan (cf. encadré). Les outils numériques vont nous aider considérablement à respecter les objectifs de décarbonation et de maîtrise de l’énergie. Ces outils viennent accompagner les applications et renouvellements purement techniques que nous mettons en place, ce sont des outils de pilotage devenus indispensables pour maîtriser notre avenir. Ce que dit la loi Elan La loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan) du 23 novembre 2018 vise la rénovation énergétique pour mettre fin aux “passoires thermiques”. Suite au décret paru le 1er octobre 2019, qui précise les modalités de son application pour le secteur tertiaire, la loi impose à tous les établissements de santé de plus de 1 000 m², une réduction de leurs consommations d’énergie de 40% d’ici à 2030, de 50% en 2040 et de 60% en 2050. Les établissements doivent documenter cette réduction d’énergie et le faire en partant d’une période de référence librement choisie (mais ne pouvant pas être antérieure à 2010). Afin de répondre à ces exigences, le Ségur de la santé a accordé un soutien de 10 millions d’euros/an pendant quatre ans pour financer un réseau de conseillers en transition énergétique et écologique en santé (CTEES). Ces conseillers, déployés dans les établissements hospitaliers et structures médico-sociales sélectionnés en 2021 dans le cadre d’un AMI (appel à manifestation d’intérêts), ont pour mission d’accompagner ces acteurs dans la mise en œuvre des actions de réduction de leur empreinte carbone, telles qu’elles sont décrites dans le dispositif Éco énergie tertiaire. Bruno Cazabat Depuis 2006 : Directeur des Affaires Techniques des Hospices Civils de Lyon (HCL) Depuis 2017 : Président des Ingénieurs Hospitaliers de France (IHF) 1983 : Diplôme d’ingénieur de l’ENTPE (école de l’aménagement durable des territoires) Romain Bonfillon HôpitalInnovationIntelligence ArtificielleOrganisations professionnellesOutils numériquesRSE Besoin d’informations complémentaires ? 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