Accueil > Financement et politiques publiques > Catherine Martre (France Biotech) : “Même fragilisé, notre écosystème reste très dynamique” Catherine Martre (France Biotech) : “Même fragilisé, notre écosystème reste très dynamique” Catherine Martre, directrice générale de France Biotech depuis le 30 juillet dernier, a accordé à mind Health sa première interview depuis sa nouvelle prise de fonctions. Dans un contexte économique marqué par la fragilité financière d’une partie des entreprises de la healthtech, elle insiste sur le dynamisme persistant de la filière et esquisse les grands axes de sa feuille de route. Par Romain Bonfillon. Publié le 30 septembre 2025 à 16h01 - Mis à jour le 30 septembre 2025 à 16h01 Ressources Vous avez pris vos fonctions de directrice générale de France Biotech le 30 juillet dernier. Comment concevez-vous votre mission et ses priorités ? Mes priorités rejoignent les priorités stratégiques de l’association et notre travail s’appuie très fortement sur les travaux réalisés par la quarantaine de commissions et groupes d’expertises composés de nos adhérents. Une de nos missions est de favoriser un bon accès à l’information, des pouvoirs publics vers nos adhérents et de nos adhérents vers les pouvoirs publics. Nous voulons nous assurer que tout le monde ait le bon niveau d’information, que ce soit sur des sujets comme le financement des entreprises ou le règlementaire. Ces sujets ont d’ailleurs une portée non seulement française mais européenne. Le secteur des biotech françaises semble particulièrement dynamique cette année, avec d’importantes levées de la part de Coave Therapeutics, Tafalgie Therapeutics, Abivax, etc. Quelle analyse faites-vous du secteur ? Le refinancement boursier d’ABIVAX, qui est à un stade de développement clinique avancé donne, il est vrai, une image de l’écosystème français qui est très positive. Malheureusement, toutes les healthtech françaises n’arrivent pas à se financer aussi bien qu’a pu le faire Abivax et beaucoup se trouvent à des stades de financement plus précoces, des stades qui souffrent actuellement. Abivax : la success story d’une biotech tricolore Tout l’écosystème du financement semble aujourd’hui souffrir… Tous les stades de financement sont aujourd’hui compliqués, et certains le sont plus que d’autres. Malgré la qualité de l’écosystème et la qualité des équipes, ces difficultés se transmettent en cascade. À partir du moment où les fonds d’investissement ont du mal à lever de l’argent, ils leur est compliqué de financer les entreprises. Actuellement, le nombre de levées de fonds n’est pas du tout suffisant par rapport aux besoins des sociétés, qui sont pour un certain nombre d’entre elles à bout de cash. Or, on sait que lever de l’argent est un processus long. Avec le risque que ces sociétés aillent se faire financer ailleurs, par des fonds américains par exemple… Cela peut être vu comme un risque ou une opportunité. Tout dépend de la part de capital qui part à l’étranger et de l’optique que l’on a, de l’importance que l’on accorde à la souveraineté. Aujourd’hui, bon nombre de sociétés de la healthtech qui ont réussi à lever des fonds auprès de VCs ont des fonds étrangers à leur capital et il faut garder à l’esprit que ces sociétés raisonnent à l’échelle d’un marché qui est mondial. Quel enseignement gardez-vous de l’enquête que France Biotech a menée sur la situation financière des acteurs de la filière healthtech ? Le principal facteur d’inquiétude est lié au fait qu’une bonne partie des entreprises de l’écosystème ont juste quelques mois de cash de visibilité. De manière certaine, certaines de ces sociétés disparaîtront l’an prochain. Mais, même fragilisé, notre écosystème est extrêmement résilient et reste très dynamique, avec une création constante de nouvelles d’entreprises. En 2025, la healthtech française toujours plus en mal de financements France Digitale et EY ont récemment publié un baromètre faisant état de la performance économique des fonds de capital-risque en France et en Europe. La situation ne semble pas être que française… Les investissements qui sont faits dans des sociétés françaises peuvent provenir de fonds français et aussi étrangers. Les fonds aussi ont des difficultés pour se refinancer, ce qui leur laisse moins de marge de manœuvre pour investir dans des nouveaux projets. Ajoutons à cela l’instabilité politique que connaît la France. La stabilité fiscale telle que l’avait voulue Emmanuel Macron à partir de 2017 a été un facteur assez positif pour faire venir l’investissement en France, notamment dans les healthtech. Depuis la dissolution de 2024, les investisseurs ont moins de visibilité, en particulier concernant la fiscalité. En tant qu’association représentative des acteurs de la healthtech, de quelle marge de manœuvre disposez-vous pour renforcer l’attractivité des entreprises françaises de la healthtech ? L’un des principaux défis actuels consiste à accompagner durablement la croissance de ces entreprises de la healthtech. C’est notamment l’objet du nouveau groupe d’expertise “Inventer – Développer – Fabriquer en France” que nous avons lancé l’été dernier. Notre idée est de montrer aux pouvoirs publics toute la valeur ajoutée qui est créée au fil du développement de technologies, de produits qui sont voués à être commercialisés en France. Cette valeur n’est pas seulement un centre de coût, c’est une création de richesse pour notre pays. Nous venons également de lancer deux initiatives, l’une visant à soutenir l’accélération de l’innovation et son impact pour les patients, l’autre à identifier des leviers de pour renforcer le financement de l’écosystème. France Biotech a justement annoncé, le 24 septembre dernier, le lancement d’un “Grenelle du financement”. En quoi va-t-il consister ? Nous voulons être force de propositions pour imaginer de nouveaux leviers d’investissements. Notre objectif est d’abord de dresser un état des lieux complet des solutions de financement existantes (equity, subventions, dettes, fiscalité) et de proposer des axes d’amélioration concrets. Pour ce faire, nous réunirons mi-octobre un panel d’investisseurs, d’experts et de représentants publics lors de ce Grenelle du financement. Nous avons déjà identifié plusieurs pistes, parmi lesquelles l’orientation d’une part de l’épargne et de l’assurance-vie vers les healthtech, la création de nouveaux produits d’épargne dédiés pour les particuliers et family offices, des incitations pour que les grands acteurs industriels de santé investissent dans les start-up, l’élargissement de certains dispositifs existants, comme l’initiative Tibi, à l’échelle européenne. France Biotech travaille également sur un nouveau plan stratégique consistant à promouvoir l’innovation en santé… C’est le deuxième axe fort de notre engagement pour renforcer l’attractivité de la filière healthtech française. Il s’agit tout d’abord d’optimiser l’impact des découvertes issues de la recherche académique dans les entreprises françaises et de renforcer l’ancrage national de la recherche clinique, préclinique et de la production industrielle. La question des délais d’accès des innovations aux patients fait également partie de nos priorités. Cela passe par l’identification des freins systémiques qui persistent encore, qui peuvent être réglementaires mais aussi concerner l’accès au marché, à la donnée, aux talents, etc. Notre plan stratégique donnera lieu à un livre blanc qui nourrira les programmes des décideurs publics à l’horizon 2027. Il sera assorti d’objectifs opérationnels mesurables (KPIs). S’agissant précisément des talents, comment France Biotech s’engage pour les promouvoir ? Nous avons une commission RH qui travaille sur ce sujet-là, elle a formulé un certain nombre de propositions, notamment sur la fiscalité des entreprises et leur financement pour qu’elles soient suffisamment attractives par rapport à la concurrence étrangère en matière de recrutement. Cette question des talents interroge également la visibilité et l’attractivité de la filière healthtech. L’une de nos commissions travaille sur le lien avec les universités et les écoles, pour que les formations répondent aux nouveaux besoins métiers. Régulièrement, nous intervenons pour présenter notre écosystème, nos métiers et les débouchés possibles à des élèves en master dans le domaine de la santé. Dans le cadre du PLFSS 2026 à venir, le LEEM a présenté le 23 septembre dernier ses revendications. Il dénonce la fiscalité record qui pèse sur les entreprises du médicament, regrette que seulement deux accès précoce pré-AMM aient été accordés depuis le début de l’année et appelle à des “Etats généraux du médicament”. Est-ce qu’il y a certaines de ces revendications que France Biotech reprend à son compte ? Les entrepreneurs que nous représentons sont en général à un stade plus précoce de développement du médicament que les entreprises représentées par le LEEM, mais France Biotech et le LEEM travaillent en collaboration sur des sujets communs. Lorsque nos sociétés ont des produits qui vont arriver sur le marché, nous avons des problématiques communes, notamment sur les accès précoces et dérogatoires. Quelle analyse faites-vous de notre écosystème healthtech en ces temps d’incertitude économique ? Même si beaucoup de nos entreprises font face aujourd’hui à des difficultés financières, je veux retenir le dynamisme de notre écosystème. Je continue à être émerveillée par les technologies que nous sommes capables de produire, par l’extraordinaire compétence et motivation de nos entrepreneurs. Ils restent très pragmatiques et ont véritablement une vision globale de tous les enjeux qui les concernent. Dans un écosystème mondial, nos entreprises travaillent avec des chercheurs du monde entier. C’est aussi cette vision “worldwide” que je veux porter. La question du financement n’est pas franco-française, l’aire de jeu de nos produits et technologies est également mondiale. Il nous faut penser global et faire preuve de pragmatisme. En des temps où le contexte géopolitique et économique pourrait inviter au pessimisme, je préfère me concentrer sur les très belles réussites de nos entreprises. Catherine Martre Depuis juillet 2025 : Directrice générale de France Biotech 2021 – 2025 : CEO de la biotech Meletios Therapeutics 2013 – 2020 : Directrice du développement commercial puis du market access de la biotech Advicenne 2001 – 2013 : Responsable études de marché pour Altana puis directrice stratégie, Business Development, Affaire publiques pour Nycomed/Takeda 1997 – 2001 : Consultante dans le domaine des sciences de la vie pour la société de conseil en innovation Alcimed Romain Bonfillon biotechFinancementsFonds d'investissementHealthTechOrganisations professionnellesStratégie Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind